Les Siècles morts/Le Taurobole

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Les Siècles mortsAlphonse Lemerre éd.III. L’Orient chrétien (p. 71-75).

 
Zôroastrès le premier, sur les montagnes
qui avoisinent la Perse, consacra un
antre naturel, fleuri et arrosé par
des sources, en l’honneur de
Mithras, créateur et père de toutes
choses. Pour lui, l'antre était l’image
du monde organisé par Mithras, et
les objets qui y étaient disposés à des
intervalles déterminés portaient les
symboles des éléments et des zones
du monde.

PORPHYRE, l’Antre des Nymphes, VI.
Trad. P. QUILLARD.





Clos ta bouche en passant sous les portes de l’Antre
Étrangère ! Oubliant les mystères chrétiens,
Aborde au port et foule un seuil ténébreux ; entre
Sans révéler pourquoi ni de quel lieu tu viens.

Silence ! Courbe-toi. Les portes sont sacrées ;
L’une, celle du Monde, est grande ouverte au Nord ;
L’autre, étroite, conduit aux sphères éthérées ;
Du côté du Notos l’âme immortelle sort.


Un olivier mystique ombrage de sa feuille
La fente du rocher. Glisse-toi ; prends ma main ;
Suis-moi. Prêtre du Dieu bienfaisant qui t’accueille,
J’écarte les rameaux de ton obscur chemin.

Dénoue en pénétrant tes longs cheveux ; dépouille
Ta robe, et de ton corps impie et débauché,
Comme d’un glaive terne on efface la rouille,
Efface obstinément la lèpre du péché.

Femme, meurtris ta chair fragile et prise au piège
Du mal universel et de l’obscurité.
L’habit des suppliants te couvre et te protège
Comme sous un linceul un cadavre abrité.

Des vieilles passions éternellement veuve,
A tes vaines amours jette un suprême adieu ;
Au triple aveuglement convient la triple épreuve
Infaillible, par l’eau, par le sang, par le feu.

Du temple extérieur franchis la colonnade ;
Descends les noirs degrés. Sur les sombres parois
L’épi jaune et barbu s’unit à la grenade,
Le pin pyramidal s’adosse aux cyprès droits.

Autour du souterrain sacré, le Zodiaque
Roule sa roue énorme et ses astres sculptés,
Et dans sa profondeur la grotte mithriaque
Cache tout l’univers et ses Divinités.


Du faite scintillant la stalactite suinte ;
Une source bouillonne au bassin qu’elle emplit ;
Vénère les eaux ; l’onde est fatidique et sainte ;
C’est de son sein vivant que le Soleil jaillit.

Image aux mille aspects de la Nature entière,
La caverne s’émeut, se parfume et bruit
Tandis que de l’abîme où croupit la matière,
S’épurant par degrés, l’âme s’envole et fuit.

Silence ! ouvre les yeux. Le voile se détache.
Silence ! Initiée au Mystère éternel,
Répands le fiel amer ; lave tes mains sans tache
Et ta bouche innocente avec le divin miel.

Frémis ! Voici l’instant : le viril Dadophore
Au foyer sidéral allume son flambeau ;
La crypte resplendit comme un pic à l’aurore ;
Sur le rocher natal se pose le corbeau.

Et soudain, justicier, immolateur suprême,
Armé de l’arc solide et du large couteau,
L’invincible Soleil, Mithra, parait lui-même,
Coiffé du bonnet perse et vêtu du manteau.

C’est Lui ! Les Dieux muets dans les hauteurs sans bornes
Tressaillent. Il s’apprête au céleste combat,
Et le Taureau rétif qu’il saisit par les cornes
Bondit en mugissant, lutte encore et s’abat.


Du monstre agenouillé piquant la chair secrète,
Le scorpion maudit tend ses pinces de fer :
Mais le chien vigilant, accroupi sous la bête,
Lèche la plaie atroce et boit le sang amer.

Maintenant, ô terreur ! sous l’autel descendue,
O myste, incline-toi ; baise le sol fangeux ;
Le sang lustral s’épand sur ta tête éperdue
Comme les flots épais d’un déluge orageux.

Car là-haut, dominant le formidable groupe,
Levant le coutelas qui luit hors du fourreau,
Mithra de son genou presse la fauve croupe
Et tranche d’un seul coup la gorge du Taureau.

Victoire ! Il est tombé. Le sang brûlant t’asperge ;
Le sang jusqu’à ton col pousse son flux ardent,
Et tu plonges, roulée au flot qui te submerge,
Dans la pourpre du bain mystique et fécondant.

Victoire au Dieu ! Victoire au Couronné qui l’aime
Et siège avec Mithra sur le sommet vermeil !
Victoire à toi, naissant par le sanglant baptême
A la Vie immortelle au sein du Dieu-Soleil !

Combats, initiée au suprême symbole,
Parmi la Légion qui sait les mots vainqueurs,
Et, des limons visqueux où pleut le taurobole,
Vois le germe futur se lever dans les cœurs !


Vide la coupe sainte où fermente sans terme
Le sang très pur promis au monde racheté ;
Mange le pain sauveur où Mithra même enferme
Son essence invisible et sa Divinité.

Ainsi qu’au fond du ciel le peuple magnifique
Des astres que nul œil humain ne dénombra,
Adore, ensevelie en ton rêve extatique,
Les Dieux de tous les temps pullulant dans Mithra.

Car Lui seul, arrachant aux embûches funèbres
Ton âme frémissante, en proie aux noirs démons,
L’emportera, sauvée, à travers les ténèbres
Vers l’Antre bienheureux qui fleurit sur les monts.

Pâle étrangère, adieu. Pure selon les rites,
Ivre et sanglante encor du flot sacramental,
Pars ! Au murmure lent des paroles prescrites,
Les portes s’ouvriront pour le retour fatal.

Pour le retour furtif vers la nuit et la terre
Silencieusement les portes s’ouvriront ;
Et, vouée à jamais au secret du Mystère,
Passe, la bouche close et du sang sur le front.