Les Riches depuis sept cent ans/03
Les recettes des particuliers ne consistent pas, pour la plus grande part, dans l’intérêt des capitaux mobiliers et fonciers, mais dans le prix du travail. Que ce prix du travail s’appelle « traitement » pour l’instituteur, « honoraires » pour le médecin, « courtage » pour l’agent de change, « solde » pour le capitaine ou « salaire » pour le charpentier et « gages » pour la servante, les noms donnés à ces rémunérations sont de médiocre importance. Ils changent avec les temps et avec les susceptibilités des intéressés : au XVIIe siècle, le maréchal de France demandait ses « gages ; » le cuisinier du XXe siècle dit plutôt ses « appointemens. » Question de nuances ; le paiement effectué a toujours même cause et même destination.
Il fait vivre la quasi-totalité de la nation, puisqu’il n’y a pas quatre familles françaises sur cent qui possèdent 50.000 fr. de capital et jouissent par conséquent d’un revenu probable de 2.000 fr. La fortune acquise est d’ailleurs très diversement répartie entre les citoyens de notre république. L’avoir global des Français monte à environ 235 milliards de francs, représentés par la propriété rurale, 70 milliards — les immeubles urbains, 55 milliards, et les valeurs mobilières, 109 milliards.
De ces 235 milliards de francs, le cinquième à peu près échappe, pour divers motifs et de façon diverse, aux prises de la taxe successorale. Les valeurs déclarées ne s’élèvent en totalité qu’à 187 milliards ; et déduction faite du passif exempt de l’impôt, à 174 milliards. Remarquons, entre parenthèses, que la croissance de cette fortune française est très récente : elle a plus que quadruplé en soixante-quinze ans. D’après les chiffres authentiques, fournis par l’administration fiscale, elle ne dépassait pas quarante-six milliards en 1826, atteignait 70 milliards en 1850, 136 milliards en 1869 et 204 milliards en 1900.
La hausse est même plus grande en réalité qu’en apparence, puisque, depuis trois quarts de siècle, la multiplication des valeurs au porteur, l’usage des dépôts et placemens à l’étranger, permet aux ce assujettis » de dissimuler, plus aisément et dans une proportion plus forte, des biens qui, sous la Restauration et sous Louis-Philippe, consistaient presque exclusivement en maisons et en terres. D’après les successions déclarées, la fortune mobilière française n’était, en 1851, que de deux milliards et demi de francs, elle était passée à 25 milliards en 1880 et à 73 milliards et demi en 1900. Or on vient de dire qu’elle est effectivement de 109 milliards.
Cette différence tient à plusieurs causes ; il existe quelques doubles emplois dans les évaluations : par exemple, au recensement des propriétés foncières ne devraient pas être compris les gares et le sol appartenant aux chemins de fer ; puisque les actions et obligations des compagnies figurent au total des valeurs mobilières. Or, parmi les titres de chemins de fer, il en est qui font partie du portefeuille des sociétés d’assurances. Certains capitaux risquent d’être ainsi additionnés plusieurs fois. D’ailleurs la possession de valeurs françaises par des étrangers et surtout les efforts faits par les Français pour se soustraire au paiement des taxes, suffisent à expliquer l’écart entre les capitaux constatés et les capitaux existans.
Les fuites, vraisemblables et impossibles à prévenir, proviennent autant des petites bourses que des gros portefeuilles, autant des chaumières que des châteaux, où, d’une génération à l’autre, les titres, les « papiers, » se transmettent sans souci des formalités et des gens de loi.
Prenons la fortune de 174 milliards, — passif déduit, — et voyons à qui elle appartient : pour la plus grande part, à un très petit nombre de personnes ; et pourtant cette fortune est d’hier. Elle est d’hier, puisqu’en 1830, elle ne valait pas plus du quart de ce qu’elle vaut aujourd’hui. Par conséquent ces riches aussi, ces privilégiés, sont d’hier. Ce ne sont ni des vestiges d’anciens régimes, épargnés par la tourmente révolutionnaire, ni des créatures du régime censitaire, des monarchies constitutionnelles antérieures à 1848 ; ce sont, comme disaient les Romains, des « hommes nouveaux, » issus du régime de suffrage universel, et particulièrement de la présente république puisque, depuis 1870, la richesse nationale s’est accrue de moitié. Nouvelle preuve que la politique et l’économie sociale ont leurs domaines distincts ; que la seconde est maîtresse d’instituer des aristocrates de fait pendant que la première crée des démocrates de droit.
Et, coïncidence fondamentale à noter, c’est à partir du moment où cette élite s’est enrichie, — à partir de 1850, — que le taux des salaires de la masse s’est élevé ; et, plus les privilégiés s’enrichissaient, depuis 1870, plus le prix du travail, sous toutes ses formes, augmentait, tandis que le prix des objets nécessaires à la vie tendait à décroître. Tels sont les faits singuliers qui s’offrent à la méditation des sages.
Le nombre des successions déclarées, — 13 millions et demi, — supérieur à celui des 11 millions de ménages ou de « feux » dénombrés au dernier recensement, devrait être très supérieur, puisque chaque « ménage » donne lieu à plusieurs successions. Mais il est, aux champs et dans les villes, des millions de Français, — à peu près le tiers des adultes, — dont personne n’hérite et que l’enregistrement ignore, parce qu’ils n’ont rien ; rien à laisser ni à perdre, que leur vie à laquelle ils ont pourvu au jour le jour, dont ils ont exactement « joint les deux bouts, » sans se soucier, sans pouvoir peut-être la « solder » en excédent.
Dans les deux autres tiers, où commence l’épargne, plus de 4 millions de citoyens possèdent ensemble un milliard de francs — chacun 253 fr. — Au-dessus d’eux, 3 millions et demi de personnes détiennent 4 milliards et demi de francs — en moyenne 1.260 fr. par tête — et la tranche immédiatement supérieure comprend encore plus de 3 millions et demi de gens, ayant un peu plus de 17 milliards — 4.850 fr. chacun.
À ces trois groupes, qui forment un effectif de 11.390. 000, — 85 pour cent de la population capitaliste, — appartiennent seulement 13 pour cent du capital : 23 milliards de francs. Ils vivent de leur travail, uniquement ou presque, puisque les revenus de 10 fr., de 50 fr. et de 200 fr., correspondant à leurs capitaux respectifs, ne leur donnent pas moyen de vivre autrement. On en pourrait dire autant des 1.473.000 personnes qui occupent le degré suivant dans la hiérarchie pécuniaire, avec une fortune globale de 31 milliards de francs : soit 21.000 fr. pour chaque part individuelle.
Les 840 fr. de revenus, correspondant à pareil capital, suffiront à un couple de cultivateurs dans son village, difficilement à un ménage ouvrier domicilié en ville, quelque bornés que soient ses désirs. La vie oisive n’est matériellement possible qu’à la classe où le capital de 17 milliards, représenté par les fortunes de 50.000 à 100.000 fr. se partage entre 240.000 foyers. Avec les 2.850 fr. de rente, que donnent à chacun leurs 71.000 fr. ils subsisteront, s’il leur plaît, sans rien faire. A plus forte raison les 155.700 familles du rang supérieur, — 100.000 à 250.000 francs, — qui possèdent 24 milliards et demi de francs et jouissent séparément de 6.240 fr. de rente.
Ces trois derniers groupes constituent un bloc de 1.809.000 ménages, que l’on peut nommer la « bourgeoisie de l’argent. » Ils sont propriétaires de 42 pour cent du capital national, bien qu’ils ne représentent que 14 pour cent de la population capitaliste.
Unies ensemble, les six catégories que nous venons d’envisager forment la presque totalité, — 99.35 pour cent, — des Français propriétaires et ne possèdent pas beaucoup plus de la moitié, — 55 pour cent, — des propriétés existantes. Il est déjà parmi eux de grandes disparités ; puisque le premier échelon, — de 1 à 500 francs, — qui contient près du tiers de la masse des hommes, n’a pas le centième, — 0.60 pour cent, — de la masse des biens ; tandis que le sixième échelon, — 100.000 à 250.000 fr., — comprenant le centième de la masse des hommes, jouit de près du septième, — 13 pour cent, — de la masse des biens.
L’autre moitié de la fortune française, — 45 pour cent, — appartient à moins du centième de la nation : 95.000 familles possèdent à elles seules 78 milliards et demi. Et, parmi ces riches encore, les parts sont bien différentes ; à 54.000 d’entre eux, — ayant de 250.000 à 500.000 fr., — il n’échoit en tout que 19 milliards et demi de francs ; tandis que les 1.045 seigneurs des fortunes supérieures à 5 millions de francs sont ensemble nantis d’environ 14 milliards ; chiffre inférieur seulement d’un tiers au capital des 11 millions de Français les moins fortunés.
Quels qu’aient été les progrès de l’épargne depuis un demi-siècle, il est donc évident que ceux de la richesse ont été plus grands encore et que cette richesse nouvelle a été l’apanage d’une élite. L’argent, le libre argent, s’est aggloméré, avec l’organisation industrielle du XIXe siècle, en moins de mains que ne s’étaient agglomérés la terre et les serfs avec l’organisation féodale, et que ne s’étaient même agglomérés les charges lucratives, les biens d’église et les deniers pompés sur l’Etat avec l’organisation monarchique. Seulement, ici, la richesse nouvellement conquise n’est point dérobée au peuple, ni obtenue du roi, mais bien créée, tirée du néant par la science ; et cette conquête individuelle de quelques-uns est accompagnée d’un gain collectif de tous, d’un gain vraiment social.
Le revenu du capital placé n’est en effet qu’une partie, et la moindre, des recettes générales de la nation ; les 11 milliards de salaires, de gages ouvriers et agricoles, les 3 à 4 milliards de bénéfices annuels des patentés du commerce et de l’industrie, les 2 à 3 milliards d’appointemens des fonctions publiques ou privées et d’honoraires des professions libérales, font, chaque année, une somme double certainement des 9 milliards d’intérêt que rapportent les biens mobiliers et fonciers. Et c’est l’activité des transactions, l’émulation des découvertes, la course au succès, rêvé par tous, atteint par peu, qui a simultanément enfanté l’opulence des uns et le bien-être des autres.
Ces riches en effet dont nous étudions l’histoire, qui sont-ils ? A qui donnerons-nous ce nom de « riche ? » La richesse est chose si relative : les seigneurs féodaux paraîtraient presque pauvres au regard de nos archi-millionnaires actuels ; nos ouvriers contemporains, appartenant aux corps d’état les mieux rétribués, eussent paru vraiment riches aux prolétaires du temps de Louis XV.
L’histoire des salaires, nous l’avons racontée dans des études précédentes avec assez de détail pour qu’il n’y ait pas lieu d’y revenir[2]. Nous nous occupons uniquement ici des multiples besognes, dont les appointemens et les honoraires payés aux classes dites « bourgeoises » sont le prix. Réunis et additionnés, — salaires et bénéfices, revenus et traitemens — ces produits du travail et du capital constituent annuellement pour les Français contemporains une recette de 27 milliards environ, qui, divisée entre nos 11 millions de ménages ou familles vivant sous le même toit, donnerait pour chacun à peu près 2.500 fr.
Ceux qui disposent d’un budget supérieur à 2.500 fr. par an doivent donc être qualifiés « riches, » puisqu’ils dépassent la moyenne. Ils sont au nombre d’environ deux millions, le cinquième de la nation 1 et, de ces deux millions de familles privilégiées, la plupart vivent de leur travail professionnel, puisque nous avons vu tout à l’heure que 500.000 Français seulement avaient plus de 2.000 fr. par an de leur patrimoine.
Le chiffre des traitemens, comparés les uns aux autres suivant les époques et suivant les travaux qu’ils rémunèrent, va nous apprendre quelles furent, dans la suite des temps, les fonctions les plus estimées ou les plus nécessaires, et comment nos aïeux récompensaient ceux qui, du plus haut rang au plus modeste, remplissaient les charges publiques ou s’acquittaient de services privés.
Et d’abord, comme les salaires, comme les fortunes, les traitemens en général ont augmenté ; j’entends qu’ils ont augmenté plus que le coût de l’existence ; puisque, traduits en monnaie actuelle d’après le pouvoir d’achat de l’argent, comme nous faisons invariablement dans ces articles, ils sont presque toujours d’un taux plus élevé qu’autrefois. Les exceptions à cette règle, — il y en a, — n’en sont que plus frappantes.
Mais, comme les fortunes, les traitemens, loin de se niveler, accusent au contraire, les uns vis-à-vis des autres, une tendance à l’inégalité. Ils se sont élevés beaucoup plus, pour l’élite de chaque profession, que pour la masse de ceux qui l’exercent. Partout, sauf pour les fonctionnaires de l’État, l’écart s’est tendu entre les plus gros et les plus petits appointemens, entre les plus gros et les plus petits honoraires : les médecins, les ingénieurs, les avocats, les professeurs, les artistes renommés sont aujourd’hui dix et quinze fois plus payés, que ceux qui excellaient dans les mêmes branches il y a deux ou trois cents ans ; tandis que le commun des individus adonnés à ces professions gagnent seulement deux ou trois fois plus que leurs devanciers.
Enfin le partage des lots se fait aujourd’hui tout autrement que jadis. La place de chaque besogne, de chaque service sur l’échelle des traitemens a grandement changé. Ce ne sont plus du tout aux mêmes sortes de gens que vont les larges émolumens. En chaque siècle, deux influences ont présidé à la répartition : la loi de l’offre et de la demande a fait enchérir les gens que l’on jugeait les plus utiles ; les mœurs ont associé les plus hauts appointemens, naguère aux dignités les plus éminentes, maintenant aux capacités les plus rares.
Au temps féodal, la domination, ce que nous appelons le « gouvernement, » n’était point, dans l’idée des gouvernans ni des gouvernés, un « ministère, » mais une « propriété. » Le « roi » était plus que le « royaume, » comme le châtelain était plus que le donjon ; et ceux qui servaient le maître dans sa personne étaient plus que ceux qui le servaient dans ses biens. Puisque la personne du chef était tout, le service personnel était naturellement le plus noble de tous. C’est là ce qui explique que longtemps les plus hautes fonctions dans l’ « Etat, » furent de servir personnellement le roi et non pas de servir le royaume, de servir le roi à la chambre, à la chasse et non au prétoire ou au conseil. Le prestige de cette « puissance royale, » le cas que l’on en faisait, s’étendit a tout ce que nous nommons « emplois publics, » qui étaient des démembremens de ce métier du « chef, » commençant au roi et finissant au plus humble de ses agens.
De ces métiers politiques si divers et de plus en plus nombreux, que l’on exerça en son nom et pour son compte, le roi n’en retint pour lui qu’un seul : le « métier des armes, » suivant l’expression de nos aïeux. Il resta chef de guerre et, malgré toutes les révolutions et les changemens insensibles qui font ressembler si peu un souverain du XXe siècle à un prince du XIVe, le roi de l’Europe actuelle continue, lorsqu’il veut s’habiller en roi, de s’habiller en général et non point en magistrat ou en prêtre, comme les monarques de l’antiquité. Ainsi faisaient encore chez nous Louis-Philippe et Napoléon III. Dans les cérémonies civiles, ils n’avaient point d’autre costume que le militaire ; bien que le premier de ces princes ne fut nullement belliqueux et que le second ne fut nullement général. Mais c’est une tradition.
C’était une nécessite au moyen âge. Quand l’armature sociale était maintenue par la force et dérangée par la guerre ; quand les meilleures chances de fortune consistaient, soit à troubler l’ordre, soit à l’affermir, les collaborateurs du chef militaire, ceux qui, à divers titres, secondaient son action ou garantissaient son pouvoir, furent aussi les plus amplement rémunérés. Ils le furent beaucoup mieux que nos officiers actuels : on voit au budget de l’année courante, que la solde d’un général de division est de 19.900 fr., celle du général de brigade de 13.260 fr., celle du colonel de 8.560 fr. Les chefs de bataillon ou d’escadron touchent 5.800 fr., les capitaines 3.675, les lieutenans de 1re classe 2.840 fr., les sous-lieutenans 2.460 fr.
Ces soldes sont à l’étiage des traitemens correspondais des autres carrières. Il y a peu de fonctionnaires civils moins rétribués que les sous-lieutenans et plus rétribués que les généraux de division. Il en est cependant, sans parler des ministres ni des agens diplomatiques, qui touchent davantage : les préfets de 1re et 2e classe, les trésoriers généraux, les gouverneurs des colonies, quelques magistrats et directeurs de ministères. Mais c’est dans les administrations privées et parmi les professions libérales que se rencontrent presque exclusivement les gros émolumens, et qu’ils s’y trouvent en très grand nombre et à des taux jadis inconnus.
C’était tout le contraire au moyen âge : les charges publiques étaient de beaucoup les plus lucratives et, parmi les charges publiques, les emplois guerriers étaient, au point de vue des appointemens, hors de pair. Parmi les traitemens que j’ai notés, le plus haut est de 257.000 fr., attribués en 1553 au chambellan de Charles-Quint. Le titulaire de cette charge est un personnage exceptionnel et quasi souverain, le célèbre comte d’Egmont, prince de Gavre, le vainqueur de Saint-Quentin, future victime du duc d’Albe. Peut-être dois-je signaler au lecteur que le document d’où ce chiffre est extrait, indique les « gages » du comte d’Egmont « par jour. » C’est en multipliant par 365 l’émolument journalier, qui nous est connu, que j’établis le total annuel. L’on pourrait objecter qu’un salaire stipulé « par jour » a sans doute, par là même, un caractère transitoire ; qu’il y a quelque chose de conjectural à transformer, par une simple opération d’arithmétique, en une annuité 365 fois plus grande, ce qui pouvait n’être qu’une indemnité de quelques semaines de durée.
Cette critique s’appliquerait, avec le même fondement, à des conversions pareillement faites dans cet article, de gages payables « par mois » en gages annuels. Mais autrefois, nombre d’appointemens, fixes et perpétuels de leur nature étaient établis par jour. C’est une habitude de langage qui, pour le passé, ne tire pas à conséquence.
Et ce qui le prouve, c’est la comparaison de gages afférens à des emplois analogues, indiqués les uns comme annuels, les autres comme journaliers mais aboutissant, après multiplication par 365, à un chiffre peu différent les uns des autres. La remarque cesse d’être vraie lorsqu’il s’agit de besognes certainement passagères, comme celle des députés aux États généraux ou provinciaux. A l’égard du comte d’Egmont, qualifié à cette date a chambellan de l’Empereur, » mais investi d’autres fonctions importantes — il était en même temps gouverneur d’Artois — il se peut que la somme allouée représente l’ensemble de ce qui lui est dû à divers titres[3].
Aucun autre traitement n’approche de celui-là. Immédiatement au-dessous viennent ceux de chancelier du duc de Berry — 88.000 fr. en 1397, — de grand-maître d’hôtel du duc de Bretagne — 79.000 fr. en 1486, — de premier chambellan du duc de Bourgogne — 70.000 fr. en 1445, — princes connus pour leur richesse et leur magnificence.
Sur notre liste figurent, à la suite des précédens, les appointemens du Sire de Joinville, sénéchal de Champagne — 60.000 fr. en 1285, — du sénéchal de Frovence — 52.000 fr. en 1249, — du chevalier d’honneur de la reine Anne de Bretagne — 55.000 fr. en 1498. — Avec le maréchal de Bourgogne nous descendons à 47.000 fr. Trois « baillis d’épée et de justice, » sous le règne de saint Louis, touchent de 34.000 à 27.000 fr. ; des émolumens analogues sont attribués au gouverneur de Roussillon (1414) et au capitaine de la ville de Blois (1472) ; mais il n’est pas sûr que ces derniers n’eussent pas à payer de leur poche quelques soldes subalternes.
Parmi les traitemens de 20.000 à 25.000 fr. deux seulement sont d’ordre civil : le chirurgien du roi (1380), et le receveur de Bretagne sous la domination anglaise (1359). Tous les autres sont ceux de gens d’épée ; les uns attachés à la personne des princes : chevalier banneret du duc de Bourgogne (1445), premier maître du roi d’Espagne (1501) ; les autres cumulant l’exercice de la justice avec le commandement d’une province, bailli de Troyes (1287), gouverneur de Flandres (1584). Plusieurs sont capitaines d’hommes d’armes, ou de places fortes, à Vannes, à Bâle, à Cherbourg.
Même remarque sur les fonctions appointées de 15 à 20.000 fr. À ce taux fort peu de personnages civils, tels que le clerc des Requêtes de l’Hôtel du roi de France (1380), le vice-chancelier et le premier président des Comptes de Bretagne (1466). Les autres sont des charges de cour : fauconnier, grand-écuyer du roi ou des princes ; parfois les titulaires sont simplement qualifiés de a chevaliers » — la « solde » de l’un d’eux est de 19.000 fr. en Piémont (1382) — parfois ils sont gouverneurs, « châtelains » ou baillis de bonnes villes. Mais tous sont « militaires. »
Les traitemens de 10 à 15.000 fr. s’appliquent à peu près également à des charges d’épée et à des emplois judiciaires et administratifs. À côté de chevaliers et d’hommes d’armes l’on rencontre, dans cette catégorie, des viguiers, des « grenetiers » royaux ou intendans des gabelles, des juges clers, un médecin de prince, à Perpignan, et même un organiste à Paris (1350). L’un des personnages de robe longue, conseiller du roi d’Espagne en Flandres, est le cardinal de Granvelle, gratifié de 13.700 fr. en 1574. C’est un des rares hommes d’Église qui figure sur notre liste ; encore est-ce à titre d’homme d’État.
En résumé, les traitemens supérieurs à 25.000 fr. sont attribués exclusivement à des offices militaires et à des charges de cour, remplies par des gens d’épée. Sur les traitemens de 10.000 à 25.000 fr., 70 pour cent se rapportent aux mêmes emplois, 30 pour cent à des postes civils, dont 16 à des magistrats, 5 à des receveurs de finances, 5 à des médecins ou chirurgiens, 1 à un artiste et 3 à des gens d’Église.
A coup sûr, les soldes de jadis étaient très variables. Dans notre armée contemporaine, hiérarchisée, permanente, les officiers du même grade reçoivent tous la même somme et ils la reçoivent tous les ans. Au moyen âge, la bravoure, les talens militaires, avaient u : i « cours » comme les denrées ; et, comme les denrées aussi, un marché assez étroit parce qu’il était forcément localisé. De sorte que le prix des vertus guerrières subissait, suivant les lois de l’offre et de la demande, de grandes oscillations. Suivant que les campagnes se prolongeaient, que les besoins de soldats se développaient et que la mort en moissonnait davantage, la demande se multipliait. Mais aussi les combats répétés formaient des capitaines et faisaient surgir des offres plus nombreuses.
Aucun tarif d’ailleurs ne réglait ces libres contrats. Aux hommes d’armes que le prince engageait il donnait plus ou moins, et deux ou trois fois plus, suivant leur réputation, leur capacité reconnue ; comme aujourd’hui les directeurs de théâtre à leurs artistes ou les plaideurs à leurs avocats. De là vient qu’à des dates et dans des provinces très voisines, des guerriers, qualifiés de même, touchent des soldes très différentes. Quel que soit le chiffre de cette solde, elle était toujours très supérieure, non seulement aux appointemens que recevaient de leur temps les « civils » d’un rang analogue, mais aussi à la solde de nos officiers actuels.
Nos commandans de corps d’armée, qui sont les sénéchaux et baillis de provinces du XIIIe siècle, n’ont jamais comme eux 50.000 et 60.000 fr. Nombre de chevaliers, gouverneurs de places, touchaient le double de nos généraux de brigade. Les moins bien payés des « bannerets, » accompagnés d’un « pillart » et d’un page, avaient une solde de colonel — 8.500 fr. en Piémont (1355) ; 7.500 fr. en Bretagne (1346) ; 7.000 fr. à Perpignan. — Un « chevalier-bachelier » ne reçoit que 6.400 fr. ; mais le titre importe peu sans doute : des « écuyers » touchent 9.600 fr. (1382), 8.640 fr. à Toulouse (1253) ; les « cavaliers-servans du maréchal » 9.000 fr. (1231) et l’on en voit à la même époque, dans la même région, appointés à 8.000 et à 4.000 fr.
Des « hommes d’armes » il s’en trouve à 9. 000, 8.000 et 7.000 fr. ; il s’en trouve aussi à 2.000 et 3.000 fr. Sont-ils d’une qualité inférieure ? Sont-ils « bardés » ou « non bardés, » « avec destrier » ou « grand cheval, » ou simplement « avec coursier, » mouture commune et de moindre prix ? Sont-ils en campagne ou en garnison ? Servent-ils seuls ou assistés d’un ou deux varlets ? L’épithète assez vague d’homme d’armes, qui d’ailleurs changea de sens du XIIIe au XVIe siècle et finit par ne plus s’appliquer qu’à un reître embrigadé en cornette de cavalerie, après avoir désigné des chevaliers combattant chacun à son plaisir, pourrait laisser croire que le taux varié de leur solde suffit à classer cette sorte de gens.
Mais ce serait une erreur. On les payait suivant leur rareté et suivant leur mérite, évident ou présumé. Et la preuve c’est que nous rencontrons la même diversité entre ceux qu’on appelle des « capitaines » — mot nouveau au XIVe siècle — et entre les simples soldats. Il y a des « capitaines d’une lance » à 7.600 fr. en Bretagne (1475) et des « capitaines de quarante lances » au même prix, dans les Pays-Bas (1584) ; des « capitaines d’hommes d’armes » en Dauphiné à 2.600 fr. et, trois ans plus tard, dans la même province, à 6.550 fr. (1420-1423).
Durant les guerres de religion et particulièrement au temps de la Ligue, où l’on se bat un peu partout, le « capitaine de gens de pied » touche 11.000 fr. à la Rochelle (1593), 7.700 fr. à Orléans et son lieutenant 4.600 fr. ; le lieutenant d’arquebusier, à Nantes (1590), n’a que 4.400, mais son capitaine a 8.250 fr. Bien qu’il se trouve de moindres soldes en d’autres villes, il est clair, sans prétendre assimiler le capitaine actuel, à 3.675 fr. de traitement, au chef de compagnie du XVIe siècle, que celui-ci était payé beaucoup plus cher.
Quant aux soldats, si l’on tentait entre le présent et le passé quelque rapprochement, ce serait aux lieutenans et sous-lieutenans d’aujourd’hui que les volontaires féodaux pourraient être assimilés sous le rapport de la solde. Encore laisserions-nous de côté les plus favorisés de ceux d’autrefois, puisqu’il était des archers, des arbalétriers, — les plus habiles sans doute à lancer la flèche ou le carreau, — à 6.000 et 7.000 fr. par an, et que des « balistaires » ou artilleurs, à cheval, touchaient, au XIIIe siècle, jusqu’à 9.000 fr.
Ceux-là devaient être, au temps de saint Louis, des spécialistes recherchés pour la manœuvre des machines de guerre. Plus tard, après l’invention de la poudre, les gages de l’artilleur allèrent de 4.200 à 3.200 fr., pour les bombardiers et maîtres-canonniers, à 2.300 et 1.900 fr. pour les couleuvriniers à pied et leurs valets.
Le lieutenant d’archer est payé 7.000 fr. ; les simples archers 2.400 à 1.900 fr. par an. Bien qu’il y ait eu des archers largement rétribués jusque sous le règne de Charles IX, l’arbalète, plus facile à bander, d’un tir plus sûr à cause de son point de mire, remplaça de bonne heure les arcs de deux mètres de dimension, fort malaisés à tendre. Les conciles du XIIe siècle l’avaient frappée d’anathème comme trop meurtrière, par le même sentiment d’humanité qui fait prohiber, en nos congrès diplomatiques, l’emploi des balles explosibles. Jusqu’à la fin du XVIe siècle, l’arbalète tint tête à l’arquebuse et ne céda la place qu’au mousquet.
Moins raffiné dans son art, d’une classe plus modeste, l’arbalétrier a moins de prétentions que l’archer. Un maître des arbalétriers d’Amiens qui touche 11.000 fr. (1449) et le bandeur d’arbalète de la Reine qui en touche 7.000 (1536) sont des individus exceptionnels ; les mieux payés, en campagne, ont 3.500 fr. et leurs « pavoisiers, » qui les accompagnent et les protègent dans les combats, ont 2.500 fr. Les moins rétribués touchent 1.200 fr.
Cette dernière solde est à peu près le maximum des arquebusiers, qui se contentent souvent de 800 à 900 fr. non qu’ils fussent moins adroits ; mais l’apparition de l’arquebuse coïncide avec la baisse des gages militaires, influencés à coup sûr par ce qu’on pourrait appeler le « Krack des salaires » au XVIe siècle, la misère croissante des classes laborieuses, et, peut-être, par l’organisation d’armées régulières, recrutées au loin. Au début du règne de Henri IV l’arquebusier portant « salade, » corcelet ou morion, touchait 845 fr., le caporal 1.250 fr. et le sergent 1.600 fr.
Ce terme de « sergent » ou a servant » — car les deux, à l’origine, furent pris l’un pour l’autre — qui est aujourd’hui synonyme de sous-officier, signifiait au moyen âge, un sous-homme d’armes, un « soldat secondaire » et, sous Louis XIV encore, lorsque les « bas-officiers, » fourriers, anspessades et autres, étaient depuis longtemps supérieurs aux simples soldats, dans l’infanterie, ils demeuraient, dans les compagnies de chevaux-légers ou de gendarmes, inférieurs aux simples cavaliers. Mais, quelque soit le nom sous lequel on le désigne — client, baionensis, sergent, varlet, piquier ou fantassin — le simple « homme de pied, » d’emploi et d’armure non spécifiés, touche de 2.200 à 1.400 fr. par an depuis saint Louis jusqu’à François Ier ; tandis qu’à partir de 1550 sa paie tombe à 700 fr. et, au maximum, à 900 fr.
L’époque la plus chère fut le XV siècle ; ce n’est pas que le besoin de soldats ait été plus grand alors qu’à la fin du XVIe siècle, mais sans doute le salaire militaire, comme tous les autres, était très élevé. La vie humaine, quoiqu’on la respectât peu durant cette anarchie de la guerre de Cent Ans, où il n’en coûtait guère de la prendre pour rien, se vendait à merveille lorsqu’on la payait.
Plus tard, elle avait si bien baissé de prix, qu’au début du ministère de Richelieu on levait un soldat pour une somme équivalente à un mouton ou à 30 litres de blé, — deux marchandises de valeurs aujourd’hui différentes mais identiques en ce temps-là. — En comparant les 2.000 fr. que coûtait sous Napoléon III, vers 1870, l’achat d’un remplaçant, d’un « homme, » disait-on, avec les 15 fr. d’une prime d’enrôlement en 1630, on remarque que le soldat volontaire avait, dans notre siècle, singulièrement renchéri, tandis que la paie de l’officier s’était réduite ; deux faits corrélatifs d’ailleurs l’un de l’autre.
Moyennant 15 fr., la municipalité de sa garnison fournissait à Bassompierre des recrues tant qu’il en voulait ; ce bon marché excessif ne dura pas. La prodigalité du duc de Lorraine amena une hausse sur nos frontières de l’Est et surtout la prolongation de la lutte avec l’Autriche fit monter à 50 fr. en moyenne, au temps de Mazarin, le tarif des engagemens. Ce fut tout autre chose durant les longues campagnes de Louis XIV. Pour trouver des miliciens de bonne volonté, en 1689, il faut les payer 115 fr. en Saintonge, 350 fr. en Seine-et-Oise. Vienne la guerre de la Succession d’Espagne, les moindres primes d’enrôlement (1701-1706) sont de 270 fr. en Limousin et vont jusqu’à 600 fr. aux environs de Paris. Le service exigé n’est pourtant que d’un ou deux ans et le travail, au village, n’est guère lucratif. Sous Louis XV, dans les années pacifiques du ministère de Fleury, on levait pour 140 fr. et même pour 80 fr., les soldats qui allaient servir quatre ans à l’armée d’Italie.
A la veille de la Révolution on voyait à Paris, au bas du Pont-Neuf, nombre de boutiques de « racoleurs. » Sur l’enseigne de l’une d’elles était peint le vers de Voltaire :
- Le premier qui fut roi fut un soldat heureux.
L’adage, en 1789, semblait depuis longtemps avoir cessé d’être vrai, et même vraisemblable ; bien qu’il dût se vérifier une fois encore, dix ans après, de la façon la plus éclatante. D’ailleurs les héros que ces recruteurs, agitant leurs sacs d’écus en criant : « Qui en veut ! qui en veut ! » engageaient pour 60 fr., — c’était le prix ordinaire sous Louis XVI, avec un léger supplément pour ceux qui étaient beaux hommes, — se laissaient tenter plutôt par l’appât de la monnaie et d’un repas copieux que par celui de la gloire. Ils ne s’attendaient pas à devenir des guerriers épiques.
Les soldats de l’ancien régime, une fois sous les drapeaux, ne touchaient pas le quart de leurs prédécesseurs du moyen âge, à peine la moitié de leurs devanciers au milieu du XVIe siècle. Le simple fusilier, outre le « pain du roi » en nature, ne recevait alors en argent qu’une indemnité annuelle de 125 fr. ; le grenadier et le cavalier français avaient 150 fr. Seul le fantassin de régiment étranger, mieux traité, avait 400 fr.
Entre l’homme de pied et l’homme de cheval la distance n’était plus au XVIIIe siècle aussi tranchée que sous Louis XIII (1639) où la solde de 22.000 cavaliers coûtait 400.000 fr. de plus par mois que celle de 125.000 fantassins ; mais, entre les officiers des différens corps, la démarcation demeurait profonde au point de vue des appointemens : un lieutenant de mineurs — ou du génie — touchait autant qu’un colonel d’artillerie. Le capitaine du régiment de cavalerie Royal-Allemand touchait sept fois plus que le capitaine de fusiliers. Le mestre-de-camp de cavalerie ordinaire avait le double du colonel d’infanterie. Sauf les armes spéciales, d’un effectif insignifiant et un petit nombre de régimens étrangers, la masse des officiers qui composaient l’armée française n’avaient alors qu’un traitement médiocre ; surtout si l’on songe qu’ils avaient payé leur grade assez cher. C’est même là ce qui rend les comparaisons difficiles, avec notre époque.
Les trois ou quatre colonels-généraux s’étaient, pendant une moitié du XVIIe siècle, taillé des recettes énormes dans le budget de la guerre : celui des Suisses 500.000 fr. ; celui de l’infanterie 320.000 fr. ; celui de la cavalerie légère 90.000 fr. Les personnages revêtus de ces charges étaient des espèces d’entrepreneurs militaires ; les commissions proportionnelles qu’ils prélevaient n’étaient rien, avec les petites troupes de Henri IV ; elles grossirent démesurément avec les armées de Louis XIV. Sauf ces fonctions, supprimées par Louvois, sauf les gouverneurs de province qui continuèrent jusqu’à la fin de la Monarchie d’émarger largement au budget, et les maréchaux de France qui obtenaient, outre leurs traitemens, de fortes indemnités de campagne, les soldes, depuis les mestres-de-camp jusqu’aux enseignes, à 1.400 et 1.700 fr. par an, furent inférieures aux nôtres et à celles du moyen âge.
Est-ce parce que la concurrence avait disparu du marché des hommes d’armes, depuis qu’un unique acheteur subsistait : le roi ? En effet, de tous les monopoles qu’il exerce de nos jours, le plus ancien que l’État se soit réservé est celui des levées militaires. Aux temps modernes, la réduction générale des salaires explique le bas prix des soldats. La baisse des traitemens d’officiers tint à d’autres causes : on trouve aujourd’hui pour rien des maires de chefs-lieux et des juges aux tribunaux de commerce ; fonctions aussi absorbantes que celles de percepteur ou d’agent-voyer. On ne trouverait pourtant pas des agens-voyers ni des percepteurs gratuits.
Lorsque les « hasards de la guerre » furent de moins en moins, de bons hasards, lorsque la profession des armes cessa d’être lucrative pour devenir onéreuse, elle demeura brillante et la plus honorée dans l’opinion. Dès lors la bourgeoisie aisée se fit « d’épée » aussi bien que « de robe » et se piqua d’émulation pour disputer aux anciennes races ce monopole du courage, qui seul passait pour faire des gentilshommes authentiques. Ainsi les grades furent aimés pour eux-mêmes et ambitionnés pour l’honneur, bien que de peu de profit.
Nous n’avons rien aujourd’hui à mettre en regard des anciennes charges de cour ; et nous ne pouvons non plus rapprocher celles des Capétiens ou des Valois, qui se donnaient, de celles des Bourbons, qui se vendaient. Ici les émolumens furent en partie l’intérêt du capital. De même pour les emplois de justice ou de finance. Parmi les mieux rétribués des légistes ou des comptables on remarque un chancelier de Bretagne, sous les derniers ducs : 23.000 fr. ; le clerc des requêtes de l’hôtel du roi sous Charles V : 19.500 fr. ; un clerc et conseiller du comte de Provence : 13.700 fr. ; tous personnages privilégiés. Le plus souvent ces civils, qui administrent et gouvernent effectivement le fief ou le royaume, ont de 6.000 à 10.000 fr. ; toujours inférieurs aux chambellans, écuyers, maîtres d’hôtel et échansons attachés à la personne du roi ou du duc.
Les clercs ou maîtres des requêtes du moyen âge étaient des espèces de secrétaires d’État. Or les secrétaires d’État du XVIIe siècle, qui n’avaient que 15.000 fr. sur les rôles officiels, recevaient jusqu’à 70.000 fr. des provinces dont ils étaient chargés et, bien qu’ils eussent à payer quelques commis, — ce que nous appellerions « le personnel de leurs bureaux, » — la différence des deux traitemens montre le chemin parcouru, d’une date à l’autre, par l’administration civile.
De nos magistrats actuels, il en est une douzaine appointes à 25.000 fr. ou au-dessus et une centaine, à Paris et en province, à 18.000 fr. ; les autres, présidens et juges d’Appel ou de première instance, y compris les juges de paix, reçoivent annuellement des sommes qui atteignent rarement 10.000 fr., mais qui ne sont jamais inférieures à 3. 000. Autant que l’on peut mettre en parallèle deux organisations judiciaires très diverses, dont l’une — l’ancienne — n’a aucun caractère d’uniformité, les magistrats du moyen âge jouissaient d’appointemens assez analogues à ceux d’aujourd’hui. Sauf en Franche-Comté où le premier président du Parlement ne recevait (1498) que 5.600 fr., tandis que celui de la cour d’appel en a maintenant 18.000 ; sauf à Marseille, où le viguier touche 15.000 fr. en 1264, tandis que le président de ce tribunal de première classe n’a plus que 10.000 fr., beaucoup de chiffres du passé offrent une certaine similitude avec ceux du temps présent : le « vicomte » de Bayeux touchait 6.000 fr. (1275) ; le procureur du roi en Champagne 7.000 fr. (1285) ; le viguier d’Aix avait 7.500 fr. ; les présidens au Parlement de Bretagne (1553) étaient payés 10.000 fr. et les conseillers 8.000.
Chercher à poursuivre une assimilation serait puéril. Il est certain pourtant qu’il y a bien plus de ressemblance, entre les appointemens de jadis et ceux d’aujourd’hui, pour les gens de justice que pour les gens de guerre. A moins d’attribuer, par une supposition absurde, à tous les chevaliers ou écuyers de la troupe féodale un rang militaire équivalent à celui des généraux ou colonels de l’armée actuelle, et aux hommes d’armes ou simples arbalétriers, à cheval ou à pied, le rang de nos capitaines ou de nos lieutenans, il est clair que les chefs ou les soldats de ce temps étaient bien plus-largement payés que ceux du nôtre ; tandis que le viguier d’Aix, à 7.500 fr. au temps de saint Louis, correspond à peu près au président du tribunal actuel de cette ville, à 7.000 fr. d’appointemens ; et que les présidens de chambre au parlement de Bretagne, à 10.000 fr. au temps de Henri II, représentent assez les présidens de Chambre actuels à la cour de Rennes, à 10.000 fr. aussi de traitement.
Ces magistrats, pris pour types, étaient payés exactement de même que de nos jours, puisque nous avons évalué, pour chacun d’eux, en francs de 4 grammes et demi d’argent fin, leurs gages exprimés en monnaies anciennes et que nous avons ensuite traduit ces francs intrinsèques en francs de 1906, d’après la différence du prix de la vie autrefois et à présent.
Considérés en eux-mêmes, ces deux traitemens des XIIIe et XXe siècles sont donc pareils. Ceux des présidens à la cour de Rennes sont pareils aussi au XVIe siècle et de nos jours. Ils sont pareils par rapport au coût de la vie, à l’ensemble des dépenses de nourriture, de logement, de vêtement, de chauffage, d’éclairage, etc., aux deux époques. Mais, si on les compare aux traitemens des autres professions, suivant que les autres traitemens ont monté ou baissé, celui du magistrat va nous apparaître plus bas ou plus haut par rapport à eux. Il sera plus haut que jadis vis-à-vis de la solde militaire, qui a baissé ; il sera plus bas vis-à-vis des salaires ouvriers, qui ont monté. Le viguier d’Aix, au XIIIe siècle, était 14 fois plus payé qu’un manœuvre de son temps ; son successeur actuel l’est à peine 10 fois davantage qu’un manœuvre du nôtre. Le président de Rennes, au XVIe siècle, gagnait 18 fois plus qu’un journalier ; son successeur actuel ne gagne pas 14 fois autant.
Ces traitemens sembleront encore fort différens, d’une date à l’autre, si on les rapproche du revenu de ceux qu’on nomme, autour d’eux, des « gens riches ; » parce que les « riches » du XXe siècle sont beaucoup plus riches que ceux du XIIIe ou du XVIe siècle. Enfin, ils différeront énormément, si on les met en parallèle avec les honoraires des professions libérales, aux deux époques, et avec les appointemens que donnent à leurs chefs les entreprises commerciales et industrielles.
Aux deux derniers siècles de la monarchie on trouverait encore — en petit nombre — des traitemens judiciaires offrant quelque ressemblance avec ceux de nos contemporains : il y a deux cents ans le conseiller au Parlement touchait 10.400 fr., à Paris, où le conseiller à la cour d’appel d’aujourd’hui en touche 11. 000. Et, si l’on objecte que l’ancien parlement mérite plutôt d’être assimilé à la cour de cassation, nous pourrons noter que les avocats généraux et le procureur général y recevaient des gages de 23.500 fr. et de 19.000 fr., peu éloignés de ceux que reçoivent, en 1906, au parquet de la cour suprême, les successeurs des « gens du roi. »
Mais ces rapprochemens sont tout fortuits. Il ne peut être fait aucune sorte de comparaison précise entre les magistrats de Louis XIV ou de Louis XV et ceux de nos jours, au point de vue de la situation pécuniaire, pour deux raisons : la vénalité des charges et les épices. Il faudrait déduire, du traitement officiel qui leur était alloué, l’intérêt du capital déboursé par eux pour achat de leur office. Ce qui resterait de salaire proprement dit paraîtrait alors fort peu de chose.
En effet, sauf le premier président du parlement de Paris dont les émolumens fixes étaient de 90.000 fr., sauf le lieutenant-civil au Chatelet qui avait 28.000 fr., presque tous les traitemens de cette époque étaient inférieurs à ceux d’aujourd’hui. Par exemple les présidens à la Chambre des Comptes de Paris avaient 13.500 fr. et les conseillers-maîtres 9.250 ; tandis que les mêmes personnages ont25.000 et 18.000 fr. maintenant. En province, les conseillers de Parlement avaient de 4.700 à 5.600 fr. ; nos conseillers de cour d’appel ont uniformément 7.000 fr. Nos présidens de tribunaux civils jouissent d’un minimum de 5.000 fr. par an et vont, en quelques grandes villes, jusqu’à 10. 000 ; au XVIIIe siècle les baillis, sénéchaux, présidens de sièges présidiaux ne dépassent pas 3.750 fr. et descendent à des chiffres infimes ou dérisoires : 1.350 fr. à Besançon (1718), 700 fr. à Boulogne-sur-Mer et à Lons-le-Saulnier. En Provence, sous Louis XVI, il est des conseillers de sénéchaussée à 600 fr. par an. Ceux-là n’auraient pas eu l’intérêt de leur argent et les autres peu davantage.
Mais, à côté du salaire fixe et apparent, il y avait les « épices, » d’un profit inconnu quoique légal, levées par les juges sur les plaideurs. Les cadeaux bénévoles du moyen âge se transformèrent aux temps modernes en taxes obligatoires, sans que d’ailleurs les politesses volontaires eussent cessé : en Navarre, les jambons demeuraient le grand article de séduction vis-à-vis des magistrats dont on recherchait les bonnes grâces ; dans le centre c’étaient des confitures ; en Bourgogne quelque poinçon d’un crû renommé et, dans les registres communaux d’une ville du Maine, qui plaide au Parlement, on lit que « Me Talon, avocat-général, sera ajouté sur le rôle des personnes de Paris auxquelles il est envoyé des chapons. »
Comme le juge ne vit pas seulement de chapons, les plus délicats, les plus austères, parmi ceux qui séaient sur les fleur-de-lis, avaient fini par trouver tout naturel de vendre la justice ; tellement la force de l’habitude suffit à faire prendre une absurdité ancienne pour une institution respectable : « Puisque le prince est débiteur de la justice, écrivait La Roche-Flavin, président à Toulouse, il la doit fournir et rendre gratuitement et non pas faire acheter au peuple ce qui lui est dû. Mais ce discours serait bon en la République de Platon ; car en toutes celles qui sont à présent au monde (1630) la coutume contraire a, depuis longtemps, prévalu sur la raison. »
Nous autres, « gens de maintenant, » ne serions guère fondés au reste à nous trop enorgueillir sur ce chapitre vis-à-vis de nos anciens ; notre procédure civile de 1906, avec ses frais, ses complications et sa lenteur, — telle que les procès passent normalement deux ans au rôle du tribunal de la Seine, avant de venir à l’audience, — fera sourire nos arrière-petits-fils, lorsqu’ils auront enfin démantelé cette Bastille là. Néanmoins on a supprimé quelques abus depuis le temps où le cardinal de Richelieu, s’écriait : « La vénalité du détail de la justice monte à si haut prix qu’on ne peut conserver son bien, contre celui qui le veut envahir, qu’en le perdant, et pour le paiement de celui qui le doit défendre ! » Richelieu parla ainsi dans l’opposition ; il ne fut pas le seul. Au pouvoir, il oublia ses projets de réforme ; en quoi non plus il ne fut pas le seul.
La justice continue donc aujourd’hui de se vendre ; mais les juges de notre république n’ont plus droit au partage du bu lin fait sur les parties, et ce butin est moins rigoureux. Les tarifs d’il y a cent cinquante ans, lorsqu’on les examine en détail, ne paraissent pas trop élevés : 11 fr.25 c. pour un interrogatoire ; 2 fr.50 c. pour une confrontation de témoins… ; mais on ne s’y conformait pas toujours. Surtout on trouvait moyen de multiplier ces petits ruisseaux de manière à les transformer en avantageuses rivières. La plus futile sentence d’un tribunal de village contait 100 francs ; dans un siège important le meilleur marché allait à 400 francs. Aussi est-ce merveille de voir les sommes s’arrondir lorsqu’on totalise : une enquête sur la préséance des viguiers de Toulon monte à 10.000 fr. ; un procès en séparation coûte 30.000 fr. au mari qui le gagne. En matière criminelle les frais n’étaient pas moindres : les consuls de Marjevols (Languedoc) font un procès à un seigneur du voisinage, véritable brigand féodal ; les dépenses qu’ils furent obligés de supporter montèrent à 145.000 francs.
Les parlemens, de loin en loin, modéraient les dépens des juges subalternes : la cour de Paris réduit un jour à 210 fr. les vacations d’un bailli qui s’était taxé à 2.000 fr., et à 140 fr. la taxe de 1.000 fr. que s’était attribuée un procureur fiscal. De 5.915 fr., chiffre auquel se montaient des frais d’inventaire, — y compris 750 fr. de dépenses de bouche — la taxe descend, après révision, à 495 fr.
Ce n’étaient pas comme aujourd’hui un ou deux dossiers, voire un ou deux cartons, qui suffisaient à contenir les pièces d’un procès ; c’étaient des sacs, que les gens de loi portaient à leur ceinture, de vrais sacs et en bon nombre, — d’où la locution « Votre affaire est dans le sac, » — que l’on transportait sans cesse de chez le procureur au palais, du palais chez le rapporteur, et chacun de ces sacs avait coûté de grosses sommes.
Seulement ces sommes se partageaient entre beaucoup de mains. L’effectif des juges, accru de siècle en siècle, était vers la fin de l’ancien régime devenu formidable. Il comprenait bien 40.000 personnes : chaque bourg, presque chaque paroisse avait sa justice seigneuriale, au-dessus desquelles étaient les « sièges royaux » — aussi abondans que nos justices de paix — subordonnés aux sénéchaussées et bailliages, dont aucun ne comptait moins de sept magistrats. De là on allait au présidial, où le personnel était quatre fois plus nombreux que celui de notre tribunal de première instance. Dans le comté de Dunois la justice ressortait à Prépalteau, Prépalteau à Montigny, Montigny à Châteaudun, Châteaudun à Blois et Blois au Parlement de Paris, dont les arrêts, au civil, pouvaient être réformés par le conseil privé.
Ajoutez à cette armée de magistrats les auxiliaires naturels de la basoche : procureurs et avocats, dont la pléthore n’était pas moins signalée, vous atteignez un total inouï : Cahors, qui compte aujourd’hui 7 avoués, avait 47 procureurs ; Vitry-le-Français en avait 12, au lieu de ses 5 avoués actuels. De sorte que la justice coûtait extrêmement cher à ceux qui y recouraient, mais ne rapportait sans doute pas, à ceux qui la rendaient, autant que de nos jours.
Les « épices » étaient évaluées à 80 millions de francs, au milieu du dix-huitième siècle, pour l’ensemble du royaume. En y joignant les 16 millions et demi de francs que le pouvoir central allouait à la magistrature, les traitemens payés aux juges villageois par les seigneurs propriétaires de fiefs, et les amendes, non versées au Trésor comme présentement, mais laissées à la disposition des tribunaux qui les infligeaient, on atteindra un total trois ou quatre fois supérieur aux 37 millions du budget actuel de notre ministère de la justice. Le gouvernement de jadis, qui avait encaissé le capital produit par la vente des charges, pouvait estimer que la justice ne lui coûtait rien. Mais elle coûtait fort cher aux intéressés : accusés ou plaideurs. Quant aux magistrats, même avec les « épices » qui doublaient ou triplaient leurs allocations fixes, ils se trouvaient, dans les sièges subalternes, moins payés que ceux de nos jours.
Les amendes étaient, suivant le terme légal et consacré, « arbitraires, » c’est-à-dire laissées à l’appréciation du juge. En vieux français, l’adjectif « arbitraire » ne se prenait pas en mauvaise part, non plus que les substantifs « arbitre » et « arbitrage » dans le français actuel. Si ce qualificatif a changé de sens, s’il est devenu péjoratif, nos anciennes « amendes arbitraires, » souvent mal arbitrées, y sont peut-être pour quelque chose. Qui les passerait en revue ne les trouverait pas toujours proportionnées au délit : ici l’amende est la même pour un adultère, — 45 fr., — que pour avoir fait travailler des bœufs le jour de la Pentecôte ; là où il en coûte seulement 18 fr. à des hôteliers coupables d’avoir vendu à faux poids, ils sont condamnés à 52 fr. pour avoir vendu de la viande pendant le carême. Ailleurs, l’amende était de 112 fr. pour qui introduisait dans la ville du vin « étranger, » provenant de districts voisins, au détriment du crû local ; elle n’était que de 24 fr. pour un larcin ordinaire.
Une profession peu rétribuée au moyen âge, dont les gages progressèrent aux temps modernes et bien plus encore de notre temps, est celle de bourreau. Il est vrai que les places ont diminué, puisqu’il n’y a plus qu’un seul « exécuteur des hautes œuvres » pour toute la République. Encore n’est-il pas surchargé de travail. Quel ne serait pas l’étonnement des bourreaux de jadis si, ouvrant le budget du ministère de la justice, ils constataient à la fois combien peu notre société miséricordieuse dépense par an pour l’application de la peine de mort, et combien cher lui revient en détail la guillotine pour fonctionner si rarement : 42.000 fr. ainsi répartis : gages des exécuteurs et de leurs aides 28.000 fr. ; frais des exécutions capitales 9.000 fr. ; secours alimentaires aux exécuteurs infirmes ou sans emploi, à leurs veuves et à leurs enfans 5.000 fr.
En regard de cette somme, le petit nombre d’assassins qui, suivant l’expression consacrée, « portent leur tête sur l’échafaud, » fait ressortir chaque déclic du couperet à un taux qui eût ruiné nos anciens justiciers, s’ils avaient payé aussi chèrement les besognes multiples de leurs bourreaux.
Méprisé, isolé des autres hommes, au point que, sur certains registres paroissiaux, on inscrivait, « à cause de la condition du père, » le baptême de ses enfans légitimes dans la partie du livre réservée aux enfans naturels, le bourreau n’avait guère de compensation d’argent au moyen âge : preuve qu’on n’en chômait pas, bien qu’il en fallut partout. Leur traitement annuel était de 300 fr. environ. A Dôle, Jean Terrible, au XVIe siècle, n’avait que 272 fr. de fixe. Au contraire, lorsqu’avec l’adoucissement des mœurs, le métier, sans devenir plus pénible, parut plus répugnant, il fallut le payer davantage : au XVIIIe siècle le bourreau de Dijon avait 2.550 fr. d’appointemens (1711) et celui de Nantes 3.400 fr. (1765).
Au salaire fixe s’ajoutait le droit de havage : une cuiller de fer blanc à la main, le bourreau allait sur le marché, prélevant son tribut sur chaque sac de grains, prenant aussi sa part de fruits, de poisson, de fromage et marquant au bras, avec un morceau de craie, ceux qui avaient acquitté l’impôt. Souvent il était habillé aux frais de la caisse communale : chapeau rouge à grand panache, costume de même couleur qui coûte jusqu’à 500 fr. Les bourgades voisines faisaient avec lui un abonnement ; à moins de le payer en politesses, comme l’hospice d’Angers, qui a droit de haute justice dans ses fiefs et a marché passé pour faire exécuter les sentences de ses juges par le bourreau, « gratis, sauf sa place à table avec le personnel de l’hospice ces jours-là. »
Tarifées ou traitées à l’amiable, les indemnités que touchaient ces personnages fort occupés variaient suivant la nature des supplices. Mais toutes étaient minimes au moyen âge et renchérirent beaucoup aux temps modernes ; tandis que la paie des gens de guerre, très élevée aux temps féodaux tombait à peu de chose aux derniers siècles. Or le soldat de Louis XIV était, suivant une définition humoristique de l’époque, « un homme qui, sans être criminel ni philosophe, tue et s’expose librement à la mort. » Un temps où l’épée du soldat est plus chère que le glaive du bourreau, est un temps où le courage est moins banal que la cruauté. Mais quand la société se voit forcée de récompenser d’un prix beaucoup plus haut celui qui tue en son nom, sur l’échafaud, que ceux qui se font tuer pour elle, sur le champ de bataille, c’est qu’elle a gardé le courage en se dépouillant de la cruauté ; puisque ses citoyens consentent à risquer leur vie plus volontiers qu’à donner la mort de sang-froid.
Le bon marché des supplices, du XIVe au XVIe siècle, nous fait augurer que c’était une sorte de « main-d’œuvre » qui se payait ni plus ni moins que toute autre, suivant le temps et les frais accessoires qu’elle exigeait. De là, grande diversité des prix : lorsqu’il suffit d’enfouir vivant un voleur ou quelque femme « condamnée pour ses démentes, le salaire, pour creuser la fosse, n’est que de 3 fr.50 c ; » ailleurs il atteint 20 fr. y compris un achat de cordes. Au contraire, pour faire bouillir un faux-monnayeur — a les faux-monnayeurs, disait la loi, sont accoutumés à être bouillis » — il en coûte 160 fr., parce qu’il faut fabriquer un fourneau et faire emplette d’une chaudière appropriée qui vaut 135 fr.
Au XVIIIe siècle, les prétentions des bourreaux sont tout autres : la simple fustigation d’un criminel leur vaut une cinquantaine de francs ; la marque au fer rouge 70 fr. On les paie 250 fr. pour une pendaison. L’exécution d’un condamné au bûcher leur rapporte 670 fr., et ils gagnent 1.200 fr. à faire subir le supplice de la roue. Ceux-là étaient devenus plus susceptibles que leurs devanciers, puisqu’ils obtinrent, en 1787, un arrêt du Conseil d’Etat qui défendait « de donner le nom de bourreaux aux exécuteurs de la haute-justice. » Tout porte à croire que Rozeau, le petit Pennache, son aide, le fameux Jean-Guillaume et le Sr de Saint-Aubin, qualifiés à tour de rôle de « Monsieur de Paris » au XVII0 siècle, étaient praticiens distingués, mettant leur amour-propre à faire subir dans les règles les divers genres de supplice.
Leurs confrères de province n’avaient pas un égal respect de leur art. Il en était peu qui eussent quitté, comme « Monsieur d’Angers » leur résidence avec dégoût, « parce qu’il n’y avait qu’à prendre, qu’on n’y faisait point d’œuvre délicate. » La maladresse des « maîtres des hautes-œuvres » transformait parfois les exécutions en boucheries ; beaucoup n’avaient même pas l’habileté nécessaire pour trancher convenablement une tête[4].
Classerons-nous, parmi les emplois officiels, ceux du clergé séculier. Ils l’étaient hier, ils vont cesser de l’être. Avant 1789 l’Église avait des biens ; depuis 1801 elle touchait un salaire. Elle n’a plus désormais ni l’un, ni l’autre ; mais nous pouvons comparer la situation matérielle du prêtre, au début du XXe siècle avec ce qu’elle était aux siècles passés. Pour le faire, il faut se rappeler que la Royauté s’était pratiquement emparée des biens du clergé, depuis le concordat de 1516, par le mécanisme ingénieux décrit dans un précédent article[5].
Depuis 1801 jusqu’à nos jours, pour le curé comme pour l’évêque, le titre, le traitement et la fonction sont unis et inséparables. Jadis, au contraire, celui qui avait le titre et jouissait du revenu faisait exercer la fonction par un autre. Cet autre seul est à nos yeux l’évêque réel, le curé effectif, comme il le fut pour les diocésains et les paroissiens de son temps. C’est lui qui correspond exactement à notre curé et à notre évêque de 1906. Quant à ce rentier ecclésiastique, prélat de cour, abbé commendataire qui, même sacré ou ordonné, n’avait rien d’épiscopal ni de sacerdotal, nous l’avons étudié déjà parmi les types de propriétaires ou de pensionnés sans analogues modernes, avec lesquels il convenait de le classer.
Humbles et pauvres étaient ces « subcurés » ou vicaires perpétuels, à qui les curés primitifs confiaient la besogne pastorale. Cet abus dura tranquillement près de trois siècles : tantôt les « curés primitifs » étaient des couvens du voisinage à qui appartenaient la dîme et les biens séculiers. Mais ces couvens n’en voyaient pas un centime ; mis eux-mêmes au pain sec par un personnage lointain, qui n’était ni régulier ni séculier, et n’avait de clérical que le revenu.
Tantôt les bénéficiers de la cure étaient des chanoines ou autres clercs du chef-lieu, sans aucun goût pour la campagne. Un évêque plaidait-il contre eux en vue de les obliger à quitter les cures qu’ils ne pouvaient desservir, — longs procès qu’il fallait bien du courage pour entamer et mener à bonne fin, — les curés obtenaient à Rome des bulles qui les dispensaient de résider ; l’évêque en appelait de ces bulles au parlement « comme d’abus ; » les curés aussi en appelaient comme d’abus contre les ordres de leur évêque. Toujours les tribunaux donnaient raison aux prélats, les curés perdaient leurs procès toujours, mais ne résidaient pas davantage. D’ailleurs comment l’évêque fulminerait-il ? Lorsqu’il habite lui-même à Paris, comment se montrerait-il si sévère ? L’évêque de Belley, du haut de la chaire, ne mâchait pas les vérités à ses confrères : « Messeigneurs les prélats qui ne résidez pas, que peut-on dire de vous ? »
« C’est chose étrange, remarquait l’avocat-général Talon, que ceux qui sont établis pour avoir soin des âmes fassent consister le seul exercice de leurs charges en la perception des fruits, et non en l’administration des sacremens, qu’ils commettent d’ordinaire à l’industrie d’un prêtre mercenaire. Par cette corruption, les pauvres gens dans la campagne, se trouvent destitués de tout secours et vivent dans l’ignorance des choses nécessaires à leur salut. » Les populations rurales s’estimaient heureuses d’obtenir des non-résidens l’entretien d’un de ces a prêtres mercenaires » dont parle l’avocat-général. Les instances judiciaires, introduites à cet effet par les municipalités, étaient fréquentes. Parfois des procès-verbaux étaient dressés, à la requête des habitans, « de l’abandon de tout service régulier dans leur église. » Certains prêtres devaient dire deux messes « parce qu’ils avaient plusieurs paroisses à desservir. » Cependant tous ces fidèles payaient exactement la dîme !
Ces « vicaires perpétuels » n’avaient pas toujours le nécessaire. Les cahiers de Champagne nous parlent des prêtres qui, « au grand opprobre du clergé, sont contraints, les uns de travailler en journée, les autres de mendier leur vie. » Quelques-uns labouraient la terre comme fermiers. Tel, pour obtenir 600 fr. de traitement, doit aller jusqu’au parlement de sa province.
Pour que les desservans « ne pussent être empêchés de faire leur devoir par pauvreté et que l’on trouvât des personnes capables, » des édits royaux avaient décrété un minimum de salaire qui leur serait imparti. Cette « portion congrue » devait être, sous Charles IX, de 1.050 fr., sous Louis XIII de 1.000 fr. dans le centre et le midi de la France, de 1500 fr. dans le nord et l’ouest où la vie était plus chère. Louis XIV (1686) la fixa uniformément à 1.000 fr. pour tout le royaume et Louis XV (1768) à 1. 040 fr. Mais cet édit ne fut pas exécuté partout. L’on vit jusqu’en 1789 des « portions congrues » de 600 fr., et beaucoup de curés plaidaient pour obtenir les 1.000 fr. réglementaires ; ce qui prouve qu’ils ne les avaient pas.
Leur situation était en effet très variable : le « gros décimateur, » celui qu’on peut nommer le « curé honoraire, » n’était pas tenu de donner à son remplaçant plus du quart de la dîme, c’est-à-dire 25 pour cent de ce qu’il recevait lui-même. Or il y avait des paroisses où la dîme tout entière ne valait pas plus de 1200 fr. Selon le conseil d’Etat, le prêtre portionné devait abandonner tous les autres produits de la paroisse « sauf le dedans et le creux de l’église » — le casuel — ; selon le parlement, il pouvait jouir des fondations mortuaires et des petites ou vertes dîmes, consistant en légumes et plantes fourragères assimilées. Par cela seul, en ce dernier cas, son traitement se trouvait doublé.
Quelles qu’aient été les différences d’une paroisse à l’autre, et en admettant que ces simples prêtres aient joui au XVIIIe siècle des 1.000 fr. qui leur étaient dus, ils n’avaient pas trop à se louer de l’ancien régime et le montrèrent, au jour du serment du jeu de paume, où l’appoint de leurs députés aux États-Généraux décida du sort de la Révolution.
Ils purent se féliciter l’année suivante, de leur attitude, lorsqu’en échange de la confiscation de ces « biens du clergé, » qui ne leur appartenaient pas, l’Assemblée Constituante vota aux curés de 1790 des traitemens gradués, dont les moins élevés étaient, en monnaie actuelle, de 2.400 fr. Il est vrai que leur satisfaction dût être courte, puisque ces traitemens ne furent jamais payés.
Lorsque la paix religieuse eût été rétablie, et durant tout le cours du siècle dernier, les ministres du culte reçurent des divers régimes politiques une allocation qui se trouvait être, en 1905, un peu inférieure à la portion congrue du temps de Louis XVI — 900 fr. au lieu de 1. 040 — pour les deux tiers d’entre eux. Le troisième tiers, composé de prêtres de 60 ans et au-dessus, touchait 1.000 à 1200 fr. ; 2.500 curés de canton recevaient 12 et 1.300 fr. et 900 curés de 1re classe 15 et 1.600 fr. Ces chiffres se rapprochent plutôt des salaires ouvriers que des appointemens de professions bourgeoises, comportant même degré d’instruction secondaire, mêmes exigences de vie et même rang social.
Les ecclésiastiques y joignent, à la vérité, un casuel, d’ailleurs minime, et les honoraires de leurs messes. Le prix actuel des messes, qui diffère suivant les diocèses mais peut être évalué en moyenne à 1 fr.50, n’a guère varié depuis le règne de Henri IV jusqu’à nos jours. Nous trouvons au XIVe siècle des messes basses, payées depuis 0 fr.50 à Tours jusqu’à 2 fr.15 à Paris, mais en trop petit nombre pour permettre de se fixer une opinion. Au contraire nous constatons que les messes furent très chères de 1400 à 1500. Non pas le « service chanté, » qui vaut à Marseille 14 fr.60, la messe haute a à diacre et sous-diacre » qui se paie à Chartres 17 fr.40, ni l’office solennel comme celui que l’on célèbre à Orléans « pour l’obsèques de Jehanne la Pucelle, » qui coûte 37 fr. (1439) ; mais les messes ordinaires valent en moyenne 3 fr. sans que l’on puisse assigner de cause précise à ce taux élevé.
Les messes de ce temps étaient-elles mieux payées parce qu’on en demandait davantage, ou parce qu’il y avait moins de prêtres pour les dire ? Toujours est-il qu’elles baissèrent à 2 fr. en moyenne dès le XVIe siècle, où il s’en dit souvent à 1 fr.50 et très rarement à 3 fr. Malgré la renaissance religieuse du XVIIe siècle, elles tombèrent, à partir de 1600 jusqu’à la Révolution, à un chiffre plutôt inférieur à celui de nos jours. A Paris et dans les grandes villes il se dit encore des messes à 2 fr. et au-dessus ; mais, dans les campagnes, elles descendirent jusqu’à 0 fr.70 et, dans des chefs-lieux tels que Rouen, Nevers, Orléans, Soissons, etc., elles ne furent pas cotées plus de 1 fr.25 à 1 fr.40.
Une étrange simonie du moyen Age avait fait annexer au casuel l’absolution des excommunications qui, suivant les localités, se payait au XIVe siècle 12 fr. à Tours et 43 fr. en Belgique. Le clergé semblait vendre aussi la confession de Pâques : cet odieux abus ne disparut que fort tard, puisque saint Vincent de Paul eut beaucoup de peine, en Bresse, à empêcher les prêtres « d’exiger de l’argent pour entendre les confessions des pauvres gens. » J’ignore à combien pouvait alors monter cette taxe, dont je n’ai point vu d’exemples aux temps modernes. Au XVe siècle, elle dépendait de la qualité des pénitens : un seigneur de Franche-Comté donne au prieur 100 fr. pour l’octroi de ce sacrement (1400) ; un bourgeois de Saintonge paie, pour le même office, 6 fr.70 ; et, pour une femme du peuple, la « taxe de la confession de Pâques » est à Chartres (1445) de 2 fr.40.
Les sermons, à l’inverse des messes, ont de nos jours renchéri. Et, comme il n’en est pas prêché davantage, ce renchérissement ne doit pas tenir à l’accroissement de la a demande, » mais plutôt à la réduction du nombre des « orateurs de la chaire, » si toutefois l’on pouvait donner ce nom à tant de prédicateurs de jadis, dont le langage, mêlé de pathos et de trivialité, semble à nos oreilles, d’après les échantillons parvenus jusqu’à nous, aussi éloigné de l’éloquence sacrée que de la simplicité évangélique. N’importe ! La pieuse avidité de sermons n’en était pas moins grande chez les populations urbaines et rurales d’autrefois. Ne pas avoir un prédicateur du Carême et de l’Avent eut été, pour la paroisse, une profonde humiliation. Entre tous les pouvoirs locaux, c’était à qui le choisirait ; mais c’était aussi à qui ne le paierait pas. Les conseils communaux, les marguilliers avaient à ce sujet des contentions fréquentes avec les curés et les chapitres. Ceux-ci à leur tour entraient en lutte au chef-lieu avec le « lieutenant de roi ; » les uns s’obstinant par exemple à appeler un prédicateur jacobin, l’autre « ne voulant souffrir qu’un capucin ou un jésuite. »
Dans les villes, aujourd’hui, les honoraires des prédicateurs du carême sont de 1.200 à 1.500 fr., outre la nourriture et le logement. Nous n’avons rencontré de chiffres analogues que deux fois en quatre siècles : encore l’un se rapporte-t-il à deux religieux auguslins, venus d’un couvent de Bourgogne pour prêcher à Malines devant l’archiduchesse ; on leur alloua 1.280 fr. L’autre cas est celui d’un prédicateur à Nîmes qui reçût 1.110 fr. en 1752. Sauf ces nues exceptions, le maximum d’un carême est de 600 à 700 fr., et la généralité des prédicateurs touchèrent seulement de 150 à 300 fr. depuis le XVe siècle jusqu’à la Révolution.
Ces rétributions étaient, bien entendu, très variables d’une ville à l’autre et, dans la même ville, à diverses dates : à Nantes 600 fr. en 1482, 220 fr. en 1540, 130 fr. en 1580 ; à Grenoble 360 fr. en 1492, 300 fr. en 1518, 240 fr. en 1530 ; à Romorantin 115 fr. en 1501, 200 fr. en 1527, 225 fr. en 1634, 76 fr. en 1687, 380 fr. en 1737. Mais il n’apparaît, sur l’ensemble du territoire, ni diminution, ni augmentation. Sous Charles YIII le prédicateur du carême recevait 108 fr. à Amiens et 270 fr. à Orléans ; sous Louis XVI, il lui était octroyé 152 fr. à Saint-Quentin et 190 fr. à Troyes.
Il en est de même des divers traitemens ecclésiastiques : les aumôniers des rois et des princes touchaient de 2.000 à 10.000 fr., suivant le rang et la générosité de leurs patrons ; les simples chapelains de château et d’hospice avaient de 500 à 1.000 fr. L’inquisiteur de Roussillon, son adjoint et son scribe recevaient ensemble 2500 fr. au XIVe siècle. Presque toujours les appointemens en espèces étaient minimes et le clerc qui devait s’en contenter vivait pauvre. Ceux-là seuls étaient riches qui avaient part aux appointemens en nature, aux biens immenses du clergé.
De ce nombre étaient les évêques dont le revenu net, toutes charges déduites, était au XVIIIe siècle de 120.000 fr. par an, en moyenne, avec de grandes inégalités d’un diocèse à l’autre : certains ayant 400.000 fr. de rente et plus, comme Paris, Narbonne, Digne ou Albi ; d’autres 35.000 fr. seulement, comme Troyes ou Châlons-sur-Saône. Mais n’est-ce pas dérisoire de comparer un prélat du XVIIIe siècle à un évêque actuel ? N’est-ce pas un personnage quasi laïque ce M. de Marcillac, évêque de Mende, que ses chanoines a supplient de coucher en son seing la qualité d’évêque, et non pas seulement celle de comte du Gévaudan, comme il fait. » Lorsqu’il part pour les États de Languedoc avec son aumônier, ses deux valets de chambre, son maître d’hôtel, ses chefs de cuisine et d’office, leurs garçons, ses quatre laquais, son suisse et ses deux porteurs, est-il vraiment le successeur du a Révérend Père en Dieu » des premiers âges et le prédécesseur de l’évêque concordataire d’hier à 10.000 fr. par an ?
Le cas du clergé est un cas unique. Dans cette revue des traitemens dont je fais ici l’histoire, j’en ai noté de très élevés jadis qui, aux temps modernes, ont beaucoup diminué — tels les soldes militaires ; de moyennement lucratifs qui ont moins varié — tels les charges judiciaires ; et de médiocres ou minimes qui ont grandement haussé — tels les emplois pédagogiques. J’ai avancé aussi, — et ces études le démontreront péremptoirement, — que le prix des services publics ou privés, le loyer du « capital humain », n’est pas arbitraire, mais obéit aux mêmes influences que le prix et le loyer de toute chose ; qu’il s’opère par exemple entre les professions bourgeoises un nivellement automatique, comme entre les métiers manuels : les copieux salaires appelant l’affluence, les salaires inférieurs décourageant et éloignant le candidat. Rien de pareil pour le clergé paroissial : ses gages étaient bas sous l’ancien régime ; au XXe siècle ils sont plus bas encore. Pourtant les prêtres ne manquent nulle part, ils remplissent le même office que leurs devanciers. Comme, à défaut d’avantages pécuniaires, les clercs actuels n’ont pas été tentés par des satisfactions de vanité ; comme l’État ne les a pas exceptionnellement honorés par-dessus ses autres serviteurs, et qu’il n’a point usé de violence pour les recruter, il semble que, logiquement, on n’aurait pas dû trouver de sujets pour des postes à 900 fr., dans un siècle de bien-être où toute besogne est convenablement payée.
Il a fallu, je pense, que les 40.000 prêtres séculiers — sans parler des religieux — aient subi l’attrait d’une vocation supérieure aux calculs humains, lorsqu’ils ont librement embrassé une carrière qui exige tant de vertus et rapporte si peu d’argent et de gloire. Car ils ne peuvent être suspects, comme les bénéficiers d’autrefois, de « s’être portés au service du ciel pour les commodités de la terre. »
Vte G. D’AVENEL
- ↑ Voyez la Revue des 15 février et 15 mars.
- ↑ Voyez les numéros de la Revue des 1er et 15 octobre 1896, et des 15 juin et 15 juillet 1898. — Voir aussi mon ouvrage Paysans et Ouvriers depuis sept cents ans, où se trouve résumé le texte des tomes III et IV de mon Histoire Économique de la propriété, des salaires, des denrées, etc.
- ↑ Je crois devoir rappeler au lecteur que le chiffre de 257.000 fr. est exprimé en monnaie actuelle, ainsi que tous ceux qui sont contenus dans cet article ; c’est-à-dire établis en tenant compte de la puissance d’achat de l’argent, aux diverses époques, de la valeur relative des métaux précieux. Ainsi, le traitement du comte d’Egmont, de 60 florins Philippus par jour, ayant une valeur intrinsèque de 3 fr.92 chaque, représentait intrinsèquement, par jour, 235 fr.20 et par an, 85.848 fr. de 1553, qui équivalent à 257.000 fr. de 1906.
- ↑ Après avoir bandé les yeux au patient, afin qu’il ne remuât point en devinant la hache et lui avoir recommandé, quand il posait son front sur le billot, « de le bien embrasser des deux mains pour se maintenir ferme, » le difficile était de frapper juste.
Dès 1632 on usait à Toulouse d’un système assez analogue à la guillotine actuelle : un lourd couteau de boucher, maintenu par une corde et lâché au dernier moment, glissait avec rapidité entre deux montans de bois. Le maréchal de Montmorency eut ainsi la tête séparée du corps au premier choc. - ↑ Voyez la Revue du 15 mars.