Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/04

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 45-48).
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saint Matthieu

CHAPITRE IV


JEÛNE ET TENTATION DE JÉSUS (Marc, i, 12, 13 ; Luc, iv, 1-13). — IL SE FIXE À CAPHARNAÜM, EN GALILÉE (Marc, i, 14, 15). — VOCATION DE PIERRE ET D’ANDRÉ, DE JACQUES ET DE JEAN (Luc, v, 11). — LA RENOMMÉE DE JÉSUS S’ÉTEND AU LOIN (Marc, i, 32-34 ; Luc, iv, 40).


1 En ce temps-là, Jésus fut conduit par l’Esprit dans le désert pour y être tenté par le démon[1]. Et lorsqu’il eut jeûné quarante jours et quarante nuits, il eut faim. Et le tentateur s’approchant, lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, commandez que ces pierres deviennent des pains[2]. Jésus lui répondit : Il est écrit : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu[3]. » Alors le démon le transporta dans la ville sainte, et l’ayant placé sur le haut du temple, il lui dit : Si vous êtes le Fils de Dieu, jetez-vous en bas ; car il est écrit : « Il vous a confié à ses Anges, et ils vous porteront dans leur main, de peur que votre pied ne heurte contre la pierre[4]. » Jésus lui dit : Il est écrit aussi : « Tu ne tenteras point le Seigneur, ton Dieu[5] ». Le démon, de nouveau, le transporta sur une montagne très-élevée, et lui montrant tous les royaumes du monde avec leur gloire, il lui dit : Je vous donnerai tout cela, si, tombant à mes pieds, vous m’adorez[6]. Alors Jésus lui dit : Retire-toi, Satan, car il est écrit : « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu, et tu ne serviras que lui seul[7]. » Alors le démon le laissa ; aussitôt des anges s’approchèrent, et ils le servaient[8].

12 Quand Jésus eut appris que Jean avait été mis en prison, il se retira en Galilée[9]. Et laissant la ville de Nazareth, il vint demeurer à Capharnaüm, sur les bords de la mer, aux confins de Zabulon et de Nephtali : afin que s’accomplît cette parole du prophète Isaïe : « Terre de Zabulon et terre de Nephtali, qui confines à la mer, pays au delà du Jourdain, Galilée des Gentils ! Le peuple qui était assis dans les ténèbres, a vu une grande lumière ; la lumière s’est levée pour ceux qui étaient assis dans la région de l’ombre de la mort[10] ». Dès lors Jésus commença à prêcher, en disant : Faites pénitence, car le royaume de Dieu est proche.

18 Un jour qu’il marchait le long de la mer de Galilée[11], Jésus vit deux frères, Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient leurs filets dans la mer (car ils étaient pêcheurs). Et il leur dit : Suivez-moi, et je vous ferai des pêcheurs d’hommes. Eux aussitôt, laissant leurs filets, le suivirent. Et s’avançant de là, il vit deux autres frères, Jacques, fils de Zébédée, et Jean son frère, dans une barque avec leur père Zébédée, réparant leurs filets, et il les appela. Eux aussi, laissant à l’heure même leurs filets[12] et leur père, le suivirent.

23 Jésus parcourait toute la Galilée, enseignant dans les synagogues[13], prêchant l’Évangile du royaume de Dieu[14], et guérissant toute maladie et toute infirmité parmi le peuple. Et sa renommée se répandit dans toute la Syrie, et on lui présenta tous les malades atteints d’infirmités et de souffrances diverses, des possédés[15], des lunatiques[16], des paralytiques, et il les guérit. Et une grande multitude le suivit de la Galilée, de la Décapole[17], de Jérusalem, de la Judée et d’au delà du Jourdain.

  1. Le Père et le Saint-Esprit venaient de rendre témoignage à la divinité de Jésus, comme pour l’accréditer sur la terre au moment où il allait commencer sa mission (Luc, iv, 19). Le Sauveur achève de se préparer à son œuvre par la retraite, la prière et le jeûne, et l’Esprit-Saint le conduit au désert. Ce désert est celui de la Quarantaine, ainsi appelé par les premiers chrétiens en mémoire des quarante jours que Jésus-Christ y passa ; il est situé un peu au nord de Jéricho ; inculte et désolé, il ne connaît pas d’autres hôtes que les animaux sauvages. Là va s’engager la lutte entre l’antique Serpent et le Fils de la femme, qui doit lui écraser la tête.
  2. On trouve dans l’Arabie Pétrée, et particulièrement dans le désert de la Quarantaine, des pierres rondes et imitant parfaitement la forme de petits pains. C’était probablement une de ces pierres que Satan présentait à Jésus-Christ. Sepp.
  3. Deutér., viii, 3. Voici le verset entier : « Dieu, dit Moïse au peuple, vous a affligés de la faim, et il vous a donné pour nourriture la manne, qui était inconnue à vous et à vos pères, pour vous faire voir que l’homme ne vit pas seulement de pain, » etc. Quelques-uns traduisent : De toute chose qui sort de la bouche (créée par un ordre) de Dieu. Le mot latin verbum et son correspondant dans la langue hébraïque admettent en effet cette interprétation. Mais on peut laisser parole, et dire qu’il y a ici une métonymie, la cause pour l’effet, la parole qui crée pour la chose créée. — Jésus ne veut pas se servir de sa puissance pour satisfaire aux goûts et aux besoins de la chair ; il s’abandonne à la providence de son Père.
  4. Ps. xci, 11, 12.
  5. Deutér., vi, 16. S’exposer sans raison à un péril manifeste, se jeter, par exemple, du haut du temple à terre, avec la confiance de rencontrer entre deux les mains des anges, c’est tenter Dieu. Bossuet.
  6. « La première tentation s’adressait au foyer de concupiscence inférieure, la sensualité ; la seconde, à la concupiscence d’en-haut, l’orgueil ; la troisième s’adresse à l’ambition, ce composé des deux passions premières et radicales, équivalent des deux ensemble. C’est là l’histoire de tous les hommes, et l’ordre dans lequel se succède la tentation dans toutes les âmes. » Gratry.
  7. Deutér., vi, 13.
  8. C’est une loi de la vie des âmes que, quand la tentation est vaincue, les anges viennent et nous servent. On sent le ciel. On n’est plus au désert, on n’est plus seul : notre cœur est très-habité, très-vivant. La joie, la paix, la sérénité débordent. L’âme est heureuse : Dieu et les anges sont avec elle. Gratry.
  9. La Galilée supérieure où régnait le tétrarque Philippe. Sur la captivité de Jean-Baptiste, voy. Matth., xiv, 3.
  10. Le prophète Isaïe (vii, 23 ; ix, 1), décrivant les temps du Messie, nomme les parties du territoire israélite les plus favorisées par sa présence, savoir les tribus de Zabulon et de Nephtali, baignées par la mer de Tibériade, où se trouvait la ville de Capharnaüm, résidence plus habituelle de Jésus pendant sa vie publique. La Galilée des Gentils est la Galilée supérieure, située au-delà du Jourdain et habitée par des nations païennes mêlées aux Juifs. — Les ténèbres et l’ombre de la mort sont les images qui désignent l’ignorance et l’état malheureux des peuples idolâtres, de même que la lumière est le symbole de la vérité, de la vraie religion.
  11. C’est-à-dire la mer de Tibériade ou lac de Génésareth.
  12. En grec, leur barque.
  13. On appelait ainsi des édifices publics où les Juifs s’assemblaient pour la prière, la lecture et l’explication des saintes Écritures.
  14. L’heureuse nouvelle de l’avènement du royaume de Dieu, du règne du Messie.
  15. On appelle possédés, démoniaques ou énergumènes, des personnes dans le corps desquelles le démon, au moyen d’une inhabitation mystérieuse et d’une puissance tyrannique, opère de telle sorte qu’il puisse abuser de leurs sens selon ses vues, pervertir ou empêcher les mouvements du corps et les actes mêmes de l’âme, produire en un mot toutes sortes d’effets prodigieux et singuliers. Regarder les possédés dont il est question dans l’Évangile comme des malades ordinaires, et dire que le Sauveur s’accommoda dans son langage aux idées reçues de son temps, ne soutient pas l’examen et répugne aux faits (Compar. Matth., viii, 31, 32.) D’ailleurs Jésus lui-même invoque le pouvoir qu’il a de chasser les démons comme une preuve de sa mission divine.
  16. C’est-à-dire des épileptiques.
  17. District à l’est de la mer de Galilée, peuplé en grande partie par des Gentils, et ainsi appelé parce qu’on y comptait dix villes principales.