Les Puritains d’Écosse/26

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CHAPITRE XXVI

— À Hothwell-Hill je dois courir
Pour y vaincre ou pour y mourir.

Ancienne ballade.

Il y eut des deux côtés suspension des opérations pendant plusieurs jours. Le gouvernement se bornait à prendre les mesures nécessaires pour empêcher les presbytériens de marcher sur la capitale, tandis que ceux-ci s’occupaient d’augmenter leurs forces. Dans cette vue, ils avaient établi un camp, où ils étaient protégés contre une attaque soudaine, au milieu du parc appartenant au château ducal d’Hamilton, situation centrale, favorable pour réunir leurs renforts, et défendue par la Clyde, rivière rapide et profonde.

Ce fut là que Morton passa les quinze premiers jours que suivirent la prise de Glascow. Il avait plusieurs fois reçu des nouvelles de Burley, qui se bornait à lui dire que le château de Tillietudlem tenait encore. Ne pouvant supporter une plus longue incertitude sur un sujet si intéressant pour lui, il résolut de faire part à ses collègues du désir qu’il avait d’aller à Milnwood, quelques jours, ou, pour mieux dire, il prit le parti de leur déclarer simplement sa détermination, ne voyant nulle raison pour ne pas prendre une liberté que se permettaient tous les autres. Cette ouverture fut mal accueillie : on sentait trop combien les services de Morton étaient utiles, pour ne pas craindre d’en être privé, même pour peu de temps.

Le révérend M. Poundtext profita de cette occasion pour faire une visite à son presbytère de Milnwood, et honora Morton de sa compagnie. Le pays qu’ils avaient à parcourir s’étant déclaré en leur faveur, à l’exception de quelques barons, ils se mirent en route sans autre suite que le fidèle Cuddy.

Le soleil allait se coucher, lorsqu’ils arrivèrent à Milnwood, où Poundtext dit adieu à son compagnon pour se rendre à sa demeure.

Quand Morton resta seul, avec quelle émotion il reconnut les bois, les ruisseaux et les champs qui lui avaient été si familiers ! son caractère, comme ses habitudes, ses idées, son genre de vie, avaient été changés presque subitement, et vingt jours semblaient avoir produit sur lui l’effet de vingt années. Il semblait qu’il eût passé, par une transition imprévue, des rêves romanesques de la jeunesse aux travaux et aux soucis de l’âge mûr ; tout ce qui l’intéressait naguère était effacé de sa mémoire, excepté son attachement pour Edith ; son amour même avait pris un caractère plus mâle.

Arrivé à Milnwood, il frappa à la porte de son oncle ; la maison retentit des coups redoublés du marteau, et Alison vint entr’ouvrir avec précaution. Elle recula d’effroi en voyant l’habit militaire de Henry.

— Où est mon oncle, lui dit Morton en souriant de ses alarmes,

— Bon Dieu ! monsieur Henry, est-ce bien vous ?

— C’est moi-même, sans doute mon habit me fait paraître plus grand à vos yeux, nous vivons dans un temps où les enfants deviennent promptement des hommes,

— Oh ! le malheureux temps, monsieur Henry !

— Mais où est mon oncle ?

— À Édimbourg, Il y est allé avec tout ce qu’il a pu emporter, croyant qu’il serait plus en sûreté qu’ici.

— J’espère que sa santé n’a pas souffert ?

— Ni sa santé ni ses biens ; nous nous sommes conservés comme nous avons pu ; et quoique les soldats de Tillietudlem nous aient pris la vache rouge et la vieille Kakie, ils nous cédèrent un bon marché de quatre autres qu’ils conduisaient au château.

— Vous céder un bon marché ! Que voulez-vous dire ?

— Oui, un bon marché. Les dragons allaient de tous côtés chercher des provisions pour la garnison, mais ils faisaient leur vieux métier, allant et venant pour acheter et revendre, comme de véritables voleurs de bestiaux. Oh ! ma foi ! le major Bellenden n’a eu que la plus petite part de tout ce qu’ils ont pris en son nom.

— Mais le château doit manquer de provisions.

— Il n’y a pas de doute.

— Burley m’a trompé ! s’écria vivement Henry ; sa conscience lui permet aussi bien la ruse que la cruauté. Je ne puis rester plus longtemps, mistress Wilson, il faut que je parte.

— Quoi ! vous n’entrerez pas pour manger un morceau ?

— Impossible ! — Cuddy, sellez vos chevaux.

— Ils commencent à manger l’avoine, répondit Cuddy.

— Cuddy ! s’écria Alison, Quoi ! vous avez pris avec vous ce porte-malheur ! C’est lui qui, avec sa mendiante de mère, a été la première cause de tout le mal qui nous est arrivé ici !

— Allons, Mistress, dit Cuddy, il faut savoir oublier et pardonner. Ma mère est avec ma sœur, ainsi elle ne vous tourmentera pas davantage ; moi, je suis le valet du capitaine, et je me flatte que depuis que j’ai soin de lui il n’a pas moins bonne mine que lorsque vous en étiez chargée. L’avez-vous jamais vu si bien ?

— En honneur et en conscience, dit la bonne Alison en jetant un regard sur son jeune maître, il a tout à fait bonne tournure. Oh ! jamais vous n’avez eu si belle cravate à Milnwood. Ce n’est pas moi qui l’ai ourlée !

— Non, répliqua Cuddy. Elle vient de lord Evandale.

— De lord Evandale ? de celui que les whigs doivent pendre demain.

— Pendre lord Evandale ? s’écria Morton vivement agité.

— C’est bien sûr, dit Alison. La nuit dernière il a fait une sortie avec des dragons pour tâcher de se procurer des vivres ; mais les soldats ont été repoussés, et lui a été fait prisonnier ; si bien que Burley a fait dresser une potence, et a juré que si le château ne se rendait pas demain matin, lord Evandale serait pendu. — Mais allons, monsieur Henry, entrez ; il ne faut pas que cela vous empêche de dîner.

— Qu’ils aient mangé ou non, sellez les chevaux ! Il n’y a pas un instant à perdre, Cuddy.

Résistant à toutes les instances d’Alison, ils se remirent en route, et Morton ne manqua pas de s’arrêter chez Poundtext pour l’engager à se rendre au camp avec lui.

Le vénérable ministre avait repris pour un instant ses habitudes pacifiques. Une pipe à la bouche, une pinte de bière devant lui, il était appuyé sur une table, et paraissait très peu disposé à quitter ce qu’il appelait ses études, pour se remettre en chemin aux approches de la nuit ; mais quand il eut appris ce dont il s’agissait, il renonça au projet qu’il avait formé de passer chez lui une soirée tranquille. Comme Morton, il pensa que, quoiqu’il pût convenir aux vues particulières de Burley de rendre impossible une réconciliation entre les presbytériens et le gouvernement en mettant à mort lord Evandale, l’intérêt du parti modéré était diamétralement opposé à cette mesure. D’ailleurs, pour rendre justice à Poundtext, il ne s’était jamais montré partisan des moyens extrêmes.

Il était onze heures du soir quand ils arrivèrent dans un hameau situé près du château de Tillietudlem, où Burley avait établi son quartier général. Une sentinelle les arrêta à l’entrée ; mais s’étant nommés, ils se firent conduire auprès du chef. Dès qu’il vit entrer ses deux collègues, il se leva précipitamment. — Qui vous amène ici ? s’écria-t-il : apportez-vous de mauvaises nouvelles de l’armée ?

— Non, répondit Morton ; mais nous apprenons qu’il se passe ici des choses qui pourraient compromettre sa sûreté. Lord Evandale est prisonnier.

— Le Seigneur l’a livré entre nos mains.

— Et votre dessein est d’user de l’avantage que le ciel vous a accordé, pour déshonorer notre cause aux yeux de toute la nation,

— Si le château de Tillietudlem ne m’est pas rendu demain, répondit Burley, que je périsse s’il ne meurt du supplice que son chef Claverhouse, a fait subir à tant de saints du Seigneur.

— Nous avons pris les armes, dit Morton, pour mettre fin à ces cruautés, et non pour les imiter. Quelle loi peut justifier l’atrocité que vous voulez commettre ?

— Nous vivons sous une meilleure loi, dit le ministre. Elle nous ordonne de rendre le bien pour le mal.

— C’est-à-dire, répondit Burley, que ta vieillesse est d’accord avec la fougue de ce jeune homme pour me contrarier en cette occasion.

— Nous avons tous, répondit Poundtext, la même autorité que toi sur cette armée, et nous ne souffrirons pas que tu fasses tomber un cheveu de la tête du prisonnier,

— Quand on a appelé au conseil des gens comme toi, j’ai prévu que cela en viendrait là, s’écria Burley.

— Des gens comme moi ! Et qui suis-je donc pour que tu oses me parler ainsi ?

— Je vais te le dire, répliqua Burley, Tu es un de ces hommes qui veulent récolter où ils n’ont pas semé, partager les dépouilles sans avoir pris part au combat.

— Je te dirai aussi, John Balfour, qui tu es ! s’écria Poundtext. — Tu es un de ces hommes sans pitié, dont les intentions sanguinaires sont la honte de l’église ; un homme dont la violence et les cruautés empêcheront la Providence d’accorder à notre sainte entreprise le succès désiré.

— Messieurs, dit Morton, mettez fin à de tels discours ; et vous, Balfour, veuillez nous dire si votre intention est d’ordonner la mort de lord Evandale, tandis qu’au contraire sa mise en liberté nous paraît une mesure utile au bien général du pays.

— Vous êtes ici deux contre un, s’écria Burley ; mais je présume que vous ne refuserez pas d’attendre que le conseil entier soit réuni pour prendre une détermination sur cette affaire.

— Nous ne nous y refuserions pas, dit Morton, si nous pouvions avoir confiance en celui sous l’influence duquel il se trouve ; mais vous m’avez déjà trompé relativement à la situation du château.

— Va, repartit Burley d’un air de dédain, tu n’es qu’un jeune insensé qui, pour les yeux noirs d’une jeune fille, trahirais ta foi, ton honneur, la cause de ta patrie et celle de Dieu.

— Monsieur Balfour, s’écria Morton en portant la main à son épée, de tels propos exigent une satisfaction.

— Et tu l’auras quand tu voudras, jeune homme.

Ce fut au tour de Poundtext de s’interposer : il leur remontra les suites fâcheuses qu’une telle division pourrait entraîner, et parvint à opérer une espèce de réconciliation farouche.

— Eh bien, dit Burley, faites du prisonnier ce que vous voudrez, je m’en lave les mains. — Dingwal, dit-il en appelant un officier, dites à la garde chargée de veiller sur le prisonnier de céder son poste à ceux que le capitaine Morton choisira pour la relever.

En parlant ainsi il leur tourna le dos, sans leur dire adieu.

Ses deux collègues jugèrent que la prudence exigeait qu’ils assurassent la vie du prisonnier, en plaçant près de lui une garde sur la fidélité de laquelle ils pussent compter. Un certain nombre de paroissiens de Poundtext étaient restés avec Burley. Quatre d’entre eux acceptèrent les fonctions de sentinelles, et avec eux Morton laissa Headrigg, sur lequel il pouvait compter.

Ayant pris ces dispositions, Morton et Poundtext se logèrent comme ils purent pour la nuit dans ce misérable hameau ; mais ils ne songèrent à goûter quelque repos qu’après avoir rédigé un mémoire qui contenait les demandes des presbytériens modérés. La principale était d’obtenir la tolérance de leur religion, la permission d’avoir des ministres de leur croyance, et d’écouter leurs instructions dans leurs églises, enfin une amnistie générale en faveur de tous ceux qui avaient porté les armes pour cette cause. Ce n’était, à leur avis, que demander le libre exercice des droits naturels des Écossais, et ils se flattaient de trouver, même parmi les royalistes les plus zélés des avocats pour une concession qui ferait tomber les armes des mains d’une grande partie des insurgés.

Morton espérait d’autant plus que cette ouverture serait favorablement accueillie par le duc de Monmouth, que ce prince était d’un caractère doux, humain et conciliant. On savait qu’il n’apportait en Écosse aucun esprit de vengeance ; et il disait hautement qu’il aspirait à la gloire de pacifier le pays, plutôt qu’à celle de le subjuguer. Il semblait donc à Henry que la seule chose nécessaire pour intéresser le duc en leur faveur était de lui en faire porter la proposition par un homme considéré, et lord Evandale lui paraissait devoir parfaitement remplir cette mission pacifique. Il résolut de le voir le lendemain matin, et de s’assurer s’il consentirait à se charger du rôle de médiateur ; mais un événement fortuit vint hâter l’exécution de ce projet.