Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/04

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 274-278).
◄  Ch. 3
Ch. 5  ►
saint Luc


CHAPITRE IV


JEÛNE ET TENTATION DE JÉSUS (Matth. iv, 1 sv. ; Marc, i, 13). — SA PRÉDICATION À NAZARETH (Ibid.). — À CAPHARNAÜM, IL DÉLIVRE UN POSSÉDÉ (Marc, i, 21 sv.), GUÉRIT LA BELLE-MÈRE DE SAINT PIERRE, ET FAIT D’AUTRES MIRACLES (Matth. viii, 14, sv. ; Marc, i, 29).


Jésus, rempli de l’Esprit-Saint, revint du Jourdain ; et poussé par l’Esprit au désert, il y passa quarante jours, et fut tenté par le démon. Il ne mangea rien pendant ces jours, et, quand ils furent passés, il eut faim. Alors le démon lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez à cette pierre qu’elle devienne du pain. Jésus lui répondit : Il est écrit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole de Dieu[1]. » Et le démon le conduisit sur une haute montagne ; et lui ayant montré en un instant tous les royaumes de la terre, il lui dit : Je vous donnerai toute cette puissance et toute la gloire de ces royaumes ; car ils m’ont été livrés, et je les donne à qui je veux. Si donc vous m’adorez, ils seront tous à vous. Jésus lui répondit : Il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul[2]. » Le démon le conduisit encore à Jérusalem, et l’ayant placé sur le haut du temple, il lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous d’ici en bas. Car il est écrit qu’il a ordonné à ses anges de vous garder, et qu’ils vous prendront entre leurs mains, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre[3]. Jésus lui répondit : Il est écrit : « Tu ne tenteras point le Seigneur ton Dieu[4]. » Après l’avoir tenté de toutes ces manières, le démon se retira de lui pour un temps[5].

14 Alors Jésus, par le mouvement de l’Esprit[6], retourna en Galilée, et sa renommée se répandit dans tout le pays. Et il enseignait dans les synagogues, et tous publiaient ses louanges.

16 Étant venu à Nazareth, où il avait été nourri, il entra, selon sa coutume, le jour du sabbat dans la synagogue, et se leva pour lire. On lui donna le livre du prophète Isaïe ; et l’ayant déroulé[7], il trouva l’endroit où il était écrit : « L’Esprit du Seigneur est sur moi ; c’est pourquoi il m’a consacré par son onction ; il m’a envoyé pour évangéliser les pauvres, guérir ceux qui ont le cœur brisé, annoncer aux captifs la délivrance, aux aveugles le bienfait de la vue, rendre libres les opprimés, publier l’année favorable du Seigneur et le jour de la rétribution[8]. » Ayant roulé le livre, il le rendit au ministre et s’assit ; et pendant que tous, dans la synagogue, avaient les yeux attachés sur lui, il commença à leur dire : Aujourd’hui s’accomplit cet oracle par ce que vous entendez[9]. Et tous lui rendaient témoignage, et admirant les paroles de grâce qui sortaient de sa bouche, ils disaient : N’est-ce pas là le fils de Joseph ? Alors il leur dit : Sans doute vous m’appliquerez cet adage : Médecin, guéris-toi toi-même, et me direz : Les grandes choses qu’on nous a raconté que vous avez faites à Capharnaüm, faites-les ici dans votre patrie. Et il ajouta : En vérité, je vous le dis, aucun prophète n’est accueilli dans sa patrie. Je vous le dis en vérité, il y avait aux jours d’Élie beaucoup de veuves en Israël, lorsque le ciel fut fermé pendant trois ans et six mois, et qu’il y eut une grande famine dans toute la terre ; et cependant Élie ne fut envoyé à aucune d’elles, mais à une veuve de Sarepta, dans le pays des Sidoniens. Il y avait de même en Israël beaucoup de lépreux aux jours du prophète Élisée ; et cependant aucun d’eux ne fut guéri, si ce n’est Naaman le Syrien[10]. En entendant cela, ils furent tous remplis de colère dans la synagogue. Et se levant, ils le jetèrent hors de la ville, et le menèrent jusqu’au sommet de la montagne sur laquelle elle était bâtie, pour le précipiter. Mais lui, passant au milieu d’eux, s’en alla.

31 Il descendit à Capharnaüm, ville de Galilée, et là il enseignait les jours de sabbat. Et sa doctrine les frappait d’étonnement, parce qu’il parlait avec autorité.

33 Il y avait dans la synagogue un homme possédé d’un démon impur, lequel jeta un grand cri, disant : Laissez-nous ; qu’y a-t-il de commun entre nous et vous, Jésus de Nazareth ? Êtes-vous venu pour nous perdre ? Je sais qui vous êtes : le Saint de Dieu. Mais Jésus lui dit avec empire : Tais-toi, et sors de cet homme. Et le démon l’ayant jeté par terre au milieu de tout le peuple, sortit de lui sans lui faire aucun mal. Et tous, saisis d’épouvante, se disaient entre eux : Qu’est ceci ? Il commande avec autorité et puissance aux esprits impurs, et ils sortent ! Et sa renommée se répandait de tous côtés dans le pays.

38 Étant sorti de la synagogue, Jésus entra dans la maison de Simon, dont la belle-mère avait une grosse fièvre, et ils le prièrent pour elle. S’approchant de son lit, il commanda à la fièvre, et la fièvre la quitta ; et s’étant levée aussitôt, elle se mit à les servir.

40 Lorsque le soleil fut couché, tous ceux qui avaient chez eux des malades, quel que fût leur mal, les lui amenaient ; et Jésus, imposant les mains sur chacun, les guérissait. Les démons sortaient de plusieurs, criant et disant : Vous êtes le Fils de Dieu ; et, leur commandant avec empire, il ne leur permettait pas de parler, car ils savaient qu’il était le Christ[11].

42. Dès que le jour parut, il sortit de la ville et s’en alla en un lieu désert, et la foule qui le cherchait, étant arrivée jusqu’à lui, s’efforçait de le retenir, afin qu’il ne les quittât point. Il leur dit : Il faut que j’annonce aussi aux autres villes le royvume de Dieu, car je suis envoyé pour cela. Et il prêchait dans les synagogues de la Galilée.

  1. Deuter. viii, 3. Parole, c’est-à-dire chose créée par la parole : c’est la cause pour l’effet.
  2. Deuter. vi, 13.
  3. Ps. xc, 11, 12.
  4. Deuter. vi, 16.
  5. La tentation nous attaque de trois manières : par la suggestion, par la délectation et par le consentement. La suggestion consiste dans une pensée, soit que le démon la jette immédiatement dans l’esprit, soit que ce soit en nous proposant des objets extérieurs. Le démon n’a pas pu aller plus avant dans la tentation du Fils de Dieu ; mais à notre égard, quand la pensée est suivie d’une complaisance volontaire, et que l’esprit s’y arrête, on doit croire que le consentement, qui enfante la mort (Jacq. i, 15), suivra bientôt. Arrêtez donc la tentation dès le premier pas qui est innocent, et qui a pu être dans le Fils de Dieu ; coupez court et rompez le premier coup. Prévenez le plaisir naissant, ou des sens, ou de l’ambition, ou de la vengeance, de peur que, se répandant dans toute votre âme, il ne l’entraîne au consentement. Bossuet.
  6. Litt. par la vertu de l’Esprit, poussé par l’Esprit-Saint.
  7. Les livres des anciens étaient de longues bandes de parchemin roulées autour d’un petit cylindre ; pour lire on développait successivement le rouleau.
  8. Is. lxi, l ; lviii, 6. Le grec omet : guérir ceux qui ont le cœur brisé, et : le jour de la rétribution. Il y a dans ce verset une allusion à l’année jubilaire des Juifs, où chacun, à un signal proclamé par la trompette, rentrait en possession de ses biens et de sa liberté, qui ne pouvaient être aliénés que pour un temps.
  9. Car je suis le Messie venu pour enseigner, pour guérir, pour délivrer les hommes de leurs péchés et de la mort éternelle.
  10. Sens : Elie et Elisée, méprisés dans leur pays, portèrent leurs bienfaits à des étrangers (III Rois, xvii, 9 ; IV, v, 14) ; ainsi je ferai.
  11. Ce qu’ils auraient voulu faire, car ils savaient. D’autres, moins bien : de publier qu’ils sussent qu’il était le Christ.