Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Matthieu/22

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 132-136).
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saint Matthieu


CHAPITRE XXII


PARABOLE DU FESTIN DES NOCES (Luc, xvi, 16-24). — RENDRE À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR (Marc, xii, 13-17 ; Luc, xx, 20-26). — RÉSURRECTION DES MORTS (ibid). — LE PLUS GRAND DES COMMANDEMENTS (Marc, xii, 28-31). — LE MESSIE, FILS ET SEIGNEUR DE DAVID (Marc, xii, 33-37 ; Luc, xx, 45-46).


1 Jésus, continuant de parler en paraboles, leur dit : Le royaume des cieux est semblable à un roi qui fit les noces de son fils. Et il envoya ses serviteurs appeler ceux qui étaient conviés aux noces, et ils ne voulurent point venir. Il envoya encore d’autres serviteurs, disant : Dites aux conviés : Voilà que j’ai préparé mon festin ; on a tué les bœufs et les animaux engraissés ; tout est prêt, venez aux noces. Mais ils n’en tinrent compte, et ils s’en allèrent, l’un à sa ferme, l’autre à son négoce. Les autres se saisirent de ses serviteurs, et, après les avoir outragés, ils les tuèrent. Le roi, l’ayant appris, entra en colère, et envoyant ses armées, il extermina ces homicides et brûla leur ville. Alors il dit à ses serviteurs : Le festin des noces est prêt, mais ceux qui étaient conviés n’en étaient point dignes. Allez donc à l’issue des chemins[1], et tous ceux que vous trouverez, appelez-les aux noces. Et ses serviteurs, s’étant répandus par les chemins, rassemblèrent tous ceux qu’ils trouvèrent, bons et mauvais ; et la salle des noces fut remplie de convives. Or le roi entra pour voir ceux qui étaient à table, et ayant aperçu un homme qui n’était point revêtu de la robe nuptiale[2], il lui dit : Mon ami, comment êtes-vous entré ici sans avoir la robe nuptiale ? Et cet homme resta muet. Alors le roi dit à ses serviteurs : Liez-lui les mains et les pieds, et jetez-le dans les ténèbres extérieures : là seront les pleurs et le grincement des dents[3]. Car il y en a beaucoup d’appelés, mais peu d’élus[4].

Alors les Pharisiens s’étant retirés, se concertèrent pour surprendre Jésus dans ses paroles. Et ils lui envoyèrent quelques-uns de leurs disciples, avec des Hérodiens[5], lui dire : Maître, nous savons que vous êtes véridique, et que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, sans souci de personne ; car vous ne considérez point la condition des hommes. Dites-nous donc ce qui vous semble : Est-il permis, ou non, de payer le cens[6] à César ? Mais Jésus, connaissant leur malice, leur dit : Hypocrites, pourquoi me tentez-vous ? Montrez-moi la monnaie du cens. Ils lui présentèrent un denier[7]. Et Jésus leur dit : De qui est cette image et cette inscription ? De César, lui dirent-ils. Alors Jésus leur répondit : Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Cette réponse les remplit d’admiration, et, le quittant, ils s’en allèrent.

23 Le même jour, des Sadducéens, qui nient la résurrection, vinrent à lui et lui proposèrent cette question : Maître, Moïse a dit : « Si un homme meurt sans laisser d’enfant, que son frère épouse sa femme et suscite des enfants à son frère[8]. » Or il y avait parmi nous sept frères ; le premier, ayant pris une femme, mourut, et n’ayant pas eu d’enfant, il laissa sa femme à son frère. La même chose arriva au second et au troisième, jusqu’au septième. Enfin la femme aussi mourut après eux tous. Au temps de la résurrection, duquel des sept frères sera-t-elle l’épouse ? car tous l’ont eue. Jésus leur répondit : Vous vous trompez, ne comprenant ni les Écritures[9], ni la puissance de Dieu[10]. Car, après la résurrection, les hommes n’auront point de femmes, ni les femmes de maris ; mais ils seront comme les anges de Dieu dans le ciel[11]. Et tou chant la résurrection des morts, n’avez-vous pas lu ce qui vous a été dit par Dieu même : « Je suis le Dieu d’Abraham, et le Dieu d’Isaac, et le Dieu de Jacob[12]. » Or Dieu n’est point le Dieu des morts, mais des vivants. Et le peuple, en l’écoutant, était rempli d’admiration pour sa doctrine.

34 Mais les Pharisiens, apprenant qu’il avait réduit les Sadducéens au silence, s’assemblèrent. Et l’un d’eux, Docteur de la loi, lui demanda pour le tenter[13] : Maître, quel est le plus grand commandement de la Loi ? Jésus lui dit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit[14]. » C’est là le plus grand et le premier commandement. Le second lui est semblable : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même[15]. » Dans ces deux commandements sont renfermés toute la Loi et les Prophètes.

41 Les Pharisiens étant rassemblés, Jésus leur fit cette question : Que vous semble du Christ ? De qui est-il fils ? Ils lui répondirent : De David. Comment donc, leur dit-il, David inspiré l’appelle-t-il son Seigneur, en disant : « Le Seigneur[16] a dit à mon Seigneur[17] : Asseyez-vous à ma droite[18], jusqu’à ce que[19] je fasse de vos ennemis l’escabeau de vos pieds[20] ? » Si donc David l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils[21] ? Personne ne pouvait lui rien répondre, et, depuis ce jour, nul n’osa plus l’interroger.

  1. Le texte de S. Luc (xiv, 23) montre qu’ils se répandirent jusque dans la campagne.
  2. Les rois d’Orient ont coutume d’envoyer à ceux qu’ils veulent honorer ou qu’ils invitent à leur table des habits précieux, avec lesquels ceux-ci doivent paraître en leur présence.
  3. En Orient, les festins se donnent pendant la nuit ; le convive expulsé de la salle, qui est bien éclairée, ne trouve dehors que les ténèbres, où il grince des dents de chagrin et de rage. — Sens de la parabole : Le roi, c’est Dieu, le fils est J.-C ; les noces sont l’Église chrétienne ; les invités, les Juifs ; les serviteurs, les Prophètes et J.-B. ; les armées, les soldats romains commandés par Titus ; la robe nuptiale, la justice ou l’état de grâce, robe d’innocence que Dieu nous donne au baptême, et qu’il nous faut conserver par la pratique des bonnes œuvres.
  4. Tous sont appelés ; mais, relativement à l’humanité entière, il y en a peu qui arrivent à la béatitude éternelle. — Selon d’autres interprètes, cette sentence veut dire seulement dans la bouche du roi, comme plus haut (xx, 16) dans celle du père de famille, que peu d’hommes reçoivent une grâce spéciale qui leur permette de se conduire avec plus de familiarité que les autres dans les choses divines, et de compter sur une surabondance de miséricorde à leur égard. C’est la tentation d’un certain nombre qui, étant appelés au hasard sur le chemin pour remplacer d’autres invités, se persuadent qu’ils sont des élus de faveur, et qui négligent d’assurer leur salut par une exacte fidélité. Lacordaire.
  5. Partisans d’Hérode Antipas, et par conséquent des Romains, auxquels la famille d’Hérode devait son élévation. Au contraire, les Pharisiens, et le peuple en général, étaient ennemis des Romains, soupiraient après l’indépendance ; ils prétendaient qu’il suffisait aux Juifs de payer annuellement le tribut du temple (xvii, 24), et que le peuple de Dieu ne dépendait d’aucun prince étranger, surtout infidèle. Il y avait donc là en présence deux intérêts opposés, et les Pharisiens pouvaient espérer que Jésus, dans ses discours, penchant ou d’un côté ou de l’autre, fournirait un prétexte pour l’accuser.
  6. Impôt personnel, ou capitation, parce qu’il est imposé sur chaque tête.
  7. Les impôts nouveaux se payent avec la monnaie du peuple conquérant, avec le denier, monnaie romaine : le langage de l’Évangéliste est donc d’une parfaite exactitude. Hug.
  8. Deut., xxv, 5, 6.
  9. Les livres de Moïse, qui enseignent la résurrection (vers. 32).
  10. Qui peut ressusciter les morts.
  11. Les corps des ressuscites seront des corps spirituels, inaccessibles aux voluptés terrestres ; d’ailleurs, dit Bossuet, pour conserver un tel peuple, il ne faudra ni de génération ni de mariage, et on n’en aura non plus besoin pour les hommes que pour les anges.
  12. Exod. iii, 6. Kuinœl : Selon Moïse, Dieu a promis de combler à jamais de ses bienfaits Abraham, Isaac et Jacob : il faut donc que ces saints personnages vivent devant lui ; et s’ils vivent dans leur âme, il n’y a plus de difficulté pour que leur corps leur soit un jour rendu. Comp. Marc, xii, 27 ; Luc xx, 38.
  13. C’est-à-dire, lui fit une question captieuse. En effet, les docteurs juifs, qui divisaient les préceptes de la Loi en graves et en légers, étaient loin de s’entendre quand il s’agissait d’assigner à chacun sa classe, et surtout de décider quel était le plus grand de tous.
  14. Deuter., vi, 5. Le mot araméen correspondant à esprit désigne tout à la fois, dit Castel, la force et l’intelligence. Le grec (et la Vulg.) a choisi le dernier sens ; mais le premier, donné par la plus ancienne Peschito, et justifié d’ailleurs par le Deutéronome et par l’endroit parallèle de S. Marc (xii, 30), semble préférable. Le Hir.
  15. Lévit. xix, 18.
  16. Dieu le Père.
  17. Au Messie.
  18. Régnez avec moi.
  19. Jusqu’à ce que ne suppose aucune restriction pour l’avenir.
  20. Ps. cix, 1.
  21. N.-S. voulait faire entendre aux Pharisiens que le Messie était plus qu’un roi de la terre, mais un homme-Dieu et le Fils de Dieu. Corn. Lapierre.