Les Relieurs français (1500-1800)/3

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III

Protection accordée aux Libraires, Imprimeurs et Relieurs par Louis XII, François Ier et Henri II. — Celui-ci ordonne qu’un exemplaire de tous les livres qui s’imprimeront lui sera fourni imprimé sur parchemin vélin, relié et couvert comme il appartient. — La part faite à la reliure dans les édits somptuaires. — La Confrérie est transportée, en 1582, de Saint-André-des-Arcs chez les Pères Mathurins. — Henri III abolit le chef-d’œuvre exigé dans tous les corps d’état pour arriver à la maîtrise, mais l’usage s’en maintient parmi les Relieurs. — Henri IV fait grâce du droit d’avènement aux Libraires, Imprimeurs et Relieurs.


Louis XII, toujours prêt à protéger les lettres et les arts, n’hésita pas à en donner une nouvelle preuve à l’occasion d’un impôt de trente mille livres tournois décrété « pour subvenir aux présens affaires de la guerre. » Le prévôt et les échevins voulaient y faire contribuer les libraires, relieurs, enlumineurs et écrivains jurés de l’Université, sous prétexte qu’il était expressément stipulé dans les lettres de provision créant cet impôt que tout le monde, « exempts ou non exempts, privilégiez ou non privilégiez », devraient le payer. Le Roi n’admit pas cette interprétation, et, confirmant l’ordonnance de 1488, il maintint formellement le privilège des jurés de l’Université par une déclaration du 9 avril 1513. Il en agissait ainsi, disait-il,

Pour la considération du grand bien qui est arrivé au moyen de l’art et science de l’impression, l’invention de laquelle semble estre plus divine que humaine, laquelle, grâces à Dieu, a esté inventée et trouvée de nostre temps, par le moyen et industrie des libraires, par laquelle nostre Sainte Foy catholique a esté grandement augmentée, et corroborée, Justice mieux entendue et administrée…, au moyen de quoy tant de bonnes et salutaires doctrines ont été manifestées, communiquées et publiées, etc.

Louis XII, rappelant non seulement l’Édit de 1488, mais encore celui de 1368, y déclarait les jurés francs, quittes et exempts de ce nouvel impôt, ainsi que de toutes tailles, aydes, gabelles, impositions, dons, octroys, prêts et autres subsides, etc., de même que de « tous guets de ville et gardes de portes, fors et réservé en cas d’éminent péril ». Les libraires profitèrent des bonnes dispositions du monarque et obtinrent qu’il fût ajouté à ces lettres que tous les livres latins ou français, reliés ou non reliés, « pourroient voyager par eau, par terre en entière franchise et quittes de tous péages, traverses, chaussées, impositions foraines ou privées, Entrées et Issues de villes ou autres subsides. »

François er confirma cette déclaration de son prédécesseur par des lettres patentes d’avril 1515, d’octobre 1516 et de 1543.

En 1547 et 1560, Henri II et Charles IX confirmèrent les ordonnances de leurs prédécesseurs accordant certaines immunités et notamment l’exemption du guet aux jurés de l’Université sur la demande formelle du recteur. Mais, lors de l’Edit de 1562 exigeant des protestants, faisant partie de l’Université, le serment et la profession de foi, sous peine de la perte de leurs offices,

L’Université, qui se plia aux circonstances, beaucoup de ses membres étant favorables à la nouvelle religion, et qui réintégra bien des proscrits et beaucoup de ceux qui avaient été chassés, n’eut pas la même condescendance pour les écrivains, libraires et relieurs ayant embrassé la réforme, qui ne lui appartenaient que comme clients. Elle répondit évasivement à cinq libraires et un relieur qui demandaient à être rétablis dans leur office, disant qu’elle prendrait conseil de ses avocats. Quelques jours après, il est vrai, honteuse de son abandon, sans toutefois consentir d’une façon expresse au rétablissement de ces industriels, elle déclara qu’elle laissait à ceux qui étaient intéressés à l’empêcher le soin et l’embarras de soutenir le procès. (Histoire de l’Université, par Crevier.)

C’est Henri II qui ordonna en 1556 « qu’il ne seroit dorénavant donné aucuns privilèges d’imprimer que ce ne s oit à la charge que tous les livres qui s’imprimeraient luy en soit baillé et présenté un exemplaire imprimé en parchemin vélin relié et couvert comme il appartient luy estre présenté, pour estre mis en sa bibliothèque et librairie de son chasteau de Fontainebleau, et après icelle bibliothèque fourni et remis en sa bibliothèque de son chasteau de Blois. » Plus tard (en 1618) on devra donner deux exemplaires, mais en blanc, c’est-à-dire non reliés.

Les édits contre le luxe de 1549 et 1560 ne contenaient rien de spécial aux livres ; mais celui du 7 septembre 1577, qui défendait de dorer ou argenter sur bois, plâtre, plomb, cuivre, fer ou cuir, à moins que ce ne fût pour les princes et les églises, disait formellement qu’à « l’esgard des livres, il estoit permis d’en dorer la tranche à l’ordinaire et de mettre un filet d’or seulement sur la couverture, avec une marque au milieu de la grandeur d’un franc au plus. »

La nouvelle loi somptuaire du 24 mars 1583, qui entre dans d’assez grands détails concernant les chaperons, coiffures, colliers, bracelets, chaînes, bagues, ceintures et même les chapelets, accorde aux demoiselles, suivant leur rang dans le monde, « de pendre devant elles des heures à couverture d’or émaillé ou non émaillé, y ayant pour le plus cinq ou quatre pièces de pierreries aux quatre coins de chacun costé sur la couverture. »

On le sait, il en fut de toutes ces défenses réitérées comme de celles qui devaient être fréquemment répétées plus tard. L’entraînement en arriva vite à des excès de luxe plus intenses encore que ceux qu’on avait voulu réformer, et par rapport au livre il est même un fait particulier et digne de remarque que c’est peu après ces deux ordonnances somptuaires que l’on s’imagina de mettre sur les livres plus d’or qu’on n’en avait jamais mis avant. N’est-ce pas en effet à cette époque que s’introduisit le nouveau genre d’ornementation composé d’entrelacs aux intervalles remplis de feuillages et de spirales fleuries qui couvraient d’or presque entièrement les maroquins des volumes ?

On ne respecta donc guère l’édit de 1577 permettant simplement un filet et une marque d’or de la largeur d’une pièce d’un franc, puisque de même que les élégants et les élégantes du temps qui, malgré cette loi somptuaire et celle de 1583, continuèrent à porter les vêtements du plus grand prix et à se couvrir de bijoux les plus précieux, les livres s’habillèrent avec plus de richesse encore que par le passé.

L’Église Des Mathurins (Le portail date du commencement du xviiie siècle)
L’Église Des Mathurins (Le portail date du commencement du xviiie siècle)

L’Église Des Mathurins. (Le portail date du commencement du xviiie siècle).


Lors de sa fondation en 1401, la confrérie des Libraires s’était établie dans l’église de Saint-André-des-Arts ; elle y était toujours restée ; mais, près de deux siècles après, en 1582, à la suite de tiraillements de diverses natures, telles que des plaintes soi-disant venues des paroissiens et surtout du curé, « le trop célèbre Christophe Aubry », on aurait reconnu que, cette église se trouvant un peu éloignée du quartier habité par les membres de la communauté, il convenait d’en choisir une plus rapprochée. Après avoir au préalable, soit en février 1582, obtenu de Henri III des lettres confirmatives de l’ordonnance de juin 1467 au sujet de la confrérie, on traita avec le général et le chapitre des Pères Mathurins, par contrat du 22 mars 1582, homologué le 13 mai suivant, et les cérémonies religieuses se célébrèrent désormais dans l’église des chanoines réguliers de la Sainte-Trinité.

Le contrat entrait dans d’assez menus détails au sujet des offices et prières que les Pères auraient à dire pour la confrérie, des services mortuaires à célébrer pour les confrères, leurs femmes, enfants, parents, amis et bienfaiteurs, ainsi que pour les cérémonies des deux fêtes de saint Jean, celle en mémoire de son martyre devant la porte Latine, à Rome, le 6 mai, et celle de ce même saint Jean l’Évangéliste, célébrée dans toute l’Église à la date du 27 décembre[1].

L’année suivante, Henri III décida qu’à l’avenir le chef-d’œuvre exigé dans toutes les corporations pour y être reçu maître ne serait plus obligatoire et qu’il suffirait pour arriver à la maîtrise d’avoir fait apprentissage pendant le temps porté par les statuts de chaque métier. Son édit à cet égard, daté du 7 mars 1583, disait :

Qu’il falloit mettre ordre aux excessives despenses que les pauvres artisans estoient contraints de faire pour obtenir le degré de maistrise estans quelquefois longtemps à faire un chef-d’œuvre tel qu’il plaît aux jurez : lequel enfin estoit par eux trouvé mauvais et rompu, s’il n’y estoit remédié par lesdits artisans avec infinis présens et banquets… Que ce chef-d’œuvre estoit une despense pour un pauvre compagnon de la ville de Paris de 60 à 200 escus… et que s’il n’avoit les moyens de faire des dons, présens et despenses, il se trouvoit tourmentez par les jurez et contraints de rechef de besongner en chambre pour les dits, bien souvent moins capables qu’eux.

Malgré cet édit et les excellentes raisons qui y étaient invoquées, il n’en est pas moins vrai que le règlement des libraires de Bordeaux, qui comprenait aussi les relieurs et qui fut décrété en 1609, portait encore que tout postulant à la maîtrise « seroit tenu de faire chef-d’œuvre[2] ». On sait, du reste, que, pour les relieurs comme pour beaucoup d’autres métiers, l’usage du chef-d’œuvre se perpétua jusqu’à la fin des maîtrises. Les règlements de 1618 et 1686 disaient que l’aspirant à la maîtrise devrait faire certifier sa capacité par deux maîtres ; mais celui de 1750 dit formellement que le compagnon « fera preuve de sa capacité par un chef-d’œuvre ».

Henri IV exempta, en 1594, les libraires, imprimeurs et relieurs du paiement des deniers pour confirmation de leurs privilèges à propos de son avènement à la couronne, et en 1595 il les déchargea aussi des subsides et impôts nouvellement établis sur les livres à l’entrée ou à la sortie de toutes les villes du royaume, en maintenant leurs anciens privilèges.

  1. On trouve les conventions passées entre les deux parues dans le volume publié par Lottin : La Messe du Martyre de S. Jean, Apôtre et Évangeliste, devant la Porte Latine à Rome, patron de la communauté des Libraires, etc. Paris, 1779, in-12. Ce volume est rare, et sa possession nous a été très utile pour notre travail. Un grand nombre de confrères y sont nommés et classés en libraires, libraires-relieurs, relieurs, écrivains et papetiers. Voici la liste alphabétique des libraires-relieurs et des relieurs :
    Libraires-relieurs
    • de Bordeaux (Jean).
    • Clopejau (Michel).
    • Colombel (Jean-Franc.-Rob.).
    • Delastre (Jean).
    • Gadoulleau (Michel).
    • Gilles (Gilles).
    • De Heuqueville (Jean).
    • Le Bouc (Hilaire le jeune).
    • Le Bouc (Jean).
    • Richard (Emnmnuel).
    • Varangues (Jacques).
    Libraires-relieurs
    • Barbier (Claude).
    • Bruneau (Cyprien).
    • Brunet (Pierre).
    • De Busseroles (Jacques).
    • Collier (Geoffroy).
    • Daumalle (François).
    • Desfossée (Nic.), procurateur.
    • Dou (Nicolas).
    • Dupuis (Pierre).
    • Gueffier (François).
    • Le Be (Henri).
    • Le Bouc (Hilaire le jeune).
    • Le Bouc (Jean).
    • L’Espine (Fiacre).
    • Lizière (Martin).
    • Maugier (Gilles).
    • Musnier (Nicolas).
    • Nicole (Gabriel).
    • Noel (Jacques).
    • De Noinville (Nicolas).
    • Pautonnier (Pierre).
    • Planté (Pierre).
    • Poileville (Pierre).
    • Rezé (Robert).
    • Rousset (Antoine).
    • De Sommaville (Simon).
    • Thioust (François).
    • Trouard (Robert).
    • Tufe (Jean).
    • Valet (Étienne).
  2. Gabriel de Lurbe, Les anciens et nouveaux Statuts de la ville de Bourdeaux, in-4°, 1602, p. 97. (Communiqué par notre excellent ami M. Ollivier Beauregard.)