Les Romanesques/Acte III
ACTE TROISIÈME
Même décor. On a apporté des matériaux pour la reconstruction du mur, qui est commencée au fond. Sacs de plâtre. Brouette. Auges et truelles.
Quand le rideau se lève, un maçon travaille, accroupi, le dos tourné au public. Bergamin et Pasquinot, chacun de son côté, inspectent les travaux.
Scène I
Tra laï deluriau…
Ces ouvriers sont longs !
Deluriau, de lurot…
C’est cela ! des moellons !…
Pouf ! un tas de mortier !
Paf ! un coup de truelle !
Deluriau delurie — ue — ue — ue — ue — ue — uel — le
Belle voix ! mais travail bien lent !…
Un pan de commencé ! Bon !
Le mur va de deux pieds sortir de terre ! — Ô joie !
Ô cher mur, que bientôt, debout, je te revoie !
Que dites-vous, Monsieur ?.
Je ne vous parle pas.
Que faites-vous le soir après votre repas ?
Rien… Et vous ?
Rien non plus.
De votre fils ?
Mais non. Il court toujours.
Le désargenteront promptement, — et, bien sûr,
Il reviendra.
Merci.
Se relève, Monsieur, je veux bien vous permettre
De venir quelquefois, — en voisin.
Vous ferai-je l’honneur…
Venez faire un piquet ?
Je ne sais si je peux…
Puisque je vous invite…
Mon Dieu !… J’aimerais mieux un bésigue.
Allons vite !
Vous me deviez dix sous de la dernière fois.
Travaillez bien, maçon !
Tralaï !…
Belle voix !
Scène II
Oui, maçon, je le suis, — puisque, sous ce grimage,
Je m’introduis céans pour faire un replâtrage !
Le jeune homme est toujours au pourchas du roman ;
Mais on peut deviner, sans être nécroman,
Qu’il reviendra bredouille et n’en menant plus large ;
Donc, tandis que la Vie elle-même se charge,
Lui donnant de réel un salutaire bain,
De décoquebiner un peu ce coquebin
Et de le renvoyer ici tirant de l’aile,
Moi, par une action savante et parallèle,
Je travaille à guérir des goûts aventureux
Sylvette. — Straforel, homme aux talents nombreux,
Vous jouâtes souvent les marquis et les princes,
Du temps où vous étiez sifflé dans les provinces !
Ceci va nous servir.
Pères, vous me devrez !
C’est elle ! — À mon ciment !
Non, personne !…
Aujourd’hui, trouverai-je la lettre ?
Tous les jours, un galant inconnu vient en mettre
Une, là, dans ce tronc par la foudre entr’ouvert,
Et qui fait une boîte aux lettres peinte en vert !…
Oui, voilà mon courrier.
C’est le dernier billet que produira cet arbre,
Pourquoi n’avez-vous pas, tigresse, répondu
Au poulet que pour vous chaque jour j’ai pondu ? »
— Hein ! quel style !
« L’amour qui dans mon âme gronde… »
Ah ! Monsieur Percinet s’en va courir le monde !
Il a raison ! — Et moi je ferai comme lui !
Croit-on que je m’en vais mourir ici d’ennui ?
Mais qu’il vienne, celui qui m’écrivit ces choses !
Que de ces verts buissons pleins de nids et de gloses
Il surgisse soudain ! et telle que je suis !
— Sans même aller chercher un chapeau, — je le suis !
À tout prix, maintenant, j’en veux, du romanesque !
Qu’il vienne ! ce Monsieur ! — déjà je l’aime presque !
Comme je lui tendrais les deux mains, s’il venait !
Et comme…
Le voilà !
Au secours, Percinet !
L’homme, n’approchez pas !
Je suis pourtant celui dont vous aimiez le style,
Tout à l’heure !… le trop favorisé mortel
Dont le billet vous plut, et sur l’amour duquel
Vous comptiez, si j’en crois les propos que vous tîntes,
Pour vous faire enlever et fuir loin des atteintes !
L’homme !…
Vous me prenez pour un maçon ? Exquis !
C’est exquis ! — Sachez donc que je suis le marquis
D’Astafiorquercita, fol esprit, cœur malade,
Qui cherche à pimenter l’existence trop fade,
Et voyage, façon de chevalier errant
Auquel est un rêveur, un poète, adhérent !
Et c’est pour pénétrer en vos jardins, Cruelle,
C’est par amour pour vous que j’ai pris la truelle !
Monsieur !..
Votre histoire. Un amour insensé m’est venu
Pour la pauvre victime, innocente étourdie,
Contre qui cette ruse infâme fut ourdie !…
Marquis !…
Du rôle qu’il joua ce gueux s’étant vanté,
Je l’ai tué…
Tué !…
D’être un justicier j’eus toujours la toquade !
Monsieur…
Vous voulez du roman, n’est-ce pas, à tout prix ?
Mais, Marquis !…
Donc, c’est dit : ce soir, je vous enlève !
Monsieur…
Et pour de bon !
Monsieur !
Vous avez consenti ! Je l’ai bien entendu !
Oui, ce soir nous prendrons notre vol éperdu !
Si de votre papa la tête se détraque
De douleur, c’est tant pis !…
Monsieur…
— Car on poursuit le rapt avec sévérité, —
C’est tant mieux !
Mais, Monsieur !…
Nous pourrons fuir à pied par une nuit d’orage,
Nos fronts nus sous la pluie et le vent faisant rage !
Monsieur…
Nous nous embarquerons, Madame, incontinent !
Monsieur…
Où nous vivrons heureux sous la bure et la serge…
Ah ! mais…
Que j’eusse quelque chose !…
Enfin !
Seront du pain, — du pain mouillé de douces larmes !
Pourtant…
L’exil pour nous se fleurira de charmes !
Monsieur…
Pas même une chaumière : une tente !… et ton cœur !
Une tente ?
Ou, si vous préférez, rien du tout, — les étoiles !
Oh ! mais…
Vous voudriez aller moins loin, probablement ?
Soit ! nous vivrons cachés, ô ma Déité blonde,
Seuls, ayant encouru la vindicte du monde !
Ivresse !…
Mais, Monsieur, vous vous êtes mépris…
Les gens s’écarteront de nous avec mépris !
Mon Dieu !
Et nous serons heureux des mépris de la foule !
Monsieur…
Que de vous raconter au long ma passion !
Monsieur…
J’aurai de furieux accès de jalousie…
Monsieur…
J’ai la férocité des chacals et des loups !
Monsieur…
Immédiatement vous seriez massacrée !
Monsieur…
Vous frissonnez ?
Ah ! Dieu, quelle leçon !
Est-ce du sang, corbacque ! ou bien si c’est du son
Qui court dans vos vaisseaux artériels ! — Tonnerre !
Vous m’avez un peu l’air d’une pensionnaire,
Pour oser affronter ces destins hasardeux !…
Ça, voyons, pars-je seul, ou partons-nous tous deux ?
Monsieur…
Eh bien ! nous partirons, puisque vous voilà forte.
Je vous enlèverai, tout à l’heure, à cheval,
En travers de ma selle… oh ! vous y serez mal !
Mais la chaise à porteurs, esthétique et commode,
Dans l’enlèvement faux est seulement de mode !
Mais, Monsieur…
À tantôt !
Mais, Monsieur…
Le temps d’aller quérir un cheval, un manteau…
Monsieur !
Et nous fuyons de contrée en contrée !..
Ô la longtemps rêvée et l’enfin rencontrée !
L’âme à qui peut mon âme enfin dire : « Ma sœur ! »
À tantôt pour toujours !
Pour toujours !
Vous allez vivre auprès de l’être aimé, de l’être
Pour lequel vous brûliez avant de le connaître,
Et qui, vous ignorant, pour vous se calcinait !
Et maintenant, tu peux revenir, Percinet !
Scène III
Monsieur… Marquis… Non, pas en travers de la selle !
Ayez pitié de moi, — non, je ne suis pas celle…
Pas du tout ! — Laissez-moi rentrer à la maison !
Une pensionnaire : oui, vous aviez raison !
Il n’est plus là !… Marquis !… Seule ?… Ah ! Dieu, l’affreux rêve !
J’aime mieux que ce soit pour rire qu’on m’enlève !
Eh bien ! Sylvette, eh bien, ma petite, — comment !
Vous appeliez tantôt à grands cris le roman,
Et, le roman venu, vous n’êtes pas contente ?…
Oh ! la serge, l’exil, les étoiles, la tente !…
Non, c’est trop !… Du roman, j’en voulais bien un peu,
Comme on met du laurier dedans le pot-au-feu !…
Mais c’est trop ! Je ne puis supporter ces secousses.
Je me contenterais d’émotions plus douces…
Qui sait si ?…
Scène IV
Je tombe de fatigue, — et je ne suis pas fier.
La fâcheuse équipée !… Ah ! j’en ai vu de dures !
Ce n’est pas amusant du tout, les aventures !
Vous !
Et dans quel état !… Se peut-il ?…
Il se peut.
Mon Dieu !
Que le dessinateur donne à l’Enfant Prodigue ?…
Mais il ne se tient plus !
Je sens quelque fatigue.
Blessé !
Seriez-vous donc pitoyable aux ingrats ?
Les pères seuls, Monsieur, font tuer le veau gras !
Pourtant, cette blessure ?
Elle n’est nullement grave, cette blessure !
Mais qu’avez-vous donc fait, Monsieur le vagabond,
Pendant tout ce long temps ?…
Sylvette, rien de bon.
Vous toussez, maintenant ?
Les grands chemins, la nuit…
Quels étranges habits vous avez !…
Ont pris les miens, Sylvette, — et m’ont donné les leurs.
Et combien avez-vous eu de bonnes fortunes ?
Laissons ces questions, Sylvette, inopportunes.
Vous avez dû sans doute escalader beaucoup…
De balcons ?…
J’ai manqué de me rompre le cou…
De plus d’un doux succès vous gardez la mémoire ?
Je suis resté trois jours caché dans une armoire.
Et vous avez gagné plus d’un galant pari ?
Oui, oui !…
Je me suis fait rosser par un mari.
Guitare en main, chanté plus d’un couplet nocturne ?
Qui fit choir sur mon chef plus d’une petite urne !
Enfin, comme je vois, tâté d’un vrai duel ?
Qui me valut ce coup de peu s’en faut mortel.
Et vous nous revenez ?…
Fourbu, minable, étique !
Oui, — mais ayant du moins trouvé du poétique ?
Non, — je fus chercher loin ce que j’avais tout près !
Ah ! ne me raillez plus !… je vous adore.
La désillusion que nous eûmes ?…
Qu’importe !
Mais nos pères nous ont trompés d’horrible sorte !
Qu’importe ! Dans mon cœur, maintenant, il fait jour !
Mais ils feignaient la haine !…
Avons-nous feint l’amour ?
Le mur fut un Guignol, — vous l’avez dit vous-même !
Sylvette, je l’ai dit ! — mais ce fut un blasphème !
Ou du moins… quel Guignol, vieux mur, tu nous offrais,
Qui pour portants avait les grands branchages frais,
Pour fond le parc fuyant, l’azur vaste pour frises,
Pour orchestre invisible et vif les quatre brises,
Pour accessoires clairs le rayon et la fleur,
Le soleil pour quinquet, Shakspeare pour souffleur !
Oui, comme à ces pantins dont on gante les vestes,
Nos pères nous faisaient exécuter des gestes :
Mais, dans ce Guignol-là, Sylvette, songez-y,
C’est l’Amour qui faisait parler les pupazzi !
C’est vrai, mais nous aimions, croyant être coupables !
Et nous l’étions !… Gardez ces remords agréables.
Comme l’intention compte autant que le fait,
Nous croyant criminels, nous l’étions en effet !
Est-ce bien sûr ?
Nous avons simplement commis une infamie.
J’en atteste ta grâce et ton souffle aromal :
De nous aimer, ce fut très mal, très mal…
Très mal ?…
C’est vrai, mais je regrette un peu, pour notre gloire,
Que le danger couru n’ait été qu’illusoire !
Il fut réel pour nous qui le crûmes réel !
Non. Mon enlèvement, comme votre duel,
Était faux !…
Et, puisque vous avez passé par l’état d’âme
De quelqu’un d’enlevé, Sylvette, en vérité,
C’est comme tout à fait si vous l’aviez été.
Non, le cher souvenir n’est plus ; ces torches folles,
Ces masques, ces manteaux, et ces musiques molles,
Ce combat, tout ce charme enfin, c’est trop cruel
De penser que cela fut fait par Straforel !
Et la Nuit de Printemps, est-ce lui qui l’a faite ?
Est-ce lui qui régla l’inoubliable fête
Que l’amitié d’Avril nous donna ce soir-là ?
Est-ce lui qui, le ciel étoilé, l’étoila ?
Lui, qui d’ombre effaça si bien les rosiers grêles
Que les roses semblaient, comme surnaturelles,
Se tenir en suspens dans l’air mystérieux ?
Dispensa-t-il les frissons gris, les reflets bleus ?
Versa-t-il les langueurs ? Fut-il pour quelque chose
Dans l’apparition de l’Astre d’argent rose ?
Non certe…
Dis-moi, que nous étions deux enfants de vingt ans,
Et que nous nous aimions, car ce fut là le charme,
Tout le charme !
Tout le… c’est vrai, mais…
Il est donc pardonné, le méchant qui partit ?
Je t’ai toujours aimé, va, mon pauvre petit.
J’ai retrouvé ton front, sa puérile frange,
Et ton jeune parfum qui fait un fin mélange
Avec tous les parfums des cytises voisins…
Ah ! les Anges, ce soir, ne sont pas mes cousins !
Oh ! laisse-moi baiser le liséré frivole
Du voile aérien qui de ton front s’envole !
Comme il me rafraîchit les lèvres, ce tissu,
Ce tendre et clair tissu, pour qui je n’ai pas su
Vous dédaigner, satins et velours équivoques !
Quels satins ? Quels velours ?
Oh ! jeune fille, enfant, mousseline est ton nom !
Oh ! que j’aime ce voile frais !…
C’est du linon.
Je l’aime et suis tremblant que mon baiser le souille,
Car ce voile devant lequel je m’agenouille…
Ce léger linon
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Vois-tu, la poésie est au cœur des amants :
Elle n’émane pas des seuls événements.
C’est vrai : ceux dont je sors, quoique très authentiques,
Ne furent pas du tout, Sylvette, poétiques…
Et ceux par nos papas machiavels arrangés
Le furent, Percinet, encor que mensongers.
Car elle peut broder, lorsqu’elle aime, notre âme,
De véritables fleurs sur une fausse trame.
La poésie, amour, mais nous fûmes des fous
De la chercher ailleurs lorsqu’elle était en nous !
Scène V
Refiancés !…
Mon fils !
Me paierez-vous ma note ?
Tu l’aimes derechef ?
Oui.
Tête de linotte.
Palperai-je mon or ?
Vous palperez votre or !
Mais au fait… cette voix !… le marquis d’As-ta-fior…
Quercita ? C’était moi, chère Mademoiselle,
Moi, Straforel !… Daignez me pardonner mon zèle ;
Le moyen que j’ai pris était bon en ceci,
Qu’il vous a fait connaître — en vous laissant ici, —
Tout ce qu’ont d’ennuyeux ces aventures vraies
Dont les femmes toujours sont tôt désenivrées.
Sans doute vous pouviez…
Vous même les courir ; mais, dame ! le moyen
Pour une jeune fille étant trop énergique,
Je vous en ai fait voir la lanterne magique.
Qu’est-ce ?
Rien, rien, — je t’aime !…
D’un coup de pioche on va redémolir ce pan…
Enlever ce ciment, ces pierres et ce sable !…
Non, construisez le mur, il est indispensable !
Et maintenant, nous quatre, — et Monsieur Straforel —
Excusons ce que fut la pièce, en un rondel.
Des costumes clairs, des rimes légères, Bergamin.
Un florianesque et fol quintetto, Pasquinot.
Des brouilles… d’ailleurs toutes passagères, Straforel
Des coups de soleil, des rayons lunaires, Sylvette.
Des costumes clairs, des rimes légères, Percinet
Un repos naïf des pièces amères, Sylvette, dans une révérence.
Des costumes clairs, des rimes légères ! |