Les Signes parmi nous/28

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Éditions des Cahiers vaudois (p. 220-225).

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— Comment as-tu fait pour venir ?

Elle répondit :

— J’ai menti. J’ai dit à ma mère que j’allais chez ma tante aux Prases ; ma mère m’a dit : « Par le temps qu’il va faire ? » j’ai dit que je me dépêcherais. Et, tu comprends, tant mieux, à présent qu’on est ensemble, s’il fait de l’orage ; parce qu’il est possible que ma tante me vende ; et alors ce sera l’orage, tu comprends ? je dirai : « C’est l’orage qui m’a empêchée, je me suis arrêtée en route chez une amie. »

Que les malheureux sur l’eau se dépêchent, s’ils ne sont pas trop loin du bord ; ici ne règne encore qu’un assez fort courant d’air ; c’est Jules Porchet avec Adèle, il reprend :

— J’avais peur que tu ne viennes pas.

— Moi aussi, j’avais peur que tu ne viennes pas. Et même j’ai passé chez le maréchal pour tâcher de savoir ce que tu comptais faire…

— Chez le maréchal ! tu es folle !

Ensemble, maintenant, quand même ; alors quand même tout va bien. « Mais méfie-toi, méfie-toi du maréchal, je te dis ; et rappelle-toi une fois pour toutes que quand j’ai dit oui, c’est oui ; et j’ai habitué le monde à la maison à me laisser faire à ma tête ; à présent, quand je sors, ils ne me demandent même plus où je vais… »

Ils étaient assis sur le foin, les deux, et il venait ce courant d’air ; c’est que le toit n’est que posé et on laisse exprès un espace vide entre le toit et le mur, quand il s’agit de ces fenils, pour que le foin sèche plus vite. Et il disait encore : « C’est une bonne idée que j’ai eue de te donner rendez-vous ici, surtout aujourd’hui, parce qu’il n’y a pas de risque qu’on vienne. »

— Et s’il nous pleut dessus ? dit-elle.

— On changera de place.

— Et si la foudre tombe ?

— Je t’emporterai ; ça me connaît. Jusqu’à des sacs de cent kilogs…

Alors il se rapprocha d’elle, et il disait :

— Montre-moi si tu es lourde.

Et ceux qui rentraient sont rentrés ; « montre-moi ; » « oh ! pas tant ! » « montre-moi toujours. »

Et puis il dit : « On va essayer. »

Il regardait le tas, et il y a deux tas, l’un qui est plus haut, l’autre qui est plus bas, carrés ; ils sont l’un devant l’autre comme deux marches d’escalier ; à peine si on s’entend encore parler ; « ça ne fait rien, on va essayer. »

— Où ça ? elle demanda.

— Sur l’autre tas. On sera mieux là-haut qu’en bas.

— C’est que c’est juste sous le toit !

— Et puis après ?

Et elle voit bien qu’il faut qu’elle se laisse faire ; il vous la lève en l’air dans ses deux bras.

— À présent, c’est mon tour…

« Salut, Adèle, parce que, vois-tu, moi, j’ai eu vite fait. »

Il est obligé de crier.

Et elle dit encore :

— Écoute !

Il répond :

— C’est toi que j’écoute.

Elle sursaute, elle dit :

— Tu as vu ?

— C’est toi que je vois…

Il rit, il dit :

— Tu es toute jaune, et puis plus rien. Toute jaune et puis tout est noir…

Juste encore on a eu le temps d’entendre un chien qui s’est mis à pleurer ; Jules a recommencé :

— C’est le chien des Emery, qui est…

Il n’a pas pu finir ; il doit laisser passer.

Et on n’est pas sûr qu’elle l’entende, bien qu’ils soient aussi près l’un de l’autre qu’on peut, et s’il va toujours, c’est pour lui :

— Voyons ! voyons ! puisque je suis là. Donne-moi la main…

Coupé net.

— Cette fois, c’est sur le clo…

Mais elle a été jetée contre lui par la violence du coup ; il a ouvert les bras ; il ne l’a plus lâchée.

Et il n’a plus bien su, elle n’a plus bien su.