Les Rôdeurs de frontières/Chapitre 23

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Fayard (p. 271-284).


XXIII

LE SCALPEUR[1] BLANC.


Il nous faut maintenant arrêter pendant quelques instants notre récit, afin de donner au lecteur certains détails sur l’homme étrange que nous avons mis en scène dans notre précédent chapitre, détails bien incomplets, sans doute, mais cependant indispensables pour l’intelligence des faits qui vont suivre.

Si, au lieu de raconter une histoire vraie, nous inventions un roman, nous nous garderions certes d’introduire dans notre narration des personnages comme celui dont nous nous occupons en ce moment ; malheureusement nous sommes contraint de suivre la ligne qui se trouve toute tracée devant nous, et de dépeindre nos personnages tels qu’ils sont, tels qu’ils ont existé et pour la plupart existent encore.

Quelques années avant l’époque où se place le commencement de la première partie de ce récit, une rumeur d’abord sourde, mais qui bientôt prit une certaine consistance et une grande notoriété dans les vastes déserts du Texas, s’éleva presque subitement, glaçant de terreur les Indios bravos et les aventuriers de toute sorte qui parcourent ces immenses solitudes dans tous les sens.

On disait qu’un homme ayant l’apparence d’un blanc parcourait depuis quelque temps le désert, à la poursuite des Peaux-Rouges, auxquels il semblait avoir déclaré une guerre acharnée ; on racontait sur cet homme, qui, disait-on, marchait toujours seul, des actes d’une cruauté horrible et d’une audace inouïe : partout où il rencontrait les Indiens, quel que fût leur nombre, il les attaquait ; ceux qui tombaient, entre ses mains étaient scalpés, leur cœur arraché de la poitrine, et afin qu’on reconnût qu’ils avaient succombé sous ses coups, cet homme leur faisait sur l’estomac une large incision en forme de croix. Parfois, traversant le désert dans toute sa longueur, cet ennemi implacable de la race rouge se glissait dans les villages, les incendiait pendant la nuit, lorsque chacun se livrait au sommeil, et alors il faisait un massacre effrayant, tuant tous ceux qu’il trouvait ; femmes, enfants, vieillards, nul n’était excepté.

Ce n’étaient pas seulement les Indiens que ce sombre redresseur de torts poursuivait d’une haine implacable ; les métis et les demi-sangs, les contrebandiers, les pirates, enfin tous ces hardis rôdeurs de frontières habitués à vivre aux dépens de la société avaient un rude compte à régler avec lui ; seulement, ceux-là, il ne les scalpait pas, il se contentait de les attacher solidement à des arbres où il les condamnait à mourir de faim et à devenir la proie des bêtes fauves.

Pendant les premières années, les aventuriers et les Peaux-Rouges, rapprochés par le sentiment d’un danger commun, s’étaient plusieurs fois ligués pour en finir avec ce féroce ennemi, s’emparer de lui et lui infliger la loi du talion ; mais cet homme semblait être protégé par un charme qui le faisait échapper à tous les piéges qui lui étaient tendus, et deviner toutes les embûches qu’on dressait sur ses pas. Il était impossible de l’atteindre : ses mouvements étaient tellement rapides et imprévus, que souvent il apparaissait à des distances considérables de l’endroit où on l’attendait et où, peu auparavant, il avait été aperçu. Au dire des Indiens et des aventuriers, il était invulnérable, les balles et les flèches rebondissaient sur sa poitrine ; bientôt, grâce au continuel bonheur qui accompagnait toutes ses entreprises, cet homme devint un sujet de terreur universel dans la prairie : ses ennemis, convaincus que tout ce qu’ils tenteraient contre lui serait inutile, renoncèrent à une lutte qu’ils considérèrent comme s’adressant à un pouvoir supérieur ; les légendes les plus étranges coururent sur son compte ; chacun le redouta comme un être malfaisant ; les Indiens le nommèrent kiéin-stomann, c’est-à-dire le Scalpeur-Blanc, et les aventuriers le désignèrent entre eux par l’épithète de Sans-Pitié.

Ces deux noms avaient, ainsi qu’on le voit, été à juste titre donnés à cet homme pour qui le meurtre et le carnage semblaient être la jouissance suprême, tant il prenait de plaisir à sentir ses victimes palpiter sous sa main rouge de sang, et à leur arracher le cœur de la poitrine. Aussi son nom seul prononcé à voix basse glaçait-il d’épouvante les plus braves.

Mais qui était cet homme ?

D’où venait-il ?

Quelle affreuse catastrophe l’avait jeté dans l’horrible genre de vie qu’il menait ?

Nul n’aurait pu répondre à ces questions. Cet individu était une épouvantable énigme dont personne n’avait le mot.

Une de ces monstrueuses organisations qui, sous l’enveloppe de l’homme, renferment un cœur de tigre ?

Ou bien une âme ulcérée par un épouvantable malheur, dont toutes les facultés se sont tendues vers un seul but, la vengeance ?

Ces deux hypothèses étaient aussi possibles l’une que l’autre, peut-être toutes deux étaient-elles vraies.

Pourtant, comme toute médaille a son revers et que l’homme n’est complet ni pour le bien ni pour le mal, cet individu avait parfois des lueurs, non pas de pitié, mais peut-être de fatigue, où le sang lui montait sans doute à la gorge, l’étouffait et le rendait un peu moins cruel, un peu moins implacable, presque humain, en un mot ; mais ces moments étaient courts, ces accès, ainsi qu’il les nommait lui-même, fort rares, la nature reprenait presque aussitôt le dessus, et il devenait alors d’autant plus terrible qu’il avait été plus près de s’attendrir.

Voilà tout ce qu’on savait de cet individu, au moment où nous l’avons mis en scène d’une si singulière façon ; le secours qu’il avait donné au moine était tellement en dehors de toutes ses habitudes, qu’il fallait qu’il fût alors dans un de ses meilleurs accès, pour avoir consenti non-seulement à prodiguer des soins aussi empressés à un de ses semblables, mais encore à perdre autant de temps à écouter ses lamentations et ses prières.

Pour en finir avec les renseignements que nous devons donner sur ce personnage, nous ajouterons que nul ne savait s’il avait une résidence habituelle ; qu’on ne lui connaissait aucune affection ni aucun partisan ; que toujours on l’avait vu seul, et que depuis dix ans qu’il parcourait le désert dans toutes les directions, sa physionomie n’avait subi aucune altération : toujours il avait eu la même apparence de vieillesse et de force, toujours la barbe aussi longue et aussi blanche, le visage aussi constellé de rides.

Ainsi que nous l’avons dit, le Scalpeur s’était élancé dans les fourrés afin de découvrir qui avait fait ce signal qui lui avait donné l’éveil ; ses recherches furent minutieuses, mais cependant elles n’aboutirent à aucun autre résultat qu’à celui de lui faire découvrir qu’il ne s’était pas trompé et qu’effectivement un espion caché dans les broussailles avait vu tout ce qui s’était passé dans la clairière et entendu tout ce qui s’y était dit.

Le Renard-Bleu, après avoir appelé ses compagnons, s’était prudemment rejeté vivement en arrière, convaincu que, malgré tout son courage, s’il tombait entre les mains du Scalpeur, il était perdu.

Celui-ci revint tout pensif auprès du moine, dont la prière durait toujours et prenait des dimensions telles qu’elle menaçait de devenir interminable.

Le Scalpeur considéra un instant le fray pendant qu’un sourire ironique se jouait sur ses lèvres pâles, puis lui appliquant un vigoureux coup de crosse entre les deux épaules :

— Debout, lui dit-il rudement.

Le moine tomba sur les mains et demeura immobile ; croyant que l’autre avait l’intention de l’assommer, il se résignait à son sort et attendait le coup de grâce que dans son opinion il ne devait pas tarder à recevoir.

— Allons, debout, moine du diable, reprit le Scalpeur, n’as-tu pas assez marmotté tes patenôtres ?

Fray Antonio releva doucement la tête : une lueur d’espoir lui revenait.

— Pardonnez-moi, seigneurie, répondit-il, j’ai fini ; je suis maintenant à vos ordres : que désirez-vous de moi ?

Et il se trouva debout comme poussé par un ressort, tant il devina, à l’expression sombre du regard de son interlocuteur, qu’une défaite, si bonne qu’elle fût, ne serait pas admise.

— C’est bien, drôle : tu me parais aussi adroit pour lâcher un coup de fusil que pour dire une prière ; charge ton rifle, car le moment est venu de te battre comme un homme, si tu ne veux pas être tué comme un chien.

Le moine jeta un regard effrayé autour de lui.

— Seigneurie, balbutia-t-il en hésitant, est-il donc nécessaire que je me batte ?

— À moins que tu ne tiennes pas à conserver ta peau intacte, auquel cas tu peux demeurer tranquille.

— Mais peut-être y a-t-il un autre moyen ?

— Lequel ?

— La fuite, par exemple, dit-il d’un ton insinuant.

— Essaye, fit l’autre en ricanant.

Le moine, encouragé par cette demi-concession, continua avec un peu plus de hardiesse :

— Vous avez un bien beau cheval.

— N’est-ce pas ?

— Magnifique, reprit fray Antonio en s’extasiant.

— Oui, et tu ne serais pas fâché que je te laisse le monter afin de fuir plus vite, hein ?

— Oh ! ne croyez pas, fit-il avec un geste de dénégation.

— Assez, interrompit rudement le Scalpeur ; songe à toi, tes ennemis arrivent.

D’un bond il se mit en selle, fit volter son cheval et s’embusqua derrière l’énorme tronc du chêne-acajou.

Fray Antonio, réveillé par l’approche du danger, saisit vivement son rifle et se jeta, lui aussi, derrière l’arbre.

Au même instant un craquement assez fort se fit entendre dans les broussailles, les buissons s’écartèrent et plusieurs hommes parurent.

Ces hommes étaient au nombre de quinze environ ; c’étaient des guerriers apaches : au milieu d’eux se trouvaient le Renard-Bleu, John Davis et son compagnon.

Le Renard-Bleu, bien que jamais il ne se fût trouvé face à face avec le Scalpeur-Blanc, en avait souvent entendu parler, soit par les Indiens, soit par les chasseurs ; aussi, lorsqu’il lui avait entendu prononcer son nom, une angoisse inexprimable lui avait serré le cœur en songeant à toutes les cruautés dont ses frères avaient été victimes de la part de cet homme ; la pensée de s’emparer de lui lui était venue. Il s’était hâté de faire le signal convenu avec les chasseurs, et, s’élançant à travers les halliers avec cette vélocité singulière qui caractérise les Indiens, il s’était rendu à l’endroit où l’attendaient ses guerriers et leur avait ordonné de le suivre ; en revenant sur ses pas, il avait rencontré les deux hasseurs qui, de leur côté, ayant entendu le signal, accouraient à son secours.

En quelques mots le Renard-Bleu les mit au courant de ce qui se passait ; pour être véridique, nous sommes contraint d’avouer que cette confidence, loin d’exciter les guerriers et les chasseurs, ralentit au contraire singulièrement leur ardeur, en leur révélant qu’ils allaient s’exposer à un danger terrible en luttant contre un homme d’autant plus redoutable que nulle arme ne pouvait l’atteindre et que ceux qui, jusqu’à ce jour, avaient osé l’attaquer avaient été victimes de leur témérité.

Cependant il était trop tard pour reculer, la fuite était impossible ; les guerriers, bien qu’à contre-cœur, se décidèrent à pousser en avant.

Quant aux deux chasseurs, s’ils ne partageaient pas complétement l’aveugle crédulité de leurs compagnons et leurs craintes superstitieuses, cette lutte était loin de leur plaire ; cependant, retenus par la honte d’abandonner des hommes auxquels ils se persuadaient d’être supérieurs comme intelligence et même comme courage, ils se décidèrent à les suivre.

— Seigneurie ! s’écria le moine d’une voix lamentable lorsqu’il vit apparaître les Indiens, ne m’abandonnez pas.

— Non, si tu ne t’abandonnes pas toi-même, drôle ! répondit le Scalpeur.

Arrivés sur la lisière de la clairière, les Apaches, suivant leur tactique habituelle, s’abritèrent derrière chaque tronc d’arbre, si bien que cette clairière resserrée, où tant d’hommes étaient sur le point de commencer un combat acharné, semblait être complétement déserte.

Il y eut un moment de silence et d’hésitation.

Le Scalpeur se décida à prendre le premier la parole.

— Holà ! cria-t-il, que voulez-vous ici ?

Le Renard-Bleu allait répondre, John Davis l’en empêcha.

— Laissez-moi faire, dit-il.

Quittant alors le tronc d’arbre derrière lequel il s’abritait, il fit résolûment quelques pas en avant, et s’arrêtant à peu près au milieu de la clairière.

— Où êtes-vous, vous qui parlez ? dit-il d’une voix haute et ferme ; craignez-vous donc de vous laisser voir ?

— Je ne crains rien, répondit le Scalpeur.

— Alors, montrez-vous, qu’on vous connaisse, reprit John d’un ton goguenard.

Ainsi interpellé, le Scalpeur fit bondir son cheval et vint s’arrêter à deux pas du chasseur.

— Me voilà, dit-il, que me voulez-vous ?

Davis avait laissé arriver le cheval sans faire un mouvement pour l’éviter.

— Eh ! dit-il, je n’étais pas fâché de vous voir.

— Est-ce tout ce que vous avez à me dire ? fit l’autre d’un ton bourru.

— Hum ! vous êtes bien pressé, que diable ! laissez-nous au moins le temps de respirer.

— Trêve de plaisanteries qui pourraient vous coûter cher ; dites-moi de suite quelles sont vos propositions, je n’ai pas de temps à perdre en vains discours.

— Eh ! comment diable savez-vous si j’ai des propositions à vous faire ?

— Seriez-vous ici sans cela ?

— Et ces propositions, vous les connaissez sans doute ?

— C’est possible.

— Alors, quelle réponse me faites-vous ?

— Aucune.

— Comment, aucune ?

— Je préfère vous charger.

— Oh ! oh ! c’est une rude besogne que vous vous taillez là : nous sommes dix-huit, savez-vous ?

— Peu m’importe votre nombre. Seriez-vous cent que je vous chargerais de même.

— By god ! Pour la rareté du fait, je serais curieux de voir ce combat d’un homme contre vingt.

— Ce ne sera pas long.

En disant ces paroles, le Scalpeur fit reculer son cheval de quelques pas.

— Un instant, que diable ! s’écria vivement le chasseur, laissez-moi vous dire un mot.

— Dites.

— Voulez-vous vous rendre ?

— Hein ?

— Je vous demande si vous voulez vous rendre.

— Allons donc ! s’écria le Scalpeur en ricanant, vous êtes fou. Me rendre, moi ! c’est vous qui bientôt me demanderez grâce.

— Je ne crois pas, by god ! quand vous devriez me tuer.

— Voyons, regagnez votre abri, fit le Scalpeur en haussant les épaules, je ne veux pas vous tuer sans défense.

— Ma foi, tant pis pour vous, fit le chasseur ; je vous ai loyalement averti, maintenant je m’en lave les mains ; sortez-vous de là comme vous pourrez.

— Merci, reprit énergiquement le Scalpeur, mais je n’en suis pas encore où vous supposez.

John Davis se contenta de hausser les épaules sans répondre autrement, et il retourna à pas lents, et en sifflant le Yankee dodle, reprendre son abri sous le couvert.

Le Scalpeur ne l’avait pas imité ; bien qu’il sût pertinemment qu’un grand nombre d’ennemis l’entouraient et surveillaient ses mouvements, il demeura ferme et immobile au milieu de la clairière.

— Holà ! cria-t-il d’une voix railleuse, vaillants Apaches qui vous cachez comme des lapins dans des halliers, faudra-t-il que j’aille vous enfumer dans vos terriers pour vous décider à vous montrer ? Allons, venez, si vous ne voulez pas que je croie que vous êtes de vieilles femmes bavardes et peureuses.

Ces paroles insultantes portèrent au comble l’exaspération des guerriers apaches, qui répondirent par un long cri de fureur.

— Mes frères se laisseront-ils plus longtemps narguer par un seul homme ? s’écria le Renard-Bleu ; notre couardise fait toute sa force. Fondons rapides comme l’ouragan sur ce génie du mal : il ne pourra résister au choc de tant de guerriers renommés. En avant ! mes frères ! en avant ! À nous l’honneur d’avoir abattu l’ennemi implacable de notre race.

Et poussant son cri de guerre, que répétèrent ses compagnons, le valeureux chef s’élança au-devant du Scalpeur en brandissant résolument son rifle au-dessus de sa tête ; tous les guerriers le suivirent.

Le Scalpeur les attendit sans broncher, mais aussitôt qu’il les vit à portée, ramassant les rênes et serrant les genoux il fit bondir le noble animal au milieu des Indiens, et, saisissant son rifle par le canon et s’en servant comme d’une massue, il commença à frapper à droite et à gauche avec une vigueur et une rapidité qui avaient quelque chose de surnaturel.

Alors commença une mêlée effroyable ; les Indiens s’acharnaient après cet homme qui, en cavalier habile, faisait faire à son cheval les voltes les plus imprévues, et par la rapidité de ses mouvements empêchait ses ennemis de sauter à la bride et de l’arrêter.

Les deux chasseurs attendirent d’abord l’arme au pied, convaincus qu’il était impossible qu’un seul homme parvint, non pas à lutter, mais à résister seulement quelques minutes contre des ennemis si nombreux et si braves ; mais bientôt ils reconnurent, à leur grand étonnement, qu’ils s’étaient trompés : déjà plusieurs Indiens gisaient étendus sur le sol, le crâne fendu par la terrible massue du Scalpeur, dont tous les coup portaient.

Les chasseurs commencèrent alors à changer d’opinion sur le résultat de la lutte, et ils voulurent venir en aide à leurs compagnons, mais leurs rifles leur étaient inutiles dans le mouvement continuel du combat dont le terrain changeait à chaque instant, leur balle aurait facilement pu se tromper et frapper un ami au lieu de l’ennemi qu’ils voulaient atteindre ; alors ils jetèrent leurs rifles, dégaînèrent leurs couteaux et s’élancèrent au secours des Apaches qui commençaient à faiblir.

Le Renard-Bleu, dangereusement blessé, était étendu sans connaissance ; les guerriers encore valides commençaient à songer à la retraite et jetaient des regards anxieux derrière eux.

Le Scalpeur combattait toujours avec la même furie, narguant et insultant ses ennemis ; son bras se levait et se baissait avec la régularité d’un balancier.

— Ah ! ah ! s’écria-t-il en apercevant les chasseurs, vous voulez votre part, arrivez ! arrivez !

Ceux-ci ne se le firent pas répéter et se précipitèrent à corps perdu sur lui.

Mais mal leur en prit : John Davis, atteint par le poitrail du cheval, alla rouler à vingt pas sur le sol, où il demeura étendu ; au même instant son compagnon tombait, le crâne fracassé, et expirait sans pousser une plainte.

Cette dernière péripétie donna le coup de grâce aux Indiens qui, ne pouvant plus résister à l’épouvante que leur inspirait cet homme extraordinaire, se mirent à fuir dans toutes les directions avec des hurlements de terreur.

Le Scalpeur jeta sur l’arène sanglante, où une dizaine de corps étaient étendus, un regard de triomphe et de haine satisfaite, et lançant son cheval en avant, il atteignit un fuyard, l’enleva par les cheveux, le jeta en travers sur le devant de sa selle et disparut dans la forêt en poussant un ricanement horrible.

Il ne restait plus dans la clairière que dix ou douze corps étendus ; deux ou trois seulement vivaient encore, les autres n’étaient que des cadavres.

Cette fois encore le Scalpeur-Blanc s’était ouvert un sanglant passage.

Quant à fray Antonio, dès qu’il avait vu le combat entamé, il avait jugé inutile d’en attendre l’issue ; il avait judicieusement profité de l’occasion, et se glissant tout doucement d’arbre en arbre, il avait exécuté une savante retraite et s’était sauvé.


  1. Nous savons fort bien que ce mot n’est pas français, mais nous avons été contraint de l’employer afin d’éviter une longue périphrase et traduire littéralement le mot comanche kiéin-stomann, d’ailleurs le verbe scalper existe dans notre langue, scalpeur en doit naturellement dériver : nous espérons que le lecteur nous pardonnera de nous en servir. — G. Aimard.