Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/08

La bibliothèque libre.
Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 64-68).
◄  Ch. 7
Ch. 9  ►
saint Matthieu


CHAPITRE VIII


JÉSUS GUÉRIT UN LÉPREUX (Marc, i, 40-46) ; Luc, v, 12-15). — LE SERVITEUR DU CENTURION (Luc, vii, 1-10) ET LA BELLE-MÈRE DE SAINT PIERRE (Marc, i, 29-34 ; Luc, iv, 38-42). — TEMPÊTE APAISÉE (Marc, iv, 35-41 ; Luc, viii, 22-25). — DÉMONS CHASSÉS ET ENVOYÉS DANS DES POURCEAUX (Marc, v, 1-20 ; Luc, viii, 26-39).


1 Jésus étant descendu de la montagne, une grande multitude le suivit. Et un lépreux vint à lui, et l’adora en disant : Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir. Jésus étendant la main, le toucha en disant : Je le veux, soyez guéri. Et à l’instant sa lèpre fut guérie. Alors Jésus lui dit : Gardez-vous d’en parler à personne ; mais allez vous montrer au prêtre, et offrez le don prescrit par Moïse, pour qu’il leur soit un témoignage[1].

5 Ensuite, Jésus étant entré dans Capharnaüm, un centurion[2] l’aborda et lui fit cette prière : Seigneur, mon serviteur est couché dans ma maison, frappé de paralysie, et il souffre cruellement. Jésus lui dit : J’irai et je le guérirai. Seigneur, répondit le centurion, je ne suis pas digne que vous entriez sous mon toit ; mais dites seulement une parole, et mon serviteur sera guéri[3]. Car moi qui suis un homme soumis à la puissance d’un autre, je dis à l’un des soldats que je commande : Va, et il va ; et à un autre : Viens, et il vient ; et à mon serviteur : Fais cela, et il le fait[4]. En entendant ces paroles, Jésus fut dans l’admiration, et dit à ceux qui le suivaient : En vérité, je vous le dis, je n’ai pas trouvé une si grande foi dans Israël[5]. C’est pourquoi je vous dis que beaucoup viendront de l’Orient et de l’Occident, et auront place au festin[6] avec Abraham, Isaac et Jacob, dans le royaume des cieux, tandis que les enfants du royaume[7] seront jetés dans les ténèbres extérieures[8] : là seront les pleurs et le grincement des dents. Alors Jésus dit au centurion : Allez, et qu’il vous soit fait selon votre foi ; et à l’heure même son serviteur fut guéri.

14 Jésus vint ensuite dans la maison de Pierre, et il y trouva sa belle-mère qui était au lit, tourmentée par la fièvre[9]. Il lui toucha la main, et la fièvre la quitta ; aussitôt elle se leva, et se mit à les servir. Sur le soir, on lui présenta plusieurs démoniaques, et par sa parole il chassa les esprits, et il guérit tous les malades : afin que s’accomplît cette parole du prophète Isaïe : « Il a pris sur lui nos infirmités, et s’est chargé de nos maladies[10]. »

18 Or, Jésus voyant une grande multitude autour de lui, ordonna à ses disciples de le passer sur l’autre bord du lac. Alors un Scribe s’approchant, lui dit : Maître, je vous suivrai en quelque lieu que vous alliez. Jésus lui répondit : Les renards ont leurs tanières, et les oiseaux du ciel leurs nids ; mais le Fils de l’homme n’a pas où reposer sa tête. Un autre, qui était un de ses disciples[11], lui dit : Seigneur, permettez-moi d’aller auparavant ensevelir mon père. Mais Jésus lui répondit : Suivez-moi, et laissez les morts ensevelir leurs morts[12]. Il monta alors dans la barque, suivi de ses disciples.

24 Et voilà qu’une grande agitation se fit dans la mer, de sorte que les flots couvraient la barque : lui, cependant, dormait. Ses disciples venant à lui l’éveillèrent et lui dirent : Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. Jésus leur dit : Pourquoi craignez-vous, hommes de peu de foi ? Alors, se levant, il commanda aux vents et à la mer, et il se fit un grand calme. Et saisis d’admiration, tous[13] disaient : Quel est celui-ci, à qui les vents et la mer obéissent ?

28 Jésus ayant abordé de l’autre côté du lac, dans le pays des Géraséniens, deux démoniaques, si furieux que personne n’osait passer par ce chemin, sortirent des sépulcres[14] et s’avancèrent vers lui. Et ils se mirent à crier : Qu’y a-t-il entre nous et vous, Fils de Dieu ? Êtes-vous venu ici avant le temps pour nous tourmenter[15] ? Or il y avait, non loin d’eux, un nombreux troupeau de porcs qui paissaient[16]. Et les démons firent à Jésus cette prière : Si vous nous chassez d’ici, envoyez-nous dans ce troupeau de porcs[17]. Il leur dit : Allez. Et, sortant du corps des possédés, ils entrèrent dans ces pourceaux. Au même instant, tout le troupeau prenant sa course se précipita d’un endroit escarpé dans la mer, et ils périrent dans les eaux[18]. Les gardiens s’enfuirent, et ils vinrent dans la ville où ils racontèrent toutes ces choses, et ce qui était arrivé aux démoniaques[19]. Aussitôt toute la ville sortit au devant de Jésus, et dès qu’ils le virent, ils le conjurèrent de s’éloigner de leur pays.

  1. Le lépreux était exclu du commerce ordinaire avec les autres hommes, et il n’y était admis qu’après qu’un prêtre avait constaté sa guérison. Le don prescrit par Moïse consistait en deux passereaux, dont l’un était offert en sacrifice, et l’autre mis en liberté (Lévit., xiii, 2 ; xiv, 4) ; cette offrande publique devait servir comme de témoignage à la guérison du lépreux, afin qu’on ne pût pas l’inquiéter à l’avenir. — Tous les Pères ont vu, dans la lèpre, la figure du péché, et dans ces paroles : Allez vous montrer au prêtre, une allusion à la confession.
  2. Officier qui commandait cent soldats, vraisemblablement au service d’Hérode Antipas, tétrarque de la Galilée. Quoique Gentil, il était de ces hommes pieux qui reconnaissaient le vrai Dieu, et dévoué aux Juifs, auxquels il avait fait bâtir une synagogue (Luc, vii, 5). Cette dernière circonstance l’a même fait regarder par quelques-uns comme un prosélyte, c.-à-d. comme un Gentil converti à la religion mosaïque.
  3. Quelle humilité, dit saint Augustin ! celui qui se sent indigne que Jésus entre dans sa maison, se rend par là même digne que Jésus entre dans son âme. En effet, ce sont ces paroles du centurion que l’Église met sur les lèvres de ses enfants au moment où ils vont recevoir J.-C. dans la sainte communion.
  4. Le discours du centurion est vif et tout à fait militaire ; il n’achève même pas le raisonnement commencé. Au reste, la conséquence se devine sans peine : Vous à qui obéissent les forces de la nature, donnez vos ordres, commandez à la maladie, et elle quittera mon serviteur.
  5. L’admiration que témoigne ici le Sauveur ne vient pas de ce que la foi du centurion lui fût inconnue ; mais il s’exprime ainsi pour faire remarquer la grandeur de cette foi au peuple qui l’accompagnait. Saint Augustin.
  6. La félicité éternelle est souvent, dans la Bible, comparée à un festin, parce qu’elle apporte à l’homme le repos, la joie et le rassasiement.
  7. C.-à-d. les Juifs qui, pleins de mépris pour les Gentils, se persuadaient qu’eux seuls auraient part à la félicité apportée au monde par le Messie.
  8. Les ténèbres extérieures désignent l’enfer. J.-C. continue l’allégorie. Dans les festins, la salle était toujours bien éclairée, de sorte que ceux qui avaient été mis dehors se trouvaient dans les ténèbres, pleurant et grinçant les dents de dépit et de rage. — « Jésus n’est pas sorti de Judée ; mais, dès ce temps sans doute, il envoyait son esprit et son cœur pour appeler et préparer mystérieusement, par toute la terre, la multitude de ses élus. Oui, disait-il, il en viendra d’Occident et d’Orient ; des foules viendront s’asseoir avec Abraham, Isaac et Jacob dans le royaume de Dieu. Mais prenez garde, disait-il à ceux qui se croyaient, par droit de naissance, les élus du royaume, prenez garde ! car les fils du royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures. Ces paroles n’ont-elles pas déjà leur accomplissement historique ? Les Juifs ne sont-ils pas dans les ténèbres et la multitude des nations n’est-elle pas venue de l’Orient et de l’Occident former l’assemblée sainte, l’Église visible qui est l’intérieur du royaume ? » Gratry.
  9. La tradition donne à la belle-mère de Pierre le nom de Jeanne.
  10. Isaïe, liii, 4.
  11. D’après une tradition que Clément d’Alexandrie nous a conservée, c’était l’apôtre saint Philippe. Allioli.
  12. Ce disciple aurait pu être empêché par sa famille de suivre Jésus. Ce que N.-S. enseigne ici, dit saint Ambroise, c’est que l’affaire du salut est la première et la plus importante, et que nous devons éviter tout ce qui peut devenir pour nous un obstacle à notre sanctification ; ou bien, selon Kuinœl, c’est qu’un apôtre, appelé à des fonctions plus hautes, doit laisser le soin d’ensevelir les morts aux hommes appliqués à des occupations basses et terrestres.
  13. Saint Marc (iv, 36) nous apprend qu’il y avait plusieurs barques.
  14. Les tombeaux des Hébreux, particulièrement des familles riches, étaient des grottes souterraines, taillées dans le rocher, souvent assez spacieuses pour être soutenues par des colonnes ; tout autour, le long des parois, étaient creusées des espèces de niches pour recevoir les sarcophages. Lowth. Sur le pays des Geraséniens, voy. Marc, v, 1.
  15. Les malins esprits sont tourmentés depuis le moment de leur chute, et ils sont en proie aux tourments, même hors de l’enfer. Mais tant que Satan sera le prince de ce monde, et qu’il pourra tenter les hommes et leur nuire, les esprits pervers trouveront dans cette liberté un adoucissement à leur sort, liberté qui cessera entièrement, quand, à la fin des temps, J.-C. les renfermera pour jamais dans les abîmes et régnera seul. Ils semblent craindre, dans ce passage de saint Matthieu, que Jésus ne les précipite en enfer avant que la fin des temps ne soit venue. Allioli.
  16. Ce troupeau appartenait à des païens, car il n’était pas permis aux Juifs de manger de la chair de porc. — Dans le grec : Il y avait, loin d’eux ; mais les mots gr. et lat. correspondant à l’adv. loin expriment souvent une faible distance. Kuinœl.
  17. Peut-être avaient-ils l’intention de nuire aux Géraséniens, et de les soulever contre Jésus.
  18. Comment, disent quelques incrédules, J.-C. a-t-il pu occasionner à ces gens-là une si grande perte ? Question aussi impertinente que celle-ci : Comment Dieu laisse-t-il se propager tantôt dans un lieu, tantôt dans un autre, des maladies qui attaquent les animaux ? — Dieu ne frappe jamais qu’en père, pour ramener à lui.
  19. Et ce qui était, c.-à-d. notamment ce qui était, etc.