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Les Sensations de Mlle de La Bringue/15

La bibliothèque libre.
Albin Michel (p. 173-177).


XV

LES YEUX


Je fus réveillée par ma femme de chambre qui, tremblante, j’étais alors chez moi — vint m’annoncer ce monsieur.

Comme à l’ordinaire, je refusais, mais la domestique me tendit alors, sur le plateau d’argent, une carte dans une enveloppe, avec quelque chose de rond et de gluant, collé après…

C’était un œil tout saignant.

Je hurlais presque au secours, ordonnant qu’on le mît à la porte, mais lui, cassant tout sur son passage, l’orbite sanglante, rouge, s’élança vers moi en s’écriant :

— J’ai tenu ma promesse, à toi de tenir la tienne.

Il était hideux. Il avait refermé la porte et nous étions seuls, moi en chemise, au lit, renversée, lui un genou sur ma poitrine.

Je ne pus crier, il avait sa main sur ma bouche.

Il m’embrassa et je sentis la chaleur horrible du trou vide de son œil. Bientôt ses griffes enlevèrent les draps, déchirèrent les linons et sa jambe frôla ma cuisse à nu.

Ses genoux de force écartèrent les miens, il s’avança, s’écrasa et brisée, meurtrie, je subissais sa jouissance atroce.

Quand je revins de mon évanouissement, Margarita était là ; mais je me mis à crier en voyant ses yeux.

C’était une obsession.

Des yeux couraient, sautaient devant moi.

Je voyais des orbites vides.

Il me semblait manger des yeux.

Euh !

On dut me transporter à l’hôpital où les infirmières avaient des visières pour que je ne visse pas leurs yeux…

Ah ! l’affreux cauchemar. Quand je me réveillai de dessus le sofa, mon amoureux était toujours là et me regardait avec ses deux beaux grands yeux.

Il ne sut jamais pourquoi je lui sautai au cou.