Aller au contenu

Les Romanesques/Acte III

La bibliothèque libre.
Charpentier et Fasquelle (p. 115-155).


ACTE TROISIÈME


Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles.

Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les travaux.



Scène I

BERGAMIN, PASQUINOT, Un Maçon.
le maçon chante en travaillant.

Tra laï deluriau…

Bergamin.

Tra laï deluriau…Ces ouvriers sont longs !

le maçon.

Deluriau, de lurot…

Pasquinot, suivant ses mouvements avec satisfaction.

Deluriau, de lurot…C’est cela ! des moellons !…

Bergamin, même jeu.

Pouf ! un tas de mortier !

Pasquinot.

Pouf ! un tas de mortier !Paf ! un coup de truelle !

Le Maçon, faisant des roulades.

Deluriau delurie — ue — ue — ue — ue — ue — uel — le

Pasquinot, redescendant.

Belle voix ! mais travail bien lent !…

Bergamin, redescendant aussi, avec un bonheur agressif.

Belle voix ! mais travail bien lent !…Ha ! ha ! voici
Un pan de commencé ! Bon !

Pasquinot, frappant du pied l’endroit non encore construit.

Un pan de commencé ! Bon !Demain même, ici,
Le mur va de deux pieds sortir de terre ! — Ô joie !

Bergamin, lyrique.

Ô cher mur, que bientôt, debout, je te revoie !

Pasquinot.

Que dites-vous, Monsieur ?.

Bergamin.

Que dites-vous, Monsieur ?.Je ne vous parle pas.

Un temps.

Que faites-vous le soir après votre repas ?

Pasquinot.

Rien… Et vous ?

Bergamin.

Rien… Et vous ?Rien non plus.

Un temps. — Ils se saluent, et se promènent.
Pasquinot, s’arrêtant.

Rien… Et vous ? Rien non plus.Alors, pas de nouvelles
De votre fils ?

Bergamin.

De votre fils ?Mais non. Il court toujours.

Pasquinot, poli.

De votre fils ? Mais non. Il court toujours.Les belles
Le désargenteront promptement, — et, bien sûr,
Il reviendra.

Bergamin.

Il reviendra.Merci.

Ils se saluent, et se promènent. Un temps.
Pasquinot, s’arrêtant.

Il reviendra. Merci.Maintenant que le mur
Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre
De venir quelquefois, — en voisin.

Bergamin.

De venir quelquefois, — en voisin.Bien. Peut-être
Vous ferai-je l’honneur…

Ils se saluent.
Pasquinot, brusquement.

Vous ferai-je l’honneur…Eh bien ! mais, dites donc,
Venez faire un piquet ?

Bergamin, suffoqué.

Venez faire un piquet ?Ah !… oh !… hé !… mais, pardon,
Je ne sais si je peux…

Pasquinot.

Je ne sais si je peux…Puisque je vous invite…

Bergamin.

Mon Dieu !… J’aimerais mieux un bésigue.

Pasquinot.

Mon Dieu !… J’aimerais mieux un bésigue.Allons vite !

Bergamin, sortant derrière lui.

Vous me deviez dix sous de la dernière fois.

Se retournant.

Travaillez bien, maçon !

Le Maçon, de toutes ses forces.

Travaillez bien, maçon !Tralaï !…

Pasquinot.

Travaillez bien, maçon ! Tralaï !…Belle voix !

Ils sortent.



Scène II

STRAFOREL, puis SYLVETTE.
Dès qu’ils sont sortis, le maçon se retourne, ôte son chapeau : c’est Straforel.
Straforel

Oui, maçon, je le suis, — puisque, sous ce grimage,
Je m’introduis céans pour faire un replâtrage !

S’asseyant sur le mur commencé.

Le jeune homme est toujours au pourchas du roman ;
Mais on peut deviner, sans être nécroman,
Qu’il reviendra bredouille et n’en menant plus large ;
Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,
Lui donnant de réel un salutaire bain,
De décoquebiner un peu ce coquebin
Et de le renvoyer ici tirant de l’aile,
Moi, par une action savante et parallèle,
Je travaille à guérir des goûts aventureux
Sylvette. — Straforel, homme aux talents nombreux,
Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,
Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces !

Ceci va nous servir.

Il tire de sa souquenille une lettre qu’il met dans l’ouverture moussue d’un tronc d’arbre.

Ceci va nous servir.Ah ! quel remercîment,
Pères, vous me devrez !

Apercevant Sylvette.

Pères, vous me devrez !C’est elle ! — À mon ciment !

Il se remet à gâcher et disparaît derrière le mur.
Sylvette, apparaît, furtive, regarde si on la guette, puis :

Non, personne !…

Elle pose sur le banc de gauche sa mante de mousseline.

Non, personne !…Aujourd’hui, trouverai-je la lettre ?

Elle va vers un arbre.

Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre
Une, là, dans ce tronc par la foudre entr’ouvert,
Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert !…

Elle plonge la main dans le creux de l’arbre.

Oui, voilà mon courrier.

Elle lit.

Oui, voilà mon courrier.« Sylvette, cœur de marbre !
C’est le dernier billet que produira cet arbre,

Pourquoi n’avez-vous pas, tigresse, répondu
Au poulet que pour vous chaque jour j’ai pondu ? »
— Hein ! quel style !
— Hein ! quel style !« L’amour qui dans mon âme gronde…  »

Elle chiffonne nerveusement la lettre.

Ah ! Monsieur Percinet s’en va courir le monde !
Il a raison ! — Et moi je ferai comme lui !
Croit-on que je m’en vais mourir ici d’ennui ?
Mais qu’il vienne, celui qui m’écrivit ces choses !
Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses
Il surgisse soudain ! et telle que je suis !
— Sans même aller chercher un chapeau, — je le suis !
À tout prix, maintenant, j’en veux, du romanesque !
Qu’il vienne ! ce Monsieur ! — déjà je l’aime presque !
Comme je lui tendrais les deux mains, s’il venait !
Et comme…

Straforel, apparaissant, d’une voix éclatante.

Et comme…Le voilà !

Sylvette.

Et comme… Le voilà !Au secours, Percinet !

Reculant à mesure que Straforel avance

L’homme, n’approchez pas !

Straforel, amoureusement.

L’homme, n’approchez pas !Pourquoi cet air hostile ?…
Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,
Tout à l’heure !… le trop favorisé mortel
Dont le billet vous plut, et sur l’amour duquel
Vous comptiez, si j’en crois les propos que vous tîntes,
Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes !

Sylvette, ne sachant que devenir.

L’homme !…

Straforel

Vous me prenez pour un maçon ? Exquis !
C’est exquis ! — Sachez donc que je suis le marquis
D’Astafiorquercita, fol esprit, cœur malade,
Qui cherche à pimenter l’existence trop fade,
Et voyage, façon de chevalier errant
Auquel est un rêveur, un poète, adhérent !
Et c’est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,
C’est par amour pour vous que j’ai pris la truelle !

Il jette d’un geste élégant sa truelle, et, dépouillant vivement sa souquenille, ôtant son chapeau blanc de plâtre, apparaît dans un étincelant costume almavivesque. Perruque blonde, moustache conquérante.
Sylvette.

Monsieur !..

Straforel

Monsieur !..Par un nommé Straforel, j’ai connu
Votre histoire. Un amour insensé m’est venu
Pour la pauvre victime, innocente étourdie,
Contre qui cette ruse infâme fut ourdie !…

Sylvette.

Marquis !…

Straforel

Marquis !…Ne prenez pas cet air épouvanté…
Du rôle qu’il joua ce gueux s’étant vanté,
Je l’ai tué…

Sylvette.

Je l’ai tué…Tué !…

Straforel

Je l’ai tué… Tué !…D’une seule estocade.
D’être un justicier j’eus toujours la toquade !

Sylvette

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Je vous comprends, ô cher cœur incompris !
Vous voulez du roman, n’est-ce pas, à tout prix ?

Sylvette.

Mais, Marquis !…

Straforel

Mais, Marquis !…Donc, c’est dit : ce soir, je vous enlève !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Et pour de bon !

Sylvette.

Monsieur… Et pour de bon !Monsieur !

Straforel

Monsieur… Et pour de bon ! Monsieur !Ah ! quel beau rêve !
Vous avez consenti ! Je l’ai bien entendu !
Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu !

Si de votre papa la tête se détraque
De douleur, c’est tant pis !…

Sylvette.

De douleur, c’est tant pis !…Monsieur…

Straforel

De douleur, c’est tant pis !… Monsieur…Si l’on nous traque
 — Car on poursuit le rapt avec sévérité, —
C’est tant mieux !

Sylvette.

C’est tant mieux !Mais, Monsieur !…

Straforel

C’est tant mieux ! Mais, Monsieur !…Tant mieux, en vérité !
Nous pourrons fuir à pied par une nuit d’orage,
Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Et pour gagner un lointain continent,
Nous nous embarquerons, Madame, incontinent !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Et loin, bien loin, dans quelque pays vierge,
Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge…

Sylvette.

Ah ! mais…

Straforel

Ah ! mais…Car je n’ai rien ! Vous ne voudriez pas
Que j’eusse quelque chose !…

Sylvette.

Que j’eusse quelque chose !…Enfin !

Straforel

Que j’eusse quelque chose !… Enfin !Nos seuls repas
Seront du pain, — du pain mouillé de douces larmes !

Sylvette.

Pourtant…

Straforel

Pourtant…L’exil pour nous se fleurira de charmes !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Et le malheur pour nous ne sera qu’heur !
Pas même une chaumière : une tente !… et ton cœur !

Sylvette.

Une tente ?

Straforel

Une tente ?Eh bien, oui, quatre piquets, deux toiles…
Ou, si vous préférez, rien du tout, — les étoiles !

Sylvette.

Oh ! mais…

Straforel

Oh ! mais…Quoi ! vous voilà prise d’un tremblement ?
Vous voudriez aller moins loin, probablement ?

Soit ! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,
Seuls, ayant encouru la vindicte du monde !
Ivresse !…

Sylvette.

Ivresse !…Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris…

Straforel

Les gens s’écarteront de nous avec mépris !

Sylvette.

Mon Dieu !

Straforel

Mon Dieu !Les préjugés sont faits pour qu’on les foule,
Et nous serons heureux des mépris de la foule !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Je n’aurai pas d’autre occupation
Que de vous raconter au long ma passion !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Bref, nous vivrons en pleine poésie !
J’aurai de furieux accès de jalousie…

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Et vous savez, lorsque je suis jaloux,
J’ai la férocité des chacals et des loups !

Sylvette, tombant anéantie sur le banc.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Si vous brisiez notre chaîne sacrée,
Immédiatement vous seriez massacrée !

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Vous frissonnez ?

Sylvette.

Monsieur… Vous frissonnez ?Ah ! Dieu, quelle leçon !

Straforel

Est-ce du sang, corbacque ! ou bien si c’est du son
Qui court dans vos vaisseaux artériels ! — Tonnerre !
Vous m’avez un peu l’air d’une pensionnaire,
Pour oser affronter ces destins hasardeux !…
Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux ?

Sylvette.

Monsieur…

Straforel

Monsieur…Oui, je comprends, ma voix vous réconforte.
Eh bien ! nous partirons, puisque vous voilà forte.
Je vous enlèverai, tout à l’heure, à cheval,
En travers de ma selle… oh ! vous y serez mal !
Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,
Dans l’enlèvement faux est seulement de mode !

Sylvette.

Mais, Monsieur…

Straforel, remontant.

Mais, Monsieur…À tantôt !

Sylvette.

Mais, Monsieur… À tantôt !Mais, Monsieur…

Straforel

Mais, Monsieur… À tantôt ! Mais, Monsieur…À tantôt !
Le temps d’aller quérir un cheval, un manteau…

Sylvette, hors d’elle.

Monsieur !

Straforel, avec un geste immense.

Monsieur !Et nous fuyons de contrée en contrée !..

Redescendant.

Ô la longtemps rêvée et l’enfin rencontrée !
L’âme à qui peut mon âme enfin dire : « Ma sœur ! »
À tantôt pour toujours !

Sylvette, d’une voix éteinte.

À tantôt pour toujours !Pour toujours !

Straforel

À tantôt pour toujours ! Pour toujours !Ô douceur !
Vous allez vivre auprès de l’être aimé, de l’être
Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,
Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait !

Avant de sortir, la voyant comme évanouie sur le banc.

Et maintenant, tu peux revenir, Percinet !

Il sort.



Scène III

Sylvette, seule.
Ouvrant les yeux.

Monsieur… Marquis… Non, pas en travers de la selle !
Ayez pitié de moi, — non, je ne suis pas celle…
Pas du tout ! — Laissez-moi rentrer à la maison !
Une pensionnaire : oui, vous aviez raison !
Il n’est plus là !… Marquis !… Seule ?… Ah ! Dieu, l’affreux rêve !

Un temps. Elle se remet.

J’aime mieux que ce soit pour rire qu’on m’enlève !

Elle se lève.

Eh bien ! Sylvette, eh bien, ma petite, — comment !
Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,
Et, le roman venu, vous n’êtes pas contente ?…
Oh ! la serge, l’exil, les étoiles, la tente !…
Non, c’est trop !… Du roman, j’en voulais bien un peu,
Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu !…
Mais c’est trop ! Je ne puis supporter ces secousses.
Je me contenterais d’émotions plus douces…

Le crépuscule violit vaguement le parc. Elle reprend son voile laissé sur le banc, s’en couvre la tête et les épaules, et, rêveuse :

Qui sait si ?…

Percinet paraît. Il est en haillons, le bras en écharpe, se traîne à peine. Un feutre d’où pend, lamentable, une plume cassée, cache ses traits.

Scène IV

Sylvette, Percinet.
Percinet, pas encore vu de Sylvette.

Qui sait si ?…Je n’ai rien mangé depuis hier,
Je tombe de fatigue, — et je ne suis pas fier.
La fâcheuse équipée !… Ah ! j’en ai vu de dures !
Ce n’est pas amusant du tout, les aventures !

Il s’affaisse sur le mur. Son chapeau tombe et découvre sa figure. Sylvette l’aperçoit.
Sylvette

Vous !

Il se lève, saisi. Elle le regarde.

Vous !Et dans quel état !… Se peut-il ?…

Percinet, piteusement.

Vous ! Et dans quel état !… Se peut-il ?…Il se peut.

Sylvette, joignant les mains.

Mon Dieu !

Percinet

Mon Dieu !J’ai, n’est-ce pas, la silhouette, un peu,
Que le dessinateur donne à l’Enfant Prodigue ?…

Il chancelle.
Sylvette.

Mais il ne se tient plus !

Percinet

Mais il ne se tient plus !Je sens quelque fatigue.

Sylvette, apercevant son bras, avec un cri.

Blessé !

Percinet, vivement.

Blessé !Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats ?

Sylvette, sévère et s’éloignant.

Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras !

Percinet fait un mouvement, et son bras blessé lui arrache une grimace.
— Sylvette, malgré elle, effrayée :

Pourtant, cette blessure ?

Percinet

Pourtant, cette blessure ?Oh ! que je vous rassure !
Elle n’est nullement grave, cette blessure !

Sylvette.

Mais qu’avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,
Pendant tout ce long temps ?…

Percinet

Pendant tout ce long temps ?…Sylvette, rien de bon.

Il tousse.
Sylvette.

Vous toussez, maintenant ?

Percinet

Vous toussez, maintenant ?Eh ! mon Dieu ! nous courûmes
Les grands chemins, la nuit…

Sylvette.

Les grands chemins, la nuit…Et l’on y prend des rhumes.
Quels étranges habits vous avez !…

Percinet

Quels étranges habits vous avez !…Des voleurs
Ont pris les miens, Sylvette, — et m’ont donné les leurs.

Sylvette, ironique.

Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes ?

Percinet

Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.

Sylvette.

Vous avez dû sans doute escalader beaucoup…
De balcons ?…

Percinet, à part.

De balcons ?…J’ai manqué de me rompre le cou…

Sylvette.

De plus d’un doux succès vous gardez la mémoire ?

Percinet, de même.

Je suis resté trois jours caché dans une armoire.

Sylvette.

Et vous avez gagné plus d’un galant pari ?

Percinet

Oui, oui !…

À part.

Oui, oui !…Je me suis fait rosser par un mari.

Sylvette.

Guitare en main, chanté plus d’un couplet nocturne ?

Percinet, de même.

Qui fit choir sur mon chef plus d’une petite urne !

Sylvette.

Enfin, comme je vois, tâté d’un vrai duel ?

Percinet, de même.

Qui me valut ce coup de peu s’en faut mortel.

Sylvette.

Et vous nous revenez ?…

Percinet

Et vous nous revenez ?…Fourbu, minable, étique !

Sylvette.

Oui, — mais ayant du moins trouvé du poétique ?

Percinet

Non, — je fus chercher loin ce que j’avais tout près !
Ah ! ne me raillez plus !… je vous adore.

Sylvette.

Ah ! ne me raillez plus !… je vous adore.Après
La désillusion que nous eûmes ?…

Percinet

La désillusion que nous eûmes ?…Qu’importe !

Sylvette.

Mais nos pères nous ont trompés d’horrible sorte !

Percinet

Qu’importe ! Dans mon cœur, maintenant, il fait jour !

Sylvette.

Mais ils feignaient la haine !…

Percinet

Mais ils feignaient la haine !…Avons-nous feint l’amour ?

Sylvette.

Le mur fut un Guignol, — vous l’avez dit vous-même !

Percinet

Sylvette, je l’ai dit ! — mais ce fut un blasphème !
Ou du moins… quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,
Qui pour portants avait les grands branchages frais,

Pour fond le parc fuyant, l’azur vaste pour frises,
Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,
Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,
Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur !
Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,
Nos pères nous faisaient exécuter des gestes :
Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,
C’est l’Amour qui faisait parler les pupazzi !

Sylvette, soupirant.

C’est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables !

Percinet, vivement.

Et nous l’étions !… Gardez ces remords agréables.
Comme l’intention compte autant que le fait,
Nous croyant criminels, nous l’étions en effet !

Sylvette, ébranlée.

Est-ce bien sûr ?

Percinet

Est-ce bien sûr ?Très sûr, chère petite amie ;
Nous avons simplement commis une infamie.

J’en atteste ta grâce et ton souffle aromal :
De nous aimer, ce fut très mal, très mal…

Sylvette, s’asseyant près de lui.

De nous aimer, ce fut très mal, très mal…Très mal ?…

Changeant et s’éloignant encore.

C’est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,
Que le danger couru n’ait été qu’illusoire !

Percinet

Il fut réel pour nous qui le crûmes réel !

Sylvette.

Non. Mon enlèvement, comme votre duel,
Était faux !…

Percinet

Était faux !…Votre peur l’était-elle, Madame ?
Et, puisque vous avez passé par l’état d’âme
De quelqu’un d’enlevé, Sylvette, en vérité,
C’est comme tout à fait si vous l’aviez été.

Sylvette.

Non, le cher souvenir n’est plus ; ces torches folles,
Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,
Ce combat, tout ce charme enfin, c’est trop cruel
De penser que cela fut fait par Straforel !

Percinet

Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l’a faite ?
Est-ce lui qui régla l’inoubliable fête
Que l’amitié d’Avril nous donna ce soir-là ?
Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l’étoila ?
Lui, qui d’ombre effaça si bien les rosiers grêles
Que les roses semblaient, comme surnaturelles,
Se tenir en suspens dans l’air mystérieux ?
Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus ?
Versa-t-il les langueurs ? Fut-il pour quelque chose
Dans l’apparition de l’Astre d’argent rose ?

Sylvette.

Non certe…

Percinet

Non certe…Et fit-il donc, dans la Nuit de Printemps,
Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,

Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,
Tout le charme !

Sylvette.

Tout le charme !Tout le… c’est vrai, mais…

Percinet

Tout le charme ! Tout le… c’est vrai, mais…Une larme ?
Il est donc pardonné, le méchant qui partit ?

Sylvette.

Je t’ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.

Percinet

J’ai retrouvé ton front, sa puérile frange,
Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange
Avec tous les parfums des cytises voisins…
Ah ! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins !

Il joue avec le voile de Sylvette.

Oh ! laisse-moi baiser le liséré frivole
Du voile aérien qui de ton front s’envole !
Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,
Ce tendre et clair tissu, pour qui je n’ai pas su
Vous dédaigner, satins et velours équivoques !

Sylvette.

Quels satins ? Quels velours ?

Percinet, vivement.

Quels satins ? Quels velours ?Oh ! rien, rien, rien, — des loques.
Oh ! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom !
Oh ! que j’aime ce voile frais !…

Sylvette.

Oh ! que j’aime ce voile frais !…C’est du linon.

Percinet, s’agenouillant.

Je l’aime et suis tremblant que mon baiser le souille,
Car ce voile devant lequel je m’agenouille…


Ce léger linon
Qui vous emmitoufle,
Mais à la façon
D’un souffle ;

Ce linon léger
Dont la candeur frêle
A le voltiger
D’une aile ;


Ce léger linon,
Assez diaphane
Pour qu’un seul rayon
Le fane ;

Ce linon, léger
Comme un fil de berge
Que fait voyager
La Vierge ;

Ce léger linon,
C’est votre pensée
Que les choses n’ont
Froissée !

Ce linon léger,
C’est, neigeuse flamme
Qu’un rien fait bouger,
Votre âme !

Ce léger linon,
Ce linon que j’aime,
Ce n’est rien sinon
Vous-même !

Sylvette, dans ses bras.

Vois-tu, la poésie est au cœur des amants :
Elle n’émane pas des seuls événements.

Percinet

C’est vrai : ceux dont je sors, quoique très authentiques,
Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques…

Sylvette.

Et ceux par nos papas machiavels arrangés
Le furent, Percinet, encor que mensongers.

Percinet

Car elle peut broder, lorsqu’elle aime, notre âme,
De véritables fleurs sur une fausse trame.

Sylvette.

La poésie, amour, mais nous fûmes des fous
De la chercher ailleurs lorsqu’elle était en nous !

Straforel apparaît, ramenant les deux pères, et leur montre Sylvette et Percinet dans les bras l’un de l’autre.



Scène V

Les Mêmes, STRAFOREL, BERGAMIN, PASQUINOT
Straforel

Refiancés !…

Bergamin.

Refiancés !…Mon fils !

Il embrasse Percinet.
Straforel

Refiancés !… Mon fils !Me paierez-vous ma note ?

Pasquinot, à sa fille.

Tu l’aimes derechef ?

Sylvette.

Tu l’aimes derechef ?Oui.

Pasquinot.

Tu l’aimes derechef ? Oui.Tête de linotte.

Straforel, à Bergamin.

Palperai-je mon or ?

Bergamin.

Palperai-je mon or ?Vous palperez votre or !

Sylvette, qui a tressailli.

Mais au fait… cette voix !… le marquis d’As-ta-fior…

Straforel, saluant.

Quercita ? C’était moi, chère Mademoiselle,
Moi, Straforel !… Daignez me pardonner mon zèle ;
Le moyen que j’ai pris était bon en ceci,
Qu’il vous a fait connaître — en vous laissant ici, —
Tout ce qu’ont d’ennuyeux ces aventures vraies
Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.
Sans doute vous pouviez…

Montrant Percinet.

Sans doute vous pouviez…comme ce citoyen,
Vous même les courir ; mais, dame ! le moyen

Pour une jeune fille étant trop énergique,
Je vous en ai fait voir la lanterne magique.

Percinet

Qu’est-ce ?

Sylvette, vivement.

Qu’est-ce ?Rien, rien, — je t’aime !…

Bergamin, montrant le mur commencé.

Qu’est-ce ? Rien, rien, — je t’aime !…Et demain même, pan !
D’un coup de pioche on va redémolir ce pan…

Pasquinot.

Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable !…

Straforel

Non, construisez le mur, il est indispensable !

Sylvette, réunissant autour d’elle tous les acteurs.

Et maintenant, nous quatre, — et Monsieur Straforel —
Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.

Elle descend vers le public.

Des costumes clairs, des rimes légères,
L’Amour, dans un parc, jouant du flûteau…

Bergamin.

Un florianesque et fol quintetto,

Pasquinot.

Des brouilles… d’ailleurs toutes passagères,

Straforel

Des coups de soleil, des rayons lunaires,
Un bon spadassin en joyeux manteau…

Sylvette.

Des costumes clairs, des rimes légères,
L’Amour, dans un parc, jouant du flûteau…

Percinet

Un repos naïf des pièces amères,
Un peu de musique, un peu de Watteau,
Un spectacle honnête et qui finit tôt,
Un vieux mur fleuri, — deux amants, — deux pères…

Sylvette, dans une révérence.

Des costumes clairs, des rimes légères !


RIDEAU