Les Rêves morts (Montreuil, deuxième édition)/Les Rêves Morts

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LES RÊVES MORTS


À mon ami d’enfance et de l’âge des rêves.


Je voudrais pour aimer avoir un cœur nouveau
Qui n’eût jamais connu les heures de détresse,
Un cœur qui n’eût battu qu’au spectacle du beau
Et qui fût vierge encor de toute autre tendresse ;

Mais je porte en moi-même un horrible tombeau,
Où gît un songe mort, loin de la multitude :
J’en ai scellé la porte et seul un noir corbeau
Du sépulcre maudit trouble la solitude !

Cet oiseau de malheur, c’est l’âpre souvenir,
C’est le regret des jours vécus dans la souffrance,
Qui ronge jusqu’aux os mes rêves d’avenir,
Beaux rêves glorieux, morts de désespérance.


Sans cesse l’aile sombre au fond de moi s’ébat,
Son grand vol tournoyant fait comme la raffale,
Qui siffle en accourant vers la fleur qu’elle abat
Et disperse les nids, dans sa course fatale.

Pourtant, d’un port lointain, si le vent, quelquefois,
M’apporte la chanson d’un ami sur la route,
À l’émoi de mon cœur je reconnais sa voix,
Car il cesse de battre, et tout mon être écoute.