Les Puritains d’Écosse/33

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CHAPITRE XXXIII

Fifres, clairons, annoncez la victoire,
Rendons hommage à la valeur ;
Il vaut mieux vivre un seul jour avec gloire
Que vivre un siècle sans honneur.

Anonyme.

Après ce combat, Claverhouse prévint ses soldats qu’on passerait la nuit en cet endroit, et qu’on partirait le lendemain de grand matin. Il s’occupa ensuite de Henry.

— Vous auriez évité les dangers que vous avez courus des deux côtés, monsieur Morton, si vous aviez accordé quelque attention au conseil que je vous ai donné hier : n’en parlons plus. Vous êtes prisonnier, à la disposition du roi et du conseil, mais je veux que vous soyez traité avec tous les égards possibles. Je ne vous demande que votre parole de ne pas chercher à vous échapper.

Morton la lui donna. Claverhouse, l’ayant salué avec courtoisie, demanda à son sergent-major ; — Combien de prisonniers, Holliday ? Combien de tués ?

— Trois tués dans la maison, deux dans la cour, un dans le jardin, et quatre prisonniers.

— Armés, ou sans armes ?

— Trois étaient armés jusqu’aux dents. L’autre est sans armes ; il a l’air d’un prêcheur.

— Je lui parlerai demain. Quant aux trois autres, qu’on les mène dans la cour, et un feu de file. — N’oubliez pas d’écrire dans le livre d’ordre trois rebelles pris les armes à la main et fusillés, avec la date du jour et le nom de l’endroit : je crois qu’on le nomme Drumshinnel. — Qu’on tienne le prêcheur sous bonne garde ; peut-être l’enverrai-je au conseil. — Qu’on ait les plus grands égards pour M. Morton.

Tous ces ordres furent donnés avec sang-froid et du même ton.

Les caméroniens, qui tout à l’heure voulaient se rendre coupables d’une exécution sanglante, allaient eux-mêmes servir de victimes. Quand ils reçurent l’ordre de sortir pour aller subir la mort, aucun d’eux ne montra le moindre signe de terreur. Soutenus par leur sévère enthousiasme, ils partirent l’air calme et en silence.

Claverhouse se fit ensuite servir quelque nourriture, et invita Henry à se mettre à table, ajoutant que ce jour avait été pour eux deux un jour de fatigue. Mais les secousses qu’il avait successivement éprouvées avaient ôté à Morton tout appétit ; seulement il était dévoré par une soif ardente, et il témoigna le désir de la satisfaire.

— Je vous ferai raison de tout mon cœur, dit Claverhouse ; voilà un pot plein d’ale brune. À votre santé, monsieur Morton.

Morton portait le verre à sa bouche, quand une décharge de mousqueterie annonça que les trois prisonniers avaient vu le terme de leur existence ; il tressaillit et le reposa sur la table.

— Vous êtes jeune, monsieur Morton, lui dit Claverhouse en vidant tranquillement le sien : vous n’êtes pas encore habitué à de pareilles scènes, et votre sensibilité ne vous ôte rien de mon estime ; mais le devoir et la nécessité finissent par y accoutumer.

— J’espère que jamais ils ne produiront cet effet sur moi.

— J’ai pensé comme vous : croiriez-vous qu’au commencement de ma carrière la vue d’un homme blessé me faisait frémir. — Mais, au fait, pourquoi la mort, qui nous environne de toutes parts, nous causerait-elle tant d’épouvante ? Chaque heure que nous entendons sonner n’annonce-t-elle point le trépas d’un mortel ? Pourquoi donc nous inquiéter de prolonger notre existence ou celle des autres ? C’est une véritable loterie. Minuit devait être votre dernière heure ; l’heure a sonné : vous êtes vivant, et les coquins qui comptaient vous assassiner n’existent plus. Qu’est-ce que la douleur qu’on éprouve pour mourir ? elle ne vaut pas la peine d’y songer, puisque tôt ou tard il faut la subir de manière ou d’autre. Quand je pense à la mort, monsieur Morton, c’est dans l’espoir de la trouver un jour sur le champ de bataille, après avoir noblement combattu, au milieu des cris de victoire : voilà ce qui vaut la peine de vivre, la peine d’avoir vécu.

Le colonel achevait à peine ces paroles, qu’une figure sanglante parut dans un coin de la chambre ; Morton reconnut les traits de l’énergumène Habacuc.

Habacuc fixa sur Claverhouse des yeux animés encore du feu d’un délire fanatique, et s’écria :

— Te fieras-tu à ta lance et à ton arc, à ton coursier et à ta bannière ? Dieu ne te demandera-t-il pas compte du sang innocent ? Les princes pour qui tu as vendu ton âme à l’ennemi des hommes descendront de leur trône, et seront bannis sur les terres étrangères ; leur nom deviendra un sujet de désespoir, de mépris et de malédiction. Je te somme, John Grahame, de comparaître devant le tribunal de Dieu, pour répondre du sang innocent que tu as versé à flots.

Le moribond proféra ces paroles avec forces ; puis passant sa main droite sur son visage sanglant, il la leva au ciel, et ajouta : Jusques à quand, Seigneur, source de toute vérité, laisseras-tu sans vengeance le sang des saints ? — puis il se laissa tomber et expira avant que sa tête eût touché le sol.

Cette nouvelle scène ajouta encore à l’émotion de Morton, et il ne put s’empêcher d’être frappé de l’analogie singulière qui existait entre les dernières paroles de ce frénétique et les sentiments que venait d’exprimer Claverhouse.

Deux dragons qui se trouvaient dans la chambre, quelque endurcis qu’ils fussent, ne purent voir cette apparition inattendue et entendre l’espèce de prophétie dont elle fut accompagnée, sans ressentir un mouvement de crainte.

Claverhouse seul ne montra aucune émotion.

— Comment cet homme s’est-il trouvé là, dit-il au dragon qui était le plus près de lui, me répondrez-vous ? Que signifie cet air effaré ?

Le dragon répondit en bégayant qu’il fallait que ses camarades ne l’eussent pas aperçu quand ils avaient enlevé les trois autres cadavres.

— Eh bien, emportez-le donc maintenant, au lieu d’ouvrir de grands yeux et de rester les bras croisés. — Voilà du nouveau, monsieur Morton ; des morts qui ressuscitent pour venir nous faire des menaces ! Mais nous avons eu une terrible journée, et je crois que vous et moi, monsieur Morton, nous ne serons pas fâchés de prendre quelques heures de repos.

Il souhaita le bonsoir à Morton, et passa dans l’appartement qu’on lui avait préparé.

On conduisit Morton dans une autre chambre. Il remercia le ciel de l’avoir tiré du danger par les mains de ceux qui semblaient être ses plus dangereux ennemis.