Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Jean/17

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 499-503).
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saint Jean


CHAPITRE XVII


JÉSUS PRIE POUR SA GLORIFICATION (VERS. 1-5), POUR SES DISCIPLES (VERS. 6-19), ET POUR TOUS LES FIDÈLES (VERS. 20-26).


Ayant ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit : Mon Père, l’heure est venue, glorifiez votre Fils, afin que votre Fils vous glorifie[1], puisque vous lui avez donné puissance sur toute chair, afin qu’à tous ceux que vous lui avez donnés, il donne la vie éternelle. Or la vie éternelle, c’est qu’ils vous connaissent, vous le seul Dieu véritable, et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ[2]. Je vous ai glorifié sur la terre, j’ai consommé[3] l’œuvre que vous m’avez donnée à faire. Et maintenant, mon Père, glorifiez-moi en vous-même de la gloire que j’ai eue en vous avant que le monde fût[4]. J’ai manifesté votre nom aux hommes que vous m’avez donnés du monde. Ils étaient à vous, et vous me les avez donnés : et ils ont gardé votre parole[5]. Ils savent à présent que tout ce que vous 8. m’avez donné vient de vous[6], parce que je leur ai donné les paroles que vous m’avez données ; et ils les ont reçues, et ils ont reconnu, comme il est vrai, que je suis sorti de vous. C’est pour eux que je prie. Je ne prie point pour le monde, mais pour ceux que vous m’avez donnés, parce qu’ils sont à vous[7]. Car tout ce qui est mien est vôtre, et tout ce qui est vôtre est mien : et j’ai été glorifié par eux[8]. Et bientôt je ne serai plus dans le monde, et eux sont dans le monde, et moi je vais à vous. Père saint, conservez dans votre nom ceux que vous m’avez donnés, afin qu’ils soient un comme nous[9]. Lorsque j’étais avec eux, je les conservais dans votre nom. J’ai gardé ceux que vous m’avez donnés, et pas un d’eux n’a péri, hors le fils de perdition, afin que l’Écriture fût accomplie[10]. Mais maintenant je viens à vous, et je dis ceci étant dans le monde, afin qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie[11]. Je leur ai donné votre parole[12], et le monde les a eus en haine, parce qu’ils ne sont pas du monde, comme moi non plus je ne suis pas du monde. Je ne demande pas que vous les ôtiez du monde[13], mais que vous les gardiez du Mauvais. Ils ne sont pas du monde, comme moi non plus je ne suis pas du monde[14]. Sanctifiez-les dans la vérité[15]. Votre parole est vérité. Comme vous m’avez envoyé dans le 18. monde, moi aussi je les ai envoyés[16] dans le monde. Et pour eux je me sanctifie moi-même, afin qu’eux aussi soient sanctifiés dans la vérité[17]. Je ne prie pas pour eux seulement, mais aussi pour ceux qui, par leur parole[18], croiront en moi, afin que tous ils soient un ; comme vous, mon Père, êtes un en moi, et moi en vous, qu’eux aussi soient un en nous, et qu’ainsi le monde croie que vous m’avez envoyé[19]. Et je leur ai donné la gloire que vous m’avez donnée[20], afin qu’ils soient un comme nous sommes un. Je suis en eux, et vous en moi, afin qu’ils soient consommés en un, et que le monde connaisse que vous m’avez envoyé, et que vous les avez aimés comme vous m’avez aimé[21]. Mon Père, ceux que vous m’avez donnés, je veux que là où je suis, ils soient avec moi, afin qu’ils voient ma gloire que vous m’avez donnée, parce que vous m’avez aimé avant la création du monde[22]. Père juste, le monde ne vous a pas connu ; mais moi je vous ai connu, et ceux-ci ont connu[23] que vous m’avez envoyé. Et je leur ai fait connaître votre nom, et le leur ferai connaître, afin que l’amour dont vous m’avez aimé soit en eux, et que moi je sois en eux[24].

  1. Mon Père : Jésus prie comme homme. — L’heure de ma mort. Votre Fils, en le ressuscitant et le faisant asseoir à votre droite. — Vous glorifie : afin que votre royaume, l’Église, mère d’innombrables enfants de Dieu, s’établisse sur la terre.
  2. Dans ce passage, le Père n’est point opposé au Fils, c’est Dieu, la nature divine, qui est opposé aux fausses] divinités du paganisme. — Jésus-Christ : c’est le seul endroit des Évangiles où Notre-Seigneur s’appelle de ce double nom.
  3. J’aurai bientôt consommé par ma mort sur la croix l’œuvre, etc.
  4. Communiquez à ma nature humaine la gloire que j’ai eue, comme votre Fils, de toute éternité auprès de vous.
  5. Aux hommes, aux Apôtres, tirés du milieu de la corruption du monde et du péché. — Votre parole, votre doctrine que je leur ai enseignée.
  6. La tautologie disparaît si l’on réfléchit que tout ce que vous m’avez donné (ma doctrine) est synonyme de : tout ce que je leur ai enseigné. Comp. vii, 16 ; xii, 49.
  7. Pour eux, pour les Apôtres ; il priera pour ses disciples en général à partir du vers. 20. — Je ne prie point : Jésus-Christ a prié pour tous les hommes, même pour ses bourreaux : il a offert pour tous le mérite de sa mort. Le monde n’est donc pas exclu de sa prière en général, mais de cette prière particulière qu’il adresse à son Père pour ses Apôtres et ses disciples en ce moment solennel (Corn. Lapierre, Allioli). Saint Augustin explique cela autrement : Je ne prie pas pour le monde, c’est-à-dire pour ceux qui doivent, jusqu’à la fin de leur vie, rester du monde, pour les infidèles et les pécheurs endurcis. Comp. vers. 21. — A vous, première raison pour laquelle Notre-Seigneur prie pour eux.
  8. Deuxième raison pour laquelle Notre-Seigneur prie pour ses Apôtres. La troisième se trouve au vers. suiv.
  9. Dans votre nom, c’est-à-dire dans la connaissance de votre nom, dans la fidélité à garder la vraie doctrine que je leur ai prêchée. — Comme nous, d’une union semblable à la nôtre : que par la foi ils soient unis à Jésus-Christ, et par Jésus-Christ au Père. C’est la première chose que Notre-Seigneur demande pour ses Apôtres ; la deuxième est exprimée dans les vers. 14-16 ; la troisième dans les vers. 17-19.
  10. Voy. xiii, 18.
  11. Pendant que je suis encore dans le monde, afin que, conservés par vous dans la vérité, ils arrivent à l’éternelle béatitude.
  12. Votre doctrine ; ajoutez : Et ils l’ont reçue.
  13. En les appelant de suite dans le ciel ; car ils doivent prêcher l’Évangile.
  14. Notre-Seigneur répète la pensée du vers. 14, comme un motif pour obtenir ce qu’il demande au vers. suivant.
  15. Saint Chrysostome, Maldonat, Allioli : Consacrez-les par l’Esprit-Saint (au jour de la Pentecôte) comme vos ministres, afin qu’ils fassent connaître votre doctrine, qui est la vérité. Patrizzi : Sanctifiez-les dans la vérité ; que votre doctrine, qui est la vérité, soit la règle de leurs sentiments et de leurs actions : le vers. suivant donne la raison de cette demande.
  16. Je les enverrai.
  17. Saint Chrysostome, A. Maier ; Je m’offre moi-même en sacrifice sur la croix, afin qu’étant ensuite glorifié, je leur envoie l’Esprit-Saint qui les sanctifiera, les consacrera, les dévouera au ministère apostolique.
  18. Par leur prédication.
  19. Tous, apôtres et fidèles. — Ainsi, en voyant cette belle unité. — Envoyé, et que mon œuvre est divine.
  20. Quelle est cette gloire ? Bossuet : Celle qui devait être donnée à Jésus-Christ selon sa nature humaine dans sa résurrection et son ascension ; cette gloire nous sera donnée, puisque nous ressusciterons. Saint Chrysostome : La véritable doctrine et le pouvoir d’opérer des miracles. Corn. Lapierre, Klofutar : La qualité d’enfants de Dieu, que Notre-Seigneur possède par nature, nous par adoption, et l’éternelle béatitude qui en est la conséquence. Ce dernier sens nous paraît le véritable.
  21. En eux, par la foi, principe de l’union de l’homme avec Dieu, et par l’Esprit-Saint qui habite dans les âmes. — Consommés en un, c’est-à-dire parfaitement un. — Les avez aimés, leur ayant donné par adoption la qualité d’enfants de Dieu, que moi, votre Fils unique, je possède par nature. « Nous avons été faits participants du Christ, dit saint Paul (Hébr. iii, 14), si toutefois nous retenons fermement jusqu’à la fin le commencement de sa substance (la grâce) qui est en nous. Et saint Pierre, surpassant encore l’énergie et la clarté de ce langage, recommande aux premiers fidèles les dons et les promesses par où ils ont été appelés au partage de la nature divine (II, i, 4). Ainsi, aucun doute n’est permis sur le sens où il faut entendre l’union de l’âme avec Dieu dans l’ordre surnaturel. Cette union est une sorte de déification qui, sans confondre le fini avec l’infini, le créé avec l’incréé, les met dans un rapport si étroit, que non-seulement l’homme pense comme Dieu, mais que Dieu est dans l’homme par une pénétration réelle de sa substance, à la manière dont le feu est dans le fer qu’il transfigure par sa lumière et sa chaleur sans le dénaturer ni se dénaturer lui-même. » Lacordaire. Le lien de cette union, c’est l’Esprit-Saint, qui est l’Esprit du Père et du Fils, habitant substantiellement dans l’âme fidèle.
  22. Où je suis, dans le ciel. — Voient ma gloire, — et, en la voyant, la partagent (I Jean, iii, 1). — Parce que : la source de notre bonheur, dit Bossuet, c’est que ce Fils que Dieu aime et qu’il porte dans son sein avant que le monde fût et de toute éternité, se soit fait homme, ne faisant qu’une seule et même personne avec l’homme qui lui est uni. Dieu aime ce tout comme son Fils, il répand sur les hommes, qui sont ses membres, le même amour qu’il a pour lui : d’où il suit que l’amour qu’il a pour nous est une extension et une effusion de celui qu’il porte dans l’éternité à son Fils unique.
  23. Et ont cru.
  24. Je leur ai fait connaître, aux Apôtres, et par eux aux fidèles. — Ferai connaître de plus par l’Esprit-Saint. — « On peut voir maintenant tout le dessein et toute la suite de cette prière. Notre-Seigneur commence par demander que son Père le glorifie, et cette glorification se termine à nous en faire part, en sorte que la perfection de la glorification de Jésus-Christ soit dans la nôtre : ce qui nous unit tellement à lui, que le Père même ne nous en sépare point dans son amour. Après quoi il faut se taire avec le Sauveur, et, demeurant dans l’étonnement de tant de grandeurs où nous sommes appelés en Jésus-Christ, n’avoir plus d’autre désir que de nous en rendre dignes avec sa grâce. » Bossuet.