Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/10

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 461-466).
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saint Jean


CHAPITRE X


LE BON PASTEUR ET LE MERCENAIRE. — RAPPORT DE JÉSUS AVEC SON PÈRE


En vérité, en vérité, je vous le dis, celui qui n’entre point par la porte dans la bergerie, mais y monte par un autre endroit, est un voleur et un larron[1]. Mais celui qui entre par la porte est le pasteur des brebis. C’est à lui que le portier ouvre, et les brebis entendent sa voix ; et il appelle par leur nom ses brebis[2], et il les mène aux pâturages. Et quand il mène ses brebis, il marche devant elles, et les brebis le suivent, parce qu’elles connaissent sa voix. Elles ne suivent point l’étranger, mais le fuient, parce qu’elles ne connaissent pas la voix des étrangers.

6 Jésus leur[3] dit cette parabole ; mais ils ne comprirent point ce qu’il leur disait. Jésus donc leur dit encore : En vérité, en vérité, je vous le dis, je suis la porte des brebis. Tous ceux qui sont venus sont des voleurs et des larrons, et les brebis ne les ont point écoutés[4]. Je suis la porte. Si quelqu’un entre par moi, il sera sauvé : il entrera, il sortira, il trouvera des pâturages. Le larron ne vient que pour dérober, pour égorger et pour détruire ; moi je suis venu pour qu’elles n'aient la vie, et une vie plus abondante. Je suis le bon Pasteur. Le bon Pasteur donne sa vie pour ses brebis. Mais le mercenaire, et celui qui n’est pas le Pasteur, à qui les brebis n’appartiennent pas, voit venir le loup, laisse là les brebis et s’enfuit ; et le loup ravit les brebis et les disperse. Le mercenaire s’enfuit, parce qu’il est mercenaire, et n’a point de souci des brebis[5]. Je suis le bon Pasteur, je connais mes brebis, et elles me connaissent, comme mon Père me connaît, et que je connais mon Père, et je donne ma vie pour mes brebis. J’ai encore d’autres brebis qui ne sont pas de cette bergerie[6] ; il faut que je les amène, et elles entendront ma voix, et il n’y aura qu’une bergerie et qu’un Pasteur. Mon Père m’aime, parce que je donne ma vie, pour la reprendre[7]. Personne ne me la ravit ; mais je la donne de moi-même, et j’ai le pouvoir de la donner, et le pouvoir de la reprendre : j’ai reçu de mon Père ce commandement[8]. Il s’éleva de nouveau une discussion parmi les Juifs à l’occasion de ce discours. Plusieurs d’entre eux disaient : Il est possédé du démon, et a perdu le sens : pourquoi l’écoutez-vous ? D’autres disaient : Ce ne sont pas là les paroles d’un homme possédé du démon, est-ce que le démon peut ouvrir les yeux des aveugles ?

22 On faisait à Jérusalem la fête de la Dédicace[9], et c’était l’hiver. Et Jésus se promenait dans le temple, sous le portique de Salomon[10]. Les Juifs[11] donc l’entourèrent, et lui dirent : Jusques à quand tiendrez-vous notre esprit en suspens ? Si vous êtes le Christ, dites-le-nous ouvertement. Jésus leur répondit : Je vous parle, et vous ne me croyez pas. Les œuvres que je fais au nom de mon Père rendent témoignage de moi : mais vous ne croyez point, parce que vous n’êtes pas de mes brebis. Mes brebis entendent ma voix ; je les connais, et elles, me suivent. Je leur donne la vie éternelle, et elles ne périront pas à jamais, et nul ne les ravira d’entre mes mains. Ce que mon Père m’a donné est plus grand que toutes choses[12], et nul ne peut ravir ce qui est entre les mains de mon Père[13]. Mon Père et moi nous sommes un[14]. Alors les Juifs prirent des pierres pour le lapider[15]. Et Jésus leur dit : J’ai fait devant vous beaucoup d’œuvres bonnes par la vertu de mon Père : pour laquelle de ces œuvres me lapidez-vous ? Les Juifs lui répondirent : Ce n’est pas pour aucune bonne œuvre que nous vous lapidons, mais à cause de votre blasphème, et parce qu’étant homme, vous vous faites Dieu. Jésus leur répondit : N’est-il pas écrit dans votre Loi : « Je l’ai dit, vous êtes des dieux[16] ? » Si elle appelle dieux ceux à qui la parole de Dieu a été adressée, et que l’Écriture ne puisse être démentie, comment dites-vous à celui que le Père a sanctifié et envoyé dans le monde[17] : Vous blasphémez, parce que j’ai dit : Je suis le Fils de Dieu ? Si je ne fais pas les œuvres de mon Père, ne me croyez point. Mais si je les fais, lors même que vous ne voudriez pas me croire, croyez à mes œuvres : afin que vous connaissiez et que vous croyiez que le Père est en moi[18], et moi dans le Père.

39 Les Juifs cherchaient donc à le prendre ; mais il s’échappa de leurs mains, et s’en alla de nouveau au-delà du Jourdain[19], où Jean avait commencé à baptiser ; et il y demeura. Un grand nombre vinrent à lui, disant : Jean n’a fait aucun miracle ; mais tout ce qu’il a dit de celui-ci était vrai. Et beaucoup crurent en lui.

  1. Tirin : L’occasion de cette parabole fut l’exclusion de la Synagogue, bercail de Dieu avant Jésus-Christ, prononcée par les Pharisiens contre l’aveugle-né. Klofutar : Cette parabole se rattache aux derniers vers, du chap. précédent : les Pharisiens qui, par leur incrédulité et leur orgueil, s’excluent eux-mêmes du royaume de Dieu, sont de mauvais pasteurs. On peut distinguer deux parties : 1° Notre-Seigneur enseigne quel est le véritable docteur dans le royaume de Dieu (vers. 1-9) ; 2° il compare ensemble le bon et le mauvais pasteur (vers. 10-21). La parabole elle-même porte l’empreinte des usages et des mœurs de l’Orient. Dans ce pays où les brigands et les bêtes fauves guettent sans cesse les troupeaux, plusieurs bergers se réunissent le soir, et rassemblent pour la nuit leurs brebis dans un vaste espace environné de murs. Un portier veille à la porte, et comme il n’ouvre qu’à des visages connus, ce n’est qu’en escaladant les murs que les voleurs peuvent arriver jusqu’au troupeau. Dès le matin, les bergers, qui avaient passé la nuit sous des tentes avec leur famille, viennent à la bergerie ; chacun appelle le bélier, chef de son troupeau ; le bélier reconnaît la voix de son maître et se met à sa suite, entraînant avec lui toutes les brebis. Quant à l’application de la parabole, la bergerie, c’est le peuple d’Israël (vers. 16), ou l’Église ; le maître de la bergerie, c’est Dieu le Père ; la porte par laquelle on entre, c’est Jésus-Christ, qui, dit saint Paul, nous donne accès auprès du Père ; le portier, c’est le Saint-Esprit, qui prépare les cœurs à croire en Jésus-Christ ; le pasteur, c’est Jésus-Christ et tous les vrais docteurs ; le larron, ce sont les faux docteurs et les mauvais directeurs des âmes.
  2. « Il a un rôle de ses élus, ils sont écrits dans son livre. O joie ! ô bonheur incroyable ! Aimables brebis de Jésus, quelque part que vous erriez dans les chemins détournés de ce siècle, l’œil de votre Pasteur est sur vous. » Bossuet.
  3. Aux Pharisiens (Scribes) qui étaient là.
  4. Venus : le gr. ajoute, avant moi ; il faut encore sous-entendre : non envoyés par moi, la plupart des Scribes et des Pharisiens. — Les brebis, les pieux Israélites.
  5. N’ayant en vue que le salaire.
  6. Les Gentils.
  7. A condition de ressusciter le troisième jour.
  8. « Jésus-Christ prédit sa mort expiatoire et sa résurrection ; il déclare que s’il meurt et s’il reprend la vie, c’est par un décret éternel de Dieu le Père ; que le Fils s’est soumis avec amour à ce décret de toute éternité, pour l’accomplir au temps marqué, et que cet amour obéissant est le fondement de l’amour que le Père porte au Fils. » Allioli. — Bossuet : « O gloire ! ô puissance du Crucifié ! Quel autre voyons-nous qui s’endorme si précisément quand il veut, comme Jésus est mort quand il lui a plu ! Quel homme, méditant un voyage, marque si certainement l’heure de son départ que Jésus a marqué l’heure de son trépas ? De là vient que le centenier, qui avait ordre de garder la croix, considérant cette mort non seulement si tranquille, mais encore si délibérée, étonné de voir tant de force dans cette extrémité de faiblesse, s’écria : Vraiment cet homme est le Fils de Dieu ! »
  9. Cette fête se célébrait le 25 du neuvième mois, appelé Casleu (30 novembre de l’an 28 de l’ere vulg.) ; Judas Machabée l’avait instituée en mémoire de la purification du temple profané par Antiochus Epiphane (Mach. 1, iv, 59 ; II, x, 5-8.)
  10. C’était une galerie couverte, ornée de colonnes, et située dans la partie orientale du temple, le long du parvis des Gentils. Bâti par Salomon, ce portique était resté debout lors de la destruction du premier temple par Nabuchodonosor. Notre-Seigneur s’y promenait souvent dans cette saison assez rigoureuse, même à Jérusalem.
  11. Membres du Sanhédrin.
  12. Ce que le Père a donné au Fils en l’engendrant, c’est la nature divine. En grec, mon Père, qui me les a données, est plus grand, etc.
  13. Ni, par conséquent, ce qui est entre mes mains.
  14. Nous sommes indique la distinction de personnes, un, l’unité de nature et de substance. S. Augustin. — « Arius ayant enseigné que l’unité du Père et du Fils n’était qu’une unité de concorde, l’Église, au concile de Nicée, a défini comme un dogme de foi que le Fils est consubstantiel au Père, c’est-à-dire a la même substance et la même nature divine. Ce terme, qui n’était point dans l’Écriture, fut jugé nécessaire pour la bien entendre, et pour éloigner les dangereuses explications de ceux qui altéraient la simplicité de la parole de Dieu : non que l’Écriture s’explique sur ce mystère d’une manière obscure ou ambiguë ; on a voulu simplement, par ces paroles expresses, résister aux mauvaises interprétations des hérétiques, et conserver à l’Écriture ce sens naturel et primitif qui frappe tout d’abord les esprits non prévenus. » Bossuet.
  15. Comme un blasphémateur, Les Juifs comprenaient donc que Jésus, par ces paroles, s’attribuait la nature divine. En grec, les Juifs prirent de nouveau : comp. viii, 59.
  16. Dans ce passage du Psaume lxxxie, le Seigneur s’adresse à des juges iniques qu’il exhorte à juger selon l’équité, en leur rappelant qu’ils sont les représentants de Dieu sur la terre.
  17. Qu’il a destiné à remplir la fonction de Messie. On sait que le mot sanctifier, dans la Bible, signifie ordinairement retirer du commun et destiner à un usage sacré, et se dit des personnes et des choses. Ici il s’applique au Messie, appelé ailleurs le Saint de Dieu (Marc, i, 24 ; Luc, iv, 34). Notre-Seigneur argumente du moins au plus, et se hâte d’ajouter qu’il est d’ailleurs le Fils de Dieu dans le sens propre du mot, c’est-à-dire un avec le Père en substance et en nature (consubstantiel), vers. 38.
  18. Avec son essence, et par conséquent avec sa puissance et sa volonté. Cette inhabitation intime, cette pénétration mutuelle du Père et du Fils est appelée par les théologiens circuminsession.
  19. A Béthanie : comp. i, 28 ; iii, 23.