Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/18

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 504-508).
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saint Jean


CHAPITRE XVIII


JÉSUS AU JARDIN. IL EST PRIS ET CONDUIT A ANNE (Matth. xxvi, 47 sv. ; Marc, xiv, 43 sv. ; Luc, xxii, 47 sv.). — PIERRE LE RENIE (ibid.). — JÉSUS DEVANT PILATE ; BARRABAS.


Après ce discours, Jésus sortit du cénacle avec ses disciples, et s’en alla au delà du torrent de Cédron, où il y avait un jardin, dans lequel il entra, lui et ses disciples[1]. Judas, qui le trahissait, connaissait aussi ce lieu, parce que Jésus y venait souvent avec ses disciples. Ayant donc pris une cohorte[2] et des satellites des Pontifes et des Pharisiens, il vint là avec des lanternes, des torches et des armes. C’est pourquoi Jésus, sachant tout ce qui devait lui arriver, s’avança[3] et leur dit : Qui cherchez-vous ? Ils lui répondirent : Jésus de Nazareth. C’est moi, leur dit Jésus. Or Judas, qui le trahissait, était aussi avec eux. Lors donc qu’il leur dit : C’est moi, ils furent renversés et tombèrent par terre. Il leur demanda encore une fois : Qui cherchez-vous ? Ils lui dirent : Jésus de Nazareth. Jésus leur répondit : Je vous l’ai dit, c’est moi ; si donc c’est moi que vous cherchez, laissez aller ceux-ci[4] : afin que fût accomplie la parole qu’il avait dite : « Je n’ai perdu aucun de ceux que vous m’avez donnés[5]. » Simon Pierre, qui avait une épée, la tira, et frappant le serviteur du Grand-Prêtre, lui coupa l’oreille droite : et ce serviteur s’appelait Malchus. Jésus dit à Pierre : Remettez votre épée dans le fourreau. Le calice que mon Père m’a donné, ne le boirai-je donc point ?

12 Alors la cohorte, le tribun et les satellites des Juifs[6] se saisirent de Jésus et le lièrent ; et ils l’emmenèrent d’abord chez Anne parce qu’il était le beau-père de Caïphe[7], lequel était grand-prêtre cette année-là. Or Caïphe était celui qui avait donné ce conseil aux Juifs : Il est expédient qu’un homme meure pour le peuple.

15 Cependant Simon Pierre suivait Jésus, ainsi qu’un autre disciple[8], et ce disciple étant connu du Grand-Prêtre entra avec Jésus dans la cour du Grand-Prêtre. Mais Pierre demeura à la porte. L’autre disciple, qui était connu du Grand-Prêtre[9], sortit donc, et parla à la portière, et elle fit entrer Pierre. Cette servante, qui gardait la porte, dit à Pierre : Êtes-vous aussi des disciples de cet homme ? Il répondit : Je n’en suis point. Les serviteurs et les satellites étaient rangés autour d’un brasier, parce qu’il faisait froid, et se chauffaient ; et Pierre aussi était debout parmi eux, se chauffant.

19 Le Grand-Prêtre interrogea donc Jésus touchant sa doctrine. Jésus lui répondit : J’ai parlé publiquement au monde ; j’ai toujours enseigné dans la synagogue et dans le temple, où tous les Juifs s’assemblent, et je n’ai rien dit en secret. Pourquoi m’interrogez-vous ? Interrogez ceux qui ont entendu ce que je leur ai dit ; ils savent ce que j’ai enseigné. Après qu’il eut dit cela, un des satellites, là présent, donna un soufflet à Jésus, disant : Est-ce ainsi que tu réponds au Grand-Prêtre ? Jésus lui répondit : Si j’ai mal parlé, montrez ce que j’ai dit de mal ; mais si j’ai bien parlé, pourquoi me frappez-vous ? (Anne l’avait envoyé lié devant Caïphe le Grand-Prêtre)[10]. Or Simon Pierre était debout se chauffant. Ils lui dirent : N’êtes-vous pas aussi de ses disciples ? Il le nia et dit : Je n’en suis point. Un des serviteurs du Grand-Prêtre, parent de celui à qui Pierre avait coupé l’oreille, lui dit : Ne vous ai-je point vu avec lui dans le jardin ? Pierre le nia de nouveau, et aussitôt le coq chanta. Ils amenèrent Jésus de chez Caïphe dans le prétoire. C’était le matin ; et eux n’entrèrent point dans le prétoire, afin de ne point se souiller et de pouvoir manger la Pâque[11]. Pilate donc vint à eux dehors, et leur dit : Quelle accusation portez-vous contre cet homme[12] ? Ils lui répondirent : Si ce n’était point un malfaiteur, nous ne vous l’aurions pas livré. Pilate leur dit : Prenez-le vous-mêmes, et jugez-le selon votre Loi. Les Juifs lui répondirent : Il ne nous est pas permis de mettre personne à mort[13] : afin que fût accomplie la parole que Jésus avait dite, touchant la mort dont il devait mourir[14]. Pilate étant donc rentré dans le prétoire, appela Jésus, et lui dit : Êtes-vous le roi des Juifs[15] ? Jésus répondit : Dites-vous cela de vous-même, ou d’autres vous l’ont-ils dit de moi ? Pilate répondit : Est-ce que je suis Juif[16] ? Votre nation et vos prêtres vous ont livré à moi : qu’avez-vous fait ? Jésus répondit : Mon royaume n’est pas de ce monde[17] ; si mon royaume était de ce monde, mes serviteurs combattraient pour que je ne fusse pas livré aux Juifs ; mais maintenant[18] mon royaume n’est pas d’ici. Alors Pilate lui dit : Vous êtes donc roi ? Jésus répondit : Vous le dites, je suis roi[19]. Je suis né et je suis venu dans le monde pour rendre témoignage à la vérité : quiconque est de la vérité[20] écoute ma voix. Pilate lui dit : Qu’est-ce que la vérité ? Et ayant dit cela, il sortit encore pour aller vers les Juifs, et leur dit : Je ne trouve en lui aucun crime. Mais c’est la coutume que je vous accorde à la fête de Pâque la délivrance d’un criminel : voulez-vous que je vous délivre le roi des Juifs[21] ? Alors ils crièrent de nouveau tous ensemble : Pas celui-ci, mais Barabbas. Or Barabbas était un voleur.

  1. Du cénacle. Patrizzi : de Jérusalem. — Cédron, litt. le Noir ou le Triste. Alimenté, non par des sources, mais par des eaux de pluie qui découlent des hauteurs et entraînent de la terre avec elles, chargé en outre des immondices de la ville, le Cédron tire son nom de la couleur sombre de ses eaux. A sec pendant l’été, il coule en hiver à l’est de Jérusalem, entre cette ville et la montagne des Oliviers, et va se jeter en serpentant dans la mer Morte. — Un jardin, celui de Gethsémani ou des Oliviers. Voy. Marc, xiv, 32, note.
  2. Probablement une partie de la cohorte romaine qui occupait la forteresse Antonia.
  3. Après avoir reçu le baiser de Judas, Jésus s’avança vers la foule, qui était restée en arrière.
  4. En montrant du doigt ses Apôtres.
  5. L’Évangéliste se rappelle une parole de Notre-Seigneur dite un peu auparavant (xvii, 12), et accomplie ici dans le sens de la vie du corps.
  6. Des membres du Sanhédrin.
  7. Sur Anne et Caïphe, Voy. Vocabulaire. — Le P. Patrizzi pense que ces deux personnages étaient réunis cette nuit-là dans la même maison : voy. pag. 238, note 3 ; ceux qui n’admettent pas cette opinion, disent que Jésus fut amené d’abord chez Anne, dont la maison était sans doute plus près de la porte de la ville, puis en secret chez Caiphe, quand les membres du Sanhédrin furent assemblés dans la maison de ce dernier. Quoiqu’il en soit, c’est chez Caiphe que se passent les faits racontés à partir du vers. 15.
  8. Saint Jean, qui se désigne souvent de cette manière.
  9. Ou au moins des gens de sa maison.
  10. Ce vers. est une parenthèse destinée à réparer un oubli ou une négligence du récit antérieur : c'est avant le vers. 15 que ceci eut lieu. Puis, au vers. 25, l’Évangéliste reprend le fil du récit commencé au vers. 18. Sur les trois reniements de saint Pierre, voy. pag. 238, note 3.
  11. Prétoire : on appelait ainsi, chez les Romains, le palais où le préteur ou gouverneur d’une province tenait ses audiences et rendait la justice. L’ancien palais royal d’Hérode le Grand, bâti dans la partie haute de Jérusalem et communiquant avec la forteresse Antonia, voisine du temple, servait alors de prétoire, et c’était là que demeurait le procurateur Pilate lorsqu’il venait de Césarée à Jérusalem. — Se souiller, en entrant dans la maison d’un païen. — La Pâque, non l’agneau pascal, mais les victimes qu’on avait coutume d’immoler pendant les sept jours que durait la fête.
  12. On devine déjà que Pilate, comprenant qu’il s’agit d’une affaire de religion, est peu favorable à l’accusation.
  13. Il n’y a point de doute que les sentences capitales, ou du moins le droit de les exécuter, ne fût alors réservé au gouverneur romain. « Le prœses, dit Walter, avait le droit de vie et de mort, et les magistrats municipaux pouvaient seulement arrêter, faire subir les premiers interrogatoires et garder les criminels. » Le Thalmud, il est vrai, fait ôter ce droit au Sanhédrin quarante ans seulement avant la ruine de Jérusalem ; mais, outre que ce nombre n’a rien de précis dans les livres des Juifs, on lit dans un autre passage du Thalmud : Plus de quarante ans.
  14. Savoir, qu’il serait livré aux Gentils et crucifié par eux : Matth. xx, 19 ; Jean, xii, 32. Al.
  15. Voy. Luc, xxiii, 2.
  16. Pour attendre la venue d’un roi des Juifs, et pour m’imaginer que vous êtes ce roi ? Comme la fierté du Romain et le mépris des Juifs respire dans toutes les paroles de Pilate ! Puis, laissant là cette accusation, il demande à Jésus ce qu’il a fait pour soulever tout ce monde contre lui.
  17. C’est-à-dire, n’est pas semblable aux autres royaumes qui sont sur la terre où il y a des armées, etc. César n’a rien à craindre de moi. Voyez, je n’ai point de défenseurs.
  18. Maintenant est explétif, et complète l’opposition indiquée par mais.
  19. Formule d’affirmation ou de concession.
  20. Est ami ou du parti de la vérité. Entre les vers. 38 et 39 doit se placer le renvoi de Jésus à Hérode, raconté par saint Luc.
  21. C’est entre les vers. 39 et 40 qu’il faut placer le message de la femme de Pilate, raconté Matth. xxvii, 19, 20.