Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/06

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 57-61).
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saint Matthieu


CHAPITRE VI


SUITE DU SERMON SUR LA MONTAGNE. — AUMÔNE, JEÛNE. — TRÉSOR DANS LE CIEL. — L’ŒIL SIMPLE. — NE POINT SERVIR DEUX MAÎTRES. — CONFIANCE EN LA PROVIDENCE.


1 Prenez garde à ne pas faire vos bonnes œuvres devant les hommes, pour être vus d’eux : autrement vous ne recevrez pas de récompense de votre Père qui est dans les cieux. Quand donc vous faites l’aumône, ne sonnez pas de la trompette devant vous, comme font les hypocrites dans les synagogues et sur les places publiques, afin d’être honorés des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous faites l’aumône, que votre main gauche ne sache pas ce que fait votre droite : afin que votre aumône soit dans le secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra[1].

5 Lorsque vous priez, ne faites pas comme les hypocrites, qui aiment à prier debout dans les synagogues et au coin des rues, afin d’être vus des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous voulez prier, entrez dans votre chambre, et, en ayant fermé la porte, priez votre Père dans le secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra[2]. Dans vos prières, ne multipliez point les paroles, comme font les païens, qui s’imaginent être exaucés à force de paroles. Ne leur ressemblez point, car votre Père sait tout ce dont vous avez besoin, avant que vous le demandiez[3]. Vous prierez donc ainsi :

10 Notre Père, qui êtes dans les cieux, que votre nom soit sanctifié. Que votre règne arrive ; que votre volonté soit faite sur la terre comme au ciel. Donnez-nous aujourd’hui le pain nécessaire à notre subsistance. Remettez-nous nos dettes, comme nous remettons les leurs à ceux qui nous doivent. Et ne nous induisez point en tentation, mais délivrez-nous du Malin[4]. Ainsi soit-il.

14 Car si vous remettez aux hommes leurs offenses, votre Père céleste vous remettra aussi vos péchés. Mais si vous ne les remettez point aux hommes, votre Père céleste ne vous remettra pas non plus vos péchés.

16 Lorsque vous jeûnez, ne soyez pas tristes comme les hypocrites qui exténuent leur visage, afin que leur jeûne paraisse aux regards des hommes. En vérité, je vous le dis, ils ont reçu leur récompense. Pour vous, quand vous jeûnez, parfumez votre tête et lavez votre face, afin qu’il ne paraisse pas aux hommes que vous jeûnez, mais à votre Père qui est présent dans le secret ; et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra.

19 Ne vous amassez point des trésors[5] sur la terre, où la rouille et les vers rongent, et où les voleurs percent les murs et dérobent. Mais amassez-vous des trésors dans le ciel, où ni les vers ni la rouille ne rongent, et où les voleurs ne percent pas les murs et ne dérobent point. Car où est ton trésor, là est aussi ton cœur[6].

22 La lampe de votre corps, c’est votre œil. Si votre œil est simple, tout votre corps sera dans la lumière. Mais si votre œil est mauvais, tout votre corps sera dans les ténèbres. Si donc la lumière qui est en vous est ténèbres, que seront les ténèbres elles-mêmes[7] ?

24 Nul ne peut servir deux maîtres : car, ou il haïra l’un et aimera l’autre, ou il s’attachera à l’un et méprisera l’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon[8].

25 C’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez point pour votre vie, de ce que vous mangerez[9], ni pour votre corps, de quoi vous le vêtirez. La vie n’est-elle pas plus que la nourriture, et le corps que le vêtement ? Regardez les oiseaux du ciel : ils ne sèment, ni ne moissonnent, ni ne recueillent dans des greniers, et votre Père céleste les nourrit. Ne valez-vous pas beaucoup plus qu’eux ? Qui de vous pourrait, à force d’industrie, ajouter à sa taille la hauteur d’une coudée[10] ? Et le vêtement, pourquoi vous en inquiétez-vous ? Considérez les lis des champs, comment ils croissent : ils ne travaillent, ni ne filent. Et cependant je vous dis que Salomon même, dans toute sa gloire, n’était pas vêtu comme l’un d’eux. Que si Dieu revêt ainsi l’herbe des champs, qui est aujourd’hui, et demain sera jetée dans le four, combien plus le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ? Ne vous mettez donc point en peine, disant : Que mangerons-nous, ou que boirons-nous, ou de quoi nous vêtirons-nous ? Car ce sont les Gentils qui s’inquiètent de toutes ces choses, et votre Père céleste sait que vous en avez besoin. Cherchez donc premièrement le royaume de Dieu et sa justice, et tout cela vous sera donné par surcroît. N’ayez donc point de souci du lendemain ; le lendemain aura soin de lui-même. À chaque jour suffit sa peine[11].

  1. En grec : Vous en rendra publiquement la récompense, au jour du jugement. Le même mot est encore ajouté au vers. 6.
  2. La prière est donc quelque chose de méritoire. Comment en serait-il autrement, puisqu’elle procède de l’amour pour Dieu et le prochain ? Il ne faut pas se figurer que les âmes qui font de la prière la principale occupation de leur vie soient inutiles pour le monde. Les plus grands événements, les faits de l’histoire les plus féconds en heureux résultats, sont décidés, moins par l’épée d’un guerrier ou la sagesse d’un homme d’État, que par les soupirs des âmes qui prient dans le secret de leur retraite ; c’est ce que révélera au monde le grand jour du jugement. Allioli.
  3. Mais alors à quoi bon prier ? Nous prions, dit saint Augustin, non à cause de Dieu, mais à cause de nous-mêmes, parce que la prière nous dispose à recevoir les dons de Dieu. Nous n’avons pas besoin de faire remarquer que N.-S. ne condamne pas d’une manière absolue les prières publiques ou prolongées, mais uniquement celles qui sont faites par vanité et sans aucune disposition intérieure.
  4. Ne permettez pas que nous succombions aux attaques de notre ennemi, mais délivrez-nous du Malin, c.-à-d. de Satan, qui est cet ennemi.
  5. Le mot trésor désigne chez les Orientaux trois choses qu’ils amassent et conservent avec soin : de l’or et des pierres précieuses, du blé, de riches vêtements.
  6. Le souci des richesses détourne l’âme de la piété et de la vertu. Pour exprimer cette pensée, N.-S. cite un proverbe connu : c’est ce qui explique, dit Meyer, le changement du plur. au sing. : ton trésor, ton cœur.
  7. Il s’agit ici des deux principes opposés, la charité et la cupidité. L’œil simple exprime la libéralité d’une âme bienveillante, exempte d’envie et d’égoïsme, et qui donne volontiers ; l’œil mauvais, c’est l’égoïsme d’un cœur envieux ou avare.
  8. Le Dieu des richesses, le Plutus des Grecs.
  9. Le grec ajoute : Et boirez.. N.-S. ne condamne qu’un excès de sollicitude qui exclut la confiance en Dieu.
  10. D’autres, avec Kuinœl, traduisent le grec : Ajouter à la durée de sa vie la longueur d’une coudée, c.-à-d. le plus court espace : comp. Luc, xii, 16 ; Ps xxxix, 6, hébr. En effet, ajouter une coudée à sa taille serait l’augmenter considérablement, et il semble que la pensée générale, au contraire, demande ici quelque chose de petit et de faible.
  11. Ses afflictions et ses combats.