Les Puritains d’Écosse/14

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CHAPITRE XIV

Quantum in nobis, en gens de bien,
Nous avons jugé convenable,
Pour épargner le sang chrétien,
De terminer à l’amiable,
Sans injure, et surtout sans coups,
Ce différend funeste à tous.

Buttler.

Les cavaliers doublèrent le pas, ce qui eut bientôt mis hors d’haleine les captifs. Ils avaient laissé à un mille derrière eux les taillis entrecoupés de clairières. Bientôt s’offrit une vaste plaine déserte où quelques monticules couverts de fougères étaient séparés par de profondes ravines.

Cette contrée aride s’étendait plus loin que la portée de la vue.

Ce ne fut pas sans émotion que Morton aperçut, à environ un demi-mille, le régiment de Claverhouse qui gagnait par un chemin tortueux le sommet d’une des principales hauteurs. Rien ne le cachait, et le nombre des cavaliers, qui paraissait considérable lorsqu’ils occupaient beaucoup d’espace dans d’étroits sentiers, n’offrait aux yeux, maintenant qu’ils étaient réunis, qu’une force peu imposante. — Bien certainement, pensa Morton, une poignée d’hommes déterminés défendrait aisément n’importe quel défilé de ces montagnes contre une troupe si peu considérable, pourvu que leur courage fût égal à leur enthousiasme.

Tandis qu’il faisait ces réflexions, l’escouade de Bothwell rejoignait le gros du régiment. Le chemin était si difficile, qu’on était obligé de sortir des sentiers pour passer où l’on pouvait. La détresse du révérend Gabriel et de Mause Headrigg augmentait considérablement, leur escorte les forçant à les suivre au travers des mares, des ravins et des buissons.

— J’ai sauté par-dessus une muraille avec l’aide de Dieu ! s’écria Mause dont le cheval venait de franchir un petit mur de terre formant jadis un enclos maintenant abandonné.

— Je suis tombé dans un sol fangeux où le pied ne trouve aucun point d’appui ; je suis au milieu des eaux profondes, et des torrents inondent mon corps, s’écriait Kettledrummle en traversant une de ces flaques humides qui alimentent les marais.

Leurs conducteurs s’amusaient de ces exclamations ; mais ils ne tardèrent pas à revenir à des idées plus sérieuses.

Le régiment allait atteindre le sommet de l’éminence, quand on vit revenir à toute bride plusieurs cavaliers qui avaient été envoyés en reconnaissance. Ils étaient poursuivis par dix ou douze hommes à cheval, armés de carabines. Deux de ces derniers eurent la hardiesse de s’avancer jusqu’au haut de la montagne, firent feu, blessèrent deux dragons, puis se replièrent avec un air de calme qui annonçait qu’ils n’étaient pas effrayés des forces déployées contre eux.

Cet incident fit suspendre la marche, et pendant que Claverhouse recevait le rapport des vedettes qui avaient été ainsi repoussées, lord Evandale gravit la côte sur laquelle les cavaliers de l’ennemi étaient encore ; le major Allan, le cornette Grahame et les autres officiers s’occupèrent de tirer le régiment des mauvais chemins, pour les ranger en bataille sur deux lignes.

L’ordre de se porter en avant fut donné. En quelques minutes la première ligne atteignit la hauteur ; bientôt la seconde y arriva, avec l’arrière-garde et les prisonniers, de sorte que Morton et ses compagnons de captivité purent juger de la résistance qu’allait rencontrer Claverhouse, et des chances de leur délivrance.

Le faîte de la montagne se prolongeait par une pente assez douce, vers un petit marais éloigné d’un quart de mille. Ce terrain n’était pas défavorable aux manœuvres de la cavalerie, mais un assez large fossé coupait le marais. Au delà du grand fossé d’écoulement, le sol s’élevait de nouveau en forme de colline, au pied de laquelle les insurgés semblaient vouloir attendre l’attaque.

Leur infanterie se déployait sur trois lignes. La première, munie d’armes à feu, s’était avancée assez près du fossé pour pouvoir tirer sur la cavalerie quand celle-ci descendrait de la montagne, ce qu’elle ne pouvait faire sans se mettre complètement à découvert. La deuxième se composait d’un corps de piquiers destiné à recevoir les dragons, s’ils entreprenaient de forcer le passage, tentative qui menaçait de leur devenir plus fatale encore. Dans la troisième on avait placé les paysans armés de faux, et de toute sorte d’ustensiles, transformés par la vengeance en instruments de guerre. Sur les deux flancs, au delà du marais, stationnait un petit corps de cavalerie ; il pouvait manœuvrer sur un terrain solide et inquiéter l’ennemi. Ces cavaliers semblaient mal armés, encore plus mal montés ; mais ils se montraient pleins d’ardeur, étant la plupart de petits propriétaires ou des fermiers assez aisés pour servir à cheval. Au moment dont nous parlons, ceux qui avaient forcé à la retraite l’avant-garde du régiment rejoignaient leur escadron : c’étaient les seuls individus de l’armée insurgée qui parussent être en mouvement ; tous les autres se tenaient à leur poste, immobiles. Cette armée ne s’élevait guère à plus de mille hommes, dont la moitié à peine étaient bien armés, et d’une centaine de cavaliers. Cependant leurs chefs étaient pleins de confiance ne doutant pas que la force de leur position, la supériorité du nombre, jointes à la certitude qu’après une telle démarche il n’y avait plus de pardon à espérer, et par-dessus tout l’enthousiasme qui les animait, ne suppléassent au manque d’armes et de discipline.

Sur le revers d’une montagne, on voyait des femmes, et même des enfants, qu’un zèle farouche avait entraînés ; ils semblaient devoir rester simples spectateurs du combat qui allait décider de leur sort et de celui de leurs maris, de leurs pères, de leurs frères. Les presbytériennes poussèrent des cris aigus quand elles virent briller les armes des dragons sur la montagne opposée, et ces encouragements, échauffant le courage des sectaires, leur inspiraient la résolution de combattre jusqu’au dernier soupir.

Lorsque le régiment de Claverhouse se fut déployé, les trompettes et les timbales firent entendre les sons précurseurs du combat : les persécutés y répondirent en unissant leurs voix en chœur.

Pendant que tous les échos des montagnes répétaient le bruit de cette psalmodie, Claverhouse examinait avec attention le terrain et l’ordre de bataille adopté par ses adversaires.

— Il faut que ces rustres aient avec eux quelques vieux soldats ! s’écria-t-il ; celui qui a choisi cette position n’est pas un paysan.

— Il parait certain que Burley s’y trouve, dit lord Evandale. On cite aussi Haxton de Rathillet, Paton de Meadowhead.

— Je le pensais ainsi, répondit le colonel ; à la manière dont ces cavaliers détachés ont fait franchir le fossé à leurs chevaux en retournant à leur poste, il était aisé de voir qu’il y a parmi eux quelques têtes-rondes, la vraie race du vieux Covenant. Il faut ici autant de sang-froid que de courage. — Evandale, faites venir les officiers.

— Messieurs, dit Claverhouse, je ne vous ai pas appelés pour vous former en conseil de guerre. Jamais je ne chercherai à rejeter sur personne la responsabilité qui revient à mon grade. Je désire m’éclairer de vos opinions, me réservant ensuite le droit de suivre la mienne, comme le font la plupart de ceux qui demandent des avis. — Qu’en dites-vous cornette Grahame ? Attaquerons-nous ces misérables qui beuglent là-bas ?

— Tant que j’aurai l’honneur de porter l’étendard du régiment des gardes, répondit le cornette, jamais il ne reculera de mon gré devant des rebelles. Mon avis est : En avant, marche, au nom du roi !

— Et vous, Allan, que pensez-vous ? dit le colonel au major.

Le major était un vieil officier, plein de sens et d’expérience. — Ces drôles, dit-il, sont trois ou quatre contre un. En rase campagne, cette circonstance m’inquiéterait peu, mais ils ont l’avantage du terrain ; leur position est très forte, et ils ne paraissent nullement disposés à l’abandonner. Je pense donc que le parti le plus sage serait d’établir notre quartier général à Tillietudlem, d’intercepter toute communication entre les montagnes et le plat pays, et d’envoyer demander des renforts à lord Ross, qui est à Glascow avec un régiment d’infanterie. Par ce moyen, nous leur intercepterions la route de la vallée de la Clyde, et nous ferions tomber leur position ; s’ils persistaient à s’y maintenir, nous les en débusquerions plus aisément avec une bonne infanterie capable d’agir efficacement parmi ces fossés, ces fondrières et ces flaques d’eau.

— Allons donc, dit le cornette, que signifie l’avantage d’une position quand elle est gardée par des fanatiques.

— On peut ne pas se battre plus mal parce qu’on honore la Bible et le psautier, répliqua le major.

— Silence, Messieurs ! dit Claverhouse. Je serais assez disposé à suivre votre avis, major, si nos vedettes nous avaient prévenus à temps du nombre et de la position des rebelles. Mais nous étant présentés en ordre de bataille, la retraite du régiment des gardes serait attribuée à la timidité, augmenterait la présomption de ces gens-là, et deviendrait le signal d’une insurrection générale, et alors bien loin d’obtenir des renforts de lord Ross, nous pourrions avoir à craindre de voir couper nos communications avec lui. La cause du roi n’en souffrirait pas moins que de la perte d’une bataille. Quant à notre sûreté personnelle, je suis sûr que c’est une considération à laquelle ne pense, même pour un seul instant, aucun des gentilhommes qui m’écoutent. On trouvera sûrement dans ces marais quelque endroit par lequel nous pourrons pénétrer ; et, une fois sur un bon terrain, je me flatte qu’il n’est pas un cavalier dans mon régiment qui ne soit convaincu que nous viendrons aisément à bout de ces misérables, fussent-ils deux fois plus nombreux. — Qu’en pensez-vous, lord Evandale ?

— Je pense que, quelle que soit l’issue de cette journée, elle verra couler bien du sang ; que nous aurons à regretter la perte de maint brave, et que nous serons obligés de massacrer un grand nombre de ces hommes égarés, qui, après tout, sont comme nous des Écossais.

— Dites des rebelles ! s’écria Claverhouse avec feu ; des scélérats qui ne méritent ni le nom d’Écossais ni celui de sujets du roi ! — Mais, je vous en prie, Milord, quelle est votre opinion ?

— D’essayer d’entrer en composition.

— En composition avec des rebelles ! Jamais !

— Je ne prétends pas dire que nous leur demandions une grâce ; mais, que nous leur en offrions une. Envoyez-leur un trompette et un parlementaire ; offrez-leur le pardon à condition qu’ils mettront bas les armes et qu’ils se disperseront sur-le-champ. J’ai souvent entendu dire que si l’on avait suivi cette marche avant la bataille de Pentland-Hills, on aurait épargné bien du sang et bien des larmes.

— Mais qui diable voudra se charger d’aller parler à ces enragés ? Ils ne connaissent pas les lois de la guerre ; ce sont leurs chefs qui ont assassiné le malheureux archevêque de Saint-André. Ils tueront notre parlementaire.

— J’irai les trouver moi-même, si vous le permettez.

— Vous n’irez point, répondit le colonel après un instant de réflexion : dans un temps où les bons principes sont si rares, votre rang, votre situation, votre grade, rendent la conservation de vos jours nécessaire à la patrie. Cependant je consens à adopter votre avis. Voici mon neveu Dick Grahame ; il ne craint ni le fer ni le feu. Grahame prendra un drapeau blanc, se fera précéder par un trompette, et s’avancera jusqu’au bord du fossé, pour sommer les rebelles de poser les armes et de se disperser.

— De tout mon cœur, colonel, répondit vivement le cornette.

— Colonel, dit lord Evandale pendant que l’insouciant officier allait prendre son cheval, ce jeune homme est votre neveu, votre plus proche parent ! Pour l’amour du ciel, permettez-moi de me charger de cette mission. C’est moi qui en ai ouvert l’avis, c’est à moi de courir le danger auquel elle peut exposer.

— Quand il serait mon fils unique, je n’y consentirais point. Mes affections particulières ne m’empêcheront jamais de remplir mes devoirs. Si Dick Grahame succombe, sa perte ne retombera que sur moi seul. La vôtre, Milord, en serait une pour le roi et pour la patrie… Allons, Messieurs, que chacun retourne à son poste, et si notre parlementaire ne réussit pas dans sa mission, nous attaquons sans plus différer.