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Les Six Livres de la République/11

La bibliothèque libre.
Jacques du Puy (p. 1-7).
QUELLE EST LA FIN
PRINCIPALE DE LA RÉPUBLIQUE
BIEN ORDONNÉE.


CHAP. I.



R épublique est un droit gouvernement 
de plusieurs ménages, et de ce qui leur est commun, avec puissance souveraine. Nous mettons 
cette définition en premier lieu, par ce qu’il faut 
chercher en toutes choses la fin principale : et 
puis après les moyens d’y parvenir. Or la défi
nition n’est autre chose que la fin du sujet qui
 se présente : et si elle n’est bien fondée, tout
 ce qui sera bâti sur icelle ruinera bien tout après.
 Et jaçoit que celui qui a trouvé la fin de ce qui
 est mis en avant, ne trouve pas toujours les moyens d’y parvenir, non 
plus que le mauvais archer qui voit le blanc et n’y vise pas : néanmoins
 avec l’adresse et la peine qu’il emploiera il y pourra frapper, ou approcher : et ne sera pas moins estimé, s’il ne touche au but, pourvu qu’il
 fasse tout ce qu’il doit pour y atteindre. Mais qui ne sait la fin et définition du sujet qui lui est proposé, celui-là est hors d’espérance de 
trouver jamais les moyens d’y parvenir, non plus que celui qui don
ne en l’air sans voir la butte. Déduisons donc par le menu les parties de 
la définition que nous avons posée. Nous avons dit en premier lieu 
droit gouvernement, pour la différence qu’il y a entre les Républiques, et les troupes de voleurs et pirates avec lesquels on ne doit
 avoir part, ni commerce, ni alliance : comme il a toujours été gardé 
en toute République bien ordonnée, quand il a été question de donner la foi, traiter la paix, dénoncer la guerre, accorder ligues offensives, ou défensives, borner les frontières, et décider les différends 
entre les princes et seigneurs souverains, on n’y a jamais compris les 
voleurs, ni leur suite : si peut-être cela ne s’est fait par nécessité forcée, qui n’est point sujette à la discrétion des lois humaines, lesquelles 
ont toujours séparé les brigands et corsaires, d’avec ceux que nous disons droits ennemis en fait de guerre : qui maintiennent leurs états et Républiques par voie de justice, de laquelle les brigands et corsaires cherchent l’éversion et ruine. C’est pourquoi ils ne doivent jouir du 
droit de guerre commun à tous peuples, ni se prévaloir des lois que
 les vainqueurs donnent aux vaincus. Et même la loi n’a pas voulu, 
que celui qui tomberait entre leurs mains, perdît un seul point de sa liberté, ou qu’il ne pût faire testament, et tous actes légitimes, que ne pouvait celui qui était captif des ennemis, comme étant leur esclaves, qui perdait sa liberté, et la puissance domestique sur les siens. Et si on dit que la loi veut qu’on rende au voleur le gage, le dépôt, la chose empruntée, et qu’il soit ressaisi des choses par lui occupées injustement sur autrui, s’il en est dépouillé par violence, il y a double raison : l’une que le brigand mérite qu’on ait égard à lui, quand il vient
 faire hommage au magistrat, et se rend sous l’obéissance des lois pour demander, et recevoir justice : l’autre que cela ne se fait pas tant en faveur des brigands, qu’en haine de celui qui veut retenir la sacré dépôt, ou qui procède par voie de fait ayant la justice en main. Et quant 
au premier nous en avons assez d’exemples, mais il n’y en a point de plus mémorable que d’Auguste l’Empereur, qui fît publier à son de trompe qu’il donnerait XXV. mil écus à celui qui prendrait Crocotas
 chef des voleurs en Espagne : de quoi averti Crocotas, se représente lui même à l’Empereur, et lui demande XXV. mil écus. Auguste les lui fît payer, et lui donna sa grâce : afin qu’on ne pensât point qu’il voulût lui ôter la vie, pour le frustrer du loyer promis, et que la foi et sûreté publique fût gardée à celui qui venait en justice : combien qu’il pouvait procéder contre lui, et lui faire son procès. Mais qui voudrait user du droit commun envers les corsaires et voleurs, comme avec les
 droits ennemis, il ferait une périlleuse ouverture à tous vagabonds de
 se joindre aux brigands, et assurer leurs actions et ligues capitales sous 
le voile de justice. Non pas qu’il soit impossible de faire un bon Prince d’un voleur, ou d’un corsaire un bon Roi : et tel pirate y a, qui mérite mieux d’être appelé Roi, que plusieurs qui ont porté les sceptres et diadèmes, qui n’ont excuse véritable, ni vraisemblable, des vole
ries et cruautés qu’ils faisaient souffrir aux sujets : comme disait Demetrius
 le corsaire au Roi Alexandre le grand, qu’il n’avait appris autre métier de
 son père, ni hérité pour tout bien que deux frégates : mais quant à lui qui blâmait la piratique, il ravageait néanmoins, et brigandait avec deux
 puissantes armées, par mer, et par terre, encore qu’il eût de son père un grand et florissant royaume, ce qui émut Alexandre plutôt à un remord de conscience, que à venger la juste reproche à lui faite par un écumeur, 
 qu’il fît alors capitaine en chef d’une légion : comme de notre âge Sultan Suleyman appela à son conseil les deux plus nobles corsaires de mémoire d’homme, Ariadin Barberousse, et Dragut Reis, faisant l’un et l’autre Amiral, et Bascha, tant pour nettoyer la mer des autres pirates, que pour assurer son état, et le cours de la traffique. Ces moyens d’attirer les chefs 
des pirates au port de vertu, est, et sera toujours louable, non seulement afin de ne réduire point telles gens au désespoir d’envahir l’état des Princes, ains aussi pour ruiner les autres comme ennemis du genre
 humain : et quoi qu’ils semblent vivre en amitié et société partageant, 
également le butin, comme on disait de Bargule et de Viriat, néan
moins cela ne doît être appelé societé, ni amitié, ni partage en termes de droit : ains conjurations, voleries et pillages : car le principal point auquel gît la vraie marque d’amitié leur défaut, c’est à savoir le droit gouvernement selon les lois de nature. C’est pourquoi les anciens appelaient République une societé d’hommes assemblés, pour 
bien et heureusement vivre : laquelle définition toutefois a plus qu’il
 ne faut d’une part, et moins d’une autre : car les trois points principaux 
y manquent, c’est à savoir la famille, la souveraineté, et ce qui est com
mun en une République : joint aussi que ce mot heureusement, ainsi
qu’ils entendaient n’est point nécessaire : autrement la vertu n’aurait au
cun prix si le vent ne soufflait toujours en poupe : ce que jamais homme
de bien n’accordera : car la République peut être bien gouvernée, et se
ra néanmoins affligée de pauvreté, délaisse des amis, assiégée des ennemis, et comblée de plusieurs calamités : auquel état Cicéron même 
confesse avoir vue tomber la République de Marseille en Provence, 
qu’il dit avoir été la mieux ordonnée, et la plus accomplie qui fût onques 
en tout le monde sans exception : et au contraire il faudrait que la République fertile en assiette, abondante en richesses, fleurissant en hommes, révérée des amis, redoutée des ennemis, invincible en armes, puissante 
en châteaux, superbe en maisons, triomphante en gloire, fût droite
ment gouvernée, ores quelle fût débordée en méchancetés, et fondue en tous vices. Et néanmoins il est bien certain que la vertu n’a point d’ennemi plus capital, qu’un tel succès qu’on dit très heureux : et 
qu’il est presque impossible d’accoler ensemble deux choses si contraires. Par ainsi nous ne mettrons pas en ligne de compte, pour définir la Ré
publique, ce mot heureusement : ains nous prendrons la mire plus haut 
pour toucher ou du moins approcher au droit gouvernement : toute
fois nous ne voulons pas aussi figurer une République en idée sans effets, 
telle que Platon, et Thomas le More chancelier d’Angleterre ont imaginé, mais nous contenterons de suivre les règles Politiques au plus près
 qu’il sera possible : en quoi faisant on ne peut justement être blâmé, 
encore qu’on n’ait pas atteint le but où l’on visait, non plus que le maître pilote transporté de la tempête, ou le médecin vaincu de la maladie, 
ne sont pas moins estimés, pourvue que l’un ait bien gouverné son ma
lade, et l’autre son navire. Or si la vraie félicité d’une République, et d’un homme seul est tout un, et que le souverain bien de la République en général aussi bien que d’un chacun en particulier, gît ès vertus intellectuelles, et contemplatives, comme les mieux entendus[1] ont résolu : il faut aussi accorder que ce peuple là jouît du souverain bien quand 
il a ce but devant les yeux, de s’exercer en la contemplation des choses
 naturelles, humaines, et divines, en rapportant la louange du tout au grand
 prince de nature. Si donc nous confessons que cela est le but principal 
de la vie bien heureuse d’un chacun en particulier, nous concluons aussi
 que c’est la fin et félicité d’une République, mais d’autant que les hommes d’affaires, et les Princes, ne font jamais tomber d’accord pour ce regard, chacun mesurant son bien au pied de ses plaisirs et contentements : et que ceux qui ont eu même opinion du souverain bien d’un particulier, n’ont pas toujours accordé que l’homme de bien, et le bon citoyen soit tout un : ni que la félicité d’un homme, et de toute la République fût pareille : cela fait qu’on a toujours eu variété de lois, de
 coutumes, et desseins, selon les humeurs et passions des Princes et gouverneurs. Toutefois puisque l’homme sage est la mesure de justice et de vérité : et que ceux là qui sont réputés les plus sages, demeurent 
d’accord, que le souverain bien d’un particulier, et de la République n’est qu’un, sans faire différence entre l’homme de bien, et le bon citoyen, 
 nous arrêterons là le vrai point de félicité, et le but principal auquel
se doit rapporter le droit gouvernement d’une République : c’est que 
Aristote a doublé d’opinion, et tranché quelques fois le différend des 
parties par la moitié, couplant tantôt les richesses, tantôt la force et la santé avec l’action de vertu, pour s’accorder à la plus commune opinion des hommes : mais[2] quand il en dispute plus subtilement, il met le comble de félicité en contemplation. Qui semble avoir donné occasion Marc Varron de dire, que la félicité des hommes est mêlée d’action, et de contemplation : et sa raison est à mon avis, que d’une chose simple, la félicité est simple, et d’une chose double, composée de parties diverses, la félicité est double : comme le bien du corps gît en santé, force, 
allégresse, et en la beauté des membres bien proportionnés : et la félicité 
de l’âme inférieure, qui est la vraie liaison du corps et de l’intellect, gît en l’obéissance que les appétits doivent à la raison : c’est à dire en l’action des vertus morales : tout ainsi que le souverain bien de la partie in
tellectuelle, gît aux vertus intellectuelles : c’est à savoir en prudence, science, et vraie religion : l’une touchant les choses humaines, l’autre les 
choses naturelles : la troisième les choses divines : la première montre 
la différence du bien et du mal, la seconde du vrai et du faux, la troisième de la piété et impiété, et ce qu’il faut choisir et fuir : car de ces trois se compose la vraie sagesse, où est le plus haut point de félicité en ce mon
de. Aussi peut-on dire par comparaison du petit au grand que la République doit avoir un territoire suffisant, et lieu capable pour les habitants, la fertilité d’un pays assez plantureux, et quantité de bétail pour la nourriture et vêtements des sujets : et pour les maintenir en santé la douceur du ciel, la température de l’air, la bonté des eaux : et pour la défense et retraite du peuple, les matières propres à bâtir maisons et places fortes, si le lieu de foi n’est assez couvert et défendable. Voilà les premières choses desquelles on est le plus soigneux en toute République et puis on cherche ses aisances : comme les médecines, les métaux, les teintures : et pour assujettir les ennemis, et allonger les frontières par conquêtes, on fait provision d’armes offensives : et d’autant que les appétits des hommes sont le plus souvent insatiables, on veut avoir en affluence, non seulement les choses utiles et nécessaires : ains aussi plaisantes et inutiles. Et tout ainsi qu’on ne pense guère à l’instruction d’un enfant qu’il ne soit élevé, nourri, et capable de raison : aussi les Républiques n’ont pas grand soin des vertus morales : ni des belles sciences, et moins encore de la contemplation des choses naturelles et divines, qu’elles ne soient garnies de ce qui leur fait besoin : et se contentent d’une prudence médiocre, pour assurer leur état contre les étrangers, et garder les sujets d’offenser les uns les autres, ou si quelqu’un est offensé, réparer la faute. Mais l’homme se voyant élevé et enrichi de tout ce qui lui est nécessaire et commode, et sa vie assurée d’un bon repos, et tranquillité douce, s’il est bien né il prend à contre-cœur les vicieux et méchants, et s’approche des gens de bien et vertueux : et quand son esprit est clair et net, des vices et passions qui troublent l’âme, il prend garde plus soigneusement à voir la diversité des choses humaines, les âges différentes, les humeurs contraires, la grandeur des uns, la ruine des autres, le changement des républiques : cherchant toujours les causes des effets qu’il voit. Puis après se tournant à la beauté de nature, il prend plaisir à la variété, des animaux, des plantes, des minéraux, considérant la forme, la qualité, la vertu de chacune, les haines et amitiés des unes envers les autres, et la suite des causes enchaînées, et dépendantes l’une de l’autre : puis laissant la région élémentaire, il dresse son vol jusqu’au ciel, avec les ailes de contemplation, pour voir la splendeur, la beauté, la force des lumières célestes, le mouvement terrible, la grandeur et hauteur d’icelles, et l’harmonie mélodieuse de tout ce monde : alors il est ravi d’un plaisir admirable, accompagné d’un désir perpétuel de trouver la première cause, et celui qui fût auteur d’un si beau chef d’œuvre : auquel étant parvenu, il arrête là le cours de ses contemplations, voyant qu’il est infini et incompréhensible en essence, en grandeur, en puissance, en sagesse, en bonté. Par ce moyen de contemplation, les hommes sages et entendus, ont résolu une très belle[3] démonstration, c’est à savoir qu’il n’y a qu’un Dieu éternel et infini : et de là ont quasi tiré une conclusion de la félicité humaine. Si donc un tel homme est jugé sage, et bien heureux, aussi sera la république très-heureuse, ayant beaucoup de tels citoyens, encore qu’elle ne soit pas de grande étendue, ni opulente en biens, méprisant les pompes et délices, des cités superbes, plongées en plaisirs, et ne faut pas pourtant conclure que la félicité de l’homme soit confuse et mêlée : car combien que l’homme soit composé d’un corps mortel, et d’une âme immortelle, si faut-il confesser que son bien principal dépend de la partie la plus noble : car puisque le corps doit servir à l’âme, et l’appétit bestial à la raison divine, son bien souverain dépend aussi des vertus intellectuelles, que Aristote appelle l’action de l’intellect : et jaçoit qu’il eût dit que le souverain bien gît en l’action de vertu, si est-ce qu’en fin il a été contraint de confesser[4] que l’action se rapporte à la contemplation, comme à sa fin, et qu’en icelle gît le souverain bien, autrement, dit-il, les hommes seraient plus heureux que Dieu, qui n’est point empêché aux actions muables, jouissant du fruit éternel de contemplation et d’un repos très-haut. Mais ne voulant pas s’arrêter ouvertement à l’avis de son maître, ni se départir de la maxime qu’il avait posée, c’est à savoir que le souverain bien gît en l’action de vertu, quand il a conclu la dispute du souverain bien, il a coulé doucement ce mot équivoque, l’action de l’intellect, pour contemplation, disant que la félicité de l’homme gît en l’action de l’intellect : afin qu’il ne semblait vouloir mettre la fin principale de l’homme, et des Républiques, en deux choses du tout contraires, c’est à savoir en mouvement, et en repos, en action et contemplation. Et néanmoins voyant que les hommes, et les Républiques sont en perpétuel mouvement, empêchés aux actions nécessaires, il n’a pas voulu dire simplement, que la félicité gît en contemplation, ce qu’il faut néanmoins avouer. Car quoi que les actions par lesquelles la vie de l’homme est entretenue soient fort nécessaires, comme boire et manger, si est-ce qu’il n’y eut jamais homme bien appris, qui fondait en cela le souverain bien. Aussi l’action des vertus morales est bien fort louable, par ce qu’il est impossible que l’âme puisse recueillir le doux fruit de contemplation, qu’elle ne soit éclaircie, et purifiée par les vertus morales, ou par la lumière divine : de sorte que les vertus morales, se rapportent aux intellectuelles. Or la félicité n’est pas accomplie, qui se rapporte, et cherche quelque chose de meilleur, comme le corps à l’âme, celle-ci à l’intellect, l’appétit à la raison, et vivre pour bien vivre. Par ainsi Marc Varron, qui mis que la vie de l’homme a besoin d’action, et de contemplation, mais que le souverain bien gît en contemplation[5], que les Académiques ont appelé la mort plaisante, et les Hébrieux la mort[6] précieuse, d’autant qu’elle ravît l’âme hors de fange corporelle, pour la déifier. Et néanmoins il est bien certain que la République ne peut être bien ordonnée, si on laisse du tout, ou pour long temps les actions ordinaires, la voie de justice, la garde et défense des sujets, les vivres, et provisions nécessaires à l’entretenement d’iceux, non plus que l’homme ne peut vivre longuement, si l’âme est si fort ravie en contemplation, qu’on en perde le boire
 et le manger. Mais tout ainsi qu’en ce monde, qui est la vraie image de 
la République bien ordonnée, et de l’homme bien réglé, on voit la lune 
comme l’âme, s’approcher du Soleil, laissant aucunement la région élémentaire, qui ressent un merveilleux changement, pour le déclin de cette lumière, et tout après l’accouplement du Soleil, se remplir d’une vertu céleste, qu’elle rend à toutes choses : aussi l’âme de ce petit monde étant par fois ravie en contemplation, et aucunement unie à ce grand Soleil intellectuel, elle s’enflamme d’une clarté divine, et force émerveillable, et d’une vigueur céleste fortifiant le corps, et les forces naturelles. Mais si l’âme s’adonne par trop au corps, et s’enivre des plaisirs sensuels, sans rechercher le soleil divin, il lui en prend tout ainsi que à la lune, quand elle s’enveloppe du tout en l’ombre de la terre. Qui lui ôte sa lumière, et sa force, et produit par ce défaut plusieurs monstres. Et néanmoins si elle demeurait toujours unie au Soleil, il est bien certain que le monde élémentaire périrait. Nous ferons même jugement de la République bien ordonnée, la fin principale de laquelle, gît aux vertus contemplatives, iaçoit que les que les actions politiques soient préalables et les moins illustres soient les premières : comme faire provisions nécessaires, pour entretenir, et défendre la vie des sujets : et néanmoins telles actions se rapportent aux morales, et celles-ci aux intellectuelles, la fin desquelles est la contemplation du plus beau sujet qui soit, et qu’on puisse imaginer. Aussi voyons nous que Dieu a laissé six jours pour toutes actions, étant la vie l’homme sujette pour la plus-part à icelles : mais il a ordonné que le septième qu’il avait béni sus tous les autres serait chômé, comme le saint jour du repos, afin de l’employer[7] en la contemplation de ses œuvres de sa loi, et de ses louanges. Voilà quant à la fin principale des Républiques bien ordonnées, qui sont d’autant plus heureuses, que plus près elles approchent de ce but : car tout ainsi qu’il y a plusieurs degrés de félicité, les unes plus, les autres moins, selon le but que chacune se propose pour imiter : comme on disait[8] des Lacédémoniens, qu’ils étaient courageux, et magnanimes, et au reste de leurs actions injustes : par ce que leur institution, leurs lois, et coutumes, n’avaient autre but devant les yeux, que rendre les hommes courageux, et invincibles aux labeurs et douleurs, méprisant les plaisirs et délices. Mais la République des Romains a fleuri en justice, et surpassé celle de Lacédémonne, par ce que les Romains n’avaient pas seulement la magnanimité, ains aussi la vraie justice leur était un comme un sujet, auquel ils adressaient toutes leurs actions. Il faut donc s’efforcer de trouver les moyens de parvenir ou approcher de la félicité que nous avons dit, et à la définition de la République que nous avons posée.


  1. Aristotel. lib.7. cap.3. & 15. polit. & lib.10. ethic ad Nicomach.
  2. lib.10. ethic Nico. & 7. politic.
  3. Aristot.lib.6.φνσίκ.άκρό.& lib.12.cap.vlt.τὰ μετὰ τὰ φυσικά.
  4. Arist.lib.30.ethiccor.&cap.7.polit.
  5. Plato in Phaedone.
  6. Psal.116&Leo Hebraeus lib.3.de amore.
  7. Psal.3
  8. Plato.