Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/05

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 425-431).
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saint Jean


CHAPITRE V


PARALYTIQUE GUÉRI PRÈS DE LA PISCINE DE BETHSAÏDE, LE JOUR DU SABBAT. — SCANDALE DES JUIFS. — JÉSUS LEUR RÉPOND ET PROUVE SA MISSION DIVINE.


Après cela[1], le jour de la fête des Juifs étant venu, Jésus monta à Jérusalem. Or, à Jérusalem est la piscine Probatique, appelée en hébreu Bethsaïde, laquelle a cinq portiques[2]. Sous ces portiques gisaient un grand nombre de malades, d’aveugles, de boiteux, d’hommes ayant quelque membre desséché[3], qui attendaient le mouvement de l’eau. Car un ange du Seigneur descendait à certains temps dans la piscine, et l’eau s’agitait ; et celui qui y descendait le premier après le mouvement de l’eau était guéri de son infirmité, quelle qu’elle fût[4]. Or, il y avait là un homme qui était malade[5] depuis trente-huit ans. Jésus l’ayant vu couché, et sachant qu’il y avait longtemps qu’il était malade, lui dit : Voulez-vous être guéri ? Le malade lui répondit : Je n’ai personne qui me jette dans la piscine dès que l’eau est agitée, et pendant que j’y vais, un autre descend avant moi. Jésus lui dit : Levez-vous, prenez votre lit, et marchez. Et à l’instant cet homme fut guéri, et, prenant son lit, il commença à marcher. Et c’était un jour de sabbat.

10 Les Juifs dirent donc à celui qui avait été guéri : C’est aujourd’hui le jour du sabbat, et il ne vous est pas permis de porter votre lit. Il leur répondit : Celui qui m’a guéri m’a dit : Prenez votre lit et marchez. Ils lui demandèrent : Qui est cet homme qui vous a dit : Prenez votre lit et marchez ? Mais celui qui avait été guéri ne savait pas qui il était ; car Jésus s’était retiré de la foule assemblée en ce lieu. Jésus le trouva ensuite dans le temple, et lui dit : Vous voilà guéri ; ne péchez plus, de peur qu’il ne vous arrive quelque chose de pire[6]. Cet homme s’en alla, et apprit aux Juifs que c’était Jésus qui l’avait guéri. C’est pourquoi les Juifs persécutaient Jésus, parce qu’il faisait ces choses le jour du sabbat.

17 Mais Jésus leur dit : Mon Père continue d’agir jusqu’à présent, et moi aussi j’agis sans cesse[7]. Sur quoi les Juifs cherchaient encore avec plus d’ardeur à le faire mourir, parce que, non content de violer le sabbat, il disait encore que Dieu était son père, se faisant égal à Dieu[8]. Jésus donc leur répondit : En vérité, en vérité, je vous le dis, le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu’il voit que le Père fait ; car tout ce que fait le Père, le Fils aussi le fait comme lui[9]. Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait ; et il lui montrera des œuvres plus grandes que celles-ci, qui vous jetteront dans l’admiration[10]. Car comme le Père ressuscite les morts et leur donne la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut[11]. Le Père ne juge personne[12], mais il a donné au Fils toute puissance pour juger, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent le Père[13]. Celui qui n’honore point le Fils n’honore point le Père qui l’a envoyé. En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui écoute ma parole et croit à celui qui m’a envoyé, a la vie éternelle, et n’encourt point la condamnation, mais il a passé de la mort à la vie[14]. En vérité, en vérité, je vous le dis, l’heure vient, et elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu ; et ceux qui l’entendront vivront[15]. Car, comme le Père a en soi la vie, ainsi il a donné au Fils d’avoir la vie en soi[16] ; et il lui a donné la puissance pour juger, parce qu’il est le Fils de l’homme[17]. Ne vous en étonnez pas ; car l’heure vient[18] où tous ceux qui sont dans les sépulcres entendront la voix du Fils de Dieu, et en sortiront, ceux qui auront fait le bien, pour une résurrection de vie, ceux qui auront fait le mal, pour une résurrection de châtiment[19]. Je ne puis rien faire de moi-même. Selon que j’entends[20], je juge ; et mon jugement est juste, parce que je ne cherche pas ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé. Si je rends témoignage de moi-même, mon témoignage n’est pas véritable[21]. C’est un autre[22] qui rend témoignage de moi, et je sais que le témoignage qu’il rend de moi est véritable. Vous avez envoyé à Jean, et il a rendu témoignage à la vérité[23]. Pour moi, ce n’est pas d’un homme que je reçois témoignage ; mais je vous dis ces choses[24], afin que vous soyez sauvés. Il était la lampe ardente et luisante, et un moment vous avez voulu vous réjouir à sa lumière. Mais j’ai un témoignage plus grand que celui de Jean ; car les œuvres que le Père m’a donné à faire, ces œuvres que je fais, rendent témoignage de moi, que c’est le Père qui m’a envoyé[25]. Et le Père qui m’a envoyé a rendu lui-même témoignage de moi ; mais vous n’avez jamais entendu sa voix, ni vu sa face[26], et vous n’avez point sa parole demeurant en vous, puisque vous ne croyez point en celui qu’il a envoyé. Vous scrutez les Écritures, parce que vous pensez trouver en elles la vie éternelle ; elles rendent témoignage de moi, et cependant vous ne voulez pas venir à moi pour avoir la vie. Ce n’est point que je recherche la gloire auprès des hommes[27] ; mais j’ai reconnu que vous n’aviez point en vous l’amour de Dieu. Je suis venu au nom de mon père, et vous ne me recevez pas ; si un autre vient en son propre nom, vous le recevrez[28]. Comment pouvez-vous croire, vous qui recevez l’un de l’autre la gloire[29], et ne cherchez point la gloire qui vient de Dieu seul ? Ne pensez pas que ce soit moi qui vous accuserai devant le Père : votre accusateur, c’est Moïse[30], en qui vous espérez. Car si vous croyiez Moïse, peut-être me croiriez-vous aussi ; car il a écrit de moi. Mais si vous ne croyez point à ses écrits, comment croirez-vous à mes paroles ?

  1. Saint Jean, dont le but est principalement dogmatique, passe ici sous silence plusieurs événements racontés par les synoptiques, et transporte le lecteur à Jérusalem, à l’époque d’une fête, ou, d’après plusieurs manuscrits, de la fête des Juifs. Quelle est cette fête ? Saint Irénée, Corn. Lapierre, D. Calmet, Wieseler, Hug, Tischendorf, Ad. Maier, Schegg pensent que c’est la fête de Pâque ; d’autres, la fête des Purim, ou des Sorts, au mois de mars ; le P. Patrizzi, la fête des Tabernacles, au commencement d’octobre, an 27 de l’ère vulg.
  2. Ou galeries couvertes. En grec : Il y a à Jérusalem, près de la porte Probatique, ou des brebis, une piscine appelée en hébreu (Syro-chald.) Béthesda, c’est-à-dire lieu de la miséricorde, ou de la grâce.
  3. En grec, de phthisiques, selon Ad. Maier, Bûcher, etc.
  4. Autant de circonstances qui démontrent qu’il ne s’agit pas ici de guérisons opérées par la vertu naturelle de ces eaux.
  5. Probablement paralytique.
  6. Les maladies sont quelquefois la punition des péchés personnels, mais non toujours (Jean, ix, 3).
  7. Vous m’objectez la loi du sabbat, fondée sur le repos de Dieu même ; mais si l’action créatrice de mon Père a cessé le septième jour, son action conservatrice et providentielle ne fut jamais interrompue ; c’est lui qui soutient et conserve l’univers, et cela par un travail qui ne trouble pas son repos. Ainsi, moi qui suis égal et consubstantiel au Père, j’agis sans cesse, même le jour du sabbat.
  8. « Donc par le nom de Fils de Dieu les Juifs entendaient eux-mêmes quelque chose d’égal à Dieu et de même nature que lui : par conséquent cette idée de divinité est comprise naturellement dans le nom de Fils. » Bossuet. — Le discours qui suit peut se diviser en deux parties. Dans la première (vers. 19-30), Notre-Seigneur montre le rapport de ses opérations avec celles du Père, insistant surtout sur ce qu’il a le pouvoir de donner ou de rendre la vie, et la mission de juger le monde ; dans la deuxième (vers. 31-47), il prouve par des témoignages qu’en parlant ainsi il a dit la vérité, et que les Juifs doivent croire en lui.
  9. Le Père fait idéalement, c’est-à-dire veut ou décrète ; il est, comme parlent les théologiens, cause première idéale. Le Fils fait réellement ; il est cause effectrice des desseins ou décrets du Père qu’il voit, c’est-à-dire dont il a la parfaite connaissance. Il y a donc, entre le Père et le Fils, égalité de puissance et de volonté. — Bossuet : « Est-ce (le Fils) un apprenti, toujours attaché aux mains et au travail de son maître ? Toujours apprenti, jamais maître ? Les apprentis mêmes ne sont pas ainsi parmi les hommes. Qu’imaginez-vous ici, homme grossier ? Quoi ! le Père qui fait quelque chose, et le Fils qui l’imite, et fait aussi quelque chose ? Quelle folie ! Le Père a-t-il fait un autre monde que le Fils ? Y a-t-il un monde que le Père ait fait, et un autre monde que le Fils ait fait à l’imitation de son Père ? A Dieu ne plaise ! le Père fait tout ce qu’il fait par son Fils, et le Fils ne fait rien que ce qu’il voit faire, comme il ne dit rien que ce qu’il entend dire. Mais comment lui parle-t-on ? En l’engendrant ; car au Père éternel, parler, c’est engendrer ; prononcer son Verbe, sa parole, c’est lui donner l’être. De même, lui montrer tout ce qu’il fait (vers. 20), lui découvrir le fond de son être et de sa puissance, en un mot lui ouvrir son sein, c’est l’engendrer, c’est le faire sortir de ce sein fécond, et en même temps l’y retenir, dans ce sein où il voit tout, tout le secret de son Père, et d’où il veut l’apprendre aux hommes (i, 18), autant qu’ils peuvent le porter et qu’il leur convient. »
  10. Montre répond au mot voit du vers. précédent, et doit s’entendre de la communication faite au Fils soit des desseins et des décrets du Père (ses œuvres idéales), soit de la puissance de produire ces œuvres au dehors, communication qui est le résultat de la communication même de l’essence divine dans l’éternelle génération. Ad. Maier. — Celles-ci, les miracles déjà opérés par Jésus-Christ. L’Évangéliste passe ensuite du général au particulier.
  11. Les morts, soit corporellement, soit spirituellement. Les Juifs attribuaient à Dieu seul le pouvoir de donner ou de rendre la vie. — La vie, soit du corps, soit de l’âme, et pour l’âme soit la vie de la grâce, soit la vie de la gloire. C’est la première grande œuvre que le Père montre au Fils (vers. 20) ; la deuxième est exprimée au vers. suiv.
  12. Si ce n’est idéalement : voy. la note du vers. 19. comp. vers. 27.
  13. Rendent un honneur égal au Père et au Fils.
  14. La conséquence de l’honneur rendu au Fils, c’est l’empressement à l’écouter et à croire en lui, et cette foi est le commencement ou le principe de la vie éternelle. — Il a passé de la mort spirituelle à la vie spirituelle de la grâce. Bossuet : « La première résurrection se commence à la justification (Apoc. xx, 5 ; Ephés. v, 14), et se consomme lorsque, sortie de cette vie qui n’est qu’une mort, l’âme vit de la vraie vie de Jésus-Christ. »
  15. Saint Chrysostome entend ce vers. des diverses résurrections corporelles que Jésus fit pendant sa vie terrestre ; Maldonat, après saint Cyrille, de la résurrection générale à la fin du monde. Nous croyons, avec saint Augustin et Bossuet, qu’il s’agit ici de la résurrection spirituelle des âmes qui, de la mort de l’erreur et du péché, passent par la foi en Jésus-Christ à la vie de la grâce, germe de la vie de la gloire, de la bienheureuse immortalité, dont la résurrection glorieuse les mettra en possession (vers. 28).
  16. Le Père a en soi la vie, de manière à être lui-même la vie, la source et le commencement de toute vie. — Il a donné, par la génération éternelle, qui communique au Fils la substance même du Père.
  17. Le Fils de Dieu fait homme, le Messie, le Rédempteur du monde. Le jugement est comme le dernier mot de l’incarnation, car ce sera par le jugement que la séparation se fera entre la partie sainte de l’humanité, unie à Jésus-Christ comme le corps à son chef, et la partie mauvaise, gâtée par le péché, qui ne sera pas arrivée à la sainteté et au salut. Il convient donc que ce soit le Verbe incarné, l’Homme-Dieu, le Libérateur, qui soit chargé de porter la sentence finale.
  18. L’heure du dernier jugement.
  19. Pour la vie éternelle on pour l’éternel châtiment.
  20. Entendre ici a le même sens que voir au vers. 19. — Sens du vers. : Mon jugement sera très-juste.
  21. Véritable, c’est-à-dire légitime ; il est sans force et sans valeur à vos yeux. C’est par concession que Notre-Seigneur parle ainsi : comp. viii, 14. Ici commence la deuxième partie du discours : voy. la note du vers. 18. Sans doute, pendant que Notre-Seigneur parlait de son caractère divin, et de la puissance qu’il avait de ressusciter les morts et de les juger, il lut dans les yeux étonnés de ses auditeurs cette question : Comment montrez-vous que vous possédez ce caractère et ce pouvoir ? Allioli.
  22. Mon Père. Comp. vers. 27.
  23. Comp. i, 19.
  24. Je vous rappelle le témoignage de Jean-Baptiste.
  25. C’est-à-dire que je suis le Messie.
  26. La voix et la face de Dieu, qui est un pur esprit, sont mises ici par figure, et signifient la manifestation de son essence, de ses attributs, de sa volonté et de ses décrets, manifestation faite en partie dans les Écritures, en partie dans le monde, dans l’histoire, en partie dans la conscience humaine. Sens : Vous n’avez pas une vraie connaissance de Dieu : la cause en est dans les paroles qui suivent.
  27. Je dis cela, non que je recherche.
  28. Que de faux Messies les Juifs ne reçurent-ils pas dans les années qui suivirent la mort de Notre-Seigneur ?
  29. Qui recherchez la gloire humaine.
  30. Moïse, par métonymie, ce sont ses livres et toutes les Écritures de l’Anc. Testament, qui annoncent le Messie. Maldonat, Ad. Maier.