Les Sérails de Londres (éd. 1911)/33

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Albin Michel (p. 259-267).

CHAPITRE XXXIII

Visite à Madame Windsor : réputation de sa maison : erreur par rapport à l’identité de la personne de Madame Windsor ; son effet pernicieux ; description des nonnes de ce séminaire dans les personnes de Miss Betsy K...ng, de Miss Neswh...m, de Miss Mereth...th et de Madame Will...ms ; anecdotes curieuses de cette dame et d’un certain chevalier amoureux de Hackney ; cause de son mariage et ses conséquences.

Une ressemblance de nom entre Madame Windsor et une autre dame qui ne demeure pas à un mille de Wadour-Street, Soho, a empêché plusieurs de ses amis, bien pensant, de venir dans son séminaire, d’après les bruits qui avoient courus de toutes parts que cette dernière dame étoit enclin à un vice qui révolte la nature humaine, et dont l’idée seule fait frémir. Madame Windsor feroit bien de changer de nom, afin que ses amis et ses visiteurs n’imputassent plus à sa maison un pareil genre d’amusement.

Nous trouvons chez Madame Windsor plusieurs belles personnes, au nombre desquelles Betsy K...g, une belle et rayonnante fille de dix-neuf ans, que l’on peut regarder comme la Laïs la plus attrayante qui soit dans tous les séminaires aux alentours de King’s-Place. On peut comparer sa personne à son caractère qui est complètement aimable, et si l’on pouvoit, pour un moment, oublier qu’elle est forcée par la nécessité de prostituer sa douce personne, on s’imagineroit voir en elle un ange. Betsy K...g fut séduite, étant à l’école, par la négresse Harriot qui étoit dans ce temps dans toute sa gloire ; mais il faut avouer qu’elle n’employa pas, envers elle, les mêmes artifices dont Santa Charlotta se servit à l’égard de Miss M...e, de B... L..., ou Madame Nelson à l’égard de Miss W...ms et Miss J...nes. Il est vrai que la négresse Harriot fut la négociatrice du traité entre Betsy K...g et le lord B...e ; mais il faut convenir aussi que Betsy fit presque la moitié des avances, car elle déclara qu’elle étoit fatiguée d’être à moitié innocente, puisque, d’après les pratiques de ses camarades d’école, elle avoit acquis une telle connoissance dans l’art de la masturbation, qu’elle satisfaisoit ses passions presque à l’excès ; mais ce moyen, au lieu de lui faire négliger les pensées du bonheur réel, la portoit au contraire à désirer avec plus d’empressement la véritable jouissance d’un bon compagnon. Le lord B...e lui fut présenté dans ce point de vue ; comme il possédoit de toutes les manières tout ce qu’il faut pour rendre une femme complètement heureuse, elle céda à la première entrevue à ses embrassements. Sa fuite jeta l’alarme dans l’école. Lorsque son oncle, qui étoit son plus proche parent existant, découvrit qu’elle étoit débauchée, et qu’elle résidoit dans un des séminaires de King’s-Place (pour nous servir d’une phrase vulgaire), il se lava les mains, et dit qu’elle ne lui étoit plus rien. La passion du lord B...e n’ayant pas duré long-temps, elle se trouva dans la nécessité de prostituer ses charmes, et d’admettre en sa compagnie une variété d’amants.

Miss N...w.m est une autre Laïs favorite du séminaire de Madame Windsor. Cette jeune dame est grande et gentille, ses yeux sont très-expressifs : elle a les plus beaux cheveux du monde qui n’exigent d’autre art que de les arranger à son avantage. Un marchand dans Lothbury la visite fréquemment, et lui donne un assez joli revenu qui peut lui procurer une aisance honnête ; mais l’ambition de briller, et un goût insatiable pour la parure et les amusements à la mode, la jettent dans une compagnie qu’elle méprise, et qui quelquefois lui devient à charge : mais comme l’argent est, pour Madame N...w.m, un argument tout puissant, elle ne peut résister aux charmes de sa tentation toutes les fois qu’il se trouve dans son chemin ; il est de même lorsqu’elle rencontre dans sa route un Soubise ou le petit Isaac de St-Mary Axe, elle se rend aussi-tôt à leur apparition, et elle dit, qu’elle ne voit pas plus de péché à céder à un Maure ou à un Juif qu’à un Chrétien, ou à toute autre personne n’importe sa croyance.

Madame Windsor a fait dernièrement une très-grande perte dans la personne de Miss Mere...th, une jeune dame Gauloise qui attiroit chez elle le baronet W...th.ns, le baronet W...w, le lord B...y et la plupart des gentilhommes Gaulois qui venoient passer quelques temps à Londres ; elle étoit entièrement fondée dans le genre des anciennes Bretonnes ; et il est généralement reconnu que les dames de ce pays sont modelées différemment des dames Anglaises, et qu’elles vous procurent un degré supérieur de jouissances auxquelles nos compatriotes femelles n’ont encore pu atteindre. Un certain baronet qui demeure dans le nord de l’Angleterre, ayant jeté les yeux sur Miss Mere...th, conçut aussi-tôt l’idée qu’elle étoit exactement faite pour accomplir ses projets. La fortune du baronet étoit un peu endommagée, et, à dessein de la réparer, il étoit à la poursuite d’un emploi. Un certain grand’homme en puissance devoit, sous peu de jours, lui rendre une visite dans le pays ; il connoissoit le côté foible du ministre qui ne pouvoit pas résister à la tentation des femmes ; il lui avoit fait la description d’une fille Gauloise qui lui avoit procuré les jouissances les plus agréables et les plus vives que l’on puisse goûter dans son sexe, et, d’après le portrait qu’il lui avoit fait de sa personne, elle ressembloit, à s’y méprendre, à Miss Mere...th. Le baronet, en conséquence, entra en négociation avec cette dame, et en vint promptement à une conclusion. Il lui proposa de la prendre avec lui, de la constituer la maîtresse et la gouvernante de sa maison ; et lui assura que dans le cas où il mourroit avant elle, il lui laisseroit un joli revenu annuel ; l’amorce étoit séduisante, elle ne put pas résister à son influence. L’existence d’une prostitution variée lui avoit donné une sorte de dégoût pour les séminaires modernes, et la proposition qu’il lui faisoit étoit entièrement agréable à ses sentiments ; elle accepta donc son offre et elle partit avec le baron et, dans sa chaise de poste, pour Yorhshire, et elle arriva dans sa maison deux jours après. Tout en Miss Mere..th correspondoit à la description qu’il avoit faite au ministre, et tous les agréments de cette jeune personne étoient parfaitement consonnants à ses promesses.

Trois jours après leur arrivée, le grand homme vint ; il fut tout-à-fait enchanté des charmes de Miss Mere..th. Le baronet alors jette le masque, et lui dit qu’il lui avoit fait sa fortune en la recommandant au ministre, qui, immédiatement, la nomma gardienne d’un établissement d’office-publique, dont le revenu annuel étoit, pour elle, de près de trois cents livres sterlings. Miss Mere..th fut étonnée du rôle infâme que le baronet avoit joué en cette occasion ; mais en parcourant, peu de jours après, les papiers, elle vit que le baronet étoit nommé à un emploi important et d’une valeur considérable. Le mystère lui fut aussi-tôt révélé ; alors Miss Mere..th se trouva bien satisfaite de ce changement inattendu qui étoit, pour elle, beaucoup plus avantageux que tout ce qu’elle pouvoit attendre du baronet, dont les affaires, comme elle en fut informée ensuite, étoient dans une situation critique, et à qui cette manœuvre devint nécessaire pour rétablir sa fortune.

Cependant Madame C... W...ms resta toujours avec Madame Windsor ; elle étoit un objet digne d’attention ; elle n’avoit pas paru long-temps dans la ville, et on pouvoit la regarder comme une nouvelle novice. Elle avoit été la servante du célèbre M. T... de Hackney, si fameux pour ses amours variés et ses combats de galanterie, par le secours de son pendard et rusé domestique, qui, selon la renommée, possède, mieux que toutes les mères abbesses de l’Angleterre, l’art de persuader et de corrompre l’innocence femelle F... (c’étoit son nom) rencontra un jour Madame W...ms dans Smithfield ; s’apercevant qu’elle étoit une jeune fille de campagne, belle, fraîche, et d’une figure tout-à-fait agréable, il pensa qu’elle conviendroit beaucoup à son maître par la délicatesse et la gentillesse de sa personne ; il l’accosta donc en conséquence, et, trouvant qu’elle étoit venue à Londres pour se placer, il lui dit qu’il pouvoit la recommander à une des meilleures maisons du monde, et que, si elle vouloit venir avec lui dans la première auberge, il lui en donneroit l’adresse. L’innocente fille, voyant un homme d’un âge mûr et d’une apparence honnête et bien couvert, que tout en lui correspondoit à la notion d’un gentilhomme, n’hésita point à le suivre et à partager une pinte de vin. F... avant que la bouteille fût vide, apprit qu’elle étoit arrivée ce jour même à la ville, et qu’elle n’étoit pas encore pourvue d’un logement. Cette découverte lui parut très-favorable à son dessein, il en profita donc pour lui dire que le meilleur conseil qu’il pouvoit lui donner, étoit de se rendre avec lui dans l’auberge voisine, où il avoit sa voiture, et qu’il la conduiroit lui-même dans Hachney où logeoit la personne chez qui il vouloit la placer ; Madame W...ms, grandement satisfaite (comme tout sembloit le prouver) de se voir si bien pourvue, accepta, avec joie, l’offre de F... : ils se rendirent à l’auberge, ils montèrent dans la chaise, et en trois tours de roue ils se rendirent dans Hackney.

Le chevalier n’étoit pas chez lui lorsqu’ils arrivèrent dans sa maison. F... connoissant la taverne qu’il fréquentoit, l’envoya chercher sur-le-champ ; pendant ce temps, il apprêta une collation de viandes froides, par manière de rafraîchissement, pour lui et sa compagne de voyage. Monsieur T..., à son retour, fut si content de la tournure et de l’agrément de Madame W...ms, qu’il la prit, sur-le-champ, à son service, et lui donna plus de gages qu’elle n’en demandoit.

Monsieur T... engagea bientôt Madame W...ms de répondre à ses désirs amoureux, lui donnant à entendre qu’il vouloit assurément l’épouser. Il employa tant de discours persuasifs, qu’il accompagna si bien, suivant l’occasion, de présents, que l’innocente fille se trouva tout-à-fait embarrassée. À la fin, s’imaginant qu’elle seroit bientôt en réalité Madame T..., elle céda à ses vives sollicitations. Quelques mois après, elle devint grosse : T..., n’ayant plus alors de tendre attachement pour elle, trouva le moyen de s’en débarrasser en la mariant à son palfrenier, et en leur procurant un petit établissement dans le voisinage. Mais W...ms, son mari, devint bientôt paresseux et buveur, et, en peu de temps, trouva le moyen de se faire enfermer pour dettes. On vint donc, d’après une sentence, saisir ses meubles, ce qui força sa femme de quitter la maison et d’aller chercher fortune ailleurs. Madame Windsor, ayant appris par ses messagers la situation de Madame W...ms, lui envoya une invitation de se rendre dans King’s-Place ; elle consentit à cette offre qui eut tout l’effet qu’en désiroit la mère abbesse, car Madame W...ms fut promptement initiée dans tous les secrets de son séminaire, où elle réside encore ; et elle est, en ce moment, un des meilleurs soutiens de la maison de Madame Windsor.