Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/15

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 327-330).
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saint Luc


CHAPITRE XV


LES PHARISIENS SONT SCANDALISÉS QUE JÉSUS-CHRIST REÇOIVE LES PÉCHEURS. — PARABOLES DE LA BREBIS ÉGARÉE (Matth. xviii, 12), DE LA DRACHME PERDUE ET DE L’ENFANT PRODIGUE.


Or les publicains et les pécheurs s’approchaient de Jésus pour l’entendre. Et les Pharisiens et les Scribes murmuraient, disant : Cet homme accueille les pécheurs et mange avec eux. Sur quoi il leur dit cette parabole :

4 Qui d’entre vous, ayant cent brebis, s’il en perd une, ne laisse les quatre-vingt-dix-neuf autres dans le désert, et ne s’en aille après celle qui est perdue, jusqu’à ce qu’il la trouve ? Et lorsqu’il l’a trouvée, il la met avec joie sur ses épaules ; et, revenant à la maison, il assemble ses amis et ses voisins, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé ma brebis qui était perdue[1]. Ainsi, je vous le dis, il y aura plus de joie[2] dans le ciel pour un pécheur qui fait pénitence, que pour quatre-vingt-dix-neuf justes qui n’ont pas besoin de pénitence.

8 Ou quelle est la femme qui, ayant dix drachmes[3], si elle en perd une, n’allume sa lampe et ne balaye sa maison, et ne cherche avec soin jusqu’à ce qu’elle la retrouve ? Et lorsqu’elle l’a trouvée, elle assemble ses amies et ses voisines, et leur dit : Réjouissez-vous avec moi, parce que j’ai trouvé la drachme que j’avais perdue. Ainsi, je vous le dis, il y aura de la joie parmi les anges de Dieu pour un pécheur qui fait pénitence.

11 Il dit encore : Un homme avait deux fils. Le plus jeune dit à son père : Mon père, donnez-moi la portion de votre bien qui doit me revenir. Et le père leur fit le partage de son bien. Peu de jours après, le plus jeune fils ayant rassemblé tout ce qu’il avait, partit pour un pays lointain, et il y dissipa son bien dans une vie de débauche. Après qu’il eut tout consumé, survint dans ce pays une grande famine, et il commença à sentir le besoin. S’en allant donc, il se mit au service d’un habitant de ce pays, qui l’envoya à sa maison des champs pour garder les pourceaux. Et il eût bien voulu se rassasier des siliques[4] que mangeaient les pourceaux, et personne ne lui en donnait. Rentrant alors en lui-même, il dit : Combien de mercenaires dans la maison de mon père ont du pain en abondance, et moi je meurs ici de faim ! Je me lèverai, et j’irai à mon père, et je lui dirai : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous ; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils : faites-moi comme l’un de vos mercenaires. Et se levant, il vint vers son père. Comme il était encore loin, son père le vit, et touché de compassion, il accourut, se jeta à son cou, et le baisa. Et son fils lui dit : Mon père, j’ai péché contre le ciel et contre vous ; je ne suis plus digne d’être appelé votre fils. Et le père dit à ses serviteurs : Apportez vite sa robe première et l’en revêtez, et mettez-lui un anneau au doigt et une chaussure aux pieds. Amenez le veau gras et tuez-le, et mangeons, et réjouissons-nous : car mon fils que voici était mort, et il revit ; il était perdu, et il est retrouvé. Et ils commencèrent à se réjouir. Or le fils aîné était dans les champs ; comme il revenait et approchait de la maison, il entendit le bruit des chants et de la danse ; et, appelant un de ses serviteurs, il lui demanda ce que c’était. Le serviteur lui dit : Votre frère est revenu, et votre père a tué le veau gras, parce qu’il l’a recouvré sauf. Et s’étant courroucé, il ne voulait pas entrer. Le père donc étant sorti, commença à le prier ; mais il répondit à son père : Voilà que je vous sers depuis tant d’années, sans jamais transgresser votre commandement, et jamais vous ne m’avez donné un chevreau pour faire un festin avec mes amis. Et votre autre fils, qui a dévoré son bien avec des courtisanes, à peine est-il revenu que vous avez tué pour lui le veau gras. Le père lui dit : Vous, mon fils, vous êtes toujours avec moi, et tout ce que j’ai est à vous. Mais il fallait faire un festin et se réjouir, parce que votre frère était mort, et il revit ; il était perdu, et il est retrouvé[5].

  1. L’âme pécheresse s’éloigne de Dieu ; elle le fuit, elle perd ses forces et devient impuissante. À cette triple misère, le Pasteur infiniment bon oppose une triple miséricorde : il cherche les pécheurs, il les trouve, il les rapporte. Bossuet.
  2. Une joie plus vive, parce qu’elle est inespérée. Jésus-Christ s’exprime ici d’après ce qu’éprouve naturellement le cœur de l’homme.
  3. Monnaie grecque, de la valeur du quart d’un sicle, un peu moins de 1 franc de notre monnaie.
  4. Proprem. carouges ou caroubes, espèces de gousses, fruit du caroubier.
  5. « Quand on voit dans l’Évangile la brebis perdue préférée par le bon Pasteur à tout le reste du troupeau, quand on y lit cet heureux retour du prodigue retrouvé, et ce transport d’un père attendri qui met en joie toute sa famille, ou est tenté de croire que la pénitence est préférée à l’innocence même, et que le prodigue retourne reçoit plus de grâces que son aîné qui ne s’est jamais échappé de la maison paternelle. Il est l’aîné toutefois, et deux mots que lui dit son père lui font bien entendre qu’il n’a pas perdu ses avantages : Mon fils, vous êtes toujours avec moi. etc. Ainsi les cœurs sont saisis d’une joie soudaine par la grâce inespérée d’un beau jour d’hiver, qui, après un temps pluvieux, vient réjouir tout d’un coup la face du monde ; mais on ne laisse pas de lui préférer la constante sérénité d’une saison plus bénigne ; et s’il nous est permis d’expliquer les sentiments du Sauveur par ces sentiments humains, il s’émeut plus sensiblement sur les pécheurs convertis, qui sont sa nouvelle conquête, mais il réserve une plus douce familiarité aux justes, qui sont ses anciens et perpétuels amis, qui sont toujours avec l’Agneau, et paraissent sans tache devant son trône (Apoc. xiv, 5). » Bossuet.