Les Rêves et les moyens de les diriger/Résumé et conclusion
Jetons un regard en arrière, et puis nous fermerons ce volume qui pourrait s’étendre beaucoup encore, mais qui me semble déjà bien long.
Rappelons en peu de mots ce que nous avons essayé d’établir, et quant à la psychologie du rêve en général, et quant aux moyens pratiques d’évoquer ou d’écarter en dormant certaines idées-images, de guider l’esprit dans ses mouvements spontanés ou volontaires, et de conduire enfin ses rêves au gré de ses désirs.
Nous avons dit que nous ne croyions pas au sommeil de la pensée, que nous ne regardions l’exercice d’aucune faculté comme suspendu par le sommeil, que si l’attention était parfois difficile, la volonté affaiblie et les jugements erronés chez l’homme endormi, l’imagination, la mémoire, la sensibilité acquerraient en revanche une puissance d’expansion énorme ; de telle sorte que si l’état de rêve ne permet pas de garder ce juste équilibre intellectuel indispensable pour accomplir une œuvre d’esprit en tout point raisonnable, il peut ouvrir du moins, sur le monde idéal, des horizons inconnus dans la vie réelle.
Trois conditions essentielles ont été indiquées pour arriver à se rendre maître des illusions de son sommeil :
1° Posséder en dormant la conscience de son sommeil, habitude qui s’acquiert assez promptement par le seul fait de tenir un journal de ses rêves ;
2° Associer certains souvenirs au rappel de certaines perceptions sensoriales, de manière que le retour de ces sensations, ménagé pendant le sommeil, introduise au milieu de nos songes les idées-images que nous en avons rendues solidaires ;
3° Ces idées-images contribuant dès lors à former les tableaux de nos rêves, employer la volonté (qui ne fera jamais défaut quand on saura bien que l’on rêve), pour en guider le développement selon l’application du principe que penser à une chose, c’est y rêver.
Une odeur, une saveur, un contact, un motif musical ont évoqué le souvenir imagé d’une personne ou d’un site. J’ai le sentiment que je rêve, je dirige le mouvement de mes idées sur une route que moi-même je lui ai tracée. Je rêve donc, comme je veux, à ce que j’ai voulu.
La conduite des rêves et la fabrication de la poudre sont des choses qui ne semblent guère de nature à être mises en parallèle. Je n’ai point surtout la prétention d’assimiler les mérites de leur invention respective. Je dirai toutefois qu’il en est un peu des trois éléments psycho-physiologiques ci-dessus indiqués, comme du salpêtre, du soufre et du charbon, ces trois éléments d’une autre sorte. Isolés, ils n’ont rien qui étonne ; combinés, ils produisent des effets surprenants.
Une affirmation purement théorique des vertus de la poudre eût été certainement accueillie jadis avec une incrédulité bien grande, et je ne saurais exiger par anticipation plus de confiance dans le résultat des moyens que je propose pour maîtriser les illusions du sommeil. Qu’on veuille bien cependant suivre mes indications précises ; qu’on mette de la persévérance à contrôler sciemment ce qu’elles valent, et j’accepte volontiers par avance le jugement qu’on en portera.
Ici, je prévois une objection ou réflexion de quelques esprits positifs. À supposer, penseront-ils, que l’expérience confirme pleinement tout ce qui vient d’être avancé, que chacun soit maître de régler ses rêves et de soumettre pendant la nuit son imagination à sa volonté, quelles seront les conséquences de cette découverte, et quelle en sera l’utilité ?
Il me serait permis de répondre à cela que chacun trouvant utile ce qui l’intéresse, le seul résultat de pouvoir rêver à ce que bon lui semble sera jugé de soi-même fort utile par qui conque y prendra son plaisir. Mais je n’entends pas, je n’ai jamais entendu réduire aux proportions d’un simple amusement une méthode applicable aux progrès de la science, autant qu’aux inspirations de la fantaisie. Je rappellerai donc ici que j’ai insisté plus d’une fois, en m’adressant aux médecins et aux psychologues, sur la part d’intérêt que cette méthode doit leur offrir.
Un dernier mot enfin, avant de déposer la plume, pour protester contre cette éternelle comparaison du sommeil et de la mort dont les auteurs anciens et modernes ont fait un si étrange abus. Que ce soit au point de vue matériel ou bien au point de vue matérialiste qu’on l’envisage ; que ce soit l’apparence d’un cadavre que l’on veuille chercher dans l’aspect d’un homme endormi, ou bien un exemple de l’anéantissement possible du Moi qu’on imagine trouver dans une absence momentanée de la pensée, une telle comparaison est également fausse à tous égards.
N’est-ce point d’ailleurs une idée bizarre que celle de prétendre comparer une situation qu’on ne connaît guère, avec un autre état qu’on ne connaît pas ?
Je préfère de beaucoup le vieil axiome qui nous dit : La vie est un songe. À ceux pour qui c’est un songe pénible, elle laisse du moins l’heureuse pensée de se réveiller dans la mort.