Les Soldats de la Révolution/La correspondance de Hoche

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III


HOCHE.
La correspondance de Hoche.

Hoche, dans son infatigable activité, écrivait beaucoup, et pour ses amis et pour lui-même ; il ne nous reste malheureusement que fort peu de ces écrits. Dans une lettre datée de la Vendée (1795), il manifeste son chagrin d’avoir perdu le meilleur de son âme, la plus grande partie de ses papiers. Papiers précieux qui nous eussent révélé les secrets des partis, ses jugements sur les hommes, etc. D’après des renseignements fournis par la respectable veuve de Hoche, il avait, dans sa première campagne sur le Rhin, perdu déjà ses fourgons ; son beau-frère Delabelle, en allant en Italie, perdit encore une partie de ce que Hoche lui avait confié ; après sa mort, Lefebvre porta ce qui restait à Bonaparte, qui ne manqua pas de détruire tout ce qui aurait pu lui nuire dans l’opinion.

Il reste du moins de Hoche un assez grand nombre de lettres. Nous en donnons ici quelques fragments. Les lettres de Vendée sont des plus intéressantes. Il écrit lui-même, n’ayant pas, comme Napoléon, un Champagny pour lui tenir la plume. Ces lettres originales ont le grand mérite de nous donner bien des traits de caractère de celui qui croit peindre les autres et se peint lui-même dans la forme variée de sa correspondance.

Ce qui domine partout, dans ces lettres comme dans sa vie, ce qui gardera à cette mâle figure une éternelle auréole, c’est ce profond sentiment d’humanité et de justice que nous avons déjà signalé. Au milieu de cette affreuse guerre civile, on sent qu’un mot de pitié est toujours prêt à jaillir de sa plume en faveur des royalistes, même coupables. Il veut voir en eux des âmes égarées qu’il serait facile de ramener par la douceur.

En toute circonstance, il s’efface, il s’oublie. Il n’écrit pas pour parler de lui, se dresser un piédestal. Il aime à parler des autres, à les faire valoir ; il prend plaisir à raconter leurs belles actions. En voici un exemple qui mérite d’être cité. La lettre est adressée à un ami, au citoyen Augier.


« 18 fructidor an II.

« Lorsque soi-même on ne peut servir de modèle à ses jeunes concitoyens, qu’il est doux d’être à portée de leur citer les actions héroïques de notre siècle !

« J’ai eu le plaisir d’embrasser Cabien et de lui donner à diner. Tu connais sans doute l’anecdote et les détails. J’ajouterai seulement quelques faits sur l’homme, son physique et son moral. Notre héros, pêcheur de profession, était âgé de trente-deux ans, lorsqu’il eut le bonheur de sauver sa paroisse de la dévastation que se promettaient d’y faire les Anglais. Marié depuis cinq ans, il avait deux enfants ; sa femme, brune, était, dit-il, assez jolie. Il a maintenant soixante-trois ans ; brun, l’œil noir et vif ; sa taille est de cinq pieds quatre pouces ; il est veuf et a perdu cinq fils qu’il regrette de ne pouvoir conduire aux frontières ; il parle assez bien, et raconte l’aventure d’une manière à faire plaisir.

« Mon ami, je t’assure que ce respectable citoyen mérite d’être connu de la nation entière, tant par sa bravoure, sa loyauté, que par son amour pour la liberté et son désintéressement. Quel homme à mettre en scène !

« Figure-toi les Anglais débarqués, cherchant à incendier le village d’Ostreitsam, et Cabier, seul, les faisant rembarquer en tirant quelques coups de fusil, battant la caisse et commandant son bataillon.

« Lorsque la Convention lui eut accordé un secours provisoire de six cents livres, Cabien, très pauvre, afficha à la porte de l’église de son village que ses créanciers aient à venir le trouver, qu’il avait reçu un bienfait de la nation, que son dessein était de les payer tous, ce qu’il fit sur-le-champ, après quoi, du reste de la somme il fit couvrir sa chaumière. Sa pension ne lui a pas encore été payée. Sur ses vieux jours, il a failli mourir de faim après une si belle action. » (Rousselin, II, 76).


Dans les fragments qui suivent se révèle le tendre respect de Hoche pour les veuves-mères :


« J’intéresserai sans doute votre humanité, écrit-il à des représentants du peuple, en vous disant que le citoyen Mermet vient, ainsi que son fils, d’être tué dans une des dernières affaires. Ces deux braves militaires, l’un commandant le premier bataillon du trente-neuvième régiment, l’autre porte-drapeau, sont expirés sur le champ de bataille. Que ne doit-on pas à une femme, veuve et mère infortunée de défenseurs de la patrie, surtout si elle n’a d’autre fortune que les deux êtres malheureux qui la secouraient dans sa vieillesse ! (II, 93).

« … Dejean était mon ami de cœur. Permettez-moi, représentants, de recommander à la bienveillance nationale une mère qui n’avait d’autre soutien que son digne fils. il a bien mérité de la patrie, mon ami ; je vous supplie, prenez soin de sa mère. Si ma fortune était proportionnée à mon désir d’obliger, je n’aurais pas révélé ce secret, mais le ciel ne m’a pas favorisé du côté des richesses. » (T. H, 196.)


Hoche n’est pas moins bon pour le soldat.


« … Mon cher général (le général Kricq), si les soldats étaient philosophes, ils ne se battraient pas. Tu ne veux pas qu’ils soient ivrognes, ni moi non plus ; mais examine quelles peuvent être les jouissances d’un homme campé, et qui peut le dédommager des nuits blanches qu’il passe ? Corrigeons pourtant les ivrognes, surtout lorsque l’ivresse les fait manquer à leurs devoirs. Il est un moyen d’y parvenir ; c’est de donner à nos enfants une éducation nerveuse, et dont les principes feraient détester l’ivrognerie, les jeux de hasard, la lâcheté et les autres misères de la vie humaine. Hélas ! s’il est dans la nature de l’homme d’être bon et vertueux, il faut avouer que nos institutions dites sociales, et que je regarde comme destructives, l’ont fait bien dégénérer.

« Mais où diable vais-je me fourrer ? Je parle presque comme un rhéteur. »


Il faut lire la lettre suivante qui, sans que Hoche le cherche, met en parallèle le soldat qui souffre sans cesser d’être honnête, et les fournisseurs grassement nourris qui dilapident les biens de l’État.

« … L’esprit du soldat est généralement bon. Il aime à bien servir ; mais il veut être commandé et encouragé. Loin de nous ces hommes qui le regardent ou qui le traitent comme un vil mercenaire ! La classe des simples fusiliers est la plus pure et la plus estimable de l’armée. Nous devons l’aimer, la considérer, et proportionner nos attentions à ses besoins. Qui ne sait qu’il est tel grenadier doué d’un plus grand sens que son général ? Dans les armées indisciplinées seulement, la multitude peut devenir méprisable par la licence à laquelle elle est abandonnée. Sous de bons chefs, elle reprend ses vertus, elle sert l’État qui naguère en était opprimé.

« … Les administrateurs des chariots, vivres, etc., mènent le plus beau train du monde ; la République est là, disent-ils. C’est dans ce cloaque qu’il faut raviver l’amour des devoirs, j’oserais dire la probité et l’obéissance, ou plutôt l’obéissance aux lois. Voyez nos bureaux ; ils sont toujours remplis de jeunes hommes de réquisition poudrés et parfumés. Demandez-leur ce qu’ils font là, ils vous riront au nez. Vils sybarites, insolents esclaves de vos vices, ne vous forcera-t-on pas un jour à vous charger du mousquet, et à céder votre place à l’honnête père de famille, à l’indigent dont les enfants meurent de faim ?


Dans la campagne de Vendée, ou tout devait l’irriter de la part de l’ennemi, Moche, obligé de faire des arrestations, écrit au citoyen Morisset, capitaine commandant le camp de Puilley :

« N’oublie jamais, citoyen, que ce sont des Français que tu vas arrêter, et que tu ne dois les traiter en ennemis que lorsqu’ils t’y contraignent par leur rébellion. J’attends que tu mettras dans cette expédition toute l’humanité qui caractérise les républicains. (T. II, p. 99.)

« … Rappelle-toi sans cesse, citoyen, pendant le cours de ton honorable mission, que ta conduite doit être celle d’un patriote éclairé, d’un homme vertueux, d’un officier républicain et français. Tu restes responsable de celle des hommes qui te sont confiés. Habitue-les au feu, à la fatigue, à la victoire ; mais surtout à respecter l’innocent habitant des campagnes opprimé. Habitue les républicains que tu commandes à respecter les propriétés, à être sobres. Que jamais on ne puisse te reprocher un acte arbitraire. (T. H, p. 141.)

« … Il est beau de traiter philosophiquement les habitants des campagnes ; il est bon de les ramener à la République par la voie seule de la raison ; il ne faut pas croire que ce soient ces malheureux qui pillent et égorgent. Il est d’autres hommes qui commettent ces crimes ; ceux-là ne sont pas des paysans, mais bien des brigands. (T. II, p. 109.)


Hoche avait horreur des sanglantes représailles que se permettaient parfois les soldats sur l’ennemi. Après la mort de Boishardy, on lui coupa la tête, et on la promena au bout de la baïonnette. Hoche écrit à l’adjudant général Crublier :

« Je suis indigné de la conduite de ceux qui ont souffert qu’on promenât la tête d’un ennemi vaincu. Pensent-ils, ces êtres féroces, nous rendre témoins des horribles scènes de la Vendée ? Il est malheureux que vous ne vous soyez pas trouvé là pour empêcher ce que je regarde comme un crime envers l’honneur, l’humanité, la générosité française. Sans perdre un moment, vous voudrez bien faire arrêter les officiers qui commandaient le détachement des grenadiers, et ceux d’entre eux qui ont coupé et promené la tête du cadavre de Boishardy. (T. II. p. 188). »

Était-ce le pressentiment de son grand destin sitôt brisé ? Hoche, cet homme d’action, a une certaine tendance à la mélancolie. Pendant que « le pauvre garde-côtes » surveille de jour et de nuit la mer, et défend l’entrée de nos ports à l’ennemi, les mornes brouillards du marais vendéen pèsent sur l’âme de Hoche et la pénètrent de tristesse, Il écrit à son ami Langier « Je devrais être content ; je pourrais être heureux ; il n’en est rien. Je ne sais quoi me chagrine profondément. »


Déjà, à l’armée de la Moselle, il semble atteint de ce mal inconnu. Il est sombre, découragé :

« Ce n’est plus l’homme que tu as connu qui te parle, écrit-il à Dulac, c’est un malheureux qui ne peut manger, boire, ni reposer nulle part. Rien ne calme la mélancolie qui me consume. Ardent ami de la Révolution, j’ai cru qu’elle changerait les mœurs. Hélas ! l’intrigue et toujours l’intrigue ! et malheur à qui n’a pas de protecteurs ! Tiré des rangs je ne sais pourquoi, j’y rentrerai comme j’en suis sorti, sans plaisir ni peine, me contentant de faire des vœux pour la prospérité des armes de la patrie. »


Voici enfin, pour achever de peindre cette grande âme inflexible dans sa droiture, la noble et ferme réponse qu’il adresse au général qui lui annonce que le gouvernement l’a relevé de son commandement à l’armée de Cherbourg :

« Ma compagne, à qui j’ai verbalement fait part de l’article de votre lettre, m’a répondu assez vivement qu’elle était très satisfaite que je pusse la reconduire. Nous habiterons ensemble une métairie, à peu près dans un désert, et là, je ferai de la misanthropie à mon aise. Il est juste que les patriciens relèvent les plébéiens qui ne savent point intriguer pour conserver les places que leurs services leur ont acquises. Je suis las, mon cher ami, d’être sans cesse ballotté ! Né républicain, je veux vivre tel, et ne pas être soumis au caprice des circonstances.

« Vous devez me connaitre assez pour croire que je ne serai jamais courtisan. L’homme du jour sait fraternellement dénoncer ; l’homme probe ne suit que les immuables principes de la justice, il doit se sacrifier pour la vérité. Qu’importe, après tout, que les hommes me rendent justice, si ma conscience ne me reproche rien ? Heureux habitant du Morbihan, qui ne vis que pour adorer Dieu et travailler, j’envie ton sort. Que ne suis-je à ta place ! Bien que des pillards, bleus, gris ou verts, vinssent m’arracher le fruit de mes peines, je vivrais content. L’on me pille aussi, et l’on voudrait que je fasse bonne figure.

« ... Quel reproche me fait-on ! Est-ce d’avoir dit la vérité ? Je la dirai toujours. Il y a un an, j’étais au fond d’un cachot bien humide pour l’avoir dite : cela ne m’a pas corrigé. »