Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/13

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 91-97).
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saint Matthieu


CHAPITRE XIII


LES SEPT PARABOLES : DE LA SEMENCE, DE L’IVRAIE, DU GRAIN DE SÉNEVÉ, DU LEVAIN, DU TRÉSOR CACHÉ, DE LA PERLE, DU FILET. — JÉSUS MÉPRISÉ DANS SA PATRIE.


1 Ce jour-là, Jésus étant sorti de la maison s’assit sur le bord de la mer. Et une grande foule s’étant assemblée près de lui, il monta sur une barque où il s’assit, tandis que la foule se tenait debout sur le rivage ; et il leur dit beaucoup de choses en paraboles.

4 Celui qui sème sortit pour semer. Et pendant qu’il semait, des grains tombèrent le long du chemin, et les oiseaux du ciel vinrent et les mangèrent. D’autres grains tombèrent sur un sol pierreux où il n’y avait pas beaucoup de terre, et ils levèrent aussitôt, parce que la terre[1] était peu profonde. Mais le soleil s’étant levé, la plante, en proie à ses ardeurs et n’ayant point de racine, sécha. D’autres tombèrent parmi les épines, et les épines crûrent et les étouffèrent. D’autres tombèrent dans une bonne terre et produisirent des fruits, les uns cent pour un, les autres soixante, les autres trente. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

10 Alors ses disciples s’approchant lui dirent : Pourquoi leur parlez-vous en paraboles ? Il leur répondit : À vous, il a été donné de comprendre les mystères du royaume des cieux, mais à eux il n’a point été donné[2]. Car on donnera à celui qui a, et il sera dans l’abondance ; mais à celui qui n’a pas, on ôtera même ce qu’il a[3]. C’est pourquoi je leur parle en paraboles, parce que voyant, ils ne voient point, et, entendant, ils n’entendent ni ne comprennent[4]. En eux s’accomplit la prophétie d’Isaïe : Vous entendrez de vos oreilles, et vous ne comprendrez point ; vous verrez de vos yeux, et vous ne verrez point. Car le cœur de ce peuple s’est appesanti ; ils ont endurci leurs oreilles et fermé leurs yeux, de peur que[5] leurs yeux ne voient et que leurs oreilles n’entendent, que leur cœur ne comprenne, et que, se convertissant, je ne les guérisse. Pour vous, heureux vos yeux parce qu’ils voient, et vos oreilles parce qu’elles entendent ! Car, je vous le dis en vérité, beaucoup de prophètes et de justes ont désiré voir ce que vous voyez, et ne l’ont pas vu ; entendre ce que vous entendez, et ne l’ont pas entendu. Vous donc, comprenez la parabole de celui qui sème.

19 Quiconque entend la parole du royaume[6] et ne la comprend pas, le Mauvais[7] vient, et il enlève ce qui a été semé dans son cœur : c’est le chemin qui a reçu la semence. Le terrain pierreux où elle est tombée, c’est celui qui entend la parole et la reçoit aussitôt avec joie : mais il ne la laisse pas prendre racine en lui ; il est inconstant ; dès que survient la tribulation et la persécution à cause de la parole, aussitôt il succombe. Les épines qui ont reçu la semence, c’est celui qui entend la parole ; mais les sollicitudes du siècle et l’illusion des richesses étouffent la parole, et elle ne porte point de fruits. Mais la bonne terre qui a reçu la semence, c’est celui qui entend la parole, la comprend et porte du fruit, produisant l’un cent, l’autre soixante, et l’autre trente[8].

24 Il leur proposa une autre parabole, en disant : Le royaume des cieux est semblable à un homme qui avait semé de bon grain dans son champ. Mais pendant que cet homme dormait, son ennemi vint et sema de l’ivraie au milieu du froment, et s’en alla. Quand l’herbe eut poussé son fruit, alors apparut aussi l’ivraie. Et les serviteurs du père de famille vinrent lui dire : Seigneur, n’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ ? D’où vient donc qu’il s’y trouve de l’ivraie ? Il leur répondit : C’est l’homme ennemi qui a fait cela. Les serviteurs lui dirent : Voulez-vous que nous allions l’arracher ? Il répondit : Non, de peur qu’avec l’ivraie vous n’arrachiez aussi le froment. Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : Cueillez d’abord l’ivraie, et liez-la en gerbes pour la brûler[9], et amassez le froment dans mon grenier.

31 Il leur proposa une autre parabole, en disant : Le royaume des cieux est semblable à un grain de senevé, qu’un homme prit et sema dans son champ. C’est la plus petite de toutes les semences ; mais, lorsqu’elle a crû, elle est plus grande que toutes les plantes, et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses rameaux.

33 Il leur dit encore cette parabole : Le royaume des cieux est semblable au levain qu’une femme prend et mêle dans trois mesures de farine, jusqu’à ce que le tout ait fermenté[10].

34 Jésus dit toutes ces choses en paraboles au peuple, et il ne parlait qu’en paraboles, afin que s’accomplît la parole du prophète : « J’ouvrirai ma bouche en paraboles, et je révélerai des choses cachées depuis la création du monde[11]. »

36 Puis, ayant renvoyé le peuple, il revint dans la maison, et ses disciples s’approchant lui dirent : Expliquez-nous la parabole de l’ivraie semée dans le champ. Il leur répondit : Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’homme. Le champ, c’est le monde ; le bon grain, ce sont les enfants du royaume[12] ; l’ivraie, les enfants du Malin. L’ennemi qui l’a semée, c’est le monde ; la moisson, la consommation du siècle[13], et les moissonneurs, les anges. Comme donc on cueille l’ivraie et qu’on la brûle dans le feu : ainsi en sera-t-il à la fin du monde. Le Fils de l’homme enverra ses anges, et ils enlèveront de son royaume tous les scandales[14], et ceux qui commettent l’iniquité. Et ils les jetteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et le grincement des dents. Alors les justes brilleront comme le soleil dans le royaume de leur Père. Que celui qui a des oreilles pour entendre, entende.

44 Le royaume des cieux est semblable à un trésor enfoui dans un champ ; un homme le trouve et le cache, et, dans sa joie, il s’en va, vend tout ce qu’il a, et achète ce champ[15].

45 Le royaume des cieux est encore semblable à un marchand qui cherchait de bonnes perles. Ayant trouvé une perle de grand prix, il s’en alla, vendit tout ce qu’il avait, et l’acheta.

47 Le royaume des cieux est encore semblable à un filet jeté dans la mer et recueillant des poissons de toutes sortes[16]. Lorsqu’il est rempli, les pêcheurs le retirent, et, assis près du rivage, ils choisissent les bons pour les mettre dans des jarres, et rejettent les mauvais. Il en sera de même à la fin du monde : les anges viendront et sépareront les méchants d’avec les justes, et ils les jetteront dans la fournaise ardente : là seront les pleurs et le grincement des dents. Avez-vous compris toutes ces choses ? Ils lui dirent : Oui, Seigneur. Et il ajouta : C’est pourquoi tout Scribe instruit de ce qui touche le royaume des cieux, est semblable au père de famille qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes[17].

53 Après que Jésus eut achevé ces paraboles, il partit de là. Et venant en son pays[18], il les instruisait dans leurs synagogues ; de sorte que, saisis d’étonnement, ils disaient : D’où lui vient cette sagesse et cette puissance ? N’est-ce pas le fils du charpentier ? Sa mère ne s’appelle-t-elle pas Marie, et ses frères[19] Jacques, Joseph, Simon et Jude ? Et ses sœurs ne sont-elles pas toutes parmi nous ? D’où lui viennent donc toutes ces choses ? Et ils se scandalisaient de lui. Mais Jésus leur dit : Un prophète n’est sans honneur que dans sa patrie et dans sa maison. Et il ne fit pas là beaucoup de miracles, à cause de leur incrédulité[20].

  1. Qui les recouvrait.
  2. De connaître, si ce n’est sous le voile des paraboles, la doctrine du Messie, tout ce qui regarde ses institutions, son Église.
  3. Celui qui a les dispositions requises pour recevoir les enseignements divins avancera de degré en degré dans cette connaissance ; les autres, au contraire, deviendront de plus en plus aveugles.
  4. Les paraboles, en même temps qu’elles éveillent la curiosité, tempèrent pour des yeux malades l’éclat de la vérité. Cette forme d’enseignement convenait très-bien aux Juifs de cette époque, esprits prévenus, difficiles, prompts à se scandaliser, et peu capables de porter une doctrine si nouvelle et si parfaite. Le divin Maître, dit le P. Gratry, parle d’abord en paraboles, doucement et humblement, pour ne pas éblouir ou briser ces infirmes : assez pour éclairer ceux dont l’oreille s’ouvre, et pas assez pour rendre plus coupables ceux dont l’oreille reste fermée.
  5. De peur que est mis ici pour de sorte que. Allioli.
  6. La doctrine du royaume de Dieu.
  7. Le démon.
  8. Cette parabole avait son application immédiate aux Juifs contemporains de N.-S., que la légèreté de l’esprit, la crainte des persécutions, les soins de la vie présente empêchaient d’embrasser l’Évangile.
  9. En Orient, où le bois est rare, on se sert d’herbes sèches pour faire du feu. — L’explication de cette parabole est donnée plus bas, vers. 37 sv. En deux mots : le royaume des cieux ici, c’est l’Église de J.-C. sur la terre, dans laquelle les bons et les méchants se trouvent mêlés.
  10. La parabole du grain de sénevé et celle du levain ont la même signification. « Le principe est posé dans le monde, dit le P. Gratry, le ferment est mis dans la masse par cette Femme qui a mis sur la terre le Fils de l’homme, et lui, divin ferment, saura s’étendre à tout le genre humain. Le germe vit sur notre terre, et ce germe est bien le plus humble qui se soit jamais vu : un pauvre Enfant dans une étable ; trente années de silence et de travail des mains ; puis un jeune homme qui parle à quelques hommes et dont on a recueilli les discours en dix pages ; et tout cela en dehors des grandes monarchies de l’Orient, et en dehors de la lumière et de la civilisation de Rome et de la Grèce ; tout cela dans un petit peuple pauvre, inconnu, méprisé. Eh bien, nos yeux le voient : ce germe, le moindre de tous, a produit, non pas un peuple, mais un monde, le monde chrétien, cet arbre sous lequel se reposent les oiseaux du ciel, et ces oiseaux du ciel sont des nations. Chaque nation chrétienne pose son nid sur cet arbre que voient nos yeux et qui se nomme la chrétienté, et dans cent ans la chrétienté aura tout envahi, tout pénétré. Il voyait bien le globe et la suite de l’histoire, comme parle Bossuet, ce jeune homme de trente ans, cet ouvrier sans lettres qui prêchait en Judée, et qui prophétisait que le ferment céleste remplirait tout, et qui disait ces choses quand le royaume de Dieu était imperceptible et tenait tout entier dans son cœur. »
  11. Ps. lxxvii, 2. C’est une citation libre.
  12. Les membres vivants de l’Église, les vrais chrétiens.
  13. La fin du monde.
  14. L’effet pour la cause, les pécheurs.
  15. Cette parabole et la suivante ont le même sens : la vraie foi et la vraie piété, et leur éternelle récompense dans le ciel, sont un trésor, une perle, qu’il faut se procurer au prix de tous les sacrifices.
  16. Sens : mélange des bons et des méchants dans l’Église de J.-C. sur la terre jusqu’à la fin du monde.
  17. Comme s’il disait : Vous, mes disciples, vous distribuerez aux âmes le céleste aliment de la parole de Dieu, en l’appropriant à leurs besoins, comme un père de famille choisit dans sa maison la nourriture qui convient le mieux à ses hôtes.
  18. À Nazareth. Voy. Marc, vi, 1, note.
  19. C’est-à-dire, dans la langue biblique, ses proches parents, ses cousins. Cette remarque s’applique au vers. suiv., où il est question des sœurs de Jésus. — Voy. Frères de Jésus dans le Vocabulaire.
  20. Pour les punir de leur incrédulité, et parce que, avec de semblables dispositions, les miracles ne leur auraient servi de rien.