Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Luc/20

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 346-350).
◄  Ch. 19
Ch. 21  ►
saint Luc


CHAPITRE XX


RÉPONSE DE JÉSUS A SES ENNEMIS (Matth. xxi, 23 sv. ; Marc, xi, 27 sv.). — PARABOLES DES VIGNERONS HOMICIDES, DE LA PIERRE ANGULAIRE (ibid.). — RENDRE A CÉSAR CE QUI EST A CÉSAR (Matth. xxiii, 13 ; Marc, xii, 13). — RÉSURRECTION DES MORTS (ibid.). — LE MESSIE, FILS ET SEIGNEUR DE DAVID (ibid.). — ORGUEIL DES SCRIBES (Matth. xxiii ; Marc, xii, 32).


Un de ces jours-là, comme Jésus enseignait le peuple dans le temple, et lui annonçait la bonne nouvelle, les Princes des prêtres et les Scribes survinrent avec les Anciens, et lui parlèrent de la sorte : Dites-nous par quelle autorité vous faites ces choses, ou qui vous a donné cette puissance ? Jésus leur répondit : Moi aussi je vous ferai une question. Répondez-moi. Le baptême de Jean était-il du ciel, ou des hommes ? Mais ils faisaient en eux-mêmes cette réflexion : Si nous répondons : Du ciel, il nous dira : Pourquoi n’avez-vous pas cru ? Et si nous répondons : Des hommes, tout le peuple nous lapidera, car il est persuadé que Jean était un prophète. Ils lui répondirent donc qu’ils ne savaient d’où il était. Et moi, leur dit Jésus, je ne vous dirai pas non plus par quelle autorité je fais ces choses.

9 Alors il commença à dire au peuple cette parabole : Un homme planta une vigne, et la loua à des vignerons ; puis il s’en alla pour longtemps en un pays étranger. Le temps des vendanges étant venu, il envoya un de ses serviteurs aux vignerons, afin qu’ils lui donnassent du fruit de la vigne. Mais eux, l’ayant battu, le renvoyèrent les mains vides. Il envoya encore un autre serviteur, et, l’ayant aussi battu et chargé d’outrages, ils le renvoyèrent les mains vides. Il en envoya un troisième, qu’ils blessèrent de même et jetèrent dehors. Enfin le maître de la vigne dit : Que ferai-je ? J’enverrai mon fils bien-aimé, peut-être qu’en le voyant ils le respecteront. Les vignerons l’ayant vu, dirent en eux-mêmes : Voici l’héritier, tuons-le, afin que l’héritage soit pour nous. Et l’ayant chassé hors de la vigne, ils le tuèrent. Que leur fera donc le maître de la vigne ? Il viendra et exterminera ces vignerons, et donnera sa vigne à d’autres. Ce qu’ayant entendu, ils lui dirent : A Dieu ne plaise[1] !

17 Mais lui, les regardant, dit : Qu’est-ce donc que cette parole de l’Écriture : « La pierre qu’ont rejetée ceux qui bâtissaient est devenue le sommet de l’angle ? Quiconque tombera sur cette pierre sera brisé ; et celui sur qui elle tombera, elle l’écrasera[2]. »

19 Les Princes des prêtres et les Scribes, connaissant que c’était contre eux qu’il avait dit cette parabole, cherchaient à se saisir de lui à l’heure même, mais ils craignirent le peuple. C’est pourquoi, l’épiant, ils lui envoyèrent des gens apostés qui feignaient d’être justes, pour le surprendre dans ses paroles, afin de le livrer au magistrat et au pouvoir du gouverneur. Ceux-ci donc vinrent ainsi l’interroger : Maître, nous savons que vous parlez et enseignez sans erreur, que vous ne faites acception de personne, mais que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité. Nous est-il permis de payer le tribut à César, ou non ? Mais Jésus, connaissant leur ruse, leur dit : Pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il la figure et le nom ? Ils lui répondirent : De César. Et il leur dit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Et ils ne purent reprendre aucune de ses paroles devant le peuple ; et admirant sa réponse, ils se turent.

27 Quelques-uns des Sadducéens, qui nient la résurrection, s’approchèrent alors et l’interrogèrent : Maître, lui dirent-ils, Moïse a écrit pour nous cette Loi : Si un homme, ayant une femme, meurt sans laisser d’enfants, que son frère prenne sa femme, et suscite des enfants à son frère. Or, il y avait sept frères ; le premier prit une femme et mourut sans enfants. Le second prit sa femme, et mourut aussi sans enfants. Le troisième la prit ensuite, et de même tous les sept, et ils moururent sans laisser d’enfants. Enfin, après eux tous, la femme mourut aussi. Duquel donc, au temps de la résurrection, sera-t-elle la femme, car elle l’a été de tous les sept ? Jésus leur dit : Les enfants de ce siècle se marient et sont donnés en mariage : mais ceux qui sont trouvés dignes du siècle à venir et de la résurrection des morts[3], ne se marieront point et n’épouseront point de femme ; car ils ne pourront plus mourir, parce qu’ils seront égaux aux anges et enfants de Dieu, étant enfants de la résurrection. Et que les morts ressuscitent, Moïse lui-même l’a marqué dans le récit du Buisson[4], lorsqu’il nomme le Seigneur : « Le Dieu d’Abraham, le Dieu d’Isaac et le Dieu de Jacob. » Or Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants ; car tous sont vivants devant lui[5]. Quelques-uns des Scribes, prenant la parole, lui dirent : Maître, vous avez bien parlé. Et ils n’osaient plus lui faire aucune question.

41 Alors Jésus leur dit : Comment dit-on que le Christ est fils de David ? David lui-même dit dans le livre des Psaumes : « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite, jusqu’à ce que je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds ? » David l’appelle Seigneur, comment peut-il être son fils ?

45 Il dit ensuite à ses disciples, en présence de tout le peuple qui l’écoutait : Gardez-vous des Scribes, qui affectent de se promener vêtus de longues robes, qui aiment à être salués dans les places publiques, à occuper les premiers sièges dans les synagogues et les premières places dans les festins, et qui, sous le semblant de longues prières, dévorent les maisons des veuves. Ils recevront un châtiment plus sévère.

  1. Voyez l’explication de cette parabole. Matth. xxi, 41, note. — Le royaume de Dieu est ôté aux Juifs, et il est donné à un peuple qui en devait porter les fruits… Ne trompons point l’attente du Sauveur, et puisque nous sommes cette nation qu’il a choisie pour porter les fruits de sa parole, fructifions en bonnes œuvres. « Les fruits de l’Esprit sont la charité, la joie, la paix, la patience, la bénignité, la bonté, la douceur, la foi, la modestie, la chasteté, la tempérance (Galat. v, 22). Voilà les fruits qu’il nous faut porter, et non pas les œuvres de la chair qui fructifient à la mort : autrement le royaume de Dieu nous sera ôté comme aux Juifs, et un autre recevra notre couronne. » Bossuet.
  2. Ps. cxvii, 22 ; Is. viii, 14, 15 ; xxviii, 16. : comp. Matth. xxv, 42.
  3. Il s’agit de la résurrection glorieuse, comme en beaucoup d’autres endroits.
  4. Exod. iii, 6.
  5. « Jésus-Christ nous fait voir que si Dieu prend pour son titre éternel le nom de Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, c’est à cause que ces saints hommes sont toujours vivants devant lui. Dieu n’est pas le Dieu des morts, il n’est pas digne de lui, de ne faire, comme les hommes, qu’accompagner ses amis jusqu’au tombeau sans leur laisser au delà aucune espérance ; et ce lui serait une honte de se dire avec tant de force le Dieu d’Abraham, s’il n’avait fondé dans le ciel une cité éternelle, où Abraham et ses enfants pussent vivre heureux. » Bossuet. Comp. Matth. xxii, 32 ; Marc, xii, 27