Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/11

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 466-471).
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saint Jean


CHAPITRE XI


MALADIE ET MORT DE LAZARE, SA RÉSURRECTION. — LE GRAND CONSEIL PREND LA RÉSOLUTION DE FAIRE MOURIR JÉSUS.


Il y avait un homme malade, nommé Lazare, de Béthanie, bourg de Marie et de Marthe, sa sœur[1]. (Marie était celle qui oignit de parfum le Seigneur, et lui essuya les pieds avec ses cheveux[2] ; et Lazare, qui était malade, était son frère). Ses sœurs donc envoyèrent dire à Jésus : Seigneur, celui que vous aimez est malade[3]. Ce qu’entendant Jésus, il leur dit : Cette maladie n’est pas pour la mort, mais pour la gloire de Dieu, afin que le Fils de Dieu soit glorifié par elle. Or Jésus aimait Marthe, et sa sœur Marie, et Lazare. Ayant donc appris qu’il était malade, il demeura toutefois deux jours encore au lieu où il était. Après cela, il dit à ses disciples : Retournons en Judée. Ses disciples lui dirent : Maître, tout à l’heure les Juifs voulaient vous lapider, et vous retournez là ? Jésus répondit : N’y a-t-il pas douze heures dans le jour ? Si quelqu’un marche pendant le jour, il ne se heurte point, parce qu’il voit la lumière de ce monde. Mais s’il marche pendant la nuit, il se heurte, parce que la lumière lui manque[4]. Il parla ainsi, et ensuite il leur dit : Notre ami Lazare dort[5], mais je vais le réveiller. Ses disciples lui dirent : S’il dort, il guérira. Jésus parlait de sa mort, mais ils pensaient que c’était de l’assoupissement du sommeil. Alors Jésus leur dit clairement : Lazare est mort ; et à cause de vous, afin que vous croyiez, je me réjouis de n’avoir pas été là : mais allons à lui. Sur quoi Thomas, appelé Didyme[6], dit aux autres disciples : Allons, nous aussi, et mourons avec lui.

17 Jésus vint donc, et trouva que Lazare était depuis quatre jours dans le sépulcre (Béthanie était près de Jérusalem, à quinze stades environ)[7]. Beaucoup de Juifs étaient venus près de Marthe et de Marie pour les consoler de la mort de leur frère. Marthe ayant donc appris que Jésus venait, alla au-devant de lui ; mais Marie était demeurée à la maison. Marthe dit donc à Jésus : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Mais, maintenant encore, je sais que tout ce que vous demanderez à Dieu, Dieu vous le donnera[8]. Jésus lui dit : Votre frère ressuscitera. Marthe lui dit : Je sais qu’il ressuscitera lors de la résurrection, au dernier jour. Jésus lui dit : Je suis la résurrection et la vie[9] ; celui qui croit en moi, fût-il mort, vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point pour toujours. Le croyez-vous ? Oui, Seigneur, lui répondit-elle, je crois que vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant, qui êtes venu en ce monde. Et lorsqu’elle eut parlé ainsi, elle s’en alla et appela en secret Marie, sa sœur, disant : Le Maître est là, et il t’appelle. Ce qu’ayant entendu celle-ci, elle se leva aussitôt, et vint à lui : car Jésus n’était pas encore entré dans le bourg ; il n’avait pas quitté le lieu où Marthe l’avait rencontré. Les Juifs donc qui étaient dans la maison avec Marie, et la consolaient, l’ayant vue se lever en hâte et sortir, la suivirent en disant : Elle va au sépulcre pour y pleurer. Lorsque Marie fut arrivée au lieu où était Jésus, le voyant, elle se jeta à ses pieds, et lui dit : Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. Jésus la voyant pleurer, et les Juifs qui étaient venus avec elle pleurer aussi, fut ému en lui-même[10], et se troubla ; et il dit : Où l’avez-vous mis[11] ? Ils lui dirent : Venez, et voyez. Et Jésus pleura. Et les Juifs dirent : Voyez comme il l’aimait ! Mais quelques-uns d’entre eux dirent : Ne pouvait-il pas, lui qui a ouvert les yeux d’un aveugle-né, faire que cet homme ne mourût point ? Jésus donc, ému de nouveau en lui-même, vint au sépulcre : c’était une grotte, et une pierre était posée dessus. Otez la pierre, dit Jésus. Marthe, la sœur de celui qui était mort, lui dit : Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. Jésus lui dit : Ne vous ai-je pas dit que si vous croyez, vous verrez la gloire de Dieu[12] ? Ils ôtèrent donc la pierre, et Jésus, levant les yeux, dit : Mon Père, je vous rends grâces de ce que vous m’avez exaucé. Pour moi, je savais que vous m’exauciez toujours ; mais je dis ceci à cause de ce peuple qui m’entoure, afin qu’ils croient que vous m’avez envoyé. Ayant parlé ainsi, il cria d’une voix forte : Lazare, sors ! Et aussitôt celui qui avait été mort sortit, les pieds et les mains liés de bandelettes, et le visage enveloppé d’un suaire. Jésus leur dit[13] : Déliez-le, et le laissez aller.

45 Beaucoup de Juifs qui étaient venus près de Marie et de Marthe, et qui avaient vu ce que fit Jésus, crurent en lui. Mais plusieurs d’entre eux allèrent trouver les Pharisiens, et leur racontèrent ce que Jésus avait fait. Les Pontifes et les Pharisiens assemblèrent donc le conseil, et disaient : Que ferons-nous ? Car cet homme opère beaucoup de miracles. Si nous le laissons faire, tous croiront en lui, et les Romains viendront, et ruineront notre ville et notre nation. Un d’eux, nommé Caïphe, qui était grand-prêtre cette année-là[14], leur dit : Vous n’y entendez rien, et ne songez pas qu’il vous est avantageux qu’un seul homme meure pour le peuple, plutôt que toute la nation ne périsse. Il ne dit pas cela de lui-même ; mais, étant le grand-prêtre de cette année, il prophétisa que Jésus devait mourir pour la nation[15] ; et non-seulement pour la nation, mais afin de rassembler en un seul corps les enfants de Dieu[16] qui étaient dispersés. Depuis ce jour, ils pensèrent à le faire mourir. C’est pourquoi Jésus ne se montrait plus en public parmi les Juifs ; mais il s’en alla dans une contrée près du désert, en une ville nommée Éphrem, et il y demeurait avec ses disciples[17].

55 Or, la Pàque des Juifs était proche[18], et un grand nombre montèrent de cette contrée à Jérusalem, avant la Pâque, pour se purifier[19]. Ils cherchaient donc Jésus, et se disaient les uns aux autres, étant dans le temple : Que vous en semble ? Est-ce qu’il ne vient pas à la fête[20] ? Car les Pontifes et les Pharisiens avaient donné ordre que si quelqu’un savait où il était, il le découvrît, afin qu’ils le fissent prendre.

  1. L’Évangéliste ajoute cela, pour qu’on ne confonde pas ce bourg avec une autre Béthanie située au delà du Jourdain (i, 28). C’était peu de temps après la fête de la dédicace, dont il vient d’être question.
  2. Comp. Luc, vii, 37 sv. ; Jean, xii, et l’art. Marie-Madeleine dans le Vocabulaire.
  3. « Souvent on dit à Jésus dans son Évangile : Venez, Seigneur, et guérissez ; imposez vos mains, touchez le malade ; ici on dit simplement : Celui que vous aimez est malade. Jésus entend la voix du besoin, d’autant plus que cette manière de le prier a quelque chose, non-seulement de plus respectueux et de plus soumis, mais encore de plus tendre. Qu’elle est aimable cette prière ! Pratiquons-la principalement pour les maladies de l’âme. » Bossuet.
  4. Sens : Celui qui marche pendant le jour, à la clarté du soleil, marche sans danger : ainsi moi, pendant tout le temps que mon Père a fixé à ma vie terrestre, je n’ai rien à craindre des embûches des Juifs.
  5. Est mort : euphémisme usité dans toutes les langues.
  6. Didyme, c’est-à-dire jumeau, est la traduction grecque de l’hébreu Thomas. Cet apôtre n’avait pas bien compris la réponse de Jésus au vers. 9.
  7. Une demi-lieue. Ce verset explique comment beaucoup de Juifs de Jérusalem étaient venus près de Marthe, etc. Les Juifs, dit Lightfoot, avaient coutume de consoler les personnes en deuil pendant sept jours.
  8. Marthe regardait Jésus comme un prophète.
  9. Je suis l’auteur de la résurrection, etc.
  10. Les expressions gr. et lat. indiquent une forte émotion (comp. Matth. ix, 30), excitée ici par la douleur. Jésus se montre Dieu et homme tout ensemble.
  11. Jésus parle comme homme à des auditeurs dont la foi est encore imparfaite.
  12. La résurrection de Lazare, par laquelle Dieu sera glorifié.
  13. Aux Juifs qui étaient là, pour les mieux convaincre.
  14. En cette année mémorable, ce qui n’indique pas que le souverain Pontificat fut une dignité annuelle. Patrizzi : qui avait été grand-prêtre à cette époque. Voy. Caïphe dans le Vocabulaire.
  15. Cela, ce qui a trait aux effets de la mort de Jésus-Christ. — Jésus devait mourir. Dieu, qui avait plus d’une fois manifesté ses volontés par l’organe des grands-prêtres (Exod. iv, 15 ; xxviii, 30 ; Nomb. xxvii, 19 ; I Rois, xx, 10 ; xxviii, 6 al.), ne dédaigne pas de se servir de la bouche de Caïphe pour exprimer cette grande vérité, que Caïphe d’ailleurs ne comprenait pas.
  16. L’Évangéliste appelle ainsi les Gentils par anticipation.
  17. Jusqu’à la fête de Pâque. Ephrem était située à quatre ou cinq lieues au nord de Jérusalem, entré Béthel et le mont de la Quarantaine. Ad. Maier.
  18. Lorsque se passa, non ce qui précède, mais ce qui suit.
  19. Ceux qui avaient commis quelque faute, encouru quelque impureté légale, désiraient se purifier d’avance à Jérusalem, afin de pouvoir immédiatement après, sans courir le danger de contracter de nouvelles souillures, célébrer la Pâque. Allioli.
  20. Nous nous sommes rapprochés autant que possible du grec, où la pensée est plus clairement exprimée que dans la Vulgate. Tel est d’ailleurs le sens adopté par le syriaque, saint Chrysostome, Maldonat, Ad. Maier. etc.