Les Souspirs amoureux de F B de Verville 1589/Sous le mal qui me martyre

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ODE.



Sous le mal qui me martyre
Je souspire
Comblé de peine & douleur.
Sans avoir en ma constance
Esperance,

Je me perds je me ruine,
Je me mine,
En mes eternels ennuis.


Des le temps qu'Aurore esclaire
Nostre sphere,
Jusques à l'obscur des nuicts.

Le mal mont est ma pensee
Opressee,
Me vient du sujet divin.
Que j'avois trop temeraire,
Ose faire,
Le seul but de mon destin.

Celle que j'aime & honore,
Que j’adore,
D'un cœur trop devotieux.
Voyant mon ame estre à elle
Trop cruelle,
L'a meurtrie par ses yeux.

Ainsi en ma peine extresme
Ce que j'aime,
M'accable sous mon tourment :
Et du lieu dont seul j'espere,
La misere
Me poursuit incessamment.

Helas ! si tu as ennui
Sur ma vie,
Je te supply dis le moy.
Affin que hastant mon heure
Je me meure,
Mettant fin à mon esmoy.

Si ma foy devotieuse
T'est fascheuse,
Ne me tiens plus en suspens :
Dy moy ma douce esperance,
La sentence
Du jugement que j'attens.


Si tu veux que je te laisse
O Maistresse,
Tien, affile ce cousteau,
Ouvre ma triste poictrine
Et termine
Mon malheur par le tombeau,

Mais helas ! de quelle rage,
Mon courage
Est dedans moy agité,
Las ! se pourroit-il bien faire
Que contraire
Fuy à soy une beauté.

Pardonne moy je te prie,
Car l'envie
Qui me force à t'obeir,
Fait qu'en toy je veille vivre
Et te suivre
Pour aussi en toy mourir.

Et si jamais de ton ame
Ceste flame
Qui nous brusle doucement,
Chassa l'humeur desdaigneuse,
Sois piteuse
Aux souspirs de ton amant.

Et si ton ame meurtriere
N'est trop fiere,
Ayes-en quelque pitié,
Sinon au mal qui me tue
Continue,
Pour fruict de mon amitié.

Sois moy benigne, ou rebelle,
Sois cruelle,
Ou douce dessus mon cœur,

Tant que l'ame me delaisse,
Ma Deesse,
Je te seray serviteur.