Les Sensations de Mlle de La Bringue/14

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Albin Michel (p. 167-170).


XIV

LA NOCE


Ah ! la noce, l’alcôve, le lit, le billet de mille francs qu’on met sur le coin de la cheminée, la perle qu’on reçoit !…

Tout cela me fait l’effet d’un long bâillement avec deux bras blancs bien étirés.

De gros banquiers, ventrus, pansus. Des petits jeunes gens, des maris, des vieux…

Oh ! fi ! fi ! fi !…

J’amassais de gros sacs.

Le soir, à la sortie des Gaietés-Printanières, ils étaient fiers de venir me prendre sous le bras et de passer entre les deux haies de curieux, attendant là ma sortie. Je montais dans leur coupé ou leur auto.

Là-dedans, c’étaient toujours les mêmes plaisanteries faciles et fades.

Fouette cocher vers chez eux ou chez moi.

Je faisais toujours grise mine.

Quelques-uns m’aimaient pour de bon.

Un même m’assura qu’il y avait de quoi.

C’était toujours la même cérémonie. À toute force ils voulaient me déshabiller.

Alors, je les mettais en pénitence dans le cabinet de toilette réservé à eux et où ils ne manquaient jamais de casser quelque chose.

Ça, c’était prévu dans les frais généraux.

Je n’étais pas mauvaise fille, au fond, et je faisais… tout ce qu’ils voulaient.

Mais il est vrai que je savais, moi aussi, leur faire faire ce que je voulais.

Cependant toutes ces surexcitations finirent par me donner comme une maladie de nerfs, je devins presque folle et dans une soirée chez Lebreton, ivre, je répondis à un amoureux que j’avais jusqu’ici éconduit et qui me demandait ce que je voulais :

— Un de tes yeux ! et j’éclatai de rire.

Je me renversai sur le sofa où je m’endormis.