Les Quatre livres/Entretiens de Confucius/12

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Traduction par Séraphin Couvreur.
Imprimerie de la mission catholique (p. 198-208).
ENTRETIENS DE CONFUCIUS


CHAPITRE XII. IEN IUEN.


1. Ien Iuen ayant interrogé Confucius sur la vertu parfaite, le Maître répondit : « Se vaincre soi-même (maîtriser ses passions), rendre à son cœur l’honnêteté qu’il tenait de la nature, voilà la vertu parfaite. Si un jour vous parvenez à vous vaincre vous même, à recouvrer entièrement l’honnêteté du cœur, aussitôt tout l’univers dira que votre vertu est parfaite. Il dépend de chacun d’être parfaitement vertueux. Est ce que cela dépend des autres hommes ? » Ien Iuen dit : « Permettez moi de vous demander à quoi se résume la pratique de la vertu parfaite. » Le Maître répondit : « Que vos yeux, vos oreilles, votre langue, tout en vous soit maintenu dans les règles de l’honnêteté. » Ien Iuen dit : « Malgré mon incapacité, j’essaierai, si vous me le permettez, de mettre en pratique ce précepte. »

2. Tchoung koung interrogea Confucius sur la vertu parfaite. Le Maître répondit : « En sortant de la maison, soyez attentif, comme si vous voyiez un hôte distingué ; en commandant au peuple, soyez aussi diligent que si vous présidiez à un sacrifice solennel ; ne faites pas à autrui ce que vous ne voulez pas qu’on vous fasse à vous même. Dans la principauté, personne ne sera mécontent de vous ; dans la famille, personne ne se plaindra de vous. » Tchoung koung dit : « Malgré mon incapacité, si vous me le permettez, j’essaierai de suivre ce précepte. »

3. Seu ma Gniou ayant interrogé Confucius sur la vertu parfaite, le Maître répondit : « Un homme parfait parle difficilement, c’est à dire avec grande retenue, avec circonspection. » Seu ma Gniou dit : « Pour être parfait, suffit-il d’être circonspect dans ses paroles ? » Le Maître répondit : « Celui qui est circonspect dans ses actions, peut il ne l’être pas dans ses paroles ? »

4. Seu ma Gniou demanda à Confucius ce que c’était qu’un homme sage. Le Maître répondit : « L’homme sage est exempt de chagrin et de crainte. » Seu ma Gniou dit : « Pour être un sage, suffit il d’être exempt de chagrin et de crainte ? » Le Maître répondit : « Celui qui, examinant son cœur, ne reconnaît en lui aucune faute, quel chagrin, quelle crainte aurait il ? »

5. Seu ma Gniou dit avec chagrin : « Les autres hommes ont tous des frères ou plus âgés ou moins âgés qu’eux ; je suis le seul qui n’en aie pas. » Tzeu hia répondit : « J’ai entendu dire que la vie et la mort sont soumises aux décrets de la Providence, que les richesses et les honneurs dépendent du Ciel. L’homme sage veille sans cesse sur sa propre conduite ; il est poli, et remplit exactement ses devoirs envers les autres. Entre les quatre mers, tous les hommes sont ses frères. L’homme sage a t il lieu de s’affliger de n’avoir pas de frères ? » Seu ma Gniou était de la principauté de Soung. Voyant son second frère Hiang T’ouei exciter une révolte contre le prince de Soung, et ses autres frères Tzeu ki et Tzeu kiu prendre part à ce crime, il éprouvait une grande affliction, et disait : « Les autres hommes ont tous des frères ; je suis le seul qui n’en aie pas. »

6. Tzeu tchang demanda en quoi consiste la perspicacité. Le Maître répondit : « Ne pas admettre les calomnies qui s’insinuent peu à peu dans les esprits, ni les accusations qui font ressentir à ceux qui les écoutent comme la douleur d’une blessure ou d’une piqûre ; cela peut s’appeler perspicacité. Ne pas admettre les insinuations adroites des calomniateurs, ni les plaintes qui font éprouver comme la douleur d’une blessure ou d’une piqûre ; c’est la perspicacité d’un homme qui voit loin. »

7. Tzeu koung interrogea Confucius sur l’administration des affaires publiques. Le Maître répondit : « (Celui qui administre les affaires publiques), doit avoir soin que les vivres ne manquent pas, que les forces militaires soient suffisantes, que le peuple lui donne sa confiance. » Tzeu koung dit : « S’il est absolument nécessaire de négliger une de ces trois choses, laquelle convient il de négliger ? » « Les forces militaires, répondit Confucius. » Et s’il est absolument nécessaire d’en négliger encore une seconde, dit Tzeu koung, quelle sera-t-elle ? « Les vivres, répondit Confucius, car de tout temps les hommes ont été sujets à la mort, mais si le peuple n’a pas confiance en ceux qui le gouvernent, c’en est fait de lui. »

8. Ki Tzeu tch’eng dit : Que le sage ait des vertus solides, cela suffit. Qu’a t il à faire de l’urbanité et de tout ce qui ne servirait que comme d’ornement à sa personne ? Tzeu koung répondit : « C’est bien dommage ! Vous parlez ordinairement, Seigneur, en homme sage, (mais cette fois vous êtes dans l’erreur). Un attelage de quatre chevaux ne saurait aller aussi vite que la langue (et faire rentrer une parole qui a été dite sans avoir été assez pesée). On doit soigner l’extérieur comme l’intérieur, et l’intérieur comme l’extérieur. Une peau de tigre ou de léopard ne se distingue pas d’une peau de chien ou de brebis, quand le poil est raclé. (Enlevez ce qui fait l’ornement extérieur de la personne; l’homme sage ne se distinguera plus de l’homme vulgaire). »

9. Ngai, prince de Lou, dit à Iou jo : « Cette année les récoltes ont manqué ; je n’ai pas assez pour mes dépenses ; que faut il faire ? » Iou jo répondit : « Pourquoi ne percevez vous pas la dixième partie des produits de la terre ? » Le prince dit : « Les deux dixièmes ne me suffisent pas. Comment puis je n’exiger qu’un dixième ? » lou jo répliqua : « Quand le peuple a le suffisant, le prince ne l’a-t-il pas aussi avec tous ses sujets ? Quand le peuple manque du suffisant, le prince ne manque t il pas aussi du suffisant ? » (Les impôts onéreux rendent la culture impossible, ruinent le peuple et l’État).

10. Tzeu tchang demanda à Confucius ce qu’il fallait faire pour acquérir une grande vertu et pour reconnaître l’erreur. Le Maître répondit : « Le moyen d’acquérir une grande vertu, c’est de s’appliquer principalement à garder la fidélité et la sincérité, et d’observer la justice. Désirer la conservation de ceux que vous aimez et la mort d’un homme dont vous désiriez auparavant la conservation, c’est vous tromper, (car c’est vouloir une chose qui ne dépend pas de vous, mais du Ciel, à savoir, la vie ou la mort de l’homme). »

11. King, prince de Ts’i, interrogea Confucius sur l’art de gouverner. Confucius répondit : « Que le prince remplisse ses devoirs de prince, le sujet ses devoirs de sujet, le père ses devoirs de père, le fils ses devoirs de fils. » « Très bien, dit le prince. En effet, si le prince ne remplit pas ses devoirs de prince, le sujet ses devoirs de sujet, le père ses devoirs de père, le fils ses devoirs de fils, quand même les grains ne manqueraient pas, pourrais je en avoir pour vivre ? »

12. Le Maître dit : « Iou (Tzeu lou) est homme à terminer un procès en disant un seul mot. » Tzeu lou exécutait ses promesses sans retard. Tzeu lou était juste, sincère, perspicace, résolu. Dès qu’il dirait un mot, on se soumettait à sa décision avec confiance.

13. Le Maître dit : « Entendre les plaideurs et rendre la justice, je le puis, tout comme un autre. L’important serait de faire qu’il n’y eût plus de plaideurs. »

14. Tzeu tchang interrogea Confucius sur l’administration. Le Maître répondit : « Il faut appliquer son esprit aux affaires sans relâche, et les traiter avec justice. »

15. Le Maître dit : « Le sage aide les autres à bien faire, mais non à mal faire. L’homme vulgaire tient une conduite tout opposée. »

16. Ki K’ang tzeu interrogea Confucius sur l’art de gouverner. Confucius répondit : « Gouverner ou diriger les hommes, c’est leur faire suivre la voie droite. Si vous-même, Seigneur, marchez à leur tête dans la voie droite, qui osera ne pas la suivre ? »

17. Ki K’ang tzeu était dans l’embarras à cause des voleurs ; il consulta Confucius. Le philosophe lui répondit : « Seigneur, ne soyez ni cupide ni ambitieux, et il n’y aura plus de voleurs, quand même vous encourageriez le vol par des récompenses. »

18. Ki K’ang tzeu, interrogeant Confucius sur la manière de gouverner, lui dit : « Ne ferais je pas bien de mettre à mort les malfaiteurs, afin de rendre le peuple vertueux ? » Confucius répondit : « Pour gouverner le peuple, Seigneur, avez vous besoin de la peine de mort ? Vous même veuillez sérieusement être vertueux, et votre peuple sera vertueux. La vertu du prince est comme le vent ; celle du peuple est comme l’herbe. Au souffle du vent, l’herbe se courbe toujours. »

19. Tzeu tchang demanda à Confucius ce que devait faire le disciple de la sagesse pour mériter d’être appelé illustre. Le Maître dit : « Qu’appelez vous homme illustre ? » Tzeu tchang répondit : « Celui qui a du renom auprès de son prince, de ses concitoyens, et de tous ses parents. » Le Maître reprit : « Celui-là a du renom, il n’a pas une gloire véritable. Un homme illustre est simple, droit, ami de la justice. Il fait attention aux paroles qu’il entend, et il observe l’air du visage (afin de connaître ce qu’on approuve et ce qu’on désapprouve de lui). Il a soin de se mettre au dessous des autres. Il est illustre auprès de ses concitoyens et de ses parents. Un homme qui a seulement du renom revêt une apparence de vertu, mais ses actions sont opposées à la vertu. Il se flatte d’être vertueux et s’en tient assuré. Il a du renom auprès de ses concitoyens et de ses parents. » (La renommée et la gloire semblent être la même chose, et ne le sont pas. Elles diffèrent entre elles comme le vrai du faux).

20. Fan Tch’eu, accompagnant Confucius dans une promenade au pied de la colline nommée Ou iu, lui dit : « Permettez moi de vous demander comment on peut acquérir une grande vertu, corriger ses défauts, reconnaître ses erreurs. » Le Maître répondit : « Quelle excellente question ! Avoir en vue la pratique plutôt que la possession de la vertu, n’est ce pas le moyen d’acquérir une grande vertu ? Faire la guerre à ses propres défauts, et non à ceux d’autrui, n’est ce pas le moyen de se corriger ? Dans un moment de colère, mettre en danger sa vie et celle de ses parents, n’est ce pas illusion ? »

21. Fan Tch’eu demanda en quoi consiste la vertu d’humanité. « Elle consiste à aimer les hommes, répondit le Maître. » Fan Tch’eu demanda en quoi consiste la prudence. « Elle consiste à connaître les hommes, répondit Confucius. » Fan Tch’eu ne comprenant pas, le Maître dit : « En élevant aux charges les hommes vertueux, et en laissant de côté les méchants, on peut déterminer les méchants à se corriger. » Fan Tch’eu s’étant retiré, alla trouver Tzeu hia, et lui dit : « Tout à l’heure, j’ai été voir le Maître, et lui ai demandé en quoi consiste la prudence. Il m’a répondu : En élevant aux charges les hommes de bien et en écartant les hommes vicieux, on peut déterminer les méchants à se corriger. Que signifient ces paroles ? » Tzeu hia dit : « Ces paroles sont pleines de sens. Chouenn, devenu maître de l’empire, choisit entre tous ses sujets et promut Kao iao ; les méchants s’en allèrent bien loin. T’ang, parvenu à l’empire, choisit entre tous ses sujets et promut I in ; tous les méchants disparurent. »

22. Tzeu koung ayant interrogé Confucius sur l’amitié, le Maître dit : « Avertissez vos amis avec franchise, et conseillez les avec douceur. S’ils n’approuvent pas vos avis, arrêtez ; craignez de vous attirer un affront, (en perdant leur amitié par votre importunité). »

23. Tseng tzeu dit : « Le sage se fait des amis par son érudition, et l’amitié est un moyen de perfection pour lui et pour eux. »