Les Quarante Médaillons de l’Académie/12

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XII

M. OCTAVE FEUILLET

Pas de vieillesse pour les mots justes. On a spirituellement appelé M. Octave Feuillet « le petit Musset des familles. » C’est toujours joli. Comme nous sommes en progrès, M. Feuillet est le Berquin de ce temps progressif. Ses premières comédies, qui n’étaient pas écrites pour la scène, furent une imitation d’un Spectacle dans un fauteuil. Le fauteuil de M. Feuillet était alors cette ganache de Revue des Deux Mondes. M. Feuillet, dans ce temps-là, fut à Alfred de Musset ce que Charles de Bernard était à Balzac.

Las de réussir dans le genre simiesque, M. Octave Feuillet a voulu, un jour, avoir une physionomie à lui ; il écrivit un roman, nommé, je crois, Bellah (?), dans lequel il essayait de se débarbouiller de l’Alfred de Musset qui lui avait jusque-là fait un visage, et il apparut ce qu’il est réellement : un esprit prosaïque et bourgeois. Ses romans, qu’il retourne en pièces de théâtre, comme les gens qui ne sont pas riches retournent leur habit pour s’en faire deux, sont d’une conception très-médiocre, d’une observation superficielle et d’une morale ambiguë, qui n’est ni catholique ni stoïcienne, et qui tient ce lâche milieu dans lequel les esprits de ce temps coulent et fondent. Rien donc d’étonnant à ce que M. Feuillet passe pour un écrivain moral, à une époque de transition où il n’y a ni religion ni philosophie.

Son Jeune homme pauvre a charmé les femmes qui ne craignent point de se rougir le nez en pleurant aux vaudevilles à sentiment de M. Scribe, car voilà le vrai public de M. Feuillet ! Les âmes de modistes lui appartiennent. Son talent leur rappelle les gravures de leurs petits journaux. Moral et mondain tout à la fois, M. Feuillet s’est cru de force, en ces derniers temps, à faire un roman religieux, et il a écrit Sibylle, cette impertinence de protecteur contre le catholicisme, dans lequel roman on voit une jeune fille, inspirée et poétique comme on peut en voir chez M. Feuillet, qui ne fait pas de Corinnes, mais des Corinettes, endoctriner son curé, et brouiller toutes les notions du catéchisme, qu’elle ne sait pas, ni M. Feuillet non plus. Le fond de tout cela, le vrai fond, c’est l’humiliation du grand catholicisme, universel et éternel, sous un catholicisme de fantaisie et un protestantisme d’éventail. Romancier qui se croit entré à l’Académie par ses romans, M. Octave Feuillet a écrit un essai sur le roman dans son discours de réception ; et, tête éventée par le succès, cet Incroyable littéraire, qui a zézayé, marivaudé et scribouillé tout le temps de son discours, a oublié Balzac !!! C’est comme si dans l’histoire de l’art de la guerre on oubliait Napoléon ! Est-ce un oubli ou une combinaison ?… Pourquoi a-t-il oublié Balzac ?… Est-ce pour lui, M. Feuillet, ou pour l’Académie ?… De tendance naturelle, du moins, M. Feuillet doit être orléaniste. Il a dans son genre d’esprit et de talent tout ce qui passait pour l’élégance suprême du temps de Louis-Philippe et de sa cour. Il aurait été l’ornement de cette cour splendide…