Les Quatre Évangiles (Crampon 1864)/Vocabulaire

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Traduction par Augustin Crampon.
Tolra et Haton (p. 525-567).


VOCABULAIRE


OÙ SONT EXPLIQUÉS QUELQUES NOMS, LOCUTIONS OU DIFFICULTÉS QUI SE RENCONTRENT DANS LES ÉVANGILES.
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Abilène. — Nom d’une petite contrée ou tétrarchie citée Luc, iii, 1, ayant pour capitale Abila, et gouvernée, sous Tibère, par le tétrarque Lysanias. Cette Abila est différente d’une ville de même nom dans la Décapole, et identique avec celle que l’Itinéraire d’Antonin place sur le revers oriental du Liban (Anti-Liban) ; Ptolémée (v, 15) la nomme Abila de Lysanias, et les Actes du concile de Chalcédoine nous apprennent qu’elle avait à cette époque un évêque appelé Jourdain. Rien n’est mieux déterminé que l’emplacement de cette ville, dit M. Wallon : les indications des géographes, les ruines encore existantes, les inscriptions qu’on y a trouvées, et jusqu’au nom, transformé par la tradition populaire en Nabi Habil (le prophète Abel), tout s’accorde à marquer sa place au pied de l’Anti-Liban, sur le Wadi Barada, entre Héliopolis (Baalbeck) et Damas, à dix-huit milles au nord-ouest de cette dernière. Il paraît certain, quoique le P. Patrizzi incline à l’opinion contraire, que Abila, et par conséquent l’Abilène, faisait partie du royaume de Chalcis qui, au commencement du règne d’Hérode l’Ancien, avait pour souverain le premier Lysanias (Voy. ce mot). Ce royaume, à la suite de bouleversements politiques, fut sans doute divisé par Auguste en deux parties, le royaume de Chalcis proprement dit, et la petite tétrarchie d’Abilène, qui subsistaient encore tous deux au temps de Vespasien.

Anciens ou Anciens du peuple. — Les Anciens, sans aucune addition, désignent tantôt des docteurs juifs célèbres, dont les interprétations de la Loi faisaient autorité et étaient reçues, surtout des Pharisiens, presque avec autant de respect que la Loi elle-même ; tantôt les Anciens du peuple. Pour cette dernière signification, voy. Anciens du peuple à l’art. Sanhédrin.

Anne. — (Ananus dans Josèphe, Hanan selon la meilleure orthographe), fils de Seth, fut élevé au souverain sacerdoce par Quirinius, légat impérial en Syrie, l’an 7 de notre ère. Déposé l’an 14, au commencement du règne de Tibère, par le procurateur Valérius Gratus, il resta très-considéré ; on continuait à l’appeler le grand-prêtre, à le consulter dans toutes les questions graves, et ses cinq fils, sans compter son gendre Caïphe, furent tour à tour revêtus de la même dignité, honneur qu’aucune famille n’avait jamais eu, dit Josèphe. Dans un temps où, sous le régime des procurateurs romains, les pontifes se succédaient si rapidement, le vieux grand-prêtre jouissait donc d’une grande autorité : c’était lui qui menait tout le collège des prêtres, et il avait su, dans le Sanhédrin, faire prévaloir son opinion contre l’avis de ceux qui ne voulaient pas qu’on s’emparât de Jésus pendant la fête de peur d’exciter une sédition. Caïphe, son gendre, n’était entre ses mains qu’un instrument docile, et c’est sur Anne que doit peser, sans aucun doute, la plus grande responsabilité dans la condamnation de Jésus-Christ. Il était Sadducéen, secte, dit Josèphe, particulièrement dure dans ses jugements. Tous ses fils furent d’ardents persécuteurs, et le dernier, appelé aussi Anne, ou Hanan, fit mettre à mort saint Jacques, le frère du Seigneur.

Baptême de saint Jean. — Les diverses questions relatives au baptême conféré par Jean-Baptiste ont beaucoup agité, et quelques-unes mêmes partagé les SS. Pères et les théologiens. Voici les conclusions auxquelles est arrivé le P. Patrizzi dans une savante dissertation sur ce sujet. 1. Le baptême de Jean avait Dieu pour auteur (Jean, i, 33). 2. Quand un païen voulait s’établir parmi les Juifs avec le droit de cité, il recevait, outre la circoncision, un baptême, appelé baptême des prosélytes. C’était une sorte d’initiation à des droits nouveaux, un signe extérieur de son passage à une religion nouvelle. Telle était l’idée première et fondamentale du baptême de Jean. Les Juifs, dit Lightfoot, étaient persuadés qu’à l’arrivée du Messie l’ancien ordre de choses serait tout à fait changé ; les oracles mêmes des Prophètes décrivent les temps du Messie comme un monde nouveau. Tous venaient donc, confessant leurs péchés, recevoir le baptême de pénitence, comme une préparation nécessaire avant d’entrer dans « le royaume de Dieu. » 3. Ainsi, quoique plus excellent que les baptêmes antérieurs, le baptême de Jean était bien inférieur à celui de Jésus-Christ : il ne donnait ni la rémission des péchés, ni le Saint-Esprit, ni, comme parlent les Pères, la pureté parfaite, la grâce sanctifiante, l’union avec Dieu ; il conduisait, pour ainsi dire, à la porte du royaume du ciel, où le baptême de Jésus-Christ seul donnait réellement entrée.

Béelzebub, propr. Baal-Zeboub, Seigneur-mouche, c’est-à-dire qui éloigne les mouches et les insectes, véritable fléau en Orient : tel était le nom d’une divinité des Philistins spécialement honorée par les Accaronites (IV Rois, i, 2), et analogue au Zeus apomuios ou muiagros (Jupiter muscarum averruncus, Jupiter chasse-mouches) de Pausanias, au deus myiagros ou myiodes de Pline. Ce nom, les Juifs du temps de Notre-Seigneur le donnaient au prince des démons, à Satan. (Matth. x, 25 ; xii, 24, 27.) La plupart des manuscrits grecs portent Beelzeboul, qu’on explique de deux manières : Seigneur de l’excrément (Dominus stercoris), ou Seigneur de la demeure céleste, du ciel. D’où est venu ce changement de la consonne finale ? Quelques-uns répondent : d’une erreur involontaire ; Hitzig : par euphonie, on a répété à la fin du mot la dernière consonne de l’antépénultième syllabe, comme on dit Babelmandel pour Babelmandeb ; Selden et Simonis : on a voulu, par cette légère altération, exprimer plus énergiquement le mépris et l’horreur pour le chef des esprits impurs. Ce dernier sentiment est le plus vraisemblable.

Béthanie : voyez Oliviers (Mont des).

Bethléem. — Ce nom désigne deux villes, dont l’une seulement joua un rôle important dans l’histoire du règne de Dieu, savoir : Bethléem, la cité de David (Luc, ii, 4), lieu de naissance du Sauveur, que glorifie le Prophète (Mich. v, 1), et qui, par cette haute destinée, est au rang des plus illustres villes du monde, malgré son insignifiance matérielle. Au temps où les patriarches habitaient Canaan, se trouvait déjà, à la place où fut plus tard Bethléem, un lieu nommé Ephrata, ce qui fit qu’elle s’appela aussi plus tard Bethléem-Ephrata ; et comme, lors du partage du pays sous Josué, elle fut attribuée à la tribu de Juda, elle fut encore nommée Bethléem de Juda, pour la distinguer de Bethléem de Zabulon. Si l’on excepte le triste souvenir du livre des Juges (xvii, 7-9), Bethléem paraît pour la première fois, dans l’histoire du règne de Dieu, au livre de Ruth, où est racontée l’origine de la famille de David par Booz et par Ruth ; puis, au livre des Rois (I, xvi, 13), elle est exaltée comme le lieu où naquit David, et où Samuel le sacra roi ; au livre du prophète Michée (v, 1), comme la ville où naîtra le Sauveur du monde. Eusèbe et saint Jérôme déterminent sa position, au sud de Jérusalem, à une distance de six milles romains, d’accord en cela avec les voyageurs modernes, qui placent la Bethléem actuelle (Beit-Lachm en arabe) à environ deux lieues de Jérusalem. Quoique dans la montagne, et située sur une hauteur rocheuse coupée à pic du côté de l’orient, elle était entourée de terrains très-fertiles, d’où son nom d’Ephrata, la fertile, et de Bethléem, maison, ou lieu du pain. Beit-Lachm a une population de 3, 000 chrétiens, dont 1, 500 catholiques. À l’est de la ville, à deux cents pas de distance, se trouve sur une hauteur le couvent latin des Pères de Terre-Sainte, qui renferme l’église bâtie par sainte Hélène à l’endroit même où naquit le Sauveur. Comme saint Luc met sans hésitation le lieu de naissance de Jésus-Christ hors de la ville, rien ne peut, dit le protestant Schubert (III, 17), ébranler la certitude du point fixé par l’église dont nous venons de faire mention, d’autant plus que la chrétienté ne l’a jamais perdu de vue depuis la naissance du Sauveur, et qu’elle a renouvelé dans chaque siècle le souvenir de cette situation unique. L’église de Notre-Dame de la Crèche (S. Maria de Præsepio) est une des plus anciennes et des plus belles de tout l’Orient. De chaque côté du maître-autel part un escalier tournant qui conduit à la grotte de la Nativité. Cette grotte est longue de trente-six pieds, large de douze, haute de neuf. Trente-deux lampes, dont l’une a été donnée par le roi de France Louis XIII, répandent sur la crèche du Sauveur une douce clarté, pareille à celle de la lune pendant une nuit de printemps, dit Schubert, et rappellent que celui qui a daigné y naître est la lumière du monde. La place où la Vierge enfanta le Rédempteur des hommes est marquée par un marbre blanc incrusté de jaspe et entouré d’un cercle d’argent, radié en forme de soleil. On lit ces mots alentour :


HIC DE VIRGINE MARIA
JESUS CHRISTUS NATUS EST.


Ici est né de la Vierge Marie Jésus le Christ. De la grotte principale, une galerie conduit à diverses autres grottes, dont la plus grande est celle qu’habita saint Jérôme, et où il composa ses ouvrages sur l’Écriture sainte ; un peu plus loin se trouve celle qui renferme les tombeaux de sainte Paula et de sainte Eustochie.

Bethphagé : voy. Oliviers (Mont des).

Bethsaïde. — Ce nom, qui signifie maison ou lieu des poissons, paraît désigner dans l’Évangile deux villes distinctes : l’une moins importante, appelée aussi bourg, et située non loin de Capharnaüm, vers le milieu (en allant du N. au S.) du bord occidental du lac de Génésareth, par conséquent dans la Galilée : c’était la patrie des apôtres Pierre, André et Philippe ; Jésus y séjourna souvent ; mais, indocile à sa prédication, elle mérita d’entendre les menaces du Sauveur (Matth. xi, 21 ; Luc, x, 13) ; — l’autre, plus célèbre, située vers l’extrémité N. E. du même lac, dans la Gaulonitide, tétrarchie de Philippe, et nommée Julias en l’honneur de la fille de l’empereur Auguste : c’est de cette dernière qu’il est question. Matth. xiv, 13, 22, 24 ; Marc vi, 32, 45 ; Luc, ix, 10. Robinson pense que la situation de Julias est marquée par les monceaux de décombres qui se trouvent à cinq ou six kilomètres de l’embouchure du Jourdain dans le lac, et que les Arabes nomment El-Tell.

Caïphe (Joseph, Kaiaphas dans les Septante, peut-être le même nom que Céphas, c’est-à-dire Pierre) fut nommé grand-prêtre sous le règne de Tibère, par Valérius Gratus, procurateur de Judée, avant l’an 25 de notre ère, et se maintint dans cette dignité sous Ponce Pilate, successeur de Gratus. Mais quand Pilate eut été éloigné de la province, Caïphe fut déposé par le proconsul Vitellius. Quelques jours avant la passion du Sauveur, il avait dit aux Juifs pour les exciter au meurtre : « Il est avantageux qu’un homme périsse pour le salut du peuple. » C’était du reste, à ce qu’il paraît, un homme peu versé dans la science de la loi et du droit mosaïque, chose assez commune à une époque où l’argent et la faveur, plus que le mérite, créaient les grands-prêtres, et qui se laissait docilement conduire par Anne, son beau-père.

Capharnaüm. — Ville de Galilée, aux confins des tribus de Zabulon et de Nephtali, sur le bord N.-O. du lac de Génésareth, non loin de l’embouchure du Jourdain. Comme elle n’est pas nommée dans l’Ancien Testament, elle n’a probablement été fondée qu’après la captivité de Babylone. La fertilité de son sol, sa position centrale entre la Syrie, la Phénicie et la Palestine, sur la grande route qui conduit de Damas à la Méditerranée, l’importance de son commerce, que démontre l’existence d’un essaim nombreux de douaniers ou collecteurs d’impôts, chargés de percevoir les droits d’entrée ou de transit, enfin les pêcheries du lac voisin contribuèrent à sa prospérité. Jésus s’arrêta souvent dans cette ville pendant sa carrière publique, et il y demeurait probablement dans la maison des deux frères Pierre et André : c’est pourquoi Capharnaüm est appelée sa ville. Il y enseignait tantôt dans la synagogue, tantôt dans la maison où il demeurait, tantôt au bord du lac, et il y opéra beaucoup de miracles. Le déclin de Capharnaüm suivit de près les temps de Jésus-Christ (Matth. xi, 23 ; Luc, x, 15), et sa ruine est si complète que les traces mêmes de son emplacement ont disparu ; quelques savants indiquent Tell-Hum, d’autres Aïn Medawara, d’autres Khan-Minyéh.

Cène pascale. — Les quatre Évangélistes, racontent avec plus ou moins de détails la cène pascale que Jésus fit avec ses Apôtres la veille de sa mort : saint Matthieu, xxvi, 20-29 ; saint Marc, xiv, 17-25 ; saint Luc, xxii, 14-30 ; saint Jean, xiii, 1-30. On sait que ce fut dans cette dernière cène que le Sauveur institua l’Eucharistie. Les quatre récits, comme il arrive souvent dans les Évangiles, se complètent l’un l’autre, et pour savoir tout ce qui s’est passé dans ce moment solennel, il faut les comparer ensemble et les suppléer l’un par l’autre. Malheureusement il est assez difficile d’assigner l’ordre dans lequel se sont succédé les divers faits et discours, et les interprètes sont fort partagés sur ce point. Nous prions le lecteur qui voudra approfondir la question, de parcourir d’abord les péricopes évangéliques indiquées plus haut : cela fait, il pourra suivre facilement cette courte discussion.

1o Selon Jansénius, la trahison de Judas fut prédite par Jésus, non pas avant, mais après l’institution de l’Eucharistie : saint Luc, comme à l’ordinaire, marque l’ordre véritable ; et l’institution eut lieu après le lavement des pieds, immédiatement avant le vers. 21 de saint Jean.

2o Baronius pense que Notre-Seigneur annonça la trahison de Judas avant, et non après l’institution, qu’il place seulement au vers. 30 de saint Jean. Il est dit dans ce verset que Judas, après avoir pris la bouchée de pain trempé que lui donna le Sauveur, sortit aussitôt ; mais, dit Baronius, il ne faut pas presser le mot aussitôt ; Notre-Seigneur eut encore le temps, avant la sortie de Judas, d’instituer l’Eucharistie et de communier ses Apôtres ; cet adverbe indique seulement que le traître ne resta pas avec les autres pour entendre le long discours qui suivit la cène.

3o Suarez, Corn. Lapierre, le card. Tolet, etc., après saint Augustin, distinguent trois cènes ou repas qui auraient eu lieu dans cette soirée : la cène légale, ou manducation de l’agneau pascal ; la cène mystique, ou institution de l’Eucharistie et communion des Apôtres ; et la cène usuelle, ou repas ordinaire. Les faits se seraient succédé dans cet ordre : Après la cène pascale, lavement des pieds ; on se remet à table ; première prédiction de la trahison de Judas, racontée par saint Matthieu, vers. 23-25 ; institution de l’Eucharistie et communion des Apôtres avant le vers. 23 de saint Jean ; deuxième prédiction de la trahison de Judas, racontée par saint Luc ; interrogation de Pierre, vers. 24 sv. de saint Jean ; sortie de Judas ; discours après la cène.

4o Le P. Patrizzi distingue trois prédictions de la trahison de Judas, trouve l’institution de l’Eucharistie dans le vers. 1 de saint Jean, et la fait suivre du lavement des pieds. D’où résulte cet arrangement : cène pascale ; première prédiction de la trahison de Judas (Matth. xxvi, 21-25) ; institution de l’Eucharistie (Jean, xiii, 1) ; deuxième prédiction de la trahison de Judas (Luc, xxii, 24-30) ; lavement des pieds (Jean, ibid. 2-11) ; dispute des Apôtres (Luc, ib. 24-30) ; discours après le lavement des pieds et troisième prédiction de la trahison de Judas (Jean, ib. 12 sv.).

5o Enfin Ad. Maier, Bucher, etc., après les Constitutions apostoliques, saint Hilaire, Innocent III, pensent que l’institution de l’Eucharistie n’eut lieu qu’après le vers. 35 de saint Jean : d’où il suit que Judas n’aurait point communié. D’après Ad. Maier, il n’y aurait eu qu’une seule prédiction de la trahison de Judas, ou, pour parler plus exactement, un seul discours non interrompu où le Sauveur prédit trois fois cette trahison dans l’ordre marqué par saint Jean : a) au vers. 18 ; b) au vers. 21 ; puis, après les vers. 24, 22 et 25 de saint Matthieu (Marc, xiv, 19, 21 ; Luc, xxii, 22, 23), c) au vers. 26 (Matth. vers. 23 ; Marc, 20 ; et peut-être Luc, 21, à moins que ce vers. ne corresponde à Jean, 18).

Au lieu de nous arrêter à juger en détail chacune de ces explications, nous préférons faire ici quelques remarques essentielles, dont toute solution sérieuse de la question doit tenir compte : — 1. L’hypothèse d’un repas commun qui aurait suivi la manducation de l’agneau pascal est contraire aux usages bien connus des Juifs. L’Évangile, non-seulement n’en laisse pas apercevoir la moindre trace, mais même semble l’exclure positivement lorsqu’il dit qu’après le chant de l’hymne Jésus et ses Apôtres sortirent du cénacle ; car le chant de l’hymne était le dernier rit de la cène pascale. — 2. Outre qu’il est peu naturel en soi de placer le lavement des pieds après le repas pascal, on sait que les anciens, et particulièrement les Orientaux, avaient coutume de se purifier par le bain avant de venir à un festin ; arrivés chez leur hôte, et avant d’entrer dans la salle, ils présentaient les pieds à un esclave qui les lavait, afin d’essuyer la poussière qui pouvait s’y être attachée pendant la route. Saint Jean fait allusion à cet usage, xiii, 10. — 3. La tradition est à peu près unanime à supposer que Judas assistait à l’institution de l’Eucharistie et qu’il communia. D’un autre côté, il est certain par l’Évangile que lorsque Judas sortit du cénacle le repas (pascal) durait encore : comp. Jean, xiii, 26-30. — 4. Saint Luc suppose évidemment qu’il y eut un intervalle entre les deux consécrations, celle du pain et celle du vin. En effet, après avoir raconté simplement la première, il ajoute : « Jésus prit de même le calice, après le souper, disant, » etc. — 5. Ces mots de saint Jean (xiii, 2) : καὶ δείπνου γενομένου que la Vulgate traduit, et cæna facta, seraient mieux ou du moins plus clairement rendus par : Et cænā institutā. Ils ne signifient donc pas : la cène (pascale) étant achevée, mais, s’étant faite, ayant eu lieu, ayant commencé, l’heure du repas pascal étant venue.

Maintenant quels étaient les rits observés par les Juifs dans la manducation de l’agneau pascal ? Les renseignements que nous trouvons sur ce sujet dans les écrits rabbiniques, sont encore un des éléments indispensables à la solution de la difficulté qui nous occupe.

La cène pascale commençait au lever des étoiles. Dix personnes au moins devaient être à table ensemble. Les convives étaient étendus sur des lits très-bas, ou divans, le bras gauche appuyé sur un coussin, de manière que la main droite restât toujours libre : ce n’est que la première fois, en Égypte, qu’on avait mangé l’agneau pascal debout, un bâton à la main. Le père de famille ou le président, dit le docteur Sepp, commençait par prendre une coupe pleine de vin, et prononçait la bénédiction en ces termes : « Ceci est le temps de notre délivrance, et nous rappelle la sortie d’Égypte. Béni soit le Seigneur, l’Éternel, qui a créé le fruit de la vigne ! » Puis il buvait du vin contenu dans la coupe, et la passait ensuite aux autres convives, qui en buvaient comme lui, chacun à son tour. Cette bénédiction du repas s’appelait eulogie ; l’agneau lui-même s’appelait sacrifice eucharistique, et c’est de là que la cène chrétienne a pris le nom d’Eucharistie. On apportait alors, ou bien on approchait des convives la table toute servie. Il y avait sur la table des herbes amères, en souvenir des mets amers que le peuple d’Israël avait mangés en Égypte ; une tasse de vinaigre ou d’eau salée, qui rappelait aux assistants les larmes versées par leurs pères, et une espèce de pudding ou brouet de pommes, d’amandes, de figues, etc., cuites dans du vin, appelé charoseth. Le maître de la maison disait : « Béni soit le Seigneur, qui a créé les fruits de la terre. » Puis, prenant des herbes amères, il les levait en l’air en disant : « Nous mangeons ces herbes en souvenir de ce que les Égyptiens ont rempli d’amertume la vie de nos pères dans la terre d’Israël. » Il trempait ensuite ces herbes dans le vinaigre, et en mangeait gros au moins comme une olive ; ce que les autres faisaient à leur tour. On retirait alors la table à quelque distance, et le père de famille, ou son fils aîné, faisait une lecture (par ex. Deut. xxvi), ou une instruction sur la Pâque et la sortie d’Égypte. L’instruction finie, on rapprochait la table où se trouvaient, outre le charoseth dont nous avons parlé, du pain azyme, le sacrifice chagiga, c’est-à-dire des viandes de victimes, et l’agneau pascal, on récitait la première partie de l’hymne (Hallel), c’est-à dire les Psaumes cxiii et cxiv, et l’on vidait la deuxième coupe. Alors commençait le repas proprement dit. Le père de famille, ayant devant lui deux pains, en bénissait un, qu’il rompait aussitôt ; et, prenant un des morceaux, il l’enveloppait d’herbes amères, le trempait dans le charoseth, adressait à Dieu des actions de grâces, et mangeait cette bouchée. Après qu’il avait de la même manière, en bénissant et en rendant grâces, goûté du sacrifice chagiga et de l’agneau pascal, il coupait par morceaux toutes ces viandes, et les distribuait aux convives avec du pain azyme trempé dans le charoseth. Le repas fini, il leur présentait la troisième coupe de vin, appelée spécialement coupe de bénédiction, parce qu’on rendait alors à Dieu des actions de grâces pour la cène pascale que l’on venait de faire. Après avoir récité la dernière partie du Hallel, les psaumes cxv-cxviii, on vidait la quatrième coupe, quelquefois une cinquième, mais rien de plus.

Tels sont, à notre avis, les véritables principes de solution : combiner avec les données certaines de l’Évangile les usages des Juifs dans la manducation de l’agneau pascal. D’après cela, il nous semble 1o que le lavement des pieds eut lieu au commencement du repas pascal, soit en entrant dans le cénacle et avant la bénédiction de la première coupe, soit plutôt après l’instruction sur la Pâque faite par le père de famille, alors que la table était retirée ; — 2o qu’il faut placer la consécration du pain après la récitation de la première partie du Hallel, lorsqu’on se remit à table pour le repas pascal proprement dit ; — 3o que la consécration du calice se fit, comme le dit saint Luc, après le repas, par conséquent, que Notre-Seigneur consacra une des trois dernières coupes, plus probablement la troisième des cinq, appelée coupe de bénédiction, ou d’actions de grâces ; — 4o que Judas, qui avait brusquement quitté le cénacle avant la fin du repas, ne communia que sous l’espèce du pain. — Quant aux diverses prédictions de la trahison de Judas racontée par les Évangélistes, rien n’empêche d’en placer une avant la consécration du pain, et une autre ou les autres pendant le repas pascal. — Enfin il est probable que la dispute sur la préséance, mentionnée par saint Luc (xxii, 24 ; 30), précéda ou suivit immédiatement le lavement des pieds.

Crucifiement. — Le supplice de la croix paraît avoir été inconnu à la loi mosaïque ; car la suspension des coupables à un poteau n’a rien de commun avec le crucifiement, puisqu’elle n’avait lieu qu’après l’exécution, en signe de honte infligée au cadavre (Nomb. xxv, 4 sv. Deut. xxi, 22 sv.) : ce qui rend d’autant plus étonnante cette circonstance, qu’un Psaume tout entier, le Psaume xxi, relatif aux souffrances du Messie, décrit précisément ce supplice. Emprunté aux Romains par les derniers princes asmonéens, le crucifiement resta en usage chez les Juifs sous les Hérodes et durant la domination romaine.

Les Romains avaient retiré aux tribunaux juifs le droit de faire exécuter une sentence de mort. Le sanhédrin, il est vrai, pouvait prononcer une sentence capitale conformément aux lois judaïques ; mais ce n’était plus que pour la forme, car le procurateur romain recommençait l’instruction, procédait à un nouveau jugement, et appliquait lui-même, s’il y avait lieu, la peine de mort. C’est par suite de la situation politique où se trouvait alors la Judée, que Jésus, qui devait être livré au procurateur Pilate et ne pouvait être condamné que par lui, subit le crucifiement ; accusé de blasphème devant le sanhédrin, il aurait été, suivant la loi mosaïque, condamné à être lapidé.

Le crucifiement était considéré chez les Romains comme la peine capitale la plus dure et la plus ignominieuse ; il était réservé aux esclaves, aux voleurs de grand chemin, aux assassins et aux séditieux : c’est pourquoi les Juifs, pour le faire infliger à Jésus, convertirent devant le procurateur leur grief religieux en une accusation politique. La formule du jugement ordinaire était : Ibis ad crucem, et immédiatement après le condamné marchait au supplice. Dans les localités où le juge n’avait pas de licteurs, on se servait ordinairement de quatre soldats, quaternio, avec un centurion, exactor mortis ou supplicio præpositus.

L’exécution commençait par une flagellation dans le prétoire : les instruments de la flagellation romaine étaient ou des verges d’orme ou des fouets de cuir garnis, à l’extrémité, de nœuds ou de morceaux de plomb ; et l’on administrait cette peine avec tant de cruauté que plus d’une fois les condamnés y succombèrent. Il ne faut pas confondre avec cette flagellation 1o celle que Pilate proposa aux Juifs pendant qu’il interrogeait Jésus (Luc xxii., 16-22) ; 2o celle qu’il fit réellement exécuter avant le jugement (Jean xix, 1). La première devait être un châtiment particulier, tel que ceux que les Romains infligeaient pour de moindres délits, afin de calmer les Juifs et de les détourner de la demande d’un châtiment plus grave ; la seconde était une torture employée pour arracher des aveux, quæstio per tormenta. Jésus ayant été frappé de verges peu avant la sentence, la flagellation dont nous avons parlé tout d’abord n’eut pas lieu.

Le crucifiement se faisait toujours hors des villes populeuses. À Jérusalem, la place des exécutions s’appelait Golgotha ou Calvaire ; les condamnés étaient tenus de porter eux-mêmes la croix jusque-là. Mais Jésus fut à peine arrivé à la porte de la ville, que ses forces l’abandonnèrent, et les soldats contraignirent un certain Simon de Cyrène, qui rencontra le cortège en revenant des champs, de porter la croix à la place de Notre-Seigneur : cette violence n’était pas chose rare de la part des soldats dans les provinces conquises. On suspendait au cou des condamnés, ou l’on faisait porter devant eux, une tablette, titulus, portant une inscription qui énonçait la cause de la sentence, et qu’on fixait ensuite sur la croix au-dessus de la tête du crucifié.

Lorsque Jésus fut parvenu au lieu de l’exécution, on lui présenta, par pitié, un vin fortement aromatisé, afin d’alléger par ce breuvage stupéfiant les souffrances de l’agonie. C’était un usage juif, non romain, et il paraît que souvent les dames de Jérusalem apportaient elles-mêmes au condamné ce vin de la dernière heure. Jésus, après avoir approché ses lèvres du vase, refusa de boire. Il faut distinguer de ce breuvage celui que Jésus, dévoré sur la croix d’une soif brûlante, reçut d’un soldat romain (Luc, xxiii, 36 ; Jean, xix, 29). — Les condamnés étaient dépouillés de leurs habits, qui appartenaient de droit aux soldats. On leur laissait seulement, pour la décence, un linge qui entourait les reins, comme il paraît que cela eut lieu pour Jésus. Un sentiment analogue, et non la vérité historique, inspirait les artistes du moyen âge qui revêtaient d’une tunique l’image de Jésus en croix.

La croix avait la forme ou de la lettre X, crux decussata, croix de saint André ; ou de la lettre T, crux commissa ; une troisième forme était celle où la partie verticale de la croix dépassait la partie transversale, comme on représente d’ordinaire la croix de Jésus-Christ. On se servait aussi simplement d’un poteau droit, σταυρός, surtout quand on suppliciait des centaines d’individus à la fois, par exemple des prisonniers de guerre ; dans ce cas on se contentait de troncs d’arbre. D’après la tradition reçue, Jésus fut attaché à une croix de la troisième espèce, crux immissa, ayant quatre parties, pour figurer que la rédemption embrassait les quatre parties du monde, les quatre points cardinaux. Cependant on voit déjà la seconde forme, crux commissa, sur des monnaies des empereurs Constance et Constantin, et sur des anneaux et des pierres sépulcrales de la plus haute antiquité, tandis que, d’après Lactance, il faudrait admettre que Constantin vit au ciel la croix sous la première forme, crux decussata.

La croix n’était pas très-haute, si ce n’est, par exception, pour des criminels extraordinaires ; le crucifié touchait presque des pieds la terre. Telle fut la croix de Jésus, puisque les soldats purent, avec une tige d’hysope, porter à sa bouche une éponge trempée dans la posca. Au milieu de la tige verticale on attachait un billot de bois, sedile, sur lequel le condamné était comme assis, afin que la pesanteur du corps n’arrachât pas les mains des clous qui les fixaient. C’est à quoi font allusion les locutions des anciens : acuta cruce sedere, cruci inequitari, invehi, requiescere. On commençait par dresser la croix ; puis le condamné, soulevé ou tiré par des cordes, était attaché, afin qu’il ne fît pas de résistance pendant qu’on clouait les mains et les pieds. Cependant il n’est pas sans exemple qu’on ait cloué d’abord le condamné à la croix étendue par terre, et dressé la croix ensuite ; et beaucoup d’auteurs pensent qu’on suivit ce mode pour Notre-Seigneur. Que les pieds aient été cloués, et non attachés avec des cordes, c’est ce qu’indique saint Luc, xxiv, 39, 40, et ce qu’atteste toute la tradition. Mais on ne sait pas d’une manière certaine s’ils étaient superposés et fixés avec un seul clou, ou s’ils étaient placés à côté l’un de l’autre et cloués séparément ; cependant la dernière opinion est plus probable, comme s’accordant mieux avec le mode de crucifiement le plus communément en usage parmi les anciens.

Pour aggraver la peine, on crucifiait quelquefois la tête en bas, comme le fut saint Pierre ; d’autrefois on faisait dévorer le crucifié, cruciarius, par des bêtes féroces, ou bien on allumait du feu sous la croix. Quand on n’abrégeait pas ce supplice par ces cruautés, les crucifiés vivaient d’ordinaire toute la nuit de l’exécution et même tout le jour suivant ; il y a des exemples de crucifiés qui vécurent jusqu’au troisième jour. À Rome, on laissait les esclaves suspendus au gibet jusqu’à ce que leur corps fût corrompu ou dévoré par les oiseaux de proie. Il paraît qu’on faisait la même chose, dans les provinces, pour tous les crucifiés. Cependant les Romains faisaient une exception à cet usage en Judée, pour s’accommoder aux coutumes des Juifs, auxquels leur loi ordonnait de descendre le condamné de la potence avant le coucher du soleil, afin que le maudit de Dieu ne souillât pas la terre que le Seigneur leur avait donnée (Deut. xxi, 23). Cette condescendance amena l’usage de rompre les jambes des condamnés, crurifragium, ce qui hâtait la mort et pouvait être considéré comme une compensation de l’abréviation du supplice. On n’appliqua pas le crurifragium à Jésus-Christ, parce que les soldats qui en étaient chargés remarquèrent en lui les signes certains de la mort. Les souffrances qu’il avait endurées avant son supplice expliquent comment il avait rendu le dernier soupir quatre ou cinq heures après le crucifiement. Cependant l’un des soldats lui porta un coup de sa lance dans le côté : c’était, dans d’autres exécutions, le coup de grâce ordinaire. Il fut appliqué à Jésus pour éteindre la dernière étincelle de vie qui pouvait encore l’animer. La loi romaine livrait le corps des exécutés, sauf ceux des esclaves, à leurs parents, pour qu’ils le pussent ensevelir. C’est pourquoi Joseph d’Arimathie obtint sans peine ce qu’il demandait.

Le supplice de la croix subsista dans l’empire jusqu’à Constantin le Grand qui, par respect pour Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’abolit la treizième année de son règne. — Kirchen-Lexicon, art. Crucifiement, par Ad. Maier.

Cyrinus (Recensement de). Tout ce qui se rapporte à cette question est traité de la manière la plus complète et la plus savante par Ph. E. Huschke (Ueber den zur Zeit der Geburt Christi gehaltenen Census), par M. Wallon (de la Croyance due à l’Évangile, p. 296 sv.) et par le P. Patrizzi (de Evangeliis, lib. III, diss. xviii) ; nous nous contenterons de donner ici un résumé de la discussion, empruntée au Kirchen-Lexicon de MM. Wetzer et Welte, art. Quirinius, par M. Schegg, le célèbre interprète des Évangiles.

Cyrinus, ou mieux Quirinius (Publius Sulpicius), sénateur romain très-illustre, après avoir été revêtu des plus hautes dignités sous César Auguste (Tacite, Annal. III, 48), fut, en dernier lieu, gouverneur de Syrie, et opéra en Judée un dénombrement auquel le peuple juif ne se soumit qu’après divers essais de résistance. Heureusement que l’autorité du grand-prêtre Joazar réussit à empêcher un soulèvement de la nation en masse. Josèphe (Antiq. xviii, 1) associe ce dénombrement à la déposition d’Archélaüs, et le place l’an 37 après la bataille d’Actium, 759 de Rome, 6 de l’ère vulg., et par conséquent 12 après la naissance de Notre-Seigneur. Ajoutons que ce dénombrement a dû être un des premiers actes de l’administration de Cyrinus comme préfet de Syrie, puisque son prédécesseur Volusius figure encore sur une monnaie comme préfet de Syrie, præses Syriæ, l’an 35 après la bataille d’Actium, c’est-à-dire deux ans auparavant.

Cela posé, comment faut-il expliquer le texte de saint Luc (ii, 1, 2) qui rattache la naissance de Jésus-Christ à Bethléem au recensement ordonné par Cyrinus ? Voici le texte de saint Luc :

Ἐγένετο δὲ ἐν ταῖς ἡμέραις ἐκείναις, ἐξῆλθεν δόγμα παρὰ Καίσαρος Αὐγούστου, ἀπογράφεσθαι πᾶσαν τὴν οἰκουμένην. Αὕτη ἡ ἀπογραφὴ πρώτη ἐγένετο ἡγεμονεύοντος τῆς Συρίας Κυρηνίου.

Factum est autem in diebus illis, exiit edictum a Cesare Augusto, ut describeretur universus orbis. Hæc descriptio prima facta est a præside Syriæ Cyrino.

On sait que Strauss a exploité cette contradiction apparente entre Josèphe et saint Luc pour rejeter comme contraire à l’histoire la relation du troisième évangéliste sur la naissance de Jésus à Bethléem. Pour résoudre cette difficulté, on a suivi trois voies :

1o Quelques savants (Gersdof et Paulus) changent αὕτη en αὐτή, prennent πρώτη dans le sens de demum, c’est-à-dire enfin, alors seulement, et traduisent : En ces jours-là fut publié un édit de César Auguste, ordonnant qu’on fît le dénombrement des habitants de toute la terre ; ce dénombrement même eut lieu seulement Cyrinus étant, ou lorsque Cyrinus était gouverneur de Syrie. Tholuck, adoptant αὕτη, et se contentant de prendre πρώτη dans le sens de Paulus, traduit : ce recensement (ordonné alors) n’eut lieu que (plus tard) lorsque Cyrinus fut gouverneur de Syrie. Mais πρῶτος n’a pas par lui-même une semblable signification, et il ne saurait l’obtenir que d’une opposition certaine, marquée par la conjonction δέ, αὕτη δὲ ἡ ἀπογραφή, etc. Saint Luc semble donc vouloir dire qu’il y a eu un second dénombrement avec lequel il ne faut pas confondre celui qui eut lieu à la naissance de Jésus-Christ.

2o D’autres, et c’est la majorité des savants à partir du xviie siècle (Herwart, le P. Pétau, Usher, Ernesti, et, en dernier lieu, Haneberg), prennent πρώτη dans le sens de πρότερα, et ἡγεμονεύοντος comme un génitif régi par πρότερα, et traduisent : Ce dénombrement eut lieu avant que Cyrinius fût gouverneur de Syrie. Saint Luc, disent-ils, en ajoutant ce verset, veut prévenir un malentendu, et empêcher qu’on ne confonde ce recensement avec celui de Cyrinus, qui était bien connu, afin de n’être pas accusé d’infidélité historique. Mais, dans cette explication, il est étrange que saint Luc, ce narrateur si clair et si précis, ait justement été obscur là où l’on prétend qu’il s’est efforcé d’être intelligible. Le mot πρότερα ne devait-il pas inévitablement se présenter à son esprit ? Qu’on n’invoque pas Jean, i, 15, où il faut traduire πρῶτος par πρότερος, car les mots qui précèdent déterminent cette signification. Dans saint Luc, au contraire, le sens faux serait bien plus naturel que le vrai, inconnu aux anciennes versions et aux SS. Pères.

3o Par conséquent, nous nous en tiendrons avec Hug, Sepp, Weigl, Patrizzi, à la version traditionnelle, simple, seule naturelle, telle que la Vulgate l’a donnée dans sa magistrale et incomparable fidélité. Tertullien, dans son traité contre Marcion (iv, 19), en appelle expressément à ce premier recensement conservé dans les archives de l’Empire : Census constat actos sub Augusto per Sentium Saturninum, apud quos genus Christi inquirere potuissent. On sait que Sentius Saturninus fut propréteur de Syrie de l’an 744 à l’an 748 de Rome. Mais comment Tertullien nomme-t-il Saturninus, tandis que saint Luc nomme Cyrinus ? La réponse est facile. L’empereur Auguste, qui avait fait exécuter la description cadastrale des terres de tout l’empire, voulut y joindre un dénombrement des personnes. C’est ce que supposent les détails que Tacite (Annal., i, 11), Suétone (Aug. 101) et Dion Cassius (lvi, 33) nous donnent sur le Breviarium imperii, Sommaire de l’état de l’Empire ; c’est ce qu’attestait positivement Cassiodore (Var. iii, 52) et Suidas ; c’est enfin ce qu’admettent de Savigny, Manso, Winer, et, parmi nous, MM. Egger, Léon Rénier, etc. Voici le passage de Suidas : « Auguste, devenu seul maître, choisit vingt hommes des plus distingués pour leur probité et leur manière de vivre, et les envoya dans tous les pays de son obéissance, afin de faire le recensement des personnes et des biens, et de prélever une contribution déterminée pour le trésor public (Voc. Ἀπογραφή). » Cyrinus fut un de ces vingt commissaires. Il avait toute la confiance de l’empereur, comme le démontre sa position de rector (conseil) auprès du jeune Caius César ; et ses antécédents le désignaient pour la province de Syrie ; car Tacite nous apprend qu’il avait obtenu les honneurs du triomphe pour avoir conquis les forteresses des Homonadensiens en Cilicie. Il arriva donc en Syrie l’an de Rome 747, avec des pouvoirs extraordinaires, et c’est sous ses ordres que Saturninus fit en Judée le dénombrement dont parle saint Luc.

Cette solution est si simple qu’on pourrait s’étonner qu’on continuât à en chercher une autre, s’il n’y avait encore quelques difficultés de détails ; nous allons y répondre brièvement.

a) Cyrinus n’était pas alors gouverneur (præses) de la Syrie ; mais au temps de la rédaction de l’Évangile de saint Luc, il n’était connu que sous ce titre. Aucun gouverneur n’avait laissé dans le souvenir des Juifs de plus vives impressions : c’est lui qui avait déposé le roi Archélaüs, et incorporé la Judée à l’empire, en la réunissant à la province de Syrie. Par conséquent, en parlant de lui, on ne disait jamais que præses Cyrinus ; saint Luc parle comme tout le monde et lui donne ce titre par anticipation. Le génitif ἡγεμονεύοντος n’est donc pas un génitif absolu, indiquant ici le temps ; il est régi par ἐγένετο, ἐκ sous-entendu ; ce premier dénombrement fut fait par etc. La Vulgate traduit exactement, facta est a, etc. Comp. Matthiæ, Griech. Grammat. § 373.

b) On objecte que Josèphe ne parle pas de ce premier recensement fait par Cyrinus. Mais, d’abord, le seul silence de cet historien n’aurait pas un grand poids en face du récit de saint Luc, confirmé par l’affirmation positive de Tertullien, qui en appelle aux archives de l’empire. D’ailleurs, dit M. Wallon, on peut trouver diverses raisons du silence de Josèphe. Le fait a pu ne laisser qu’une faible impression dans le souvenir, comme n’ayant pas abouti à l’établissement immédiat d’un impôt ; il s’agissait uniquement d’estimer d’une manière plus exacte, d’après le chiffre de la population, la situation de vassalité d’Hérode à l’égard des Romains. Que si l’on veut qu’il ait fait une impression plus grande, elle ne pouvait être que contraire à Hérode, puisque c’était déjà comme la main de Rome dans les affaires de la Judée ; et à ce titre, il ne serait pas impossible que Nicolas de Damas, l’agent et l’historien d’Hérode, à qui Josèphe emprunte ses principaux renseignements, n’en eût pas parlé. Ajoutons que Josèphe a bien souvent omis des faits importants et des faits qu’il avait vus lui-même. Ainsi, dans l’Histoire de sa vie (§ 6), il parle d’une bataille des Juifs contre les Romains qui eut la plus grande influence sur le sort de la Judée, et pourtant il n’en est pas question dans le livre où on l’aurait dû le plus attendre, l’histoire de la Guerre des Juifs. Enfin, de graves auteurs, Lardner, Fréret, Sanclemente, Patrizzi, etc., ont pensé que le serment de fidélité prêté par toute la nation à César Auguste, dont il est parlé au xviie livre des Antiquités (ii, 4), pourrait bien se confondre avec le recensement dont parle saint Luc, puisqu’il suppose une inscription des personnes sur des registres publics. Ce qu’il y a de certain, c’est que ce serment, d’après les supputations les plus exactes, a dû être prêté l’an de Rome 747, précisément à l’époque du recensement de saint Luc.

c) Ainsi le premier recensement de Cyrinus ne fut qu’une déclaration des personnes et des biens, et n’avait pas l’impôt pour but immédiat, puisque la Judée était une alliée, non une province de l’Empire. Mais le bénéfice ou l’honneur de l’alliance romaine avait ses charges. Les alliés, dit Suétone (Aug. 48), étaient comme les parties et les membres de l’Empire, et c’est à ce titre que Rome prétendait en avoir soin. Ils devaient donc contribuer aux nécessités de l’Empire par de l’argent et des soldats. On laissait d’ordinaire au souverain d’un royaume allié le soin de répartir cette charge entre les habitants du pays : c’était le tribut, et non pas l’impôt. Mais on conçoit que Rome avait intérêt à connaître les ressources de chacun, et pouvait désirer les évaluer à sa manière ; ce désir devait être surtout bien naturel à Auguste alors que, pendant la vieillesse d’Hérode, il songeait peut-être déjà à convertir le tribut en impôt, à changer ses alliés en sujets, en réduisant la Judée en province romaine, ce qui arriva en effet douze ans après, l’an 6 de l’ère vulgaire.

d) Quant à l’inscription de Marie (Luc, ii, 5), dit M. Wallon, on pourrait soutenir que le texte ne l’implique pas nécessairement. Car selon qu’on voudra traduire : Joseph vint se faire inscrire avec Marie, ou Joseph vint avec Marie se faire inscrire, elle figurera dans les registres publics en son nom, ou ne sera plus que compagne du voyage. Or, on la voit accompagner Joseph, même en des circonstances où la loi n’exigeait pas sa présence : par exemple, aux voyages de Jérusalem, à l’occasion de la Pâque (Luc, ii, 41). Mais on peut entendre l’inscription d’elle aussi bien que de Joseph, et cet enregistrement, que ne réclamait pas la coutume des Juifs, est un signe de plus que le recensement s’opérait dans les termes d’un recensement romain. Car M. Huschke prouve, par des faits et des lois, qu’en beaucoup de cas, les femmes, dans l’Empire, devaient aussi se faire inscrire. Voy. L. 3, pr. (Ulp.) D. L. xv, de Censibus ; Cicér. Verr. Act. ii, 56 ; Sozomène, Hist. eccl. v, 4.

Docteurs de la loi : voy Scribes, à l’art. Sanhédrin.

Fils de l’homme, un des titres ou noms du Messie dans le Nouveau-Testament. Il est emprunté à un passage de Daniel (vii, 13), où, dans une vision, le Messie apparaît à ce prophète comme Fils de l’homme, c’est-à-dire comme homme, ou sous la forme d’un homme, pour marquer que c’est en s’incarnant, en se faisant homme, que le Verbe éternel devait accomplir son œuvre, la rédemption du monde. Quoique cette formule, prise en elle-même et isolément, n’ait rien de caractéristique, et figure d’ordinaire dans l’Ancien-Testament comme une simple locution biblique, un peu plus solennelle si l’on veut, qui désigne un homme, quelquefois un prophète, cependant comme Daniel, dans l’endroit cité plus haut, parle certainement du Messie, et comme les docteurs juifs contemporains de Notre-Seigneur entendaient ainsi ce passage, Jésus, en prenant le titre de Fils de l’homme, se désignait suffisamment comme le Messie aux esprits attentifs. Nous disons comme le Messie, et par conséquent comme Homme-Dieu ; s’il n’avait été qu’un homme, l’emploi si fréquent de cette locution eût été ridicule. Une remarque du P. Patrizzi fait ressortir cette conclusion avec plus d’évidence encore : Jésus, dit le savant exégète, ne s’appelle Fils de l’homme que dans l’une ou l’autre de ces deux circonstances : ou bien, et c’est le cas le plus ordinaire, lorsqu’il s’attribue ce qui dopasse la nature de l’homme, ce qui n’appartient qu’à Dieu ; ou bien lorsqu’il parle des choses indignes de lui, mais utiles à notre salut, qu’il souffre ou doit souffrir. Saint Augustin ajoute que chaque fois que nous lisons ce nom dans l’Évangile, nous devons nous souvenir de la miséricordieuse bonté du Fils de Dieu, qui a daigné se faire homme pour nous.

Frères du Jésus. Il est fait souvent mention dans le Nouveau Testament des Frères de Jésus. Nous les voyons nommés dans les Évangiles comme un groupe de personnages très-rapprochés de Jésus-Christ par des liens de famille (Matth. xiii, 55 ; Marc, vi, 3). Ils accompagnent sa sainte Mère (Matth. xii, 46 ; Marc iii, 31 ; Luc, viii, 19 ; Jean, vii, 12) ; cependant, à un certain moment (Jean, vii, 3), ils cessent de comprendre la mission du Sauveur et le mode de son apparition, et ne croient plus aussi fermement en lui. Au temps apostolique, nous les retrouvons parmi les fidèles, formant un groupe spécial dont on parle avec un respect particulier. Les noms de ces frères de Notre-Seigneur sont, d’après saint Matthieu et saint Marc : Jacques, José ou Joseph, Judas ou Jade, et Simon ou Siméon.

Il ne faut pas songer, dans tous ces passages, à des frères proprement dits. 1° Il n’est presque pas de fait aussi souvent et aussi énergiquement affirmé par la tradition que celui de la virginité permanente de Marie, laquelle, après avoir miraculeusement conçu et mis au monde Jésus, n’eut pas d’autres enfants. 2° Le nom même de frères ne démontre rien ici ; car ach en hébreu, et ἀδελφός dans les Septante ne désignent souvent qu’un parent en général : c’est ainsi que Lot est nommé frére d’Abraham, dont il n’est que le neveu (voy. Gen. xiii, 8 ; xiv, 16 ; xxix, 12, al.). 3° Si les frères de Jésus l’avaient été dans le sens naturel de ce mot en français, il serait très-singulier que jamais Marie n’eût été appelée leur mère ; or, on ne voit dans le Nouveau-Testament comme fils de Marie que Jésus, et c’est précisément par opposition avec ceux qui sont appelés ses frères qu’il est désigné comme le fils de Marie (Marc, vi, 3). Il serait tout à fait inconcevable, en outre, que Jésus, du haut de la croix, eût recommandé sa mère à saint Jean ; si elle avait eu d’autres fils, c’eût été leur devoir naturel de la recueillir, et ils n’y auraient certes pas manqué. La manière même dont Jésus recommanda alors sa mère à saint Jean indique qu’il était le fils unique de Marie, car il dit : Ἴδε ὁ υἱός σου : l’article aurait évidemment manqué s’il y avait eu encore d’autres fils de Marie. 4° Mais ce qui prouve d’une manière péremptoire que les frères de Jésus n’étaient pas les fils de la mère de Jésus, c’est qu’ils avaient une autre mère, dont l’Évangile fait une mention expresse. Parmi les femmes présentes au crucifiement, saint Matthieu (xxvii, 56) cite une Marie, mère de Jacques et de Joseph ; saint Marc (xv, 40) ajoute que ce Jacques, qu’il appelle le petit ou le mineur, est different de Jacques, fils de Zébédée. Comme il ne parait en général, dans le Nouveau Testament, que deux personnages du nom de Jacques, il faut que le premier soit celui que saint Paul nomme le frére du Seigneur (Gal. i, 19), celui à qui sa position comme premier évêque de Jérusalem donnait alors une haute importance, l’auteur enfin de l’Épitre admise dans le canon. Ensuite Jude, au commencement de son Épitre, se nomme le frère de ce Jacques. On trouve donc dans le Nouveau-Testament, pour trois des frères du Seigneur, Jacques, Joseph et Jude, une Marie qui est leur mère et qui est différente de la mère de Jésus. Cette Marie est sans aucun doute identique avec la Marie nommée par saint Jean (xix, 25), la femme de Cléophas et la sœur de la mère du Seigneur. Cléophas, ou, suivant une autre forme du même nom, Alphée, était par conséquent le père de Jacques, de Joseph et de Jude ; et en effet Jacques est souvent nommé le fils d’Alphée (Matth. x, 3 ; Marc, iii, 18 : Luc, vi, 15). Quant à Simon, il est expressément désigné comme fils de Cléophas par Hégésippe, le plus ancien historien de l’Église. Il est donc incontestable que les quatre frères de Jésus étaient des cousins du Seigneur du côté de sa mère.

Ceux qui objectent que deux sœurs vivantes n’ont pu toutes deux porter le nom de Marie, font preuve d’une faible connaissance des usages de l’antiquité. Pour ne prendre qu’un exemple parmi beaucoup d’autres, Octavie, la sœur de l’empereur Auguste, avait quatre filles qui vécurent ensemble ; deux d’entre elles se nommaient, sans autre surnom, Marcella, et les deux autres Antonia. On sait d’ailleurs que le nom de Marie était d’un usage très-fréquent en Galilée.

L’opinion de quelques Pères grecs, que les frères de Jésus étaient des fils de saint Joseph, mais d’un premier mariage, ne s’appuie sur aucune preuve traditionnelle : c’est une pure interprétation exégétique, ou, si l’on veut, une conjecture, née de la difficulté qu’ils trouvaient à accorder ensemble la perpétuelle virginité de Marie et la mention des frères de Jésus. Ne connaissant pas les diverses acceptions du mot ἀδελφοί dans les langues sémitiques, ils crurent, à ce qu’il parait, qu’il fallait l’entendre au moins de frères de lits différents.

Le tableau suivant met sous les yeux la véritable relation des Frères de Jésus avec le Sauveur :

Galilée : voy. Palestine.

Géhenne. C’était primitivement le nom d’une gracieuse vallée au sud-est de Jérusalem, appelée Val de Hinnom (Jos. xv, 8), où, à partir du temps de Salomon, les Israeélites immolèrent des enfants à Moloch. Mais, après le retour de la captivité, revenus à de meilleurs sentiments, ils eurent tellement en abomination le lieu qui avait été le théâtre de ce culte impie et barbare, qu’ils en firent une voirie, et y jetèrent les cadavres et les immondices. Comme il fallait, pour consumer tout cela, y entretenir un feu perpétuel, la vallée fut nommée Géhenne du feu, ou ardente ; de là naquit une autre acception de ce mot en usage au temps de Notre-Seigneur : véritable image de l’enfer, la Géhenne servit à désigner le lieu de l’éternelle damnation.

Généalogie de Jésus-Christ. En comparant la généalogie de Notre-Seigneur donnée par saint Luc (iii, 23-38) avec celle que donne saint Matthieu i, 1-17), on voit qu’elles n’ont presque rien de commun de Jésus à David. D’où vient cette différence ? Il y a deux manières de résoudre la difficulté.

1°. Reithmayr, Allioli, Drach, etc., pensent que nous avons dans saint Matthieu la généalogie officielle de Notre-Seigneur, c’est-à-dire celle de Joseph, père putatif de Jésus, et, dans saint Luc, la généalogie réelle, c’est-à-dire celle de Marie. Mais alors comment expliquer Luc, iii, 23, où il n’est pas fait mention de Marie ? Allioli répond : S’il n’est pas fait mention de Marie elle-même, et si son époux Joseph est cité comme le fils du père de cette divine Vierge, c’est une suite de l’usage reçu parmi les Juifs et chez les autres peuples de l’Orient. D’après cet usage, les hommes qui épousaient des filles héritières, comme était Marie, étaient portés sur les tables généalogiques comme les vrais fils des pères des filles qui se trouvaient dans ce cas. Reithmayr et Drach, rejetant ici la version de la Vulgate, traduisent le grec : Or Jésus avait environ trente ans lorsqu’il commença son ministère, étant (tandis qu’on le croyait fils de Joseph) fils d’Héli, fils de Mathat, etc., le mot fils, qui est sous-entendu en grec (comp ὁ τοῦ Ἀλφαίου), se rapportant toujours à Jésus, parce qu’en hébreu on est fils de son ascendant à quelque degré que ce soit. D’ailleurs, disent-ils, on ne saurait admettre qu’à la fin Adam soit appelé fils de Dieu comme Sem est appelé fils d’Adam. Le Talmud achève de confirmer que la généalogie de saint Luc est celle de Jésus-Christ par sa mère ; car dans les blasphèmes qu’il ose proférer contre la reine du ciel, il l’appelle Marie, fille d’Héli (Talmud de Jésus, traité Sanhédrin, fol. 23, col. 3). Si la tradition chrétienne donne au père de Marie le nom de Joachim, il n’y a point en cela de contradiction ; car chez les Juifs les noms d’Héli, d’Héliakim ou Eliakim et de Joachim sont synonymes, et se mettent facilement l’un pour l’autre. C’est ainsi que le grand-prêtre du temps du roi Manassas est nommé tantôt Eliakim, tantôt Joakim (Judith iv, 5, 7, 11 ; xv, 9).

2°. Toutefois Marie pourrait descendre de David, sans qu’il fût pour cela nécessaire d’établir, contre l’usage, sa généalogie particulière. Il suffisait qu’il soit constant qu’elle était parente de Joseph, pour que la généalogie de ce dernier s’appliquât à elle comme à lui. Or cette parenté, que l’Évangile suppose sans l’exprimer, est établie par les témoignages ! es plus certains de l’antiquité (voy. Patrizzi, Diss. IX, cap. xx, p. 1). Les deux généalogies sont donc, selon toute apparence, de Joseph, et on leur trouve, même dans la période que nous avons marquée, une fraction commune : Zorobabel, fils de Salathiel. Mais, dit M. Wallon, pour deux noms pareils, que de noms différents ! Ce Salathiel des deux listes, qui n’a dans chacune d’elles qu’un même fils, Zorobabel, a deux pères : en saint Matthieu, Jéchonias ; en saint Luc, Néri ; et les deux branches remontent par deux tiges entièrement séparées jusqu’à David, comme de Zorobabel elles descendent, en deux lignes tout à fait distinctes, jusqu’à Joseph qui, lui aussi, a deux pères. Comment expliquer cela ? — Par la loi même des Juifs. Il existait chez les Juifs une coutume sanctionnée par la loi de Moise, qui voulait que, si un homme mourait sans laisser d’enfant, son plus proche parent épousât sa veuve pour lui susciter une postérité, et l’enfant qui naissait du mariage, fils naturel du second mari, était fils légal du premier. C’est la loi du Lévirat, telle qu’on la voit réglée dans le Deutéronome (xxv, 5-10), et mise en pratique dans l’histoire de Ruth (iv, 7). Des deux pères donnés à Joseph, et avant lui à Salathiel, l’un est le père naturel, l’autre le père légal ; et les deux évangélistes, selon qu’ils ont pris l’un ou l’autre, ont été amenés à donner deux séries différentes : de Joseph, par Jacob ou par Héli, à Zorobabel, fils de Salathiel ; et de Salathiel, par Jéchonias ou par Néri, à David. — Pour écarter une explication si simple, le docteur Strauss suppose qua le mari donné à la veuve par la loi du lévirat est le frère ou le très-proche parent du premier, de telle sorte que les deux généalogies, l’une légale, l’autre naturelle, reviennent presque aussitôt à la même tige. D’abord, cette hypothèse est toute gratuite : la loi demande le plus proche parent, mais le plus proche peut ou bien se trouver lui-même assez éloigné, ou bien refuser, et laisser passer ce droit ou ce devoir à une ligne fort reculée. Le P. Patrizzi, répondant aussi à l’objection de Strauss, invoque d’autres raisons qui montrent que la différence entre les deux généalogies est moins grande qu’elle ns le paraît au premier coup d’œil : la multiplicité des noms propres pour un seul personnage chez les Hébreux, l’omission volontaire de plusieurs noms dans saint Matthieu, les inexactitudes des copistes, etc. Ainsi, par exemple, le Joanna de saint Luc, père de Juda, pourrait bien être le même personnage qua l’Abiud de saint Matthieu ; car Abiud en chaldéen signifie père de Juda. Sadoc veut dire juste ; le personnage ainsi appelé de son surnom par saint Matthieu ne serait-il pas le même qu’un autre appelé par saint Luc de son nom véritable ? De même entre Naggé, écrit dans d’autres manuscrits Nancé, Maggé, Aggé, n’est peut-être que l’Achim de saint Matthieu.

Il ns s’agit plus que de savoir (mais cela ne touche pas à la véracité des deux auteurs) lequel a suivi l’ordre légal, lequel l’ordre naturel, et pourquoi ils ne se sont pas accordés dans le même système. Sur ce dernier point, on pourrait dire qu’ils ne l’ont pas fait précisément pour donner la généalogie du Sauveur deux aspects différents. La parenté légale est celle qu’on observait dans les actes publics ; mais il importait de montrer que Jésus-Christ était naturellement, et non pas seulement par une fiction légale, du sang de David ; et c’est sans doute ce que saint Matthieu a voulu expressément marquer par le mot engendra. Saint Luc se sert d’un terme plus vague et plus général.

Grand-Conseil : voy. Sanhédrin.

Hérode (Famille d’). Famille d’origine iduméenne qui, depuis la conquête de la Judée par Alexandre Jannée, était entrée en fréquente relation avec les Asmonéens (Macchabéens), et avait conçu le plan ambitieux de profiter de leur faiblesse et de leur désunion pour s’emparer de la Palestine. Voici les membres de cette famille dont il est question dans les Évangiles.

1° Hérode l’Ancien, surnommé le Grand, et bien plus digne, dit M. Munk, du nom de tyran exécrable, était fils d’Antipater. L’an de Rome 714, un décret du sénat le nomma roi de Judée, au détriment de tous les Asmonéens. Ce ne fut qu’à la fin de l’année 716 qu’il parvint à se rendre maitre de Jérusalem ; Antigone, son rival, eut la tête tranchée, et Hérode, paisible possesseur du pays, commença véritablement son règne l’an 717. Après une longue vie, troublée par beaucoup de crimes et d’amers remords, ce prince astucieux et cruel mourut sans être regretté de personne, à la suite d’une affreuse maladie, peu avant Pâque, au moment d’une éclipse de lune (l’an 750 de Rome). Il avait régné 34 ans depuis la mort d’Antigone, 37 depuis le décret du sénat.

2° Archélaüs, fils d’Hérode l’Ancien et de la samaritaine Malthacé, ethnarque, improprement roi de Judée à la mort de son père, l’an 750 de Rome. Jésus était dans sa douzième année, quand cet homme faible et sans caractère, parfois violent, fur déposé par Auguste, l’an 759 de Rome, 6 de l’ère vulgaire.

3° Hérode Antipas, ou le Tétrarque, fils d’Hérode l’Ancien et de Malthacé, fut tétrarque de la Galilée et de la Pérée pendant toute la vie de Notre-Seigneur. C’était un prince paresseux et nul, favori et adulateur de Tibère, en l’honneur duquel il appela Tibériade une ville qu’il avait fait bâtir sur le lac de Génésareth. Marié à une fille d’Arétas, roi d’Arabie, il s’éprit d’Hérodiade, femme de son demi-frère Philippe, et contracta avec elle un mariage secret. Jean-Baptiste ayant reproché Antipas cet inceste, fut emprisonné par ses ordres dans la forteresse de Machéro, et mis à mort sur la demande d’Hérodiade (Matth. xiv, 3 sv ; Marc, iv, 14 sv ; Luc, iii, 19 ; ix, 7-9). Hérode se trouvait à Jérusalem au temps de la Passion, et Pilate lui renvoya Jésus comme son sujet. Mais n’ayant pu en obtenir ni un miracle, ni même une réponse, il le fit revêtir d’une robe blanche par dérision, et reconduire au procurateur. Antipas fut exilé par Caligula à Lyon, où Hérodiade l’accompagna ; d’aprés Josèphe, il mourut en Espagne.

4° Philippe, fils d’Hérode l’Ancien et de Cléopâtre, tétrarche de la Gaulonitide, de la Trachonitide, de l’Iturée et de la Batanée, sur les terres duquel Jésus fit de fréquents voyages ; il se montra meilleur souverain que ses fréres.

5° Hérode Philippe, ou simplement Philippe, fils d’Hérode l’Ancien et de Mariamne (seconde femme de ce nom, qu’il ne faut pas confondre avec Mariamne l’Asmonéenne), n’eut aucune part dans l’héritage paternel. Sa femme Hérodiade fut séduite par son demi-frère Hérode Antipas (Matth. xiv, 3 ; Marc, vi, 17).

6° Hérodiade, fille d’Aristobule (ce fils d’Hérode l’Ancien et de l’Asmonéenne Mariamne, massacré par son père), par conséquent petite-fille d’Hérode l’Ancien. Elle avait, d’après la volonté de son aïeul, épousé Hérode Philippe ; mais, séduite plus tard par Hérode Antipas, elle s’unit à lui, et ce fut à sa demande que saint Jean-Baptiste fur décapité (Matth. xiv, 3 sv ; Marc, vi, 17, 18).

Hérodiens. — Hommes attachés au parti d’Hérode et des Romains. Il en est question trois fois dans l’Évangile : Matth. xxii, 16, Marc, iii, 6 ; xii, 13 ; mais Josèphe et Philon n’en disent pas un mot. La version syriaque du Nouv. Testament les appelle gens de la maison d’Hérode, ce qui indiquerait, non une secte religieuse, mais un parti politique. Ils pourraient néanmoins, en tant que favorables à la domination étrangère sur le peuple de Dieu, et par conséquent opposés au judaïsme théocratique, être regardés comme une secte religieuse proprement dite. Quelques-uns voient dans les Hérodiens de l’Évangile les Boéthusiens mentionnés par Josèphe, famille intrigante remontant à Boéthus d’Alexandrie, dont plusieurs membres, entre autres Simon, père de la seconde Mariamne, furent élevés au souverain sacerdoce par Hérode l’Ancien et ses fils ; mais ce n’est là qu’une simple conjecture. « Le parti des Hérodiens, dit le Dr Sepp, avait commencé à se former vingt ans à peu près avant la naissance de J.-C, lorsque Menahem, esprit fort, quitta la présidence du grand conseil, et passa dans le camp d’Hérode avec quatre-vingts, ou selon d’autres cent soixante de la noblesse juive, qui étaient en même temps ses disciples. Cette coterie d’illuminés, dont les mœurs ressemblaient à celles des épicuriens, formait avec les autres courtisans une faction et comme une secte de cour, sous le titre d’Hérodiens : c’était dans la nation le parti romain ou impérialiste. Ils occupaient presque toutes les charges. Hérode les avait initiés à sa politique astucieuse, et s’était servi d’eux pour bouleverser la constitution et les mœurs du peuple juif… Après la mort d’Hérode, le parti des Hérodiens se répandit en Galilée sous le faible Antipas ; et, malgré l’exil d’Archélaüs, digne fils de son père, il sut garder à la cour et dans le gouvernement l’influence politique dont il avait joui jusque-là.

Iturée : voy. Palestine.

Jéricho, litt. ville de la lune ou lieu odorant, était située dans la tribu de Benjamin, à 150 stades (7 lieues environ) au N.-E. de Jérusalem, sur la route qui mène à cette capitale, dans une contrée agréable et fertile, surtout en baumiers, en rosiers et en palmiers, d’où vient son nom de ville des palmiers. Soit à cause de ses riches cultures, soit comme tête de route importante, elle avait, au temps de N.-S., un poste de douane, dont Zachée était le receveur en chef (Luc, xix, 1 sv.). Ce n’est plus aujourd'hui qu’un misérable village, appelé Rieha, et composé d’une quarantaine de cabanes, moitié en boue, moitié en feuillage, habitées par des Arabes. Ces cabanes sont entourées de haies de nopal et de branches d’arbustes épineux pour les protéger contre les voleurs et les chacals. Le seul monument du passé qui subsiste à Jéricho est une tour de forme carrée, que Scholtz fait remonter à l’époque romaine ; c’est là que réside l’aga ou gouverneur, avec une poignée de soldats turcs. L’arbre lui-même qui faisait sa gloire, le palmier, a disparu de son territoire : il en reste à peine, dit Mgr Mislin, trois ou quatre chétifs exemplaires.

Jourdain (de l’hébreu iarad, couler, comme en Allemagne le Rhin, Rhein, de rinnen), le grand fleuve de la Palestine. Il jaillit d’une double source, l’une située dans une grotte spacieuse qui donnait son nom à l’antique ville de Baneas ou Paneas (Césarée de Philippe), aujourd’hui village de Banias ; l’autre, plus petite, appelée Dan, aujourd’hui Tell-el-Kady. Les eaux réunies de ces deux sources coulent du nord au sud, tombent dans un petit lac appelé Marom, aujourd’hui Bar-el-Huleh, traversent en sortant de ce lac un lit rocailleux, reçoivent à droite un certain nombre de ruisseaux, et arrivent, après un cours d’environ trois lieues, au lac de Tibériade ou de Génésareth, qu’elles traversent. Appelé jusqu’alors Ordoun par les Arabes, le Jourdain, sous le nom nouveau de Schériah ou Schériah-el-Kébir, le grand abreuvoir, poursuit ou plutôt précipite son cours à travers de nombreux rochers, au milieu d’une nature aride et désolée, jusqu’à ce qu’il trouve son tombeau dans la mer Morte. La plaine du Jourdain, aujourd’hui el Ghor, large de deux ou trois lieues, est en général aride et stérile ; le sol est en beaucoup d’endroits, surtout à l’approche de la mer Morte, couvert d’une croûte salée, et de loin en loin se trouvent de petits monceaux d’une poussière menue semblable à du soufre ; la vallée du fleuve, les environs de Génésareth, et au sud l’oasis de Jéricho sont seuls fertiles. Tel est le fleuve sur les rives duquel se sont déroulés les événements les plus merveilleux de l’histoire, événements inaugurés eux-mêmes par un miracle, puisque les eaux du Jourdain se retirèrent pour laisser passer ses futurs maîtres marchant à la conquête du pays. Dans la suite, ce fut là qu’Elie et Elisée exercèrent leur ministère : Elie, figure de Jean-Baptiste, qui devait, sur ces mêmes bords, fermer l’Ancien Testament ; Elisée, figure du Messie, qui devait partir de là pour fonder l’œuvre de la Nouvelle Alliance et de la Rédemption du monde. Jésus, en recevant le baptême dans le Jourdain, sanctifia l’eau en général et en fit le véhicule de la première grâce, celle qui donne la qualité d’enfant de Dieu, en même temps que par cet acte d’humilité et d’obéissance il offrait un sacrifice satisfactoire pour l’humanité entière. Le bain que les pèlerins prennent dans le Jourdain, le respect qu’on attache aux eaux de ce fleuve, rappellent ces grands et pieux souvenirs. — Kirchen-Lexicon, art. Jourdain, par S. Mayer.

Judée : voy. Palestine.

Logos. L’Évangéliste saint Jean nomme la seconde personne divine ordinairement Fils de Dieu, quelquefois Fils unique du Père, et dans le prologue de son Évangile Logos (λόγος), Verbum dans la Vulgate, c’est-à-dire verbe ou parole de Dieu. Nous n’avons pas à nous occuper du sens dogmatique et théologique de cette dernière expression, évidemment synonyme des deux autres (voyez les notes du chap. i de saint Jean) ; nous voulons seulement répondre à cette question : Pourquoi saint Jean a-t-il appelé λόγος la deuxième personne de la sainte Trinité ?

D’abord il le pouvait. En effet, le Fils de Dieu est, selon le langage de saint Paul, la force et la sagesse de Dieu (1 Cor. i, 24), l’image du Dieu invisible (Col. i, 15), celui en qui habite substantiellement la plénitude de la divinité (ibid. ii, 9), la splendeur et le caractère (ou l’empreinte) de sa substance (Hébr. i, 3), de sorte que celui qui le voit voit le Père (Jean, xiv, 9) ; en un mot le Fils de Dieu, ou la seconde hypostase divine, est le Dieu manifesté. Or, cette idée, on peut et saint Jean pouvait l’exprimer par l’appellation de Logos, qui veut dire verbe, parole, manifestation. Dieu est esprit ; la parole est le résultat de l’énergie spirituelle, la pointe à laquelle elle se termine ; en d’autres termes, c’est par la parole que Dieu en tant qu’esprit se manifeste de la manière la plus complète. Logos est donc une dénomination du Fils de Dieu tout à fait analogue aux expressions qui désignent dans saint Paul ce même Fils de Dieu, image, splendeur, caractère ou empreinte. D’où il suit encore que Logos est rendu de la manière la plus exacte dans la Vulgate par Verbum, verbe ou parole.

En y regardant de plus près, nous découvrons sans peine la raison pour laquelle saint Jean, pouvant appeler Logos la seconde personne divine, l’a en effet appelée ainsi. Cette raison est la même qu’avait saint Paul pour ne pas se contenter, en parlant du Fils de Dieu, de le nommer seulement Fils mais encore image du Dieu invisible, splendeur de sa gloire, caractère de sa substance. Les apôtres, témoins oculaires de la manifestation de Dieu en Jésus-Christ, avaient d’abord à raconter historiquement l’Évangile, et, sous ce rapport, ils ne pouvaient désigner le Christ autrement que comme Fils de Dieu, Fils unique du Père, le décrire autrement que comme personne divine. Mais il était impossible que, dans le cours de leurs prédications, ils ne fussent pas amenés à donner des explications propres à faire mieux comprendre l’idée de Fils de Dieu, et surtout à répondre à la question que devaient soulever leurs auditeurs : comment l’unité de Dieu n’était-elle point détruite lorsqu’on parlait du Père et du Fils (et du Saint-Esprit) ? On connaît la réponse de saint Paul et les expressions citées plus haut, par lesquelles il s’efforce de bien indiquer la nature du Fils ; celle de saint Jean est la domination même de λόγος, par laquelle il désigne le Christ comme Verbe ou Parole de Dieu. Qu’on le remarque bien, ce n’est point quand il parle en historien, c’est quand il veut donner des explications théoriques, définir des idées, que saint Jean se sert de cette expression. Dans l’Évangile il raconte l’histoire de Dieu fait homme, et alors il le nomme toujours Fils du Dieu, Fils unique du Père ; mais dans le prologue, c’est-à-dire dans l’introduction à son Évangile, il veut exprimer ce qu’est en lui-même ce Fils de Dieu dont il va raconter l’histoire, l’idée que l’on doit s’en faire : Il faut, dit-il, se le représenter comme Logos, comme manifestation personnelle de Dieu, comme Dieu manifesté. Comp. Apoc. xix, 13.

Mais n’y avait-il pas, dans les systèmes philosophiques ou religieux qui régnaient à cette époque, assez d’éléments pour donner à saint Jean, indépendamment de l’assistance du Saint-Esprit ou des enseignements de Jésus, l’idée et le nom de son Logos ? Quelques adversaires de la révélation l’ont soutenu ; mais quand il s’agit d’indiquer la source où saint Jean aurait puisé, ils se partagent en deux classes principales.

1. Les uns prétendent que saint Jean a emprunté sa doctrine du Logos aux Thargumim d’Onkelos et de Jonathan ben Usiel. Ces deux rabbins, à peu près contemporains de Jésus-Christ, ont composé des paraphrases, le premier du Pentateuque, le second des Prophètes ; ces paraphrases sont appelées Thargumim (plur. de Thargum), et ces Thargumim seraient la source à laquelle l’Évangéliste aurait puisé l’idée et le nom de Logos. En effet, presque partout où il y a dans l’Ancien Testament Dieu, esprit de Dieu, les Thargumim mettent Memra, Verbe ou Parole de Dieu, personnifiant cette parole. Saint Jean, pendant son séjour en Judée, aurait appris à connaître ces idées théologiques, qui renfermaient une science plus profonde de l’Ancien Testament, et elles devinrent un des éléments dont se forma son idée du Logos, en sorte que la doctrine johannique du Verbe ne serait qu’un développement de la doctrine thargumique du Memra.

Cette opinion est souverainement erronée. Si saint Jean, outre le Christ qu’il avait vu, entendu, touché de ses mains, avait eu besoin d’un autre enseignement pour s’élever à l’idée du Logos, ce n’est pas aux Thargumim qu’il aurait eu recours ; il pouvait s’adresser à l’Ancien Testament, spécialement aux écrits deutéro-canoniques, qui personnifient très-souvent les manifestations divines (la sagesse, la parole). Donner pour maître à un Apôtre des Juifs postérieurs à Jésus-Christ, c’est méconnaître complétement la nature du christianisme ; car, après le Christ, il n’y a plus de prophète, plus de maître, comme il n’y a plus de prêtre. Quiconque enseigne la vérité après Jésus-Christ, le fait comme organe de Jésus-Christ. D’ailleurs comment le Memra des Thargumin aurait-il pu donner naissance au Logos de saint Jean ? Le Memra n’est qu’une simple personnification de la parole impersonnelle de Dieu, qui ne saurait devenir jamais Fils de Dieu, jamais Dieu, et qui, par conséquent, ne ressemble en rien au Logos de l’Évangile.

2. Longtemps avant Jésus-Christ, disent les autres, les Juifs Alexandrins professaient la doctrine d’une raison de Dieu personnifiée, d’un Λόγος Θεοῦ. Au temps du Sauveur, Philon avait développé et formulé nettement cette idée. D’Alexandrie, les Thérapeutes et les Esséniens l’avaient propagée en Palestine. Saint Jean avait fréquenté les écoles de ces derniers : par conséquent son Logos découle de la même source que le Logos de Philon.

Cette prétendue identité est contraire au bon sens et s’évanouit à la moindre comparaison que l’on peut faire des deux doctrines. Si saint Jean avait reçu des Esséniens, des Thérapeutes ou de toute autre secte de ce genre, les révélations qui lui assignent le premier rang parmi les Évangélistes, pourquoi les aurait-il attribuées à Jésus ? Une telle ingratitude, un tel reniement de ses maîtres véritables serait inouï. Il n’y a qu’une hypothèse où l’essénisme ou le thérapeutisme de saint Jean ne serait pas absurde, c’est celle où Jésus aurait été lui-même un Thérapeute ou un Essénien. Mais c’est un fait inconnu dans l’histoire, et, même dans cette hypothèse tout à fait imaginaire, on ne comprendrait pas encore pourquoi le maître thérapeute de saint Jean ne se serait pas une seule fois nommé Logos en parlant de lui-même, et pourquoi saint Jean ne se sert de cette expression que lorsqu’il parle en son propre nom. — Il est incontestable, d’ailleurs, que l’Évangile proprement dit de saint Jean n’a rien de commun avec les idées philosophiques de Philon et n’offre pas la moindre trace de son Logos. Que s’il en est ainsi de l’Évangile, il faut dire la même chose du Prologue qui forme, avec l’Évangile, un tout inséparable. L’Évangile nous donne l’histoire du Fils de Dieu incarné ; or, pour que cette histoire soit comprise, le Prologue enseigne ce qu’est en lui-même le Fils de Dieu, dont il va être question ; saint Jean parle théologie avant de parler histoire, et cette théologie, il la tient du Fils de Dieu lui-même, comme l’histoire, il l’a vue de ses yeux et entendue de ses oreilles : Quod audivimus, quod vidimus, etc. — Enfin, le Logos de Philon n’est que la raison divine réalisée ou exprimée dans la matière, c’est-à-dire le monde. Deux éléments, dit Philon, sont le principe ou la cause du monde : un élément actif ou formateur, et un élément passif capable d’être informé. Le premier est la raison pure, absolue ; le second est la matière, sans vie, sans mouvement, sans forme. La raison, qu’il appelle aussi Dieu, pénètre la matière avec sa vie, son mouvement, sa vertu formatrice ; cette matière pénétrée, informée, devient le monde. Mais cet acte est naturellement précédé de la pensée du plan du monde ; il faut d’abord que la raison (Dieu) pense, crée dans sa pensée un système cosmique, une forme qui sera imprimée à la matière. Ce plan n’est autre chose que le monde renfermé dans l’intelligence de Dieu, le monde pensé ou existant comme pensée, κόσμος νοητός ; et Philon appelle λόγος aussi bien le monde pensé que la raison divine qui le réalise. Veut-on s’exprimer sans figure, ajoute-t-il, il faut dire que le monde pensé n’est pas autre chose que la raison de Dieu occupée de la formation du monde. Ainsi quand il dit que le Logos est l’ordonnateur des choses, il ne le présente que comme une personnification de Dieu, non comme Dieu même. On voit aussi en quel sens il appelle le Logos Fils de Dieu : pour lui, la matière n’est pas, μὴ ὄν ; ce qui constitue le monde, c’est la pensée, la forme ; donc le monde réel, κόσμος ὁρατός, αἰσθητός, est le Verbe de Dieu, comme le monde pensé ; mais celui-ci est antérieur, le premier-né υἰὸς πρεσϐύτερος, celui-là le puîné υἰὸς νεώτερος Θεοῦ. En résumé, saint Jean et Philon n’ont de commun que le mot, les idées diffèrent totalement. Le Logos de saint Jean est personne, il est Dieu, en rapport éternel avec le Père, πρὸς τὸν Θεόν ; celui de Philon est un produit de la raison impersonnelle, une pensée. Le Logos de saint Jean est créateur du monde, celui de Philon le monde même. A vrai dire, Philon est, pour le fond de sa philosophie, purement platonicien ; il ne s’écarte de son maître que par certaines expressions que, comme Juif, il emprunte à la langue de l’Ancien Testament.

Nous ne nions pas, cependant, qu’il existe un rapport entre le Verbe de saint Jean et celui des Thargumim et de Philon ; ce rapport nous paraît même vraisemblable, mais c’est un rapport négatif. Les apôtres avaient annoncé Jésus-Christ comme le Fils de Dieu, essentiellement égal à son Père, et en même temps comme le Dieu manifesté, ce qui laissait intacte l’unité divine. Cette doctrine ne disposait-elle pas beaucoup d’esprits à appliquer à Jésus Christ, soit l’idée thargumique, soit l’idée philonienne du Logos ? Mais, ni dans l’un ni dans l’autre cas, on n’avait plus le véritable Christ, le véritable Fils de Dieu. Les apôtres avaient donc à protester contre l’une ou l’autre de ces applications. On peut considérer le prologue du quatrième Évangile comme une protestation de ce genre : c’est un solennel avertissement adressé au lecteur par l’Évangéliste. Le Fils de Dieu, dont il va raconter l’histoire, peut, sans aucun doute, être appelé Logos, Verbe de Dieu ; mais par ce Logos il faut entendre, non le Verbe impersonnel et simplement personnifié des Thargumim, non le Verbe, produit ou manifestation de la raison divine, de Philon, mais Celui qui est absolument, ἐν ἀρχῇ ἦν, éternellement en rapport avec le Père πρὸς τὸν Θεόν, en un mot, Dieu simplement, Θεὸς ἦν ὁ λόγος, le Créateur de l’univers, πάντα δι’ αὐτοῦ ἐγένετο, etc. ; et c’est ce λόγος qui s’est fait chair, καὶ ὁ λόγος σάρξ ἐγένετο, et qui a vécu parmi nous comme Christ. Il est évident que l’apôtre ne pouvait combattre plus directement les erreurs signalées ; comme il lui était permis, d’ailleurs, de nommer Verbe le Fils de Dieu, on comprend comment il a été amené à se servir plusieurs fois, notamment dans le prologue dé son Évangile, de la dénomination de Logos. — Kirchen-Lexikon, art. Logos, par Mattes. Comp. Patrizzi, de Evangeliis, lib. III, Dissert. viii, 14, 15 ; Klofutar, comment. in Evan. S. Joannis, p. 6 sv.

Lysanias. — Josèphe parle d’un prince nommé Lysanias qui, vers le commencement du règne d’Hérode l’Ancien, était roi de Chalcis au pied du Liban, et qui fut mis à mort par Antoine au temps où ce dernier fit son expédition en Arménie. Son père s’appelait Ptolémée, fils de Ménée ; ses États, au rapport de Strabon et de Dion, avaient pour centre Héliopolis (Baalbeck) et Chalcis, et s’étendaient au nord jusque dans la plaine du Marsyas, au sud-est jusqu’au voisinage de Damas. Il ne faut pas confondre avec la capitale de la Chalcidie cette Chalcis située au sud d’Héliopolis, sur la rive orientale du fleuve Litani (le Leontes), dans un emplacement appelé aujourd’hui Andjar, où l’on trouve des ruines importantes.

Strauss prétend que c’est ce Lysanias que saint Luc, par erreur, fait revivre plus de soixante ans après, lorsqu’il dit que dans la quinzième année de Tibère Lysanias était tétrarque d’Abilène (iii, 1). Voy. ce mot.

Mais 1° cette supposition est tout à fait gratuite : de ce qu’un personnage a été à une certaine époque roi de Chalcis, est-ce qu’il est impossible qu’un personnage de même nom se trouve soixante ans après tétrarque d’Abilène ?

2° Il est en soi tout à fait vraisemblable, dit Tholuck, de rencontrer un fils ou un petit-fils du premier Lysanias, quelque temps après la mort de son père, en possession d’une partie de ses États. Le premier Lysanias avait été mis à mort et dépouillé par Antoine ; Auguste, tout en laissant en d’autres mains une portion de ses dépouilles, aurait pu se plaire à relever une famille frappée par son rival.

3° Le silence des historiens, de Josèphe en particulier, ne prouverait rien ici. Qui ne sait qu’à cette époque de transition la Syrie et les pays environnants comptaient une multitude de petites souverainetés, plus ou moins vassales de Rome, sans cesse troublées et déchirées par des changements de maîtres ou des remaniements de territoire ? Il n’y aurait donc rien d’étonnant qu’on ne pût trouver, dans ce qui nous reste des anciens auteurs, assez de documents pour déterminer quel était, à telle date, surtout dans une période agitée par tant de bouleversements politiques, le souverain d’un État d’origine récente, n’ayant que quelques milliers d’habitants, et presque perdu dans les montagnes.

4° Mais Josèphe lui-même, dont les incrédules opposent le silence à l’assertion de saint Luc, Josèphe atteste clairement l’existence d’un Lysanias postérieur au premier et tétrarque d’Abilène ; son récit suppose la chose connue de tous, et ne serait plus, sans cette circonstance, qu’une énigme incompréhensible. Voici, en effet, ce qu’il raconte : a) Caligula donna à Agrippa Ier, fils d’Aristobule et petit-fils d’Hérode l’Ancien, le titre de roi, avec la tétrarchie de Philippe qui était mort, et bientôt celle d’Hérode Antipas qui fut exilé (Bell. jud. II, ix, 6 ; Antiq. XVIII, vii, 1) ; Claude, allant plus loin encore, lui rendit la totalité du royaume de son aïeul, avec la Trachonitide et l’Auranitide, qu’Auguste y avait ajoutées, et en outre un autre royaume appelé de Lysanias, ou comme disent les Antiquités, Abila de Lysanias, et tout ce qui était dans le Liban ; Hérode, frère d’Agrippa, obtenait en même temps Chalcis (Bell. jud. II, xi, 5 ; Antiq. XIX, v, I. b) Agrippa 1er étant mort de cette fin tragique racontée par Josèphe et dans les Actes, son fils (Agrippa II) parut trop jeune pour être maintenu en Judée, mais Hérode étant mort à son tour, Claude donna Chalcis au jeune Agrippa, c) Enfin lorsqu’il fut plus grand, l’empereur, en la douzième année de son règne, lui reprit Chalcis et lui donna la tétrarchie de Philippe, en y ajoutant le royaume de Lysanias, ou, comme il est dit dans les Antiquités, Abila, qui avait été la tétrarchie de Lysanias (Bell., jud. II, xii, 8 ; XX, vii, 1). — Que l’on compare ces données de Josèphe avec le premier paragraphe de cet article où le même historien nous parle d’un Lysanias, roi de Chalcis, et l’on verra que le royaume de Chalcis étant distinct de la tétrarchie d’Abila, il faut nécessairement que Lysanias, roi de Chalcis, soit différent de Lysasias, tétrarque d’Abila. Qu’on le remarque bien, quand Josèphe parle du royaume de Chalcis, il ne fait jamais mention d’Abila, jusque-là que quelques-uns ont pensé que l’Abilène n’en faisait point partie : que peut donc signifier la locution Abila de Lysanias ? Pour qu’elle ait un sens, il faut deux choses : 1° Que Abila ait été la partie principale du royaume ou de la tétrarchie de Lysanias ; or, quand il s’agit du premier Lysanias, Abila ne figure jamais dans Josèphe ; 2° que Lysanias, dont le nom sert à déterminer Abila, ait gouverné ce pays à une époque assez rapprochée du temps où Josèphe écrivait ; autrement on aurait pu le confondre avec le fils de Ptolémée, or, ce Lysanias, intermédiaire entre Lysanias, fils de Ptolémée. roi de Chalcis, et Agrippa, investi de la tétrarchie de Lysanias en Abilène, c’est le tétrarque mentionné par S. Luc. Ainsi, loin que l’Évangéliste soit contredit par Josèphe, Josèphe ne peut s’expliquer que par l’Évangéliste.

Marie-Madeleine, ainsi appelée du bourg de Magdala, situé à une demi-lieue au sud de Tibériade. Marie-Madeleine, Marie, sœur de Marthe et de Lazare, et la pécheresse dont il est parlé Luc, vii, 37 sv., sont-elles la même personne ; ou bien faut-il distinguer deux ou même trois Marie ?

Le premier sentiment, généralement suivi dans l’Église latine, fut attaqué au xvie siècle, par Lefèvre d’Étaple, qui chercha à démontrer que ces trois femmes étaient trois personnes différentes ; d’autres, et saint Jean Chrysostome et saint Jérôme paraissent favoriser cette opinion, identifient la pécheresse et Marie-Madeleine, mais distinguent Marie, sœur de Marthe et de Lazare. Beaucoup de savants catholiques, entre autres Fisher, évêque de Rochester, et le bollandiste Sollier (Commentar. præv. ad vit. S. M. Magdalenæ, § v, 8, 11) entrèrent en lice pour combattre l’opinion de Lefèvre. Elle fit son chemin malgré cela, notamment en France, où elle compta parmi ses partisans des hommes tels que Estius, Tillemont, Launoy, etc.

Voici quels étaient les principaux arguments de Lefèvre et de Tillemont : 1. Saint Luc qui parle de la pécheresse au chap. vii, de Madeleine au chap. viii, et de la sœur de Marthe au chap. x, ne laisse soupçonner en aucune manière l’identité de ces trois femmes. Il en est de même de saint Jean : comp. xx, 1, avec xi et xii. — 2. Ces trois femmes paraissent avoir eu un lieu d’habitation différent : la pécheresse, le bourg de Naïm ; Madeleine, celui de Magdala ; et la sœur de Marthe, le village de Béthanie. — 3. Madeleine accompagnait le Sauveur en Galilée (Luc, viii, 1 ; Matth. xxvii, 55 ; Marc, xv, 40, 41), tandis que Marie, la sœur de Lazare, demeurait à Béthanie. — 4. Si la pécheresse eût été la même personne que la sœur de Lazare, est-ce que Jésus aurait fréquenté cette famille ? Est-ce que les Juifs seraient venus consoler Marthe et Marie de la mort de leur frère ? — 5. Outre ces raisons, l’opinion de Lefèvre a en sa faveur l’autorité de plusieurs Pères, surtout de l’Église grecque (Origène, Théophylacte, etc.) ; des ménologes grecs, qui donnent pour la pécheresse, pour Madeleine et pour la sœur de Lazare, trois jours de fêtes différents (ler mars, 22 juillet, 18 mars) ; des martyrologes de Raban Maur et de Notker, qui font à des jours différents mémoire de la sœur de Marthe et de Madeleine (18 janv., 22 juillet), et enfin de notices du viie siècle, relatives à la sépulture de Madeleine et de la sœur de Marthe, suivant lesquelles la première serait ensevelie à Ephèse, la seconde à Jérusalem avec sa sœur et son frère.

Les partisans de l’identité des trois Marie, parmi lesquels il faut compter saint Cyprien, saint Augustin et saint Grégoire le Grand, répondent : 1. Ce que saint Luc n’a pas fait, rien ne l’obligeait à le faire. On peut même croire que c’est à dessein, et par un sentiment de délicatesse facile à comprendre, qu’il évite, en parlant de la sœur de Marthe (x, 39), de rappeler la honte de sa vie, purifiée d’ailleurs par la pénitence. — 2. Dans le passage allégué de saint Luc (vii, 37) rien ne prouve que cette ville fût la véritable patrie de la pécheresse. De même, la sœur de Lazare, qui demeurait alors à Béthanie avec son frère, pouvait être surnommée de Magdala, soit pour avoir habité autrefois dans ce bourg, soit pour y posséder quelque terre. — 3 Une femme de Béthanie pouvait bien accompagner de temps en temps Notre-Seigneur dans ses voyages en Galilée. — 4. Jésus-Christ ne dit-il pas lui-même qu’il est venu pour appeler les pécheurs à la pénitence ? Quant aux Juifs, Marie s’était réhabilitée depuis longtemps à leurs yeux par sa pénitence et ses vertus.

Nous allons plus loin, et nous disons que l’Évangile, loin d’être contraire, est favorable à l’identité des trois Marie. 1. Saint Luc raconte au chap. vii la conversion d’une pécheresse ; cette femme, après une si grande grâce, consacre désormais toute sa vie à son divin bienfaiteur. N’est-ce pas ce qu’indique l’Évangéliste, lorsque, commençant le chapitre suivant par la mention des saintes femmes qui accompagnaient le Sauveur dans ses voyages et pourvoyaient à son entretien, nomme en premier lieu Marie de Magdala ? — 2. Nous lisons Luc, x, 49 sv., que Jésus, venant de Galilée à Jérusalem, fut reçu à Béthanie par Marthe, laquelle s’agitait beaucoup pour fournir aux besoins d’un hôte si illustre tandis que Marie, assise aux pieds du Sauveur, qu’elle avait naguère arrosés de ses larmes et essuyés de ses cheveux, écoutait la divine parole. Que l’on rapproche de ce passage Jean, xi, 2, où se trouve une allusion manifeste à Luc, vii, 37 sv., et l’on ne pourra guère douter que la pécheresse Madeleine et la sœur de Marthe ne soient la même personne. — 3. On arrive à la même conclusion en examinant avec soin ce que saint Jean raconte de Marie, sœur de Marthe, dans le même chapitre xi : c’est Marthe qui, en qualité de maîtresse de maison, avertie que Jésus arrive, va au-devant de lui ; Marie, qui ignore cette nouvelle, reste à la maison, occupée sans doute à prier. Mais à peine a-t-elle appris de sa soeur que le Seigneur est arrivé, qu’elle court vers lui, et tombe, comme de coutume, à ses pieds. — 4. Comme, selon notre opinion, Notre-Seigneur fut parfumé deux fois par la même femme dans la même maison de Simon le lépreux, la famille de Lazare et celle de Simon paraissent avoir été unies entre elles, sinon par la parenté, au moins par l’amitié ; c’est ce qui explique comment, dans la première de ces deux circonstances (Luc, vii, 37 sv.), la pécheresse, dont le nom est omis en cet endroit par l’Évangéliste, a pu s’introduire dans la salle à manger. C’est donc avec raison que l’Église a consacré dans sa liturgie l’opinion qui identifie Marie de Magdala avec la pécheresse mentionnée par saint Luc, et Marie, sœur de Lazare.

D’après une tradition ancienne, Marie-Madeleine, quelque temps après l’ascension, aborda dans les Gaules avec Marthe, Lazare et quelques autres disciples de Jésus, mourut en Provence, et fut ensevelie dans l’ancien couvent des Dominicains de Saint-Maximin, dans le diocèse d’Aix. Voy. Faillon, Monuments inédits sur l’apostolat de sainte Marie-Madeleine en Provence.

Nazareth, litt. fleur ou rejeton, où s’est tenue cachée la fleur la plus parfaite qui se soit épanouie sur la terre, où a germé le rejeton qui s’est élevé comme un signe à la vue des peuples, et vers lequel toutes les nations sont accourues (Is. xi) ; Nazareth, aujourd’hui Nazirah, appelée quelquefois par les Arabes la cité blanche à cause de l’éclatante blancheur de son sol et de ses maisons, était une petite ville de la basse Galilée, bâtie en amphithéâtre sur un pli de terrain au sommet du groupe de montagnes qui ferme au nord la plaine d’Esdrelon, à trois journées de Jérusalem, à deux heures du mont Thabor. Elle compte aujourd’hui 3,000 âmes, dont 1,200 catholiques latins ; sa population devait être à peu près la même il y a dix-huit siècles. Cependant l’Ancien Testament ne la nomme pas, et elle n’avait aucune célébrité avant Jésus-Christ (Jean, i, 46). Le bâtiment le plus remarquable est le couvent des Franciscains, dans l’intérieur duquel s’élève la célèbre église de l’Annonciation. Cette église a été construite sur la place même qu’occupait la maison de la sainte Vierge. Au-dessous du chœur est une chapelle souterraine où l’on descend par un large escalier de marbre qui a dix-sept marches ; dans le fond, sur l’emplacement où s’opéra le mystère de l’Incarnation, est un autel éclairé par plusieurs lampes qui ne s’éteignent jamais, et sur le marbre blanc on lit ces mots : Ici le Verbe a été fait chair. En effet, un grand nombre de témoignages authentiques établissent que ce fut là que Gabriel apparut à la sainte Vierge et lui dit : Je vous salue, Marie, pleine de grâce. On montre encore à Nazareth l’endroit ou était l’atelier de saint Joseph, aujourd’hui converti en chapelle ; la fontaine de Marie, où la sainte Vierge venait puiser de l’eau ; enfin, à quelque distance de la ville, le rocher du haut duquel les compatriotes du Sauveur voulurent le précipiter (Luc, iv. 29).

Oliviers (Mont des). A l’est de Jérusalem, et contiguë à ses anciennes murailles, s’étend, du N. au S., la vallée de Josaphat, d’abord largement ouverte, puis se rétrécissant à partir de Gethsémani, et finissant par n’avoir plus que la largeur du Cédron : on appelle ainsi le torrent formé, en hiver, par les eaux de pluie qui se rassemblent au fond de la vallée. Quand on sort de la ville sainte pour venir dans la vallée de Josaphat, on passe par la porte Saint-Etienne, au N.-E. Là on montre le rocher sur lequel saint Etienne tomba en priant pour ses persécuteurs, et le lieu où ceux-ci mirent leurs vêtements aux pieds d’un jeune homme nommé Saül. En descendant au fond de la vallée, on passe un pont en pierre d’une seule arche, jeté sur le torrent de Cédron, et on se trouve au pied de la montagne des Oliviers. A quelques pas sur la gauche est l’entrée de l’église souterraine qui renferme le tombeau de la sainte Vierge, tombeau qui n’a pas gardé sa proie, ainsi que ceux de saint Joseph, de saint Joachim et de sainte Anne : on sait que les anciens sépulcres dont la Palestine est couverte, étaient presque tous des tombeaux de famille. Entre cette église et l’enclos de Gethsémani passe le chemin qui conduit sur la montagne des Oliviers. Vers le sommet, on vénère, imprimée dans le rocher, la dernière trace des pieds du Sauveur quittant la terre pour remonter au ciel ; il n’y a plus que celle du pied gauche, l’autre ayant été enlevée ou effacée ; à en juger par cette empreinte, Jésus-Christ en montant au ciel était tourné vers le nord. Au temps de N.-S. les flancs de la montagne étaient couverts de riches plantations d’oliviers, de figuiers et de palmiers ; on n’y aperçoit plus aujourd’hui que quelques buissons de nopals, quelques palmiers chétifs et de pâles oliviers. On croit que c’est sur le versant oriental que Jésus a frappé de stérilité un figuier sur le bord du chemin (Matth. xxi, 18, 19). On trouve bientôt, en descendant, une petite vallée fertile encore en grenadiers et en figuiers : c’est l’emplacement du village de Bethphagé (litt. maison, ou lieu des figues). En descendant environ un kilomètre, par une pente raide et pierreuse, on trouve derrière une colline le village de Béthanie, appel à aujourd’hui el Azaryeh (de el-Azar, forme arabe du nom de Lazare), et habité par des Arabes ; il ne renferme plus qu’une vingtaine de masures et quelques tas de décombres, au milieu desquels une tribu de Bédouins vient parfois dresser ses tentes ; sa distance de Jérusalem est de trois à quatre kilomètres. Les pèlerins y visitent le tombeau de Lazare, et la pierre du Colloque, sur laquelle on croit que Notre-Seigneur était assis lorsque Marthe, venant à sa rencontre, lui dit : « Seigneur, si vous aviez été ici, mon frère ne serait pas mort. » Jean, xi, 21.

Palestine. Depuis les Machabées jusqu’à la destruction de Jérusalem par Titus, nous trouvons, aussi bien dans le Nouveau Testament que dans les historiens profanes, la Palestine divisée en quatre provinces, savoir : la Galilée, la Samarie, la Judée et la Pérée ; cette dernière à l’est du Jourdain, les trois autres à l’ouest, en allant du nord au midi.

1. Le nom de Galilée vient de l’hébreu Galil, c’est-à-dire cercle ou district. Cette province était bornée au N. par le territoire de Tyr et l’Anti-Liban, à l’E. par le Jourdain et les lacs qu’il traverse, au S. par la plaine d’Esdrelon, et à l’O. par cette partie de la Phénicie qui s’étendait le long de la Méditerranée depuis Tyr jusqu’au Carmel. La Galilée était moins grande que la Judée, mais un peu plus grande que la Samarie. Sa longueur du N. au S. était d’environ vingt lieues ; sa largeur, de l’O. à l’E. est de neuf à onze lieues. Mais sa population était très forte à raison de sa grande fertilité, et dans la guerre contre les Romains, Josèphe y rassembla sans beaucoup de peine une armée de 100,000 hommes. Formée de montagnes au nord, et d’une grande plaine au midi ; elle se divisait en haute et basse Galilée ; la haute Galilée, habitée en grande partie par des païens, s’appelait aussi Galilée des Gentils. C’est en Galilée que Notre-Seigneur passa la plus grande partie de sa vie. Les principales villes illustrées par la présence de Jésus, telles que Nazareth, Capharnaüm, sont l’objet d’un article spécial.

2. La Samarie, la plus petite des quatre provinces de ta Palestine, avait pour limites : au N. la Galilée, à l’E. le Jourdain, au S. la Judée ; à l’O. elle ne s’étendait pas jusqu’à la mer, car le pays de la côte à partir du Carmel appartenait à la Judée. Les villes principales étaient Samarie, cap. de la province appelée par Hérode Sébaste (mot grec qui se traduit en latin Augusta) en l’honneur d’Auguste ; Sichem, une des villes les plus anciennes du pays de Chanaan, située dans une vallée entre le mont Hébal au N. et le mont Garizim au S., à deux lieues S. de Samarie (voy. Jean, iv, 1 sv.) ; l’empereur Vespasien fit de Sichem une colonie romaine, qui reçut le nom de Flavia Neapolis, d’où les Arabes ont fait Nablous ou Naplouse, nom actuel de la ville et de tout le pays.

3. Sous le nom de Judée, souvent employé par les Romains pour désigner la Palestine entière, nous comprenons ici la province qui touchait au N. à la Samarie, à l’E. au Jourdain et à la mer Morte, au S. au désert, à l’O. à la Méditerranée. Topographiquement on pourrait diviser la Judée en trois parties, de l’O. à l’E. : le littoral, la montagne et la plaine. Les principaux endroits mentionnés dans l’Évangile sont l’objet d’un article spécial.

4. Le nom de Pérée, Περαία, de πέραν, trans, au delà, est la traduction grecque du mot hébreu Héber, et désigne, dans son acception générale, tout le pays des Juifs au delà (à l’E.) du Jourdain. Cette province, qui correspondait à peu près à l’ancien pays de Galaad et à celui de Basan, fut divisée dans la période gréco-romaine en cinq districts, s’étendant du N. au S., dans la même longitude, à partir du mont Hermon, au pied de l’Anti-Liban, jusqu’à la mer Morte : L’Iturée et la Trachonitide, la Gaulonitide, l’Auranitide ou Hauran, la Batanée et la Pérée proprement dite.

Lorsque Notre-Seigneur vint au monde, ces quatre provinces formaient, sous le nom de Judée, un royaume gouverné par Hérode, prince iduméen, par conséquent étranger à la race juive, et qui devait le trône à la faveur des Romains. Hérode mourut l’an de Rome 750, Jésus étant dans sa troisième année. Il avait partagé sa succession entre trois de ses enfants : Archélaüs était son successeur au trône, avec la Judée, la Samarie et l’Idumée ; Hérode Antipas avait la Galilée et la Pérée avec le titre de tétrarque ; et Philippe était tétrarque des pays de Batanée, de Gaulonitide, de Trachonitide et d’Iturée. Vers le milieu de l’année 759, Archélaüs fut appelé à Rome pour rendre compte de son administration ; comme il ne put se justifier, l’empereur Auguste le déclara déchu de sa principauté et l’envoya en exil à Vienne dans les Gaules. La Judée, qui avait jusqu’alors le titre d’alliée du peuple romain, fut réunie à l’empire et annexée à la province de Syrie. Nous voyons s’y succéder une série de procurateurs romains, subordonnés pour les grandes questions au propréteur de Syrie, Coponius, M. Ambivius, Annius Rufus, Valérius Gratus, et enfin, l’an 25 de notre ère, Pontius Pilatus. Sur Hérode Antipas et Philippe, voyez plus haut Hérode (Famille d’).

Pâque : voy. Cène Pascale.

Parabole. — La Bible prend dans un sens très-large le mot parabole, correspondant à l’hébreu mashal ; elle appelle ainsi, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, tout discours figuré ou allégorique, où se trouve une comparaison, une image, une sentence énigmatique et obscure, un proverbe, etc. Dans un sens plus strict et plus moderne on entend par parabole, dit M. Schegg, la symbolisation d’une vérité religieuse ou morale, au moyen d’un fait, d’une action, d’un événement pris dans la nature ou la conduite de l’homme. Pour ne parler que des paraboles de l’Évangile, quelques-unes sont très-courtes : ce n’est qu’un simple exemple, Matth. xiii, 31, 32, 33, 44, 45, 47-49 ; un proverbe ou une sentence un peu énigmatique, Matth. xv, 14 coll. Luc, vi, 39 ; Matth. xv, 15-20 ; Luc, iv, 23 ; Luc, xiv, 28-30, 31-33 ; xv, 3-7 ; d’autres offrait un plus long développement : c’est un récit fictif, mais vraisemblable, emprunté soit à la nature, soit au commerce des hommes entre eux, Matth. xiii, 3-8 ; xxi, 28-32, 33-41 ; xxii, 1-14 ; xxv, 1-13, 14-30 ; Luc, x, 30-37 ; xiii, 6-9 ; xiv, 7-11, 16-24 ; xv, 11-32 ; xvi, 1-10, 19-31 ; xviii, 1-8, 9-14.

La parabole se distingue du mythe en ce qu’elle ne donne le fait qu’elle raconte que comme une pure imagination, comme l’enveloppe d’une idée religieuse ; elle diffère de la fable en ce que ses récits, quoique fictifs, ne renferment rien d’invraisemblable, tandis que ceux de la fable manquent à la fois, dit Cicéron (de Invent. I, 45), de vérité et de vraisemblance, les personnages qu’elle fait agir et parler, étant le plus souvent des animaux et des plantes.

La vérité religieuse peut être représentée sous une forme sensible, parce qu’il existe une harmonie intime, fondée sur la volonté de Dieu, entre le Créateur et la créature, et entre les créatures d’un règne et celles d’un autre règne. Tout ce qui est en haut a son image en bas, l’extérieur est le type de l’intérieur. La parabole, rattachant le supra-sensible au sensible, est par là même une partie intégrante de l’enseignement religieux. Mais on peut dire qu’elle est dans un rapport tout spécial avec la personne de l’Homme-Dieu. Indépendamment de la doctrine même qu’il apportait à la terre, sa double nature le prédisposait à ce mode d’enseignement : il devait rendre le divin accessible à l’homme sous une forme créée, comme il avait, sous la forme d’un esclave, approché de nous son éternelle divinité.

Les diverses paraboles de Notre-Seigneur ont toutes un rapport avec le royaume de Dieu, dont elles exposent les propriétés, la relation avec l’humanité et réciproquement. Ainsi elles nous font connaître la nature du royaume de Dieu (Matth. xiii, 31-33, 44-46), la manière dont il arrive à l’homme (Marc, iv, 26-29), dont il se propage (Matth. xiii, 31, 32), les conditions auxquelles il s’obtient (Luc, 16-24), quels sont les sentiments, la conduite, la destinée de ses partisans et de ses adversaires (Luc, xiii, 6-9 ; Matth. xiii, 47-50 ; xxi, 33-44), etc.

Toute parabole a une pensée principale, et les circonstances secondaires doivent être étudiées et interprétées dans leur liaison avec l’ensemble ; cependant elles peuvent aussi, par elles-mêmes, exprimer quelque vérité, pourvu que cette vérité ne s’éloigne pas trop de la vérité principale. Il faut encore observer, dans l’interprétation d’une parabole, que chaque trait de l’image n’a pas nécessairement son application dans la chose représentée, et que l’image ne se superpose pas à son objet aussi exactement qu’un triangle en couvre un autre qui lui est égal et semblable : c’est un ancien axiome qu’aucune comparaison ne convient parfaitement.

Pérée : voy. Palestine.

Pharisiens, secte très-considérée et très influente, qui constituait la caste savante et orthodoxe du judaïsme. Ce nom signifie séparés, et désigné, par conséquent, des croyants qui se distinguent de la masse vulgaire par leur connaissance plus approfondie de la religion et par leurs habitudes de piété. Leur première origine doit remonter aux temps qui ont suivi de près la captivité. La dure épreuve de l’exil avait régénéré le peuple de Dieu ; de retour dans leur patrie, beaucoup de Juifs se mirent à étudier assidûment les Livres sacrés, et s’appliquèrent soit à maintenir, soit même à réunir par écrit les doctrines et les interprétations de la Loi jusqu’alors transmises par la parole. Ainsi se fonda la secte des Pharisiens, dont le nom existait déjà à l’époque des Machabées, au milieu du iie siècle avant Jésus-Christ. Grâce à la considération dont ils jouissaient auprès du peuple, ils eurent dès le commencement une influence politique très-grande, et formèrent dans l’État une puissance redoutable aux rois et aux pontifes eux-mêmes (Josèphe, Antiq. XIII, x, 3 ; xvi, 2 al.). Sous Hérode le Grand, la secte comptait plus de six mille membres, et ils osèrent refuser le serment de fidélité que le roi exigeait d’eux au nom de l’empereur romain. Ils peuplaient, au temps de Notre Seigneur, les cours de justice du pays ; la plupart des membres du Sanhédrin, notamment les scribes ou docteurs de la Loi, étaient Pharisiens, et c’est le plus souvent comme membres, ou plutôt comme représentants de la secte, qu’ils sont nommés dans l’Évangile.

Les Pharisiens admettaient, contrairement aux Sadducéens, à côté des documents écrits, la tradition comme source de la religion et de la loi ; ils préféraient même la tradition à la parole écrite, ou du moins la première servait de mesure pour l’interprétation de la dernière, qui se trouvait, en beaucoup de cas, non pas expliquée, mais étouffée par elle. La tradition pharisaïque consistait soit en traditions qu’on faisait remonter jusqu’à Moïse, soit en décisions doctrinales ou canoniques (traditiones seniorum) rendues par d’anciens docteurs considérés. C’est de ces traditions qu’est né plus tard le Thalmud.

Voici les principaux points de la doctrine des Pharisiens : 1° Ils admettaient, pour les actions morales, une coopération divine, mais en sauvegardant la liberté humaine ; par conséquent, ils faisaient dépendre la destinée des hommes de leur libre activité et en même temps de l’influence divine, tandis que les Sadducéens rejetaient celle-ci. Josèphe ne s’explique pas clairement sur cette matière, et confond l’opinion des Pharisiens avec la doctrine des Stoïciens sur le fatum. Mais il résulte de l’ensemble des renseignements fournis par lui, qu’il faut entendre par cette coopération divine l’excitation au bien et l’assistance pour le faire. Quand Josèphe donne à Dieu une part dans le choix même du mal, il n’entend point par là que Dieu agisse positivement, mais qu’il restreint ou retire tout à fait sa grâce (Antiq. XIII, v, 9 ; XVIII, i, 3). — 2° Les Pharisiens regardaient l’âme (pneuma) comme une substance différente, par ses qualités, de la matière, ayant une existence propre et l’immortalité ; ils enseignaient l’existence de peines et de récompenses après la mort, tandis que les Sadducéens, suivant leur théorie matérialiste, niaient la durée de l’âme au delà de ce monde avec ses conséquences. Le sheol, enfer, est le séjour souterrain des âmes des défunts ; là, les méchants sont enfermés pour leur éternel tourment, tandis que les bons sont libres de rentrer dans d’autres corps humains et de recommencer une nouvelle vie terrestre. (Antiq. XVIII, i, 3, Bell. Jud. II, viii, 13 : comp. Matth. xiv, 2 ; xvi, 14.) — 3° Il faut distinguer de cette metempsycose la résurrection des corps, admise par les Pharisiens, rejetée par les Sadducéens (Bell. Jud. III, viii, 5 : comp. Matth. xxii, 23). Plusieurs rabbins, il est vrai, pensaient que la résurrection des corps n’était que pour les bons, les âmes des méchants devant perpétuellement demeurer dans l’enfer. Mais il y avait, à côté de cette opinion, une opinion contraire, suivant laquelle, lorsque le Messie viendrait en ce monde et y établirait son règne, les Israélites pieux seraient d’abord ressuscités, en attendant la résurrection et le jugement universels qui auraient lieu à la fin des siècles. — 4° Enfin les Pharisiens admettaient l’existence d’êtres spirituels (anges) supérieurs à l’homme, ce en quoi ils différaient encore des Sadducéens.

Les préceptes de morale enseignés par les Pharisiens jouirent, à l’origine, d’une grande autorité ; eux-mêmes étaient de véritables modèles de vertu. Mais peu à peu ils s’écartèrent de l’esprit de Dieu ; en théorie comme en pratique, ils n’eurent plus d’estime que pour les observances extérieures, et transformèrent l’esprit primitif, sérieux et moral, en une sainteté apparente, cachant sous ce voile menteur l’orgueil, la haine, la colère, l’avarice. « Ils mettaient, dit le Dr Haneberg, un grand zèle à commenter la Thorah (la Loi, le Pentateuque) et à l’appliquer à toutes les actions de la vie ; mais, l’interprétant avec une subtilité extrême, ils en tirèrent les conséquences les plus éloignées, et finirent par bâtir un labyrinthe de règles, d’entraves, de défenses minutieuses et d’ordonnances gênantes qui embarrassaient au lieu d’éclaircir, faisaient de la loi un joug pesant, en rendaient la pratique aussi difficile que ridicule, et produisaient comme un fruit naturel, comme une conséquence pour ainsi dire nécessaire, l’hypocrisie sous ses formes les plus variées. Ajoutez un orgueil insupportable, une vaine recherche des préséances et des titres : un Pharisien était un homme infaillible et impeccable, qui se regardait comme meilleur que tous les autres, qui prenait la première place à la synagogue, qui priait sur les places publiques, qui faisait l’aumône à son de trompe, qui voulait être salué dans les rues, qui exténuait son visage pour qu’on y vit la trace de ses jeûnes. De tels hommes devaient être les adversaires naturels de Jésus, le réformateur des cœurs. Comp. Matth. v, vi passim ; xv, 1-20 ; xxiii al. Toutefois ce portrait ne convient pas à tous ; nous avons dans Nicodème (Jean, iii, 1 ; vii, 5 ; xix, 39) et dans Gamaliel des exemples de nobles et vertueux Pharisiens, et sans doute plusieurs autres leur ressemblaient. Ajoutons que les Pharisiens, sauf quelques altérations peu importantes de la véritable doctrine, s’en montraient, surtout vis-à-vis des Sadducéens, les gardiens fidèles et courageux. Voilà pourquoi Notre-Seigneur, tout en reprenant leurs vices, rappelle qu’ils sont assis sur la chaire de Moïse, et recommande d’écouter leurs enseignements (Matth. xxiii, 2, 3). — Kirchen-Lexicon, art. Pharisiens, par Ad. Maier.

Philippe : voy. Hérode (Famille d’).

Pilate. — L’an 25 de l’ère vulg., 778 de Rome, avant Pâque, Jésus étant dans sa trente-unième année, arriva en Judée le procurateur romain Pontius, surnommé Pilatus, soit parce que ses ancêtres appartenaient à la gens pileata, à la classe des affranchis, coiffés d’un bonnet de feutre ; soit à cause du pilum ou javelot d’honneur, dont lui ou un de ses ancêtres aurait été décoré. Les historiens classiques ne citent de Pilate que son nom (Tacite, Ann. xv, 44) ; Josèphe seul dit quelques mots de son administration, mais pour n’en relever que des traits de violence, de cruauté et de perfidie. Cette conduite exaspéra les plus considérables d’entre les Juifs, qui accusèrent le procurateur auprès de Vitellius, propréteur de la province de Syrie, dont la Judée formait comme une annexe. Le propréteur destitua Pilate et le fit poursuivre à Rome (788 de Rome, au mois de mars) ; mais Tibère mourut avant que Pilate arrivât pour se défendre. Le procès n’eut sans doute pas une issue favorable, car, au témoignage d’Eusèbe, l’ex-procurateur de la Judée fut exilé à Vienne, dans les Gaules, où il se tua de désespoir.

L’intérêt que Pilate paraît porter à Jésus, dit M. Schegg, s’explique par des raisons très-faciles à comprendre : d’abord par la haute dignité de l’accusé, dont il devait déjà avoir entendu parler ; ensuite par l’obligation où il était de rendre compte à l’empereur de toutes les affaires importantes ; enfin, et surtout, par la haine qu’il portait aux Pharisiens, ces ennemis irréconciliables des Romains. Une vie de plus ou de moins, un acte de justice, c’est ce dont Pilate s’inquiétait peu, comme le prouve la barbare flagellation qu’il infligea au Sauveur ; mais il n’avait aucune envie d’être favorable aux Pharisiens, comme le démontre son mot laconique : Quod scripsi, scripsi. Néanmoins, quand les Pharisiens menacèrent de l’accuser lui-même auprès de César, sacrifiant ses ressentiments à sa sécurité, il leur livra Jésus, et mit un terme à ce drame déplorable par un trait de comédie, en se lavant les mains.

Princes ou Principaux du peuple : voy. Sanhédrin.

Prince des prêtres : voy. Sanhédrin.

Publicains. — Il ne faut pas confondre les Publicains de la Palestine au temps de Notre-Seigneur avec les Publicains de Rome, fermiers généraux, toujours d’un rang élevé, au moins de l’ordre équestre. Ceux de l’Évangile n’étaient que les agents de ces fermiers généraux, des employés de bas étage, de simples douaniers ou collecteurs d’impôts. On les trouvait partout, sur les ports, sur les ponts, sur les grandes routes, telles que celle d’Acre à Damas, célèbre sous le nom de Via maris, route de la mer, et l’une des plus anciennes du monde. Ces fonctionnaires ne sont jamais aimés du peuple ; chez les Juifs ils étaient abhorrés, non-seulement à cause de leurs exactions et de leurs tracasseries, mais parce que l’impôt, nouveau pour le peuple de Dieu, était un signe de sa décadence et de sa vassalité. On les comparait aux voleurs, aux assassins, aux gens de vie infâme ; on fuyait tout commerce avec eux, on évitait de se marier dans leurs familles, et ces sortes de mariages, quand ils avaient eu lieu, pouvaient être rompus. Ajoutez que ces fonctions n’étaient le plus souvent remplies que par de petites gens, ou des païens ; les Juifs qui les acceptaient étaient excommuniés.

Quirinius : voy. Cyrinus.

Recensement de Cyrinus : voy. Cyrinus.

Royaume de Dieu. — La signification de cette locution biblique est multiple. I. Dans l’Ancien Testament, elle désigne : 1° l’ensemble de l’univers, le ciel et la terre, toute la création en un mot (Deut. x, 14 ; Ps. xxi, 29-32 ; xxxiii, 1, 2 ; cii ; cxlviii) ; 2° la nation israélite, appelée d’une manière spéciale le peuple, l’héritage, le domaine, le royaume de Dieu (Exod. iii, 7 ; iv, 5 ; Deut. x, 15 ; III Rois, viii, 7 ; Ps. ii, 6 ; lxxxvi, 2 ; Is. xxxvii, 32). — II. Dans le Nouveau Testament, royaume de Dieu a pour synonyme royaume du Christ, royaume des cieux, ou simplement royaume, expressions qui désignent toutes 1° le royaume du Messie (Matth. xii, 28 ; Luc xvii, 16 ; xvi, 20 al.) annoncé et décrit par les anciens prophètes. Ce royaume, dit Daniel (chap. vii), l’Ancien des jours (l’Eternel) l’a donné au Fils de l’homme (au Messie) ; il durera éternellement ; son but est le salut de l’humanité, la formation des élus : ce sera le royaume des saints ; et quand le nombre des élus sera consommé, que le Prince du monde sera pleinement vaincu, le Christ livrera à son Père, sans cesser de régner sur lui, ce royaume pacifié, sa glorieuse conquête (I Cor. xv, 23, 24). 2° Le véritable royaume du Messie, c’est son Église, fondée par lui pendant qu’il vivait sur la terre (Matth. xvi, 19 ; xiii, 31, 33, 47) ; cette Église est son corps mystique (Ephés. iv) ; il continue d’y vivre, et de sanctifier en elle et par elle toutes les générations ; il lui a donné des lois, une organisation déterminée ; elle forme une société visible et extérieure (Matth. xvi, 18 ; Jean xx, 23 ; Marc xvi, 15, 16 ; Luc, x, 16), par conséquent un royaume. Dans un sens large, ceux-là appartiennent à l’Église (visible), qui ont la vraie foi en Jésus-Christ, quand même leurs sentiments et leurs œuvres ne seraient point en harmonie avec leur croyance (Matth. xiii, 4 sv. ; 24 sv. ; 47 sv. ; xxv, 1 sv. ; 14 sv.). Mais ceux-là seulement participent au bienfait de la rédemption, qui reçoivent la grâce à laquelle ils sont appelés, c’est-à-dire qui ne sont pas seulement appelés, mais encore justifiés, et ainsi rendus dignes d’être glorifiés (Rom. viii, 28 av. ; Ephés. i, 4 sv.) : en sorte que, dans un sens plus élevé et moins large, il n’y a que les hommes justifiés et sanctifiés en Jésus-Christ qui appartiennent en réalité à son royaume. 3° De là cette autre notion du royaume de Dieu, envisagé comme la grâce même de Notre-Seigneur opérant dans les justes, comme la vérité et la justice qui sont venues avec lui du ciel (Jean, i, 14). C’est ainsi qu’il faut entendre les passages de l’Évangile où N.-S. nous enseigne à prier pour que son règne arrive (Matth. vi, 10) ; où il nous recommande de chercher avant tout le royaume de Dieu et sa justice (ibid. vi, 33) ; où il dit : « Si je chasse les démons par l’Esprit de Dieu, le royaume de Dieu est donc venu à vous (Matth. xii, 28) ; « où, aux Pharisiens qui lui demandent quand viendra le royaume de Dieu, il répond : « Le royaume de Dieu ne viendra point d’une manière qui frappe les regards ; on ne dira point : Il est ici, ou il est là. Car le royaume de Dieu est au milieu de vous (Luc xvii, 20, 21) ; » où il compare le royaume de Dieu à un levain (Matth. xiii, 33) ; où il adresse aux Juifs endurcis la menace que le royaume des cieux leur sera retiré, pour être donné à ceux qui en produiront les fruits (Matth. xxi, 43), c’est-à-dire qui coopéreront à la grâce. 4° Enfin le royaume de Dieu consommé et sous sa forme la plus parfaite, c’est le ciel (Église triomphante), (Matth. xiii, 43 ; Marc, ix, 46 : comp. 42 et 44 ; Luc, xiii, 29 ; xxiii, 42). — Nous n’avons pas besoin de faire observer que, dans la bouche des Juifs ou des Apôtres non éclairés par l’Esprit-Saint, ces mêmes locutions, royaume de Dieu, ou des cieux, ne sont pas autre chose que l’expression des idées plus ou moins erronées qu’ils se faisaient du royaume du Messie. — Kirchen-Lexicon, art. Royaume de Dieu, par Mattes.

Sadducéens. Secte juive directement opposée, aussi bien en théorie qu’en pratique, à celle des Pharisiens. Il y a deux opinions sur l’origine et le nom de cette secte. D’après les traditions rabbiniques, les Sadducéens remontent à un certain Sadoc, disciple d’Antigone de Socho, lequel présida le Sanhédrin après Simon le Juste (291-260 av. J.-C). Antigone avait enseigné que l’on doit servir Dieu et faire le bien à cause du bien, sans avoir égard à la récompense : ses disciples, Sadoc et Baithos, expliquèrent cette maxime en ce sens qu’il n’y a aucune récompense après la mort, ni même de vie future : d’où l’on appela Sadducéens ou Baithuséens ceux qui professèrent la même doctrine. D’après saint Epiphane, c’est du mot hébreux tsedek, justice, que les Sadducéens tireraient leur nom ; les membres de cette secte se seraient appelés les justes, les hommes sincèrement pieux et vertueux, par opposition au formalisme traditionnel, aux vaines observances et à la sainteté apparente des Pharisiens. Lequel de ces deux sentiments est le véritable, ou même y en a-t-il un des deux qui le soit ? on ne saurait le décider. La première opinion, celle des rabbins juifs, est relativement moderne, et n’a peut-être été inventée qu’après coup pour rattacher à des noms célèbres l’origine inconnue des Sadducéens et des Baithuséens mentionnés dans le Thalmud ; la deuxième n’a d’autre appui qu’un rapprochement étymologique ; mais elle peut cependant invoquer en sa faveur l’analogie du nom des Pharisiens (séparés), nom qui n’est pas non plus emprunté à une personne, mais qui caractérise la tendance générale de la secte. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’existence des Sadducéens coïncide avec l’époque assignée par la tradition juive iiie siècle avant Notre-Seigneur), quoique Josèphe ne parle d’eux qu’au temps des Macchabées. Ce fut, en effet, sous la domination des Ptolémées que l’influence des idées et des mœurs helléniques commença à pénétrer en Palestine ; et cette influence, continuant sous les Séleucides, sous les Hérodes et sous les Romains, développa et confirma la tendance sadducéennc par opposition au pharisaïsme.

L’idée fondamentale du sadducéisme ressemblait fort à celle de la philosophie épicurienne, et aboutissait au matérialisme. Tout en admettant Dieu, ils rejetaient la Providence dans l’ordre moral, et isolaient de Dieu l’homme, laissé sur la terre sans aucun secours divin, sans une destinée supérieure. Ils niaient l’existence d’êtres spirituels, tels que les anges. Quant à l’âme humaine, ils ne la regardaient pas comme essentiellement distincte du corps, comme ayant une existence propre ; formée d’une matière plus subtile, elle s’éteignait avec la vie présente : par conséquent, pas de vie future, pas de récompense ou de châtiment après la mort, pas de résurrection des corps (Matth. xxii, 23 ; Marc, xii, 18 ; Luc, xx, 27). Ils admettaient cependant une révélation extraordinaire de Dieu, car les livres de l’Ancien Testament étaient pour eux, comme pour tous les Juifs, des Écritures sacrées ; mais ils rejetaient la tradition, si respectée des Pharisiens. On a répété, après saint Jérôme, qu’ils ne recevaient, du canon de l’Ancien Testament, que la Thorah ou la Loi (le Pentateuque) ; c’est une assertion inexacte. Il est vrai qu’au chapitre xxe de saint Matthieu, Notre-Seigneur prouve contre eux la résurrection par des passages empruntés uniquement aux livres de Moïse, tandis qu’il aurait pu invoquer des textes plus clairs, tirés, par exemple, de Daniel (xii, 2, 13) ; mais cela ne prouve qu’une chose, c’est que Jésus a voulu, pour combattre ses adversaires, descendre sur le terrain même qu’ils avaient choisi, car on sait que leur objection était tirée d’un passage de la Loi. Comp. Josèphe, Contr. Apion., I, 8 ; Thalmud, Sanhédr., f. 90, 2.

Des hommes qui limitaient l’existence humaine à la vie présente, devaient en rechercher sans scrupule toutes les jouissances et tous les plaisirs ; et comme ils rejetaient l’élément traditionnel, ils faisaient fort peu de cas d’une foule de rites et d’observances ; des prêtres (un grand nombre appartenaient à cette secte) donnaient jusque dans le temple le scandale de cette négligence. Josèphe nous apprend encore que les Sadducéens aimaient à disputer et à contredire, et se montraient dans le commerce de la vie, et surtout dans leurs fonctions, de juges par exemple, durs et impitoyables. Bien moins nombreuse et moins considérée que celle des Pharisiens, cette secte comptait des partisans surtout parmi les riches et les principaux de la nation, ce qui explique son influence dans le Sanhédrin et l’élévation de quelques-uns de ses membres au souverain pontificat. Ces matérialistes et ces épicuriens n’hésitèrent pas à se joindre aux Pharisiens, leurs adversaires, pour combattre le Sauveur et le christianisme naissant. — Kirchen-Lexicon, art. Sadducéens, par A. Maier.

Samarie : voy. Palestine.

Samaritains. — Lorsque Salmanasar, roi d’Assyrie, eut emmené en captivité la plus grande partie des habitants du royaume d’Israël, il envoya, pour peupler cette contrée, des colons païens qui se mêlèrent avec le petit nombre d’Israélites restés dans leur patrie (IV Rois, xvii, 21). C’est de ce mélange que descendaient les Samaritains ou habitants du pays de Samarie. Ils faisaient profession de la loi de Moïse, dont ils avaient conservé les cinq livres ; mais ils rejetaient tout le reste de la Bible et s’étaient bâti un temple, au mépris de celui de Jérusalem, sur le mont Garizim, près de Sichem. D’origine impure, et de plus hérétiques et schismatiques, ils étaient si odieux aux Juifs, que ceux-ci évitaient comme une souillure tout commerce avec eux. Une seule bouchée mangée avec un Samaritain rendait aussi coupable que si l’on eût mangé de la chair de porc. Tout service reçu de lui, même un verre d’eau, était un crime pour les Juifs. Mais ils lui prêtaient sans scrupule, à gros intérêts, car ils ne le regardaient pas comme un frère envers qui ils dussent accomplir le précepte du Deutéronome (xxiii, 20) : ce qui contraste singulièrement avec l’exemple du bon Samaritain dont il est parlé dans la parabole. Jean Hyrcan avait détruit le temple des Samaritains, l’an 129 avant Jésus-Christ ; mais le mont Garizim leur était toujours sacré, etil l’est encore de nos jours à quelques habitants de Naplouse (l’ancienne Sichem), derniers restes de ce peuple, que les savants ont retrouvés au commencement de ce siècle, comme on découvre une ruine antique, et qui, dit-on, vont bientôt s’éteindre.

Sanhédrin ou Grand-Conseil. — A dater du temps des Asmonéens (iie siècle avant Jésus-Christ), on trouve dans l’histoire juive un tribunal supérieur ou haute cour de la nation, appelé des divers noms de Sénat, Conseil, Grand Conseil et Sanhédrin (du grec συνέδριον, assemblée). Il était composé de soixante-onze membres, y compris le président, qui portait le titre de Nasi (prince), et le grand pontife, appelé Ab Beth-din (Père du tribunal). Ces soixante-onze membres formaient trois chambres : celle des Princes des Prêtres, nommés aussi Grands-Prêtres ou Archiprêtres ; celle des Scribes ou Docteurs de la Loi, et celle des Anciens, Princes ou Principaux du peuple. Comme le nombre des membres de chaque chambre n’était pas fixé d’une manière invariable, il arrivait souvent que le collège des prêtres formait la majorité. Le Sanhédrin exerçait l’autorité doctrinale, judiciaire et administrative, dans les cas les plus graves ; voici comment la Mischna, traité Sanhédrin, décrit ses attributions : « Le jugement des soixante-onze est convoqué quand l’affaire concerne toute une tribu, ou un faux prophète, ou le grand-prêtre ; quand il s’agit de savoir si l’on doit commencer la guerre, si l’on doit agrandir Jérusalem, ou y faire des changements essentiels ; lorsqu’il faut instituer les tribunaux de vingt-trois membres dans les provinces, ou qu’il s’agit de déclarer une ville impie ou de la placer sous l’interdit. » Les séances se tenaient dans une salle près du temple, nommée Gazith. Les siéges, dit Selden, étaient disposés en demi-cercle ; le Nasi était assis au milieu, ayant à sa droite le Père du Sanhédrin, on le grand prêtre ; puis tous les autres membres venaient de chaque côté, le visage tourné vers le sanctuaire, afin de ne jamais oublier les règles de la justice ; à chacune des deux extrémités de l’hémicycle était placé un secrétaire. — Nous allons dire quelques mots de chacune des trois chambres ou collèges qui temps de Notre-Seigneur, en prenant pour guides le Dr Sepp et le P. Patrizzi.

I. Collége des Princes des Prêtres. Il était présidé par Joseph Caïphe, qui avait été nommé pontife peu de temps avant l’arrivée de Pilate. Après lui venait, comme sagan du sacerdoce (coadjuteur du grand prêtre), le vieil Ananus ou Anne, qui déjà, vingt-deux ans auparavant, avait occupé pendant huit ans le siége d’Aaron ; puis une dizaine d’ex-pontifes, ou de grands-prêtres destitués : Ismaël Phabi, Eléazar, fils d’Anne, et ses quatre frères ; Simon Camithi, un autre Eléazar, Joazar, et Simon, surnommé Canthéra, tous trois fils de Beéthus, lequel avait été élevé au souverain pontificat par Hérode, épris d’amour pour sa petite-fille Mariamne ; Ananias, Sadducéen furieux, comme Anne et ses fils, qui plus tard persécuta saint Paul et périt misérablement dans la guerre des Juifs.

Le souverain sacerdoce, qui créait autrefois un lien indissoluble entre le peuple et le pontife, représentant visible de Dieu, était devenu l’objet d’un véritable trafic entre les mains des procurateurs qui se succédaient dans le gouvernement de la Palestine. Aussi quelques-uns regardent-ils comme une ironie amère cette réflexion de saint Jean, que Caïphe était grand prêtre cette année-là. Outre ces pontifes créés et renversés tour à tour par les Romains, la chambre sacerdotale du Sanhédrin renfermait les Princes des Prêtres proprement dits, c’est-à-dire les chefs des vingt-quatre familles ou classes de prêtres, dont chacune était chargée pendant une semaine du service ordinaire du temple. Parmi eux se trouvait sans doute Helcias, trésorier du temple à cette époque, d’après Josèphe : c’est de lui que Judas dut recevoir les trente deniers, prix de sa trahison.

II. Collége des Scribes ou Docteurs de la Loi. Du retour de la captivité date, sinon l’institution première, au moins le développement des synagogues ; on en vit s’élever alors une multitude dans toutes les localités importantes de la Palestine. C’était là que, chaque jour de sabbat, les pieux Israélites se réunissaient pour la prière et la lecture des Livres saints. Outre le chef de synagogue chargé du maintien de l’ordre, il y avait un ou plusieurs docteurs, appelés scribes, ou sofer, qui expliquaient et interprétaient la loi. A Jérusalem, on pouvait les entendre à toute heure du jour dans les cours et les portiques du temple, rendez-vous d’une foule considérable. Ces docteurs avaient un rang très-élevé dans la nation ; souvent même ils l’emportaient en considération sur les prêtres, dont les fonctions étaient purement rituelles. On les appelait, suivant leur dignité, rab, rabbi, ou rabban. Plusieurs d’entre eux faisaient école et avaient de nombreux disciples, et la république juive ne compte guère, à partir des derniers prophètes, de noms plus illustres que ceux de Hillel et de Schammaï, deux maîtres célèbres qui venaient de mourir quand Notre-Seigneur vint au monde. Leurs disciples se divisaient et se passionnaient pour des questions de doctrine ou de casuistique, exactement comme faisaient au moyen âge les disciples de saint Thomas et de Scot Erigène. Tandis que la plupart des prêtres étaient Sadducéens, presque tous les Scribes professaient les doctrines du pharisaïsme : voilà pourquoi on les trouve si souvent dans l’Évangile unis aux Pharisiens contre Jésus. Les Docteurs de la Loi formaient la deuxième chambre du Sanhédrin. Elle était présidée, au temps de Notre-Seigneur, par Gamaliel, de la race de David, et petit-fils de Hillel. Il était Pharisien, comptait parmi ses disciples celui qui fut plus tard l’apôtre saint Paul, et se montra, dans le Sanhédrin, favorable au parti du Messie. Mais sa voix fut étouffée dans ces jours d’épouvante par les cris de fureur de cette race déicide. Il mourut dix-huit ans après la ruine de Jérusalem. Après lui venait, comme vice-président, son fils Siméon, qui lui succéda plus tard ; c’était un ennemi acharné des Romains : aussi paya-t-il de sa vie son patriotisme lors de la destruction de Jérusalem et du temple. Citons encore, parmi les personnages les plus éminents du collège des Docteurs, Jonathan et Onkelos, les célèbres rédacteurs des Targums, tous deux disciples de Hillel, et le dernier très-attaché à Gamaliel, pour la sépulture duquel il dépensa soixante-dix livres d’encens ; Samuel Katon, ou le Petit, auteur d’une prière contre les chrétiens, que les Juifs devaient réciter tous les jours ; Chanania, également disciple de Hillel, qui essaya, mais en vain, de réconcilier les Hillélistes avec les Schammaïstes ; et Nicodème, disciple secret, mais fidèle, du Sauveur.

III. Collège des Anciens, ou des Princes du peuple. Toute la Dation israélite était divisée en douze tribus, et chaque tribu en trois familles ; en outre, chaque tribu, comme chaque famille, avait son chef, et ce chef était, en général, selon la coutume des Orientaux, le plus ancien de la famille ou de la tribu. Dès le séjour des Hébreux en Égypte, nous voyons les anciens figurer comme chefs, comme juges ou comme représentants du peuple auprès de Moïse, qui confère avec eux sur les affaires importantes. Ils jouent le même rôle sous la monarchie, et servent souvent de contre-poids au pouvoir royal. Enfin, après le retour de la captivité, ils font partie du Sanhédrin, et forment ainsi une portion importante de la magistrature suprême de la nation. L’Évangile les appelle Princes du peuple, Anciens du peuple, ou simplement Princes, Anciens ; il nous donne même le nom de l’un d’eux, Joseph d’Arimathie, disciple secret de Jésus. L’historien Josèphe nous en fait connaître plusieurs autres qui étaient en fonction dans les dernières années de Notre-Seigneur : Simon, très-versé dans la connaissance de la loi, qui prit hautement parti contre le roi Agrippa lui-même pour sauvegarder l’honneur du temple, et ne craignit pas d’exciter dans ce but le peuple à la révolte ; Doras, qui, après avoir été l’ami du grand-prêtre Jonathan, fils d’Anne, le trahit plus tard, et conspira contre sa vie ; Dortus, qui, dans la suite, se souleva contre les Romains, et paya de sa vie son imprudence ; enfin Zizith Haccaseth et Calba Sabua, de Jérusalem, dont le Thalmud fait un grand éloge.

Scribes : voy. Sanhédrin.

Tlbériade (lac ou mer de), appelé aussi lac de Génésareth et mer de Galilée (on sait que les Hébreux n’ont qu’un seul mot pour designer un lac ou une mer), lac de six à sept lieues de long, sur deux ou trois de large, au nord de la Palestine. Le Jourdain le traverse, sans se mêler à ses eaux. Quoique de formation volcanique, comme l’attestent son bassin en forme de cratère, la nature des roches qui l’entourent, et la présence d’eaux thermales dans le voisinage, il était, au temps de Notre-Seigneur, environné de la plus riche végétation et dix villes prospères (Capharnaüm, Tibériade, Bethsaïde, etc.), bâties sur ses bords, lui formaient comme une couronne vivante, en même temps qu’elles tiraient leurs richesses dans ses eaux poissonneuses. Voici le tableau que Josèphe nous en a laissé : « La contrée qui environne le lac de Génésareth est d’une beauté et d’une fécondité admirables. Il n’y a point de plantes qu’elle ne puisse produire. On y voit beaucoup de noyers, arbres qui se plaisent dans les climats froids ; les palmiers, qui ont besoin de la plus grande chaleur, les oliviers et les figuiers, qui veulent un climat doux et tempéré, y trouvent également ce qui leur convient. Ainsi la nature, dans sa prédilection pour ce beau pays, prend plaisir à y réunir les productions les plus opposées. Et non-seulement il y vient un grand nombre d’excellents fruits, mais ils s’y conservent si longtemps, qu’on y mange des raisins et des figues pendant dix mois et d’autres fruits pendant toute l’année (Bell. Jud. iii, 35.) » Le Sauveur du monde s’est plu à répandre des prodiges et ses divins enseignements autour de cette mer privilégiée : il la traversa bien des fois dans une barque ; il apaisa miraculeusement ses eaux soulevées par la tempête ; c’est parmi les pêcheurs de ses bords qu’il choisit ses apôtres, pour en faire des pêcheurs d’hommes. Aujourd’hui, à part les roseaux et les lauriers-roses du rivage, et quelques palmiers qui s’élèvent au-dessus des masures de Tibériade, cette belle végétation a disparu, et toutes les autres villes sont détruites.

(Mgr. Mislin.)

Tibériade, ville bâtie sur le bord occidental du lac de ce nom, par Hérode Antipas, tétrarque de Galilée, qui en fit sa capitale et lui donna le nom de Tibériade, en l’honneur de l’empereur Tibère. L’Évangile ne dit pas que Notre-Seigneur y soit venu ; mais on ne saurait en douter, quand on étudie les voyages de Jésus autour du lac de Génésareth. La ville moderne de Tabariéh, entourée d’un mur de basalte, n’égale pas, à beaucoup près, l’ancienne Tibériade, dont on découvre des ruines considérables un peu plus au midi. Les chrétiens y sont peu nombreux ; leur église, consacrée à saint Pierre, s’élève au bord du lac, et a été bâtie, selon la tradition, sur le lieu où le prince des apôtres jeta le filet pour la dernière fois, et fut institué pasteur suprême de l’Église universelle (Jean, xxi, 1 sv.). Depuis quelques années, les franciscains de Nazareth y ont fondé un hospice pour la réception des pèlerins. C’est près de Tibériade, dans la plaine tristement célèbre de Hittin, que les chrétiens, défaits par Saladin, perdirent la vraie Croix, la ville sainte (5 juill. 1187), et bientôt après toute la Palestine.

Verbe, voy. Logos.