Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/14

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 97-100).
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saint Matthieu


CHAPITRE XIV


DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE (Marc, vi, 14-29 ; Luc, ix, 7-9). — PREMIÈRE MULTIPLICATION DES PAINS (Marc, vi, 30-44 ; Luc, ix, 10-17 ; Jean, vi, 1-15). — JÉSUS ET SAINT PIERRE MARCHENT SUR LES EAUX (Marc, vi, 45-52 ; Jean, vi, 16-21). — L’ATTOUCHEMENT DES VÊTEMENTS DE JÉSUS GUÉRIT LES MALADES (Marc, vi, 53-56).


1 En ce temps-là, Hérode le Tétrarque apprit ce qui se publiait de Jésus[1]. Et il dit à ses serviteurs : C’est Jean-Baptiste qui est ressuscité des morts : voilà pourquoi il fait des miracles.

3 Car Hérode, s’étant saisi de Jean, l’avait chargé de chaînes et jeté en prison, à cause d’Hérodiade, femme de son frère[2], parce que Jean lui disait : Il ne vous est pas permis de l’avoir pour femme. Volontiers il l’eût fait mourir, mais il craignait le peuple, qui regardait Jean comme un prophète. Or, au jour de la naissance d’Hérode, la fille d’Hérodiade dansa devant les convives et plut à Hérode, de sorte qu’il promit avec serment de lui donner tout ce qu’elle lui demanderait. Elle, instruite d’avance par sa mère : Donnez-moi, dit-elle, ici dans un plateau[3], la tête de Jean-Baptiste. Le roi fut contristé ; mais, à cause de son serment et de ceux qui étaient à table avec lui, il commanda qu’on la lui donnât, et il envoya décapiter Jean dans sa prison[4]. Et sa tête, apportée dans un bassin, fut donnée à la jeune fille, qui la porta à sa mère. Alors ses disciples vinrent prendre son corps et lui donnèrent la sépulture, puis ils allèrent en porter la nouvelle à Jésus. Jésus l’ayant appris, partit de là dans une barque pour se retirer à l’écart dans un lieu désert[5] ; mais le peuple le sut, et le suivit à pied des villes voisines.

14 Et sortant de sa retraite[6], il vit une grande foule, et il en eut compassion, et il guérit leurs malades. Sur le soir, ses disciples s’approchèrent de lui en disant : Ce lieu est désert, et déjà l’heure est avancée ; renvoyez le peuple, afin qu’ils aillent dans les villages acheter de quoi manger. Mais Jésus leur dit : Il n’est pas nécessaire qu’ils y aillent ; donnez-leur vous-mêmes manger. Ils lui répondirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. Il leur dit : Apportez-les-moi ici. Et après avoir commandé au peuple de s’asseoir sur l’herbe, il prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux au ciel, il les bénit ; puis, rompant les pains, il les donna à ses disciples, et ses disciples au peuple[7]. Tous mangèrent et furent rassasiés, et on emporta douze corbeilles pleines des morceaux qui restèrent. Or, le nombre de ceux qui mangèrent fut de cinq mille hommes[8], sans compter les femmes et les enfants.

22 Aussitôt Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à passer avant lui sur le bord opposé du lac, tandis qu’il renverrait la foule. Après qu’il l’eut renvoyée, il monta seul sur la montagne pour prier[9] ; et, le soir étant venu, il était là seul. Cependant la barque était agitée par les flots au milieu de la mer, car le vent était contraire. Mais à la quatrième veille de la nuit[10], Jésus vint à eux, marchant sur la mer. Le voyant marcher sur la mer, ils furent troublés, et dirent : C’est un fantôme, et ils poussèrent des cris de frayeur. Aussitôt Jésus leur parla, disant : Ayez confiance, c’est moi, ne craignez point. Pierre prenant la parole : Seigneur, dit-il, si c’est vous, ordonnez-moi d’aller à vous sur les eaux. Il lui dit : Viens ; et Pierre, descendant de la barque, marchait sur les eaux pour aller à Jésus. Mais voyant la violence du vent, il eut peur, et comme il commençait à enfoncer, il s’écria : Seigneur, sauvez-moi ! À l’instant, Jésus étendant la main le saisit et lui dit : Homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? Et lorsqu’ils furent montés dans la barque, le vent s’apaisa. Alors ceux qui étaient dans la barque, s’approchant de lui, l’adorèrent en disant : Vous êtes vraiment le Fils de Dieu.

34 Ayant traversé le lac, ils abordèrent à la terre de Génésareth. Et les habitants de ce pays l’ayant reconnu, envoyèrent des messagers dans la contrée et lui présentèrent tous les malades. Et ils le priaient de leur laisser seulement toucher la houppe de son manteau, et tous ceux qui la touchèrent furent guéris.

  1. Ce n’était sans doute pas pour la première fois qu’il en entendait parler. Mais il est probable, dit Kuinœl, qu’après le meurtre de Jean-Baptiste, ce prince, troublé par le remords, fit une attention plus grande aux choses merveilleuses qui lui étaient racontées du nouveau Prophète.
  2. Le grec ajoute : Philippe, autre fils d’Hérode le Grand (et de Mariamne), qui n’eut aucune part dans l’héritage paternel, et qu’il ne faut pas confondre avec Philippe le Tétrarque.
  3. Un de ces plateaux portatifs, sur lesquels, en Orient, on sert les mets et les liqueurs.
  4. D’après Josèphe, Jean était en prison à Machéro, forteresse à l’est du Jourdain, peu éloignée d’Hérodium, où Hérode faisait alors sa résidence.
  5. Sur le rivage oriental de la mer de Tibériade, dans le territoire du tétrarque Philippe. Jésus, dont l’heure n’était pas encore venue, voulait sans doute se soustraire aux pièges d’Hérode Antipas.
  6. Voy. Jean, vi, 1-3.
  7. Il en avait multiplié les morceaux en vertu de sa puissance créatrice.
  8. En grec, d’environ cinq mille hommes.
  9. Quoique l’union de Jésus-Christ avec son Père fût continuelle, il ne laissait pas d’avoir des temps déterminés pour la prière, afin de nous donner l’exemple.
  10. Les anciens Hébreux partageaient la nuit en trois veilles de quatre heures chacune ; mais, dans les derniers temps, l’usage romain avait prévalu de la diviser en quatre veilles, chacune de trois heures. La quatrième veille tombait donc vers trois heures du matin.