Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/03

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 41-44).
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saint Matthieu


CHAPITRE III


PRÉDICATION DE JEAN-BAPTISTE. — BAPTÊME DE JÉSUS-CHRIST.
(Marc, iii, 1-8 ; Luc, iii, 1-22).


1 En ces jours-là[1] vint Jean-Baptiste[2], prêchant dans le désert de Judée[3], et disant : Faites pénitence, car le royaume des cieux[4] approche. C’est lui qui a été annoncé par le prophète Isaïe, disant : « Une voix a retenti au désert : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez ses sentiers[5]. » Or, Jean avait un vêtement de poil de chameau, et autour de ses reins une ceinture de cuir, et il se nourrissait de sauterelles et de miel sauvage[6]. Alors venait à lui Jérusalem et toute la Judée, et tout le pays que baigne le Jourdain[7]. Et, confessant leurs péchés, ils recevaient de lui le baptême dans le Jourdain[8].

7 Voyant un grand nombre de Pharisiens et de Sadducéens venir à son baptême, il leur dit : Race de vipères, qui vous a montré à fuir devant la colère qui vient[9] ? Faites donc de dignes fruits de pénitence. Et ne vous complaisez point à dire en vous-mêmes : Nous avons Abraham pour père. Car je vous dis que de ces pierres mêmes Dieu peut susciter des enfants à Abraham. Déjà la cognée est à la racine de l’arbre : donc tout arbre qui ne porte pas de bon fruit sera coupé et jeté au feu. Moi, je vous baptise dans l’eau pour la pénitence ; mais celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter sa chaussure[10] ; il vous baptisera dans l’Esprit-Saint et dans le feu[11]. Sa main tient le van, et il nettoiera son aire, il amassera son froment dans son grenier, et il brûlera la paille dans un feu qui ne s’éteint point[12].

13 Alors Jésus, venant de Galilée, alla trouver Jean au Jourdain pour être baptisé par lui. Jean s’en défendait en disant : C’est moi qui dois être baptisé par vous, et vous venez à moi ! Jésus lui répondit : Laissez maintenant, car il convient qu’ainsi nous accomplissions toute justice[13]. Alors Jean le laissa. Jésus ayant été baptisé sortit aussitôt de l’eau, et voilà que les cieux lui furent ouverts, et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Et du ciel une voix disait : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, en qui j’ai mis mes complaisances.

  1. L’an 778 de Rome, 25 de l’ère vulgaire, 12 de Tibère seul empereur, 15 de Tibère associé par Auguste au gouvernement des provinces, Jésus ayant accompli sa trentième année au commencement de l’automne.
  2. C’est-à-dire Jean le Baptiste, ou qui baptise. Voy. Luc, i.
  3. On appelait ainsi la contrée stérile qui s’étend, du midi au nord, à l’ouest de la mer Morte et du Jourdain, et ici d’une manière plus particulière l’espace compris entre ce fleuve et Jéricho.
  4. C’est-à-dire le royaume du Messie sur la terre, son Église. Voy. ce mot dans le Vocabulaire.
  5. Isaie x, 3. Cette image est empruntée aux rois de l’Orient, qui envoient devant eux des messagers pour annoncer leur arrivée, aplanir les chemins, et leur préparer une réception digne d’eux. Jean-Baptiste est l’envoyé, proprement le Précurseur du Fils de Dieu fait homme, et sa mission est de disposer ses compatriotes à recevoir le salut apporté au monde par Jésus-Christ.
  6. C’était le vêtement et la nourriture des pauvres et des prophètes (IV Rois, i, 8 ; Hébr., xi, 37). « Encore aujourd’hui on apporte au marché, dans les villes arabes, de ces sauterelles que l’on fait bouillir comme les écrevisses, ou même rôtir au feu. Elles ressemblent pour la forme à de petits chevaux, et atteignent quelquefois une longueur de cinq pouces. » Sepp.
  7. Le long règne d’Hérode n’avait pas étouffé le sentiment religieux et national, toujours si vivace au cœur du peuple juif. Il se réveilla surtout quand la Judée, annexée à la province de Syrie, fut directement soumise au gouvernement des Romains (759 de Rome). Un nouveau gouverneur, Pilate, récemment arrivé (mars 778), était venu de Césarée à Jérusalem avec ses troupes, et avait fait placer sur la citadelle Antonienne, dans l’intérieur des murs de la ville sainte, les étendards de ses légions et les images de l’empereur. La douleur et l’indignation furent si vives, que Pilate jugea prudent de faire enlever les emblèmes sacrilèges qui faisaient croire au peuple que la fin des temps approchait ; mais la nation n’en restait pas moins aigrie et humiliée. Ajoutez que l’attente du Messie, c’est-à-dire d’un Roi libérateur, n’avait jamais été aussi présente qu’à cette époque. Voilà pourquoi les habitants de Jérusalem sortent en foule pour aller entendre sur les rives du Jourdain le nouveau prédicateur de la pénitence. Sepp.
  8. Le baptême de Jean était un engagement solennel de faire pénitence, pour obtenir ensuite du Messie la rémission des péchés et mériter d’entrer dans son royaume (l’Église). Voy. Baptême de Jean dans le Vocab.
  9. La colère qui vient, c’est la damnation éternelle, l’enfer dont Notre-Seigneur nous a délivrés, dit S. Paul (I Thess., i, 10) ; de même le jour de la colère, c’est le jour du jugement. Comp. vers. 12.
  10. La chaussure, chez les Juifs, consistait en sandales, qui s’attachaient aux pieds avec des courroies : les attacher, les détacher et les porter à la main à l’entrée des appartements, était un service réservé aux esclaves. Allioli.
  11. Si l’on prend le mot baptiser dans le sens propre, cela signifie que le baptême de Jésus-Christ, à la différence de celui de Jean-Baptiste, est accompagné de l’Esprit-Saint et de la grâce sanctifiante, qu’il a par lui-même une vertu régénératrice, qu’il sanctifie l’âme et l’embrase du feu de l’amour divin. Mais, dit le P. Patrizzi, baptiser doit s’entendre ici dans un sens figuré et plus large. Jean-Baptiste annonce ce que Notre-Seigneur lui-même promettra à ses disciples avant de les quitter : « Jean a baptisé dans l’eau, mais vous, vous serez baptisés dans l’Esprit-Saint sous peu de jours. » (Act., i, 5 ; comp. Act., x, 44-48), le jour de la Pentecôte. Il s’agit donc ici, non pas uniquement du sacrement de baptême, mais du don de l’Esprit-Saint substantiellement répandu dans les âmes, pour nous rendre justes et les fils adoptifs de Dieu, « grand et merveilleux bienfait, accordé aux hommes pour la première fois après que le Fils de Dieu fait homme fut descendu du ciel pour leur salut, comme le fruit de sa venue, de ses mérites et de son sang, et inconnu aux justes de l’ancienne loi, à qui l’Esprit-Saint n’avait pas encore été donné, parce que Jésus-Christ n’avait pas encore été glorifié, Jean, vii, 39. » (Pétau, de Trinit., VIII, iv, § 5). Le feu, c’est la divine charité : comparez Luc, xii, 49, 50.
  12. Mais pas de délais ; hâtez-vous, car sa main, etc. — L’aire où les Hébreux battaient le blé consistait en une place libre, circulaire, située autant que possible sur une éminence, sans muraille ni toiture. Après le battage on vannait. Le mélange de grains et de paille étendu sur l’aire était jeté contre le vent avec une fourche ou pelle de bois, le bon grain retombait à terre, et la paille était emportée un peu plus loin. On déposait le blé dans des greniers, qui étaient d’ordinaire des excavations souterraines, où l’on conservait également le vin, l’huile, etc. La paille était employée, soit à nourrir les bestiaux, soit à faire des briques ; mais le plus souvent on la brûlait en place de bois, ce combustible étant rare chez les Orientaux. Welte. Notre-Seigneur se servira d’images semblables pour désigner les bons et les méchants, le ciel et l’enfer, par exemple, dans la parabole de l’ivraie, Matth., xiii, 24 et suiv.
  13. Jésus se soumit à toute la loi, jusqu’à ce que, par sa mort sur la croix, il eût rendu inutiles les symboles et les prescriptions de l’ancienne alliance. S. Jérôme. D’ailleurs, dit Bossuet, c’était l’ordre d’en-haut que Jésus, la victime du péché, qui devait l’ôter en le portant, se mît volontairement au rang des pécheurs.