Les Stations de l’amour/1

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L’Île des Pingouins (p. 5-166).

Les Stations de l’Amour


I

Calcutta, le 23 novembre 18…

Dans ma dernière lettre, je t’ai raconté, ma Cécile, mon voyage, mon arrivée dans l’Inde et mon séjour d’une semaine à Bombay. Je ne t’ai pas caché un « flirt » à bord, et une première banale aventure sur cette terre que protège Brahma. Je t’ai donné aussi un rapide aperçu de mon installation, dans un charmant et confortable bungalow situé au milieu d’un grand jardin, dans un faubourg de Calcutta.

Ma demeure est assez isolée ; je peux recevoir qui bon me semble sans que mes voisins (le plus rapproché est à deux cents mètres) aient à s’en préoccuper ; elle est assez près de la ville et de mes chantiers. J’ai acheté un buggy pour mon usage courant, et j’ai, de plus, une victoria très chic que la Société, qui m’a fait venir pour installer son usine, a mis à ma disposition, avec deux petits chevaux du Pégou (Birmanie méridionale), trapus, râblés, à la fois dociles et vifs. Jusqu’à présent, je n’ai encore dîné que deux fois chez moi, ayant été invité un peu partout, ce qui fait que déjà je connais à peu près toute la haute société anglaise de Calcutta.

J’ai, notamment, fait la connaissance de sir Duncan Simpson, surintendant général des travaux publics, homme fort distingué, un peu froid, avec lequel j’ai dû me mettre en relations pour mes travaux, et qui m’a ouvert sa maison, montée sur un très grand pied, comme du reste celle des grands fonctionnaires du pays. Sir D. Simpson est veuf ; il a une fille unique, miss Dora, grande et belle rousse de vingt à vingt-deux ans, un peu fière, d’aspect dédaigneux, mais assez libre d’allures et parlant le français comme toi et moi. Voilà une Galathée dont j’aimerais à être le Pygmalion ! Mais, attends la suite…

Avant-hier, je suis allé à un grand bal chez lord Railey, le lieutenant-gouverneur du Bengale, qui recevait à son tour, après le vice-roi, tous les princes indigènes, maharajahs, rajahs, nawabs, khans, etc., lesquels viennent chaque année, à cette époque, offrir au représentant de la reine l’hommage de leur vassalité, Je réserve pour le temps où nous serons réunis, ma chère amie, la description des splendeurs de ces fêtes, dont nous n’avons aucune idée dans notre étroite Europe, c’est un éblouissement de couronnes, d’armes, pierreries, au milieu desquelles circulent à leur aise et avec une superbe indifférence les jolies (et même les laides) Anglaises.

Après les présentations officielles et quelques danses préliminaires, on descendit dans les jardins, merveilleusement illuminés (les Indiens y excellent) pour souper. Sous une vaste tente était dressée une table centrale d’une vingtaine de couverts : les princes hindous (brahmaniques et musulmans) assistent aux festins des Européens, mais n’y participent pas ; puis, disséminées, de nombreuses tables destinées aux invités et disposées pour quatre, cinq, et jusqu’à six couverts. On y prend place à sa guise, sans même se préoccuper de la personne avec qui l’on est venu, et qui souvent vous lâche à l’entrée de la salle pour peu qu’elle trouve une figure de connaissance avec qui elle préfère causer et s’attabler.

C’est ce qui m’arriva. J’avais offert le bras à une vieille dame à laquelle j’avais été présenté, mais dès que nous fûmes arrivés sous la « tente à manger », elle me quitta, me saluant à peine, et s’en alla je ne sais où. J’étais demeuré assez embarrassé de ma personne, cherchant des yeux où m’installer, car je ne voyais plus une seule place libre. J’aperçus alors quelqu’un qui me faisait signe : c’était la fière Dora, qui m’avait déjà accordé une valse. Voyant mon embarras, et avec une grâce dont je ne l’aurais pas crue capable, elle m’indiquait un siège à son côté ! J’allai immédiatement l’occuper, aussi heureux de ne pas rester sur mes jambes que surpris d’une attention à laquelle je ne m’attendais guère.

Je dois dire que, sauf deux ou trois phrases insignifiantes, miss Dora ne fit pas grande attention à moi pendant le souper, et qu’elle bavarda surtout avec ses voisines. Nous étions sept à la même table. Mais je fus tout à fait touché et conquis quand, au champagne, la charmante miss se tourna en souriant vers moi et élevant sa coupe à la hauteur de ses lèvres, me dit à mi-voix en français et en me regardant bien dans les yeux : « Je bois à la France que j’aime beaucoup, monsieur. »

Je fus si ému à ce moment, ma chère Cécile, que je ne trouvai absolument rien à répondre : je me contentai de m’incliner et de lui faire raison. Mais mon trouble ne lui avait pas échappé et la flatta beaucoup plus, elle me l’a dit depuis, que ne l’auraient fait les compliments et remerciements que j’aurais pu lui adresser.

Elle était vraiment fort belle, avec sa chevelure dorée qui lui faisait une auréole autour du front et qui, d’abord massée à la nuque, puis éparse après un nœud de diamant, retombait en crinière sur ses blanches épaules et lui donnait je ne sais quel air superbe et léonin.

Quelques minutes après, miss Dora m’adressa de nouveau la parole : « Voulez-vous m’offrir le bras, monsieur Fonteney ?… »

J’acceptai, comme tu le penses ! Elle voulait, avant de rentrer au bal, faire un tour dans le jardin. De place en place se trouvaient des berceaux, des bosquets dans lesquels on voyait des couples s’égarer : on avait aussi dressé de nombreuses tentes garnies de fleurs et de feuillages, plus ou moins éclairées par des verres et des lanternes de couleur, et dans lesquelles on pouvait se reposer et goûter « les tièdes voluptés des nuits mélancoliques ».

Dora s’appuyait indolemment sur mon bras, et j’éprouvais un charme indicible à me promener avec cette belle créature, dont il me semblait que j’étais depuis longtemps l’ami. Cette fierté un peu dure qui m’avait choqué les premiers jours avait fait place à une vivacité de conversation, en même temps qu’à une félinité de mouvements et d’intonation dont j’étais à la fois surpris et charmé.

— Entrons là, me dit-elle, désignant une tente de toile devant laquelle nous passions, et dont une moitié seule se trouvait éclairée, tandis que l’autre restait dans l’ombre.

Nous nous assîmes et demeurâmes un instant sans parler. Mon émotion croissait. Tout à coup, j’eus un éblouissement et, sans réfléchir, par instinct, je me penchai vers elle et mis un baiser sur une partie d’épaule que ne recouvrait pas le châle qui la préservait de la fraîcheur de la nuit.

D’un bond, elle fut debout, et se réfugia dans la partie sombre de la tente. J’étais resté pétrifié de mon audace et effrayé de la colère que je pressentais. Toutefois, je me levai et m’avançai timidement : « Pardonnez-moi, mademoiselle, j’ai perdu la tête… Je vous ai offensée ?… » Et je me tenais à bonne distance, quoique toujours dans l’ombre.

— Ce n’est pas cela, me dit-elle d’une voix qui n’avait rien d’irrité, mais on pouvait nous voir ! Imprudent !… Ces Français !… ajouta-t-elle d’un ton moqueur.

Je continuais d’avancer et j’étais tout près d’elle. Je crois même qu’elle avait fait un pas au-devant de moi. « On pouvait nous voir », m’avait-elle dit ! Donc, si ce n’eût été la crainte d’être surprise, elle m’aurait laissé faire ? Jusqu’où ?… Cette fois, après un rapide coup d’œil jeté à l’entrée, je liai mes bras autour de sa taille et, comme elle ne cherchait pas à se dégager, je mis sur ses lèvres un baiser, en lui disant : « Vous ne m’en voulez pas, chère miss ? »

— Non, soupira-t-elle, mais prenez garde…

Je trouvai que j’avais assez pris garde et je redoublai mon baiser, que l’on reçut avec la plus entière complaisance. Je n’hésitai pas alors à avancer une langue entre deux rangées de perles qui se desserraient, et l’on me rendit de bon cœur ma caresse, la tête renversée sur mon bras. Bien plus, je crus sentir que le milieu du corps s’avançait encore plus vers moi ; alors, d’un geste machinal, tenant sa main allongée comme on fait en valsant, je posai brusquement cette main sur quelque chose qui s’agitait en moi, et qui ne laissa aucun doute à ma compagne sur le genre de sensation qu’elle me causait.

Je ne sais comment tout ceci se serait terminé si nous n’avions entendu des bruits de pas qui se rapprochaient. Nous eûmes à peine le temps de revenir au sopha de bambou, lorsqu’une voix pure et fraîche se fit entendre : « Enfin, te voilà, Dora !… Je te cherche depuis une heure !… »

En même temps, une jeune fille en robe rose entrait, après avoir dit à quelqu’un qui l’accompagnait : « Merci, monsieur, je rentrerai avec mon amie, puisque je l’ai retrouvée. »

La nouvelle venue, une jolie brune de vingt ans, assez svelte, avec de yeux et des cheveux admirables, nous regarda en souriant.

— Cher monsieur, me dit alors Dora en se levant sans le moindre embarras, permettez-moi de vous présenter ma meilleure amie, miss Flora Mac Dawell. Je l’aime comme une sœur… comme une maîtresse, ajouta-t-elle, avec un sourire un peu énigmatique. Ma chère Florie, continua Dora, M. Fonteney, ingénieur français, venu pour quelques mois dans l’Inde.

Nous nous saluâmes cérémonieusement. Dora reprit : « Ma bonne Florie, monsieur vient de me faire une déclaration… et m’a embrassée. »

— Oh ! fit celle-ci comme scandalisée.

— Et je crois que je ne me suis pas trop défendue… Monsieur sera notre ami, veux-tu ?…

Je regardai Flora, tout étonné, attendant sa réponse. Elle me tendit la main en riant : « Cher monsieur, dit-elle, je veux tout ce que veut Dora. »

— Alors, fit celle-ci en nous ramenant dans la partie sombre, embrassez-vous… comme nous, ajouta-t-elle en me regardant d’un air significatif.

Saisissant la jolie brune par la taille, j’allais l’embrasser à son tour sur la joue, pour commencer, quand elle tourna vers moi ses yeux langoureux et sa bouche sensuelle, dans laquelle je m’insinuai doucement, pendant qu’elle se renversait pâmée sur mon bras, mais en écartant plutôt, elle, le reste de son corps.

— Je vous laisse, nous dit alors Dora, faites connaissance un peu, mes amours… Au revoir, monsieur, nous nous reverrons.

Et elle se sauva, nous faisant un petit signe d’encouragement.

Cependant, mes baisers continuaient : j’étais revenu aux yeux noirs, qui avaient la douceur du velours et qui se fermaient sous mes lèvres : puis je redescendais à la bouche que l’on ne me disputait pas, et j’y faisais une caresse qui m’était aussitôt rendue. Rejetée en arrière, la voluptueuse enfant mettait sous mes yeux deux globes du plus pur ivoire qui jaillissaient d’eux-mêmes hors du corsage, et dont l’un se trouva, je ne sais comment, tout près de mes lèvres ; je n’hésitai pas à saisir et à sucer le bouton rose pendant que Flora poussait de petits soupirs. Tout à coup, elle fit un effort, se redressa et remettant dans leur prison de satin les captifs échappés, me dit d’une voix entrecoupée : « Assez, assez… je n’en puis plus… sortons… »

Et tandis que, revenu à la porte de la tente, j’attendais qu’elle fût remise, je la vis se rajuster à la hâte, arranger ses cheveux avec un peigne de poche, se passer un peu de poudre de riz sur la figure et reprendre enfin un visage plus présentable… en public. Sitôt prête, elle me fit signe d’approcher, et me saisissant la tête à deux mains elle me donna deux gros baisers sur les joues, puis me dit : « Vous serez discret, n’est-ce pas ?… »

— Oh ! mademoiselle, sur mon honneur !…

Alors, toute radieuse, elle prit mon bras et nous sortîmes de la tente pour rentrer au palais, distant d’une centaine de mètres.

— Je ne reconnais plus Dora, me dit-elle au bout de quelques instants. Elle si hautaine, si dédaigneuse ! Que lui avez-vous donc dit pour la changer ainsi ?

— Vous vous en plaignez ?

— Vilain ! vous avez bien vu que non.

— Vous vous aimez bien, toutes deux ?

— Oui ! oui, comme deux sœurs jumelles. Et ce qu’il y a de singulier, c’est que, très dissemblables de physique et de caractère, nous avons les mêmes goûts, les mêmes idées, et que souvent l’une exprime tout haut les pensées de l’autre. Mais nous avons encore une amie…

— Ah ! elle est ici ?

— Non ; elle est en ce moment dans la country et ne rentrera que la semaine prochaine. On nous a surnommées les trois inséparables.

— Et vous l’aimez comme Dora ?

— Il y a peut-être une petite différence, car avec Dora nous ne faisons qu’une, et nous nous complétons.

— Vous vous connaissez depuis longtemps ?…

— Nous nous sommes connues toutes petites, puis nous nous sommes perdues de vue, car elle est d’une condition sociale plus élevée que la mienne. Il y a trois ans, sa mère étant morte, on la mit dans une pension en France, à Neuilly où, orpheline moi aussi, j’étais déjà depuis un an. Nous y passâmes deux années et nous nous liâmes de la plus tendre amitié ; puis nous vînmes ensemble dans l’Inde, où son père occupe, vous le savez, de hautes fonctions et où je suis avec une tante qui me sert de mère… Mais nous voici arrivés ; séparons-nous. Il vaut mieux que je rentre seule au bal. Adieu, cher monsieur, et à bientôt.

Elle me sera fortement la main et disparut dans le grand hall.

Cette incroyable aventure m’avait tout bouleversé ; je n’avais pas envie de rentrer au bal, même pour les revoir. J’éprouvais le besoin d’être seul, afin de repasser dans ma tête les détails de cette troublante soirée, me demandant si ce n’était pas un rêve ou une hallucination.

Je demandai ma voiture et rentrai chez moi.

. . . . . . . . . . . . . .

Ton Léo.

II

Calcutta, 3 décembre 18…

Hier, vers trois heures, après ma sieste, au moment où, j’allais prendre mon bain, mon boy me remit une carte correspondance ornée à l’un des coins d’une feuille de fougère, et qui ne contenait que ces mots : « Attendez-moi ce soir, chez vous, à six heures. Dora. »

J’eus un soubresaut en lisant ce billet. Quoi ! la belle Dora Simpson allait venir chez moi, après ce qui s’était passé l’avant-veille au bal du lieutenant-gouverneur ?… Mais alors ?… Cependant, l’idée me vint que c’était probablement une mystification de quelques jeunes gens qui, ayant remarqué mes assiduités auprès d’elle, voulaient se moquer d’un Français. Ou peut-être était-ce une femme qui désirait compromettre Dora et me mettre dans une situation ridicule ?… Peut-être aussi la capricieuse jeune fille, excentrique et volontaire comme je la connaissais depuis la scène du jardin, éprouvait-elle vraiment, pour moi, un caprice, sur les suites duquel je n’osais pas trop arrêter ma pensée ?… Bref, j’étais fort perplexe ; mais, mon hésitation ne fut pas longue.

Bah ! me dis-je, si c’est une mauvaise farce, nous le verrons bien ! Le rendez-vous est pour six heures ; d’habitude je ne sors guère avant ; si, à six heures dix, personne n’est venu, je monte dans mon buggy et vais, comme tous les jours, me montrer au Maiden[1]. De cette façon, personne ne pourra se vanter de m’avoir fait attendre sous l’orme.

Mais je ne te cache pas, ma chérie, que je fus fort agité pendant tout le reste de la journée et qu’il me fut impossible de travailler. J’étais inquiet, impatient, énervé ; je ne me reconnaissais plus, moi, l’homme habitué aux aventures et aux bonnes fortunes.

C’est qu’elle était bien séduisante et paraissait dénuée de tous préjugés, cette ravissante Dora, Deux jours auparavant je l’avais tenue dans mes bras, seule à seule ; j’avais pu l’embrasser et elle m’avais rendu mon baiser ; de plus, elle avait consenti à des attouchements qui n’avaient cessé que par la crainte où nous étions d’être surpris. Dans le peu de temps que j’avais passé avec elle, Dora m’avait paru extrêmement avancée. Elle s’était révélée à moi comme aimant le plaisir avec passion, d’une dépravation précoce qui n’excluait ni la raison, ni la décence extérieure, et d’une science qui ne lui laissait pas ignorer les rapports sexuels, et même quelque chose de plus ; car, après ce que j’avais vu et entendu, je ne pouvais guère me tromper sur la nature de ses relations avec son amie Flora.

Qu’elle était charmante aussi, cette Flora, avec ses cheveux si noirs, ses grands yeux d’un azur profond, d’une douceur, d’une tendresse incomparable, qui parfois se fermaient à demi, comme sous l’empire d’une jouissance qu’elle savourait par la pensée ! Et quand mon souvenir se fixait sur elle, je la préférais certainement à Dora. Si celle-ci inspirait des idées de volupté, même de débauches inouïes, Flora semblait faite pour l’amour dans ce qu’il a de plus tendre et de plus délicat, sans en exclure la sensualité qui dans notre pauvre humanité, chez moi du moins, l’accompagne toujours.

J’étais tellement plongé dans mes réflexions, et hypnotisé par ma douce vision, que je n’entendis pas sonner l’heure, que pourtant j’avais appelée avec tant d’impatience. Tout à coup je tressaillis en sentant une légère pression sur mon épaule, suivie de ces mots : « Eh bien ! monsieur ?… »

D’un bond je fus debout.

— Vous, mademoiselle !… Vous, miss Dora !…

— Oui, moi, ou plutôt nous…

En effet, Flora, que je n’avais pas vue d’abord, accompagnait son amie, me regardant avec le plus troublant sourire. Dora continua avec une expression légèrement railleuse : « Ne nous attendiez-vous pas ?… moi, du moins ?… Vous avez reçu mon billet ?… »

— Cela est probable, fit à son tour Flora, en montrant du bout de son éventail les fleurs dont j’avais, à profusion, orné mon salon.

— Oui, mais je vous comprends : il n’est pas commun qu’une jeune fille du monde écrive à un monsieur qu’elle connaît à peine et vienne le trouver chez lui ; mais vous le savez, je ne suis pas faite comme les autres, moi !

— Vraiment, je ne pouvais croire à tant de bonheur…

— Qu’appelez-vous tant de bonheur, monsieur ? reprit Dora, toujours sur un ton railleur. Nous sommes venues simplement par curiosité, voir un intérieur de garçon, de Français…

Flora se mit à rire.

— Tu vois, Dora, M. Fonteney croyait déjà à une bonne fortune, peut-être même à une double bonne fortune. Est-ce bien comme cela que l’on dit en français ?…

J’étais un peu décontenancé, bien que ni l’une ni l’autre n’eût l’air hostile. Elles s’assirent sur mon sofa, tandis que je prenais place auprès d’elles sur un petit fauteuil bas en rotin, lorsque Dora me dit, d’un ton sérieux : « Vous voyez, cher monsieur, avec quelle confiance nous sommes venues, Flora et moi, nous en remettre à votre discrétion. Nous aimons à croire que nous n’aurons pas à nous en repentir et que jamais vous ne révélerez, à qui que ce soit, la visite que nous vous faisons en ce moment, pas plus que les entrevues que nous pourrons avoir par la suite…

— Oh ! mademoiselle !…

— Laissez-moi finir. Vous allez nous jurer le plus grand secret sur ce qui se passera entre nous, et nous promettre que dans nos relations mondaines, qui seront sans doute fréquentes, vous aurez le même respect pour miss Flora Barnby et miss Dora Simpson, et que vous garderez vis-à-vis d’elles la même réserve que si vous les voyiez pour la première fois.

Flora ajouta, sur un ton un peu moins solennel, mais avec un sourire plutôt mélancolique : « Les Français passent pour légers et indiscrets. »

Je me levai alors, et gravement : « Mademoiselle, fis-je en m’adressant à Dora, votre demande était inutile ; j’ignore encore pourquoi vous êtes venues toutes deux chez moi, et quelles seront les suites de votre visite ; mais je suis un homme d’honneur, et jamais je n’en aurais ouvert la bouche à personne, même si vous ne m’aviez pas demandé la discrétion. Sur quoi voulez-vous que je vous le jure ?… »

— Oui, oui, je sais, interrompit Dora, en riant, mais non, il n’est pas besoin de jurer. Nous croyons que vous êtes un vrai gentleman. Votre parole nous suffit. Maintenant, venez vous mettre là, entre nous deux, et embrassez-nous.

À peine avait-elle achevé, que déjà j’avais collé ma bouche à ses lèvres, tandis qu’elle jetait ses bras autour de mon cou et que je sentais sa langue chercher la mienne. Pendant ce temps, Flora allait poser son chapeau et son mantelet sur un fauteuil.

— Quand vous aurez fini, dit-elle en revenant vers nous.

Je me séparai à grand’peine de Dora, qui alla aussi se débarrasser de ses vêtements, et pris à son tour Flora dans mes bras, tandis que son amie se renversait sur le dossier du canapé en écartant les jambes comme malgré elle, et murmurant : « Que c’est bon !… que c’est bon !… »

Elle se pâmait, pendant que je couvrais de baisers fous le cou, les yeux, la bouche de Flora, qui s’abandonnait et m’enlaçait d’étreintes passionnées. Je sentis en même temps la main de Dora chercher, à travers mon pantalon, l’objet que tu devines, et qui y faisait des mouvements désordonnés. Je n’y pouvais plus tenir et j’allais décharger, quand Dora s’arrêtant, me dit : Nous sommes bien seuls ?… Personne ne nous dérangera ?… »

— Absolument personne, mais si vous vouliez venir dans ma chambre, nous y serions plus à notre aise.

— Oh ! oui, allons-y, dirent-elles en même temps.

À peine entrés, Flora m’entraînait vers une chaise longue, s’y asseyait, appuyée au dossier, et m’étreignait contre sa poitrine, tandis que Dora se précipitait entre mes jambes écartées — car j’étais presque couché, le dos sur le ventre de Flora.

— Et maintenant, cher ami, dit-elle en s’étendant à son tour sur moi et en cherchant ma bouche, nous sommes à vous jusqu’à huit heures. Faites de nous ce que vous voudrez.

Dans la position où j’étais, Dora sentit ma main qui allait desserrer le cordon de ma mauresque pour délivrer certain prisonnier qui se démenait furieusement. Elle ne m’en laissa pas le temps, et sa menotte alla chercher le captif qu’elle mit en liberté. Il était temps…

— Regarde donc, Florie, comme il est beau !…

En effet, M. Jacques levait fièrement sa tête et, par ses soubresauts, semblait vouloir s’élancer. Flora paraissait hypnotisée par le bijou qu’elle voyait pour la première fois, et elle laissait ma main s’égarer sous sa jupe et atteindre sa fourrure. Je sentis qu’elle s’offrait, mais au moment où j’allais mettre le doigt sur le bouton sacré, je compris que je ne pourrais plus retenir mes écluses, car Dora n’avait cessé de manier messire Priapus, dont la force de résistance était à bout. Retirant ma main d’un mouvement rapide, je saisis presque brutalement le bras de Dora qui comprit et me murmura amoureusement : « Oh ! venez, je n’en puis plus, venez me le mettre… »

Flora, un peu confuse de se voir abandonnée, devina plutôt qu’elle n’entendit, et se levant, céda sa place à Dora qui s’étendit aussitôt, la retenant près d’elle.

Pendant que rapidement je me débarrassais de mes vêtements, Dora dit à son amie : « Viens, ma petite Florie, que je te fasse jouir aussi. »

Vêtu seulement de ma chemise, je m’étendis sur Dora, qui ouvrait ses lèvres à mes baisers, et me dit : « Entre, chéri, je ne suis plus vierge, tu n’aurais que du plaisir… »

Bien qu’elle fût étroite, en deux coups de reins je fus au cœur de la place, et aussitôt près de fondre ; je voulus alors me retirer, mais d’un bras vigoureux, Dora me retint et, d’une voix entrecoupée murmura : « Reste, reste, donne-moi tout… Et moi aussi je jouis… je jouis… Ah ! tiens !… tiens !… »

Et elle resta inerte, écrasant presque, dans son spasme, entre ses doigts, le clitoris de Flora, qui poussait un cri de douleur autant que de jouissance, et se tordant, se penchait sur moi en me mordant la nuque.

— Je suis morte ! eut-elle seulement la force de soupirer. J’étais un peu honteux que la bataille fût si tôt finie, mais vraiment nous avions trop attendu tous trois, et la promptitude du dénouement prouvait au moins l’intensité de nos communs désirs.

Quand nous reprîmes nos sens, et pendant que Dora me remerciait par un doux sourire, je sentis ses fesses remuer légèrement. Maître Jacques, demeuré en bonne place, revint à la vie. Elle me dit tout bas : « Encore !… »

Et sa main droite s’agita comme pour chercher le chat de Flora et recommencer à le caresser. Mais celle-ci, qui se réservait, s’était mise à genoux à côté de moi et d’un œil avide et curieux suivait tous les détails de l’opération, qu’elle seconda du reste de son mieux, caressant d’une main légère les boules vivantes qui bondissaient sous son nez et, du bout de son doigt, chatouillait l’orifice qui s’offrait à elle : ces titillations augmentaient encore l’intense volupté qui courait dans tous mes membres. Elle avait du reste de quoi satisfaire ses regards.

Plus maître de moi, cette fois, je distillais le plaisir et le faisais durer ; je revenais au bord et du bout de mon gland je chatouillais le clitoris de Dora qui, les bras jetés autour de mes reins, me serrait contre elle à m’en faire perdre la respiration : puis je me plongeais doucement jusqu’au fond de l’abîme, pour le quitter et remonter, après quelques coups rapides, tandis que ma victime poussait de petits cris de plaisir : « Oh ! c’est bon… comme ça… oui… darling… plus vite… my love… oh ! va ! va !… Florie, chatouille-le bien… Ah ! il te fera bien jouir aussi… tiens, tiens… voilà… donne… donne… je meurs… »

Je me pâmais de mon côté, et cette fois, je l’inondai d’un torrent de… ce que tu sais bien, ma chérie, et je demeurai pantelant dans ses bras.

Quand je fus sorti de mon extase, elle se redressa, la robe et la chemise relevées, et regarda autour d’elle.

— Là, lui dis-je, vous trouverez tout ce qu’il vous faut.

Elle disparut dans mon cabinet de toilette. Au même instant, et tandis que j’étais resté anéanti sur la chaise longue, Flora sortit du lavatory, où elle était allée se purifier, et s’approcha de moi en souriant, avec une petite cuvette pleine d’eau parfumée et une éponge, en me disant gentiment : « Étendez-vous et laissez-mois faire… »

En même temps elle lavait monsieur Jacques qui, tout ratatiné, laissait piteusement pendre sa tête : elle promena l’éponge sur toute la longueur et sur les environs, sans oublier l’endroit où elle avait si à propos mis le doigt : bref, elle me fit une toilette complète que je subis, plongé dans une douce et parfaite béatitude. Cependant le contact de l’eau fraîche et de ses menottes caressantes avait rendu toute sa vigueur au cher instrument, qui commença à donner des signes non équivoques de résurrection. Flora déposa sa cuvette, et venant m’embrasser, toute joyeuse : « Là !… voilà qui est fait, dit-elle… Mais regardez comme il est beau ! On dirait qu’il est tout prêt à recommencer… Est-il joli avec sa petite tête rose !… »

Et se jetant sur lui, elle le prit entre ses lèvres, lui donnant de petits coups de langue, promenant celle-ci sur toute la longueur, essayant de mettre l’un après l’autre mes globes d’amour dans sa bouche trop petite ; puis, revenant au gland, elle l’absorba tout entier avec la colonne qui le supporte et se mit à le sucer doucement, comme pour mieux le savourer. Moi, pendant ce temps, j’avais passé une main dans sa chemise ouverte et je chatouillais les boutons de ses seins que je sentais durs et fermes.

Dora rentra à ce moment ; elle avait laissé sa robe dans le cabinet de toilette et n’avait plus que sa chemise.

— Eh bien ! c’est cela, fit-elle gaiement, on profite de mon absence pour s’amuser sans moi ! Dis donc, gourmande, ne mange pas tout, laisse-m’en un peu… Mais quelle heure est-il ?

Flora s’était relevée avec un soupir de regret et regarda la pendule ; « Sept heures moins un quart. »

— Oh ! bon, alors : nous avons encore près d’une heure. Dites donc, chéri, j’ai soif, avez vous quelque chose à nous offrir ?

J’entrai dans le salon et en rapportai un plateau, que j’avais fait préparer par mon boy, sur lequel se trouvaient une coupe pleine de jus et de grains de grenade macérés dans du porto, des biscuits et quelques bananes. Dora se mit à faire les honneurs du goûter, tandis que Flora s’asseyait sur mes genoux et penchait vers moi son gracieux visage, en disant : « Qu’est-ce que vous allez penser de nous ?… »

— Que vous êtes deux charmantes créatures et que je vous adore, lui répondis-je, en la pressant sur ma poitrine.

— Moi, ça m’est bien égal ce que vous pensez de nous, fit à son tour Dora, et je ne sais pourquoi, mais j’ai une entière confiance en vous.

Elle but ce qui restait dans sa tasse et vint se placer sur la cuisse inoccupée.

— Moi aussi, mon cher, fit câlinement Flora… Au fait, comment vous appelez-vous ?…

— C’est drôle, reprit Dora, avoir un amant dont on ne sait pas le petit nom…

— Je m’appelle Léo… mais je dois vous avouer que mon acte de naissance porte le nom bizarre de Léonard.

— Léo-nard, c’est joli ; cela veut dire que vous avez la force du lion et la ruse du renard, dit Flora.

— Alors, je suis un double animal ?…

Elle éclatèrent de rire, et Dora, qui grignotait un biscuit, faillit s’étrangler : « À boire, fit-elle. »

Flora lui tendit un verre de porto qu’elle avala d’un trait.

— Vous ne savez pas encore combien Florie est spirituelle ; autant qu’elle est jolie. Lion… renard… je n’aurais jamais songé à cela… Alors vous serez notre petit lion.

Et déclamant :

— Vous êtes mon lion superbe et généreux ? comme dans Ruy Blas.

— Ah ça ! vous savez tout ?…

— Oh ! tout… excepté ce que vous aurez à m’apprendre.

— Mais il me semble…

— Oui, oui, je sais… vous avez dû être joliment étonné tout à l’heure et peut-être même vexé quand je vous ai dit que je ne l’avais plus… C’est comme cela que l’on dit à Paris, n’est-ce pas ?…

— Moi ! non, pas du tout… Et puis, j’aime autant cela…

Sept heures sonnèrent. La collation était terminée.

— Maintenant, fis-je, les tenant toujours enlacées, si nous allions sur mon lit ?… Voyez, il est très large…

— Oui, dit Dora en riant, allons nous reposer !

— En tous cas répliqua Flora, qui avait reprit mon outil, voici un monsieur qui, lui, n’a guère envie de se reposer…

— Oh ! non, il est plutôt prêt à recommencer ses fredaines…

Toutes deux s’étaient élancées sur le lit et s’embrassaient ardemment en entrelaçant leurs cuisses. J’apportai deux gros coussins pour la commodité de nos ébats.

Dites donc, petit lion, me dit Dora au moment où je venais sur le lit, vraiment ça n’est pas beau un homme en chemise. Enlevez donc ça !

— Je ne demande pas mieux, répondis-je, mais à une condition : vous en ferez autant. Je ne vous ai pas encore bien vues.

— Oui, oui, tu veux, Florie ?…

Et sans attendre la réponse, elle lui enleva son dernier vêtement et se débarrassa du sien. Elles étaient assises, toutes nues, sur le lit.

— Oh ! je vous en prie, descendez une minute que je vous voie debout tout entières… Que vous êtes belles !…

— Voilà, fit Dora en se dressant devant moi et en entraînant Flora rougissante qui retenait d’une main, sur ses seins, la chemise qu’elle venait de quitter, et cherchait, de l’autre main à cacher le triangle d’une superbe toison noire, brillante et veloutée.

— Vrai, ma chérie, depuis que je t’ai quitté, je n’avais jamais rien vu d’aussi parfait que ces deux corps de femmes, frissonnant d’impudeur, devant mes yeux éblouis. Dora, plus grande, plus imposante, la taille cambrée nerveusement : des seins petits, piriformes, d’une pureté exquise ; une toison fauve mettant une ombre dorée sur un ventre blanc comme du marbre. Flora, un peu plus petite, plus potelée, les contours plus arrondis : un charme infini émanant de toute sa personne, quelque chose d’alangui et de caressant ; des seins bien ronds, d’une fermeté admirable, un pubis soyeux et rebondi. Quelles belles créatures !

Toutes deux se retournèrent et je pus admirer encore un torse d’une souplesse étonnante, de belles hanches, plus rondes et plus charnues chez Flora, plus vigoureusement accentuées chez Dora, mais d’un dessin également pur, et qui surmontaient chez l’une et chez l’autre deux fesses fermes, élastiques, palpitantes, d’une opulence de chair rappelant celles des femmes de Rubens.

Je me baissai et leur appliquai à toutes deux, à toutes quatre, devrais-je dire, d’ardents baisers, qui s’égaraient jusque dans les sillons entr’ouverts dont je sentais les plis se contracter sous cette caresse nouvelle. En me relevant, je vis mes deux déesses seins contre seins, en train de se passer d’ardentes langues.

— Vous nous avez assez vues, venez au lit, dit alors Flora en entraînant sa compagne sur la couche où je fus en même temps qu’elles.

— Mais un homme aussi est beau tout nu, dit Flora en me couvrant de baisers fous… et en m’enlevant ma chemise.

— Surtout dans cet état, ajouta Dora en riant ; allons, monsieur, fit-elle en s’adressant à maître Jacques, tenez vous un peu tranquille, soyez sage…

Et elle lui donna une petite tape sous laquelle le mutin eut un mouvement de révolte.

— Là, là, reprit la folle, on ne vous veut pas de mal : tenez… et elle lui donna un baiser. Mais attendez votre tour… Nous allons maintenant nous occuper de toi, ma chérie, continua-t-elle en se tournant vers Flora ; tu n’as pas eu ton compte tout à l’heure.

— J’ai pourtant bien joui…

— Parbleu, j’ai écrasé ton pauvre petit bouton ; mes doigts en étaient tout mouillés.

— Et moi, dit Flora, je crois que je vous ai mordu. Oh ! regarde donc, Dora, notre ami a l’épaule toute meurtrie. Oh ! pardon chéri : cela ne vous fait pas mal ?…

Et de sa langue, elle imbiba et couvrit de salive la morsure où je ressentais, en effet, une légère douleur.

— Étends-toi, dit Dora, en glissant sous ses reins un des coussins que j’avais apportés.

Flora, écartant d’elle-même ses jambes, mit en évidence une motte ravissante, exhiba le plus joli petit conin qu’on puisse voir, qui bâillait déjà, attendant une caresse.

Je crus que Dora voulait se réserver son amie, et je me préparai à le lui mettre, à elle, en levrette. Mais elle devina mon intention, et me dit : « Non, pas cela ; c’est vous qui allez donner votre langue au chat de notre petite chérie, pendant qu’elle m’en fera autant. »

Et se tournant de mon côté, elle s’installa sur le visage de Flora, lui prenant les seins entre les deux mains, pendant que je commençais une ardente minette à l’adorable enfant.

Dora finit par s’affaisser sur moi, et je sentais son souffle haletant, caresser mes cheveux ; Flora ne pouvait parler, mais elle laissait parfois échapper des cris étouffés, et son ventre, vers lequel Dora avait glissé une main, bondissait sous mes lèvres.

Tout à coup, ayant fouillé l’intérieur d’un énergique coup de langue et pris à pleine bouche le clitoris dans une forte succion, je la sentis se pâmer ; un double cri de jouissance retentit, tandis que Dora s’affalait en rugissant, le nez sur la toison de son amie.

J’étais remonté vers Flora toujours immobile, qui me saisit la tête à pleins bras et se mit à boire sur mes lèvres la liqueur qu’elle y avait fait couler. Dora reprit ses sens. « Oh ! chérie, dit-elle comme tu m’as fait jouir !… Et toi, tu as joui aussi, petite cochonne, tu décharges encore… attends, attends, je vais te nettoyer… »

Et passant rapidement, entre ses jambes, un mouchoir qu’elle avait eu la précaution de mettre sur le lit, elle reprit la position que je quittais à peine et recommença l’exercice lingual auquel je venais de me livrer, sans la moindre protestation de la part de Flora.

Dora, cependant, levait en l’air son superbe cul ; je fus tout de suite devant la porte qui se présentait et à laquelle Priape frappa impatiemment ; mais la lesbienne, passant rapidement la main par derrière elle, le remit dans le bon chemin.

Que te dirai-je, chère amie ?… Au bout de quelques minutes, nous nous pâmions de nouveau dans une triple jouissance, aussi intense que les précédentes… Dora sauta du lit la première et courut au cabinet de toilette.

Flora revint à elle et, quoique à moitié morte de plaisir, se précipita sur le pauvre Jacques, très affaibli, qu’elle mit dans sa bouche, pour en faire jaillir encore quelques gouttes : « C’est bon, fit-elle, en passant avec volupté sa langue sur les lèvres. Vous aimez aussi qu’on vous suce ? »

— Certainement : une jolie bouche comme la vôtre et de douces lèvres valent mieux que le plus joli des minets.

— Oh ! tenez, il relève encore la tête, ce polisson-là !…

Et se mettant à genoux, elle le reprit avidement dans sa bouche, décidément prodigue de cette caresse.

Dora revenait en chemise.

— Il est sept heures vingt, dit-elle, nous avons encore un peu de temps.

Puis, voyant l’occupation à laquelle se livrait son amie, elle s’écria : « Encore ! fit-elle… et voyez comme monsieur se laisse faire… Mais vous allez vous tuer, chéri… »

— Oh ! pour trois ou quatre petits coups !… Il me semble que je pourrais passer une nuit entière entre vous deux, à vous baiser tout le temps.

— Oui, et vous seriez sur le flanc pendant un mois. Au moins, restaurez vous !…

Elle trempa un biscuit dans du porto, et nous passa à chacun un verre de claret et une banane.

— Tiens, Flora, change de banane !…

— Oh ! fit celle-ci, en saisissant toutefois le fruit qu’on lui présentait, tu me déranges toujours !

— Croirais-tu, mon petit Léo, que Flora est encore pucelle et qu’elle ne veut pas qu’on le lui mette ?… À dix-neuf ans, n’est-ce pas honteux ?…

— D’abord, mademoiselle, je n’ai pas encore trouvé d’occasion qui me tentât…

— Et maintenant, ma petite chatte ? lui demandai-je en lui passant la langue autour de l’oreille, caresse qui la fit tressaillir.

Avec vous, cher ami, répondit-elle câlinement, je ne dis pas non !… mais pas aujourd’hui… je t’en prie : je le dirai quand j’en aurai envie…

Et déjà elle avait repris la banane vivante qui se morfondait, et de ses lèvres de velours lui rendait sa fière prestance.

— Comme tu es gourmande, dit Dora ; vous n’allez pas recommencer tous les deux, je suppose !

— Non, non, répondis-je ; c’est moi qui remerciais Flora.

— Je crois, en effet, qu’elle le mérite, répliqua Dora en riant… Et moi, on ne me remercie pas ?

— Oh ! si : vous m’avez donné plus de bonheur que je n’aurais osé en rêver. Vous êtes la plus délicieuse petite…

— Petite cochonne, dites le mot.

— Eh bien ! oui. Mais où donc avez-vous appris toutes nos expressions ?

— Je vous ai dit, je crois, que j’avais passé deux ans à Neuilly, dans une pension anglo-française. C’est là que j’ai connu Flora, et c’est à Paris que j’ai sauté le pas… Je vous conterai cela… Oh ! ce Paris !… je l’adore…

— Allons, allons, bavarde, il est huit heures moins vingt.

— Et papa, qui a du monde à dîner, reprit Dora. Je n’ai que le temps de déposer Flora chez elle et d’aller m’habiller.

— Quand vous reverrai-je ?

— Attendez… C’est aujourd’hui vendredi… je ne crois pas avant jeudi… Et toi, Flora ?…

— Quand vous voudrez…

— C’est bien long…

— Reposez-vous pendant ce temps-là… Maud en sera…

— Maud ?…

— Oui, dit à son tour Flora, Maud est la troisième amie. Ne vous ai-je pas dit que nous étions trois ?…

— Ah ! oui… Est-ce que… ?

— Oui, oui, dit Dora en riant… comme avec nous… ou plutôt comme avec Flora… Vous verrez… et puis, nous lui ferons la leçon… Allons, good bye !…

Un dernier baiser à chacune d’elles et les voilà parties…

. . . . . . . . . . . . . .

III

Paris, 8 décembre 18…

Voici maintenant, cher ami, l’aventure qui m’est arrivée mardi et dont les suites retarderont sans doute la chute inévitable à laquelle toi-même chéri, avec ta haute intelligence et ton ineffable bonté, tu m’as préparée, et dont tu m’absous d’avance, à la condition que je te dirais tout, tout, avec détails et sans réserve. Ce à quoi j’ai souscrit d’autant plus volontiers que tu m’as juré d’en faire autant de ton côté. Et tu m’as donné, mon Léo bien-aimé, la plus grande marque de confiance et d’amour que je puisse désirer en me racontant, par le menu, tes petites fredaines de voyage.

Tous mes compliments… Oh ! vous allez bien, mon cher mari… Ce n’était pas la peine de me faire si bien « assurer la navigation », comme tu appelles cela, avant notre séparation à Marseille. Mais, chéri, avant que je te dise mes impressions sur ce que tu m’as raconté si sincèrement, écoute ce qui m’est arrivé depuis l’envoi de ma dernière lettre… Non, monsieur, ce n’est pas du tout ce que vous vous imaginez.

Donc, papa et maman étaient allés à l’Opéra-Comique, voir jouer Carmen, que je suis lasse d’entendre. J’ai donc refusé de les accompagner.

Dès qu’ils furent partis, je rentrai dans ma chambre et me fis déshabiller par ma femme de chambre, une jolie brune de vingt-quatre à vingt-cinq ans que j’ai prise à mon service pour remplacer Laure, qui m’a quittée il y a quinze jours pour se marier, je crois te l’avoir écrit. Je suis très satisfaite de celle-ci : elle est adroite, très discrète, s’habille bien, a du goût dans le choix et l’arrangement des chiffons : bref, je n’ai qu’à me louer d’elle.

De temps en temps sa prunelle lance des éclairs, mais l’expression de son regard est habituellement douce, presque mélancolique. Elle m’accompagne dans mes courses aux magasins et mes promenades.

Ce soir-là, il me sembla qu’elle allait bien lentement pour retirer mes bas et qu’elle promenait ses mains du haut en bas sur mes jambes. Tout à coup, elle me dit : « Comme madame a la peau douce et fine !… »

— Vous trouvez, Thérèse ?… Je l’ai comme tout le monde…

Et je me levai pour lui permettre de dégrafer mon corsage et de me passer ma robe de chambre. Elle reprit : « Comme madame a une élégante chute d’épaules !… »

— C’est bien, je n’ai plus besoin de nous, Thérèse, vous pouvez vous retirer ; ne sortez pas et couchez vous quand vous voudrez.

Puis, sans plus m’occuper d’elle, je m’installai devant mon feu, écrivis quelques lettres sans importance à ma sœur, aux Russel pour répondre à une invitation à dîner, à ma modiste, etc. Je parcourus ensuite les journaux du soir. Bref, il était dix heures quand je me mis au lit. Avant de m’endormir, je voulus relire tes deux dernières lettres, qui me mirent dans un singulier état.

Pourquoi n’étais-tu pas là, mon cher mari ? Je baissai ma lampe en veilleuse et je me disposai à dormir. Mais le sommeil ne vint pas. La lecture que je venais de faire, la pensée des plaisirs que tu avais goûtés, que tu goûtais sans doute à ce moment même dans les bras d’une autre, me causaient une agitation que tu devines et qui éloignait le repos. Enfin, n’y tenant plus, je m’installai commodément sur le dos, ramenai mes pieds sur mes fesses, écartai les genoux, et ma main se porta naturellement vers certain endroit…

Je commençais à soupirer de contentement, les yeux clos, quand tout à coup je poussai un cri en me dressant sur mon séant : Thérèse s’approchait de mon lit, un bougeoir à la main, en chemise, la gorge nue et une simple jupe autour du corps.

— Qu’y a-t-il ?… Que voulez-vous ?… lui fis-je brusquement, très contrariée d’être dérangée.

— Pardon, madame, mais madame ne m’a pas appelée ? Il m’avait semblé…

— Mais non ; vous êtes folle ; allez vous coucher et laissez-moi dormir…

— Je vais reborder le lit de madame qui est tout défait : madame pourrait prendre froid…

Et sans attendre ma réponse, ayant posé son bougeoir sur la table de nuit, elle passa sa main sous la couverture, puis la glissa si rapidement à l’endroit où j’avais mon doigt tout à l’heure, en arrivant juste au point sensible, que je n’eus pas le temps de me garer de cette brusque attaque. En même temps, elle se jeta sur moi et me couvrit les joues, les yeux, le cou, la bouche de baisers les plus passionnés, me disant d’une voix haletante : « Pardonnez-moi, mais je vous aime, je vous adore… j’en serais devenue folle… j’en serais morte… »

La coquine !… moi aussi j’allais mourir, car son doigt allait toujours, avec une délicatesse… une science !… Je ne résistais plus, j’avais machinalement ouvert les jambes, après avoir dit pour la forme : « Thérèse ! non, laissez-moi… va-t’en… »

Mais ces mots s’achevaient en soupirs. Mes yeux plongeaient dans sa chemise où je voyais palpiter une gorge d’une blancheur éblouissante, que soulevaient des sanglots étouffés… Je jetai vivement mes bras autour de son cou et la serrai sur mon sein à l’étouffer : « Va plus vite, soupirai-je… voilà… ah !… ah !… »

… Quand je revins à moi, Thérèse était à genoux devant mon lit, pleurant à chaudes larmes, tenant une de mes mains et la couvrant de baisers : « Que madame me pardonne, je n’y pouvais plus tenir… depuis huit jours… Madame est si jolie, si charmante… Madame va peut-être me chasser demain… bien sûr… mais que madame me pardonne… »

Tout cela était dit d’une voix douce, entrecoupée de sanglots qui me remuaient. De mon lit, je voyais encore ses seins magnifiques, dont je ne pouvais détacher mes yeux.

— Mais non, Thérèse, fis-je en me mettant aussi à pleurer, je ne vous chasserai pas… Levez-vous… vous voyez bien que je ne vous en veux pas… venez m’embrasser.

Elle ne se le fit pas dire deux fois : rapide comme une flèche, elle se jeta comme une louve sur ma bouche que je lui tendais et où, cette fois, elle enfonça une langue pointue que je suçai à mon tour avec avidité, pendant que sa main recommençait son jeu, sans la moindre résistance de ma part.

Elle la retira pourtant pour me saisir la tête à deux mains, baiser mes yeux encore humides, me sucer le bout des seins, me peloter de mille façons, et je lui rendais ses caresses, autant que ma position me le permettait. Car elle était toujours à côté de mon lit, penchée sur moi, soutenant ma tête qui était presque dehors. Elle avait, sans que je m’en aperçusse, dénoué le cordon de sa jupe qui avait glissé sur le tapis, et je voyais, par le haut de sa chemise, tout son beau corps qui frémissait de désir et de volupté.

— Bien vrai, chère madame, que vous me pardonnez, que vous me laisserez vous aimer, vous caresser ? Oh ! je vous aime… je vous adore… bien plus que si vous étiez un homme…

Et elle caressait ma poitrine, le ventre, revenant à mon bouton qui se dressait, impatient d’une nouvelle jouissance. Je me dégageai cependant, lui disant : « Vous allez prendre froid, ma petite Thérèse… Et je la sentais frissonner… Viens t’étendre près de moi, viens nous réchauffer… »

— Moi, je brûle !… Attendez une minute…

Et elle s’enfuit dans sa chambre où je l’entendis faire ses ablutions bien discrètement. J’en profitai pour aller dans mon cabinet de toilette me passer un peu d’eau fraîche ; j’en avais besoin, car j’avais encore déchargé spontanément pendant nos embrassades. Quand je revins, elle était penchée sur le feu qu’elle tisonnait, et je pus voir à travers une chemise fine qu’elle venait de passer, une croupe d’une opulence rare.

— Allons, viens vite !…

Je la tutoyais à présent… de me mis au lit, où elle me suivit aussitôt. Je la saisis dans mes bras, en lui faisant des langues passionnées. C’est moi qui étais maintenant impatiente : il y avait si longtemps que je jeûnais !…

— Remonte la lampe, Thérèse, et enlève l’abat-jour que je voie comme tu es belle, comme tu es bien faite.

Et mes yeux ne pouvaient se lasser de l’admirer, pendant qu’elle s’était remise à me branler et que je lui en faisais autant. Elle m’inonda la première, en se tordant et en poussant des cris étouffés. Mais elle se ressaisit tout de suite… « Non, avec ma bouche, avec ma langue, me dit-elle… laissez-moi vous faire minette… »

Et sans attendre ma réponse, elle s’installa et promena une langue chaude, ardente, sur mon pauvre clitoris qui depuis longtemps ne s’était trouvé à pareille fête, et qui ne tarda pas à cracher sa béatitude, alors qu’elle se pâmait, car pendant ce temps-là son doigt n’était pas resté inactif.

Elle remonta vers moi et me dit câlinement : « Vous aimez cela… c’est bon, n’est-ce pas ?… »

— Oh ! oui… et toi, polissonne ?… Viens, je veux te le faire aussi…

— Oh ! non, pas ça… pas vous, madame…

— Si, si, tu m’as allumée, cochonne, je te veux… Viens…

Et je montais sur elle, je la couvris de baisers, je lui suçai le bout des seins à la faire crier, j’enfonçai mes ongles dans ses belles fesses. Elle se tordait sous moi en soupirant : « Que je suis heureuse !… que je vous aime !… que je vous aime !… »

— Moi aussi, je t’aime !… je t’adore !… Tu m’as devinée… Oh ! tu as bien fait de venir…

J’étais comme une furie ; je frottais ma toison contre la sienne à m’écorcher ; j’allais jouir encore… Je me redressai pour la regarder, en lui disant : « Que tu es belle, Thérèse !… Je ne t’avais jamais vue comme cela ; non, tu es trop belle pour une… »

— Pour une domestique, dites le mot. Oui, je suis votre domestique, votre esclave… Faites de moi tout ce que vous voudrez je suis trop heureuse… battez-moi tuez-moi… tuez-moi… je veux mourir ainsi…

Les paroles s’étranglaient dans sa gorge. Elle râlait, les yeux tout blancs : j’eus peur… j’interrompis mes caresses, je la soulevai et la fis asseoir sur le lit. Elle porta la main à sa gorge, en criant : « J’étouffe… j’étrangle… »

Je sautai à bas du lit, effrayée, et lui rapportait un verre d’eau sucré, qu’elle but presque entièrement, puis me prit les mains qu’elle embrassa. « Merci, dit-elle, de sa voix redevenue douce et naturelle. Oh ! pardon, chère madame, chère maîtresse… »

— Non, Thérèse, c’est toi qui sera ma maîtresse, mon amie, mon mari…

— Oui, je remplacerai votre mari… tant que je pourrai, tant que vous le voudrez… Vous l’aimez bien ?…

— Je l’adore… Mais il a fallu nous séparer. Quand il reviendra, tu l’aimeras aussi, tu verras comme il est beau et charmant, car lui aussi t’aimera…

— Oh ! madame !…

— Si, si, il couchera-là entre nous deux : nous le caresserons toutes les deux. Tu verras son beau membre ; il te le mettra… nous jouirons tous les trois ensemble… Mais recouche-toi, ma chatte, tu vas t’enrhumer. Es-tu mieux ?

— Oui, oui, tout à fait bien… venez vite que je vous sente là, près de moi… j’ai cru que j’allais mourir, mais c’était d’émotion, de bonheur…

— Et puis, fis-je en riant, je crois que je t’écrasais un peu.

— Oui, répondit-elle avec un sourire, c’était peut-être aussi cela.

Comme je m’étais étendue près d’elle et que ma main caressait sa fourrure soyeuse et fournie, elle écarta les cuisses, en me disant : « Oui, ça… tout ça… tout est à vous… »

Mais je fis un brusque mouvement de surprise. En mettant le doigt sur le clitoris, j’avais senti non pas un simple bouton, se gonflant plus ou moins, mais un véritable appendice, petite queue charnue qui bandait, et dont je ne m’étais pas aperçue la première fois.

— Oui, me dit-elle en m’embrassant, je l’ai très développé. C’est peut-être pour cela que je vous aime si ardemment !…

— Oh ! fais voir, ma mignonne… montre…

Elle rejeta les couvertures. Je vis alors le singulier objet : un joli clitoris rose, d’un bon pouce de longueur, qui frétillait sous mes yeux étonnés.

— C’est drôle, fis-je, on dirait une petit queue de gamin… laisse moi la sucer…

Je la pris entre mes lèvres, comme si ç’avait été la tienne. Elle ne protesta pas cette fois, et se laissa faire avec complaisance ; je la mordais et la lâchais tour à tour pour donner de grands coups de langue dans la vulve. Thérèse cependant se trémoussait convulsivement et poussait de petits cris : « Oh ! quel bonheur !… quelles délices !… pas si vite… attends… encore !… ah ! je t’aime… ta langue… ta langue… je jouis… je jouis !… »

Elle sursauta deux ou trois fois, puis resta immobile. Je repris place auprès d’elle et me réchauffai en me frottant lascivement contre ce beau corps que je sentais palpiter dans mes bras.

Je prenais à pleines mains ses seins fermes, dont les pointes se dressaient fièrement et se durcissaient entre mes lèvres : je les suçais, en chatouillant les poils sous les bras : je m’enivrais d’elle ; je lui chatouillais les oreilles du bout de mon nez, puis donnais de petits coups de langue bien délicats sur le tour, caresse délicieuse que tu m’as apprise, et qui se répand dans tout l’être. C’est moi qui lui faisais la cour, c’est moi qui la mignonnais, c’est moi qui l’aimais… ma femme de chambre !… Elle ne me rendait pas mes caresses, mais paraissait jouir délicieusement des miennes ; elle ne témoignait son bonheur que par des soupirs et des exclamations languissantes : « Que c’est bon !… Ah !… que je suis heureuse… mon ange, ma chérie, ma bien-aimée… Oui… suce… ta bouche… ta langue… donne… donne… »

Moi aussi, j’étais ivre de volupté ; j’avais passé l’une de mes jambes sous elle et je frottais ma vulve sur sa hanche. Elle se dégagea brusquement de mon étreinte : « Encore, fit-elle haletante… encore !… À mon tour… je veux encore vous faire minette… »

Et elle se glissait au fond du lit.

— Non, lui dis-je en l’arrêtant : ensemble, ensemble…

— Oui, c’est cela, faisons soixante-neuf…

— Oui, ma chérie… soixante-neuf… Ah ! cochonne, tu sais comment ça s’appelle… viens !…

Déjà elle était couchée sur moi, se soutenant sur les mains pour ne pas m’écraser de son poids, et elle commença à me lécher avec ardeur. Elle avait installé son chat sur ma bouche ; de ma langue, je cherchai le petit nerf que je tirai et me mis à le sucer avec avidité ; presque aussitôt je déchargeai et il me sembla que j’entrais tout entière dans sa bouche, et je la sentis en même temps fondre en moi. Sans rien dire, sans nous déprendre, nous recommençâmes. Quatre fois, sans interruption, nous jouîmes, nous nous pâmâmes en même temps : nous en étions arrivées à nous mordre avec fureur, à nous aspirer le clitoris, pour en extraire toute la substance et l’avaler. Nous ne sentions rien… rien qu’une jouissance ineffable… continue… et pendant laquelle il me sembla que j’allais mourir.

Je ne sais comment nous nous endormîmes dans les bras l’une de l’autre, seins contre seins, les lèvres collées…

Le lendemain matin, quand j’ouvris les yeux, Thérèse était dans ma chambre, habillée, et rangeant sans bruit.

— Déjà levée Thérèse ?… Quelle heure est-il ?…

— Neuf heures, madame.

— Ouvre les rideaux… Je suis brisée… Et toi, Thérèse ?

— Merci, madame, je vais très bien : je me suis levée tard : il était près de huit heures.

— Eh bien ! Thérèse, vous ne venez pas m’embrasser ?

On eût dit qu’elle n’attendait que ce mot. Elle se précipita dans mes bras et me couvrit de baisers fous : « Chère madame, c’est donc bien vrai ?… Je n’ai pas rêvé… C’est donc bien vrai que cette nuit… »

— Oui, ma petite Thérèse, c’est bien vrai… tu m’as dit que tu m’aimais… Je t’aime aussi… nous nous le sommes prouvé…

Je pris sa tête entre mes mains et l’embrassai follement : « Tiens, regarde dans quel état tu m’as mise !… »

Et rejetant les couvertures, je lui montrai le lit inondé et ma chemise toute mouillée : « Il faudra changer les draps. »

— Bien, madame, mais…

Je crus la deviner.

— Eh bien ! nous en changerons tous les jours, répondis-je en souriant.

Je sautais à bas du lit, mes jambes flageolaient.

— Ce n’est rien, dit Thérèse en m’emmenant au cabinet de toilette, un bon bain réparera tout cela.

… Que te dirai-je encore, cher ami ? La journée se passa dans l’attente de délices nouvelles que la nuit me promettait. J’étais un peu pâle et j’avais les yeux cernés ; au déjeuner, maman me demanda si j’étais souffrante. Je sortis seule l’après-midi, sans but ; il faisait froid. Je remontai à pied les Champs-Élysées. J’avais besoin de mouvement… jamais je ne m’étais sentie si gaie, si heureuse, depuis ton départ. J’avais toujours devant les yeux le corps charmant de Thérèse, ses cuisses satinées, ses reins souples et bien cambrés, sa gorge si développée, ses yeux d’une expression si tendre qui se fermaient sous mes baisers, et surtout cette « petit chose » si grande pour une femme, qui [se] dressait entre les lèvres roses…

Je voulais rentrer tout de suite pour la revoir et en jouir encore, puis je m’arrêtais en savourant mes souvenirs. Jamais je n’avais éprouvé pareil bonheur… pardonne-moi ce sacrilège, mon ami, mais, à ce moment-là j’aimais Thérèse autant que toi.

Mais mes scrupules s’apaisèrent quand je pensais qu’au même instant tu étais peut-être dans les bras de quelque bayadère, ou d’une sentimentale Anglaise qui te consolait de mon absence…

Non, je ne croyais pas que l’on pût ressentir de pareilles émotions entre les bras d’une de ses semblables, car ni mes polissonneries de jeune fille avec mes amies de pension, ni même les jouissances de cette fameuse nuit que nous passâmes avec Berthe, toi en tiers, et où tu te conduisis si vaillamment (huit fois monsieur !), ni le mois que notre cher Gérard passa avec nous, et pendant lequel il fut mon mari autant que toi, rien de ce que j’avais fait alors avec une femme n’approchait de ce que cette Thérèse, si douce, si lymphatique en apparence, m’avait fait éprouver. Et c’était bien de l’amour, de l’amour intense, le plus tyrannique et le plus absorbant que j’avais pour elle…

Rassure-toi, cher Léo, les hommes n’existent plus pour moi, et ce ne sera pas de sitôt que je te ferai cocu… car je compte pour rien ma petite escapade avec le compagnon de voyage qui me retint une nuit à Lyon, lorsque je venais de te conduire à Marseille, et mes deux ou trois passades avec l’officier que j’avais rencontré au théâtre, et qui m’amusa quelques jours : le cœur n’y était pour rien, et je ne les reconnaîtrais peut-être pas si je les rencontrais, ni eux non plus, sans doute.

Tu vois, mon mari adoré, combien je suis franche avec toi ; tu m’as tout permis pendant ton absence, en me recommandant seulement trois choses : de ne rien faire qui pût compromettre ma réputation, ma santé, ou l’amour infini que j’ai pour toi. Sois sans crainte, mon Léo, je t’adore, tu es mon Dieu : n’est-ce pas toi qui m’as créée, qui m’as fait connaître le bonheur sous toutes ses faces ? Absent ou présent, tu es toujours dans mon cœur et, malgré tout ce que je viens de t’écrire, je t’aime, je t’aimerai toujours… plus que toutes les Thérèses du monde.

Amuse-toi bien, mon ami, car je sais que tu travailles bien aussi. As-tu un sérail, mon pacha ? Montre à ces étrangères ce qu’un Français peut faire quand il est aussi beau, aussi robuste, aussi charmant que toi : ménage seulement ta santé et tes forces.

Je finirai ma lettre (un volume !) demain, jour du courrier.


Samedi 19

… La dernière nuit, mon chéri, n’a guère ressemblé à la précédente. Écoute plutôt :

J’avais été dîner avec mes parents chez les Brosselard ; je me sentais énervée et toute troublée encore par mon aventure de la veille ; je mangeais distraitement, sans m’apercevoir que je buvais peut-être un peu trop de ce Saint-Georges que tu connais et qui me monte si facilement à la tête. Moi qui, d’ordinaire, ne suis jamais pressée de rentrer le soir, en pareille circonstance, prétextant une migraine, je demandai, une heure après qu’on se fût levé de table, à rentrer à la maison.

Thérèse m’attendait dans ma chambre, mais elle était si profondément endormie sur un fauteuil, qu’elle n’entendit pas la voiture entrer dans la cour, ni le bruit que je fis en ouvrant la porte. Je restai un instant à la contempler ; qu’elle était jolie, en toilette de nuit, enveloppée dans une robe de chambre mauve à moi, bien capitonnée, la tête renversée sur le dossier de la chauffeuse, le cou tendu, bien charnu, la gorge saillante, les lèvres entr’ouvertes. Je ne pus m’empêcher de lui donner un baiser sur la bouche, avec un petit bout de langue que j’agitai tout doucement… Elle se laissa faire un instant, sans se réveiller, et son visage prit une expression d’exquise béatitude. Puis elle ouvrit les yeux et resta un instant ahurie ; revenue à elle, elle fut aussitôt debout : « Vous, madame, déjà ?… Quelle heure est-il donc ?… Je rêvais… »

— Et à quoi, ou à qui, mademoiselle ?…

— Pouvez-vous le demander ?… À vous, à nos folies de la nuit dernière… Y avait-il beaucoup de monde à ce dîner ?… Vous êtes-vous bien amusée ?… On vous a bien fait la cour ?… bien sûr, vous étiez la plus jolie !…

— Oh ! non il y avait là la baronne Paville qui, avec ses trente-sept ou trente-huit ans, est encore vraiment admirable… On dit qu’elle n’aime que les femmes…

— Oui, je sais… elle a cette réputation : prenez garde à vous…

— Folle !… Il y avait aussi sa fille Léa, qui fait son entrée dans le monde : elle est merveilleusement jolie et paraît avoir un caractère charmant…

— Si vous alliez en devenir amoureuse ?…

— Thérèse, vous me faites de la peine…

— Oh ! madame, pardon, je plaisantais…

Elle avait fini de me déshabiller et j’allais me mettre au lit ; prenant un bougeoir, elle me dit tristement bonsoir ; je le lui souhaitai également, et la vis partir les yeux pleins de larmes. À peine avait-elle fait quelques pas, que je partis d’un éclat de rire, en lui disant : « Mais pose donc ce chandelier, petite dinde !… Alors tu crois que je t’ai dis bonsoir sérieusement, et que tu vas me quitter ainsi ?… »

Je lui ouvris les bras dans lesquels elle se précipita.

— Méchante, fis-je en l’entraînant vers un fauteuil où je m’assis ; puis la prenant sur mes genoux et la dorlotant comme un bébé : demandez pardon, vite…

Collant sa bouche sur la mienne, elle murmura : « Pardon, pardon… que vous êtes bonne !… »

— D’abord, lui dis-je en défaisant son peignoir, tu m’ennuies avec tes « vous » et tes « madame ». Quand nous sommes seules, j’entends que tu m’appelles « Cécile » et que tu me tutoies ; tu entends, je le veux !…

— Oui, ma Cécile, je t’aime !

— Enfin !… À la bonne heure !…

Nos bouches s’unirent ; je relevai sa chemise pour palper ses fesses, parcourir ses flancs moelleux de mes mains avides, caresser ses seins rebondis dont je roulai les bouts sous mes doigts.

— Je n’ai pas très chaud, lui dis-je, en la remettant debout, pour m’approcher du feu.

— Mais, vous ne me laissez pas le temps… Venez que je vous réchauffe…

— Encore vous !… Thérèse je vais me fâcher.

— Viens à ton tour sur mes genoux, viens ma chatte…

Et intervertissant les positions, c’est elle qui me fit asseoir, fesses nues, sur ses cuisses nues : « Comme tu as la peau douce… comme tu sens bon, ma bien aimée… »

J’étais tellement énervée que je me dégageai de ses bras, et lui dis : « Montre-le-moi, Thérèse, ton… petit chose… ton clitoris… C’est un vrai petit membre… je ne l’ai pas bien vu, je veux le revoir… »

Aussitôt elle se mit debout, écartant les jambes en se retroussant. Je me mis à genoux devant elle, en m’exclamant : « Oh ! comme tu as du poil !… quel amour de chat !… »

Et je l’embrassai… Je pris son clitoris entre mes doigts ; au repos, il n’était guère plus gros que le mien, mais je le sentais s’allonger sous ma caresse : « Tiens, tu sens… il s’allonge… il remue… oh ! viens… que je le suce… »

Thérèse me saisit les cheveux à poignée, en s’écriant : « Oh ! non assez, assez !… tu vas me faire jouir !… »

— Regarde-le devant la glace… je veux que tu le voies ainsi…

— Mais je le connais bien…

— Ça ne fait rien, c’est toujours beau à voir… Polissonne, tu le connais… je parie que tu t’es souvent chatouillée en te regardant devant une glace… dis, pas vrai ?… Tu t’es branlée ainsi ?… Moi, je l’ai fait souvent quand j’étais jeune fille…

— Comme tu dis cela crûment, fit-elle en souriant.

— Oui, ma Thérèse, c’est comme ça : dans la journée, tu me garderas le respect pour qu’on ne s’aperçoive de rien. Mais quand nous serons seule à seule, comme ce soir, nous dirons des cochonneries nous en ferons…

— Oh ! Cécile !…

— Je te scandalise, mais ça m’est égal. Pourquoi m’as-tu excitée ?… Pourquoi as-tu réveillé mes sens qui étaient assoupis ?…

— Oh ! fit-elle d’un air de doute.

— Oui, mademoiselle, n’es-tu pas venue me trouver dans mon lit ?…

Elle ne répondit pas, et cacha sa figure entre mes nichons. Oui, je me branlais à l’intention de mon mari… Tu es venue m’achever… Et maintenant que nous nous connaissons, nous ferons des horreurs… nous dirons des cochonneries, nous en ferons de toutes sortes… Aimes-tu dire des cochonneries ?…

— Pas trop…

— Tu aimes mieux en faire !… Eh bien ! moi j’aime tout : faire et dire…

Je m’excitais sans savoir pourquoi : je criais et me démenais par la chambre. Thérèse me regardait, toute surprise.

— Mais, dit-elle, on peut s’amuser sans…

— Ah ! s’amuser ! m’écriai-je en m’animant de plus en plus… alors, ce n’est que pour vous amuser que vous êtes venue me branler ?…

— Cécile, ma chérie, calme-toi…

— C’est pour t’amuser seulement que tu as couché avec moi, que nous nous sommes léchées, sucées, que mes yeux sont entrés dans les tiens… pour t’amuser, garce !…

Je marchais à grands pas autour de la chambre, je riais, d’un rire saccadé… J’étais grise, tout bonnement, des vins que j’avais bus au dîner, et aussi d’émotion sensuelle. Thérèse s’en aperçut, et me dit en me prenant doucement par la taille : « Viens te coucher, ma chérie. »

Je la repoussai assez violemment et me plantai devant elle, en m’écriant : « Je t’aime, vois-tu… je t’aime maintenant, Thérèse, plus que tout au monde, plus que mes parents, plus même (qu’il me pardonne !) que mon Léo que j’adore pourtant… Avec toi, c’est un autre genre d’amour plus aigu, plus intense, plus violent, qui me tient au cœur… Oh ! que je t’aime !… que je t’aime !… »

Et je tombai aux pieds de Thérèse stupéfaite, en fondant en larmes. Sans rien répondre, elle me laissa pleurer silencieusement, tenant près de ses lèvres mes mains, sur lesquelles je sentis aussi couler ses larmes.

Après cette crise de larmes, je me sentis plus calme. Je me laissai mettre au lit comme un enfant. Thérèse me rejoignit, après m’avoir préparé une tasse de thé.

Dès qu’elle fut couchée près de moi, je la serrai dans mes bras pour la réchauffer ; son poil se mêlait au mien et je lui donnai un long baiser, en disant : « J’ai été méchante, ma petite Thérèse !… je t’ai fait pleurer… tu me pardonnes, chérie ?… »

— Oh ! chère adorée ! vas-tu mieux maintenant, mon ange ?…

— Oui, assez bien ; j’étais un peu grise…

Et nos langues ne cessaient de frétiller.

— Tu bandes, Thérèse !… je sens ton affaire qui se redresse… Oh ! mets-le moi !…

— Non, mon amour, dormons… vous allez vous rendre malade… demain !…

— Ma chérie, je t’en prie… une petite fois…

Nous étions toutes deux, ventre contre ventre ; nous entremêlâmes nos jambes et je sentis son clitoris, à l’entrée de mon vagin, aller et venir à l’angle supérieur des grandes lèvres et exciter le mien dans une caresse régulière. Elle me baisait à la paresseuse ! Au bout de quelques minutes, nous nous pâmâmes en même temps, et… nous nous endormîmes enlacées.

Voilà, chéri, le récit fidèle de mes deux premières « nuits de noces » avec Thérèse. Qu’en dis-tu ?…

Je t’envoie un million de tendres caresses.

Ta Cécile.

IV

Calcutta, le 10 décembre 18…

Le jeudi, à cinq heures, Flora entrait dans ma chambre, accompagnée d’une petite personne vêtue d’un long manteau en drap léger, la tête garnie d’une écharpe de dentelle blanche qui lui couvrait la moitié du visage.

En me tendant la main, je lui demandai aussitôt pourquoi Dora n’était pas avec elles.

— Notre pauvre amie est souffrante et ne peut pas venir aujourd’hui.

Puis, voyant mon regard se fixer sur celle qui l’accompagnait, elle me dit, en la désignant : « Cher ami, c’est la troisième : c’est Maud !… Ma chère Maud, fit-elle d’un ton comiquement solennel, permettez-moi de vous présenter mon grand ami M. Léo Fonteney, ingénieur, venu de France pour diriger des travaux dans l’Inde. »

Je saluai ; le petit paquet me fit une révérence cérémonieuse. Flora reprit, non moins sérieusement : « Cher monsieur, je vous présente miss Maud Clemenson, ma meilleure amie avec Dora Simpson. »

Nouvelle révérence, et shake-hand vigoureux.

— Et maintenant, reprit Flora en me sautant au cou, que les présentations sont faites, amusons-nous…

— Et la lettre, Flora ! dit Maud.

— Ah ! c’est vrai ! étourdie que je suis, je n’y pensais plus… Tenez, fit-elle, en sortant de son corsage un petit papier parfumé : c’est une lettre que Dora m’a dit de vous remettre.

Je reconnus aussitôt la branche de fougère, et ayant déplié le papier, qui n’était point cacheté, je lus :

Cher ami, une indisposition de quelques jours m’empêche absolument d’être des vôtres aujourd’hui. Mais je ne veux pas vous priver du plaisir de faire connaissance avec cette gamine de Maud, qui, sur ce que nous lui avons raconté, est aussi impatiente de vous connaître que vous pouvez l’être au naturel.

Amusez-vous donc bien — sans moi, hélas ! car je souffre horriblement les deux premiers jours — mais je vous prie instamment de ne pas faire avec elle tout ce que vous avez fait avec moi : elle est vraiment trop jeune et pas assez formée. Je la connais, le petit monstre… elle est fille à vous le demander peut-être, et à vous offrir un sacrifice auquel vous ne tenez probablement pas beaucoup. Mais je vous en prie, cher ami, résistez-lui, résistez à vous-même, et s’il vous fut un ordre, je suis votre maîtresse, monsieur, je vous l’ordonne. Du reste. Flora sera là.

Quant à celle-ci, je vous la livre : allez, avec elle, aussi loin que vous voudrez, mais je doute qu’elle consente à aller jusqu’au bout… aujourd’hui ; cela viendra, soyez-en sûr, je l’ai à peu près décidée et vous l’avez touchée.

À samedi, n’est-ce pas, au garden-party du lieutenant-gouverneur ?…

Mille tendres baisers partout où tu voudras.

Votre sweet heart.

Après cette lecture, je levai les yeux sur Maud qui, s’étant débarrassée de son écharpe et de son manteau, me regardait toute souriante.

Je poussai un cri de surprise ; j’avais devant moi la plus ravissante petite femme que l’on puisse voir, elle ne dépassait pas l’épaule de Flora ; on eût dit une enfant de douze à treize ans qui aurait été formée : sa gorge, que je voyais à travers la mousseline de sa robe, était bien bombée et paraissait bien fournie ; ses hanches développées, ses fesses très apparentes. Et sur tout cela, une tête couverte de cheveux blonds frisonnants en nuage, des yeux bleus pétillants de malice, un petit nez fripon, une petite bouche rose, qui semblait faite pour des baisers, une peau d’une blancheur d’ivoire, un air candide et mutin à la fois, un amour enfin, ou plutôt l’Amour lui-même…

La chère enfant ne se trompa pas sur l’impression qu’elle me causait, car je la vis rougir sous mon regard.

— Eh bien ! me dit Flora qui me souriait, heureuse de ma surprise et de mon ravissement…

— Oh ! chère aimée, répondis-je en la serrant dans mes bras, les mots me manquent pour vous exprimer toute mon admiration.

— Et toi, Maud, demanda-t-elle en anglais, que dis-tu de notre ami ?…

— Moi ?… voilà ! répliqua la gamine en me sautant au cou et en collant sa bouche sur la mienne.

Sauter est le mot, car elle se suspendit à mes épaules en croisant ses jambes derrière mon dos. « Je parie, me dit-elle à l’oreille, que je sais ce que vous a écrit Dora. »

— Dites !…

— Elle vous recommande de me ménager…

— Peut-être bien, répondis-je en riant.

— Et vous lui obéirez ?…

— Oui ! mais avec peine, je dois vous le dire…

Je n’avais qu’une longue robe de bain en léger drap-éponge. J’attirai Maud sur le sofa, l’asseyant, sur ma cuisse, en la lutinant : « Montrez-moi votre langue, lui demandai-je ?… »

Et Maud tira un joli petit bout de langue rose et pointu, que je pris entre mes lèvres et me mis à sucer, pendant qu’elle passait la main par l’ouverture de ma robe et que je lui caressais la poitrine. Flora s’était accroupie à nos pieds et s’amusait avec son ami Jacques, sans que je parusse m’en apercevoir.

— Quel âge avez-vous Maud ?

— Seize ans bientôt… et cette méchante Dora qui dit que je suis pas assez formée !… Je sais bien que je suis femme, et depuis plus de deux ans déjà. Regardez-moi !…

Et sans hésiter, elle ouvrit son peignoir, fendu du haut en bas, fermé seulement par une ceinture qu’elle dénoua en un tour de main.

Je fus éblouis à la vue de ce corps charmant, de proportions admirables, et déjà en effet, formé ; les seins bien ronds, bien accusés, étaient un peu moins gros que ceux de Dora, et la saillie des mignons boutons roses indiquait suffisamment que ses deux amies les avaient bien des fois sucés et fait sortir de leur alvéole. Au bas de tout cela, une jolie toison d’or pâle, déjà abondante, mais frisée, douce et soyeuse comme du duvet de cygne : les cuisses rondes et fortes, les mollets bien fournis complétaient un effet ravissant, et les expressions me manquent pour t’en faire une description exacte, comme pour te dire ce que je ressentis à cette vue.

Je couvris de baisers cette gorge adorable ; je mis ma main sur cette motte rebondie que je caressai, ainsi que les cuisses, qui s’écartèrent, et je plaçai aussitôt mon doigt sur le petit bouton et l’agitant doucement : « Oh !… Flora… comme c’est bon !… viens m’embrasser… viens !… »

Et les gémissements de la charmante enfant témoignaient de la volupté qu’elle ressentait.

Flora, abandonnant le joujou avec lequel elle s’amusait, se précipita sur la bouche de Maud, pendant que celle-ci lui pelotait la gorge, puis portait la main au clitoris de son amie… Je sentis que la mignonne allait fondre : enfonçant alors mes deux doigts dans son conin qui bâillait et qui fit, à cette entrée, un bond de surprise, j’achevai mon œuvre en frottant énergiquement le petit clito, qui fondit en larmes.

Je portai aussitôt ma bouche sur l’endroit que ma main venait de quitter et bus longuement l’âme de la petite, pendant que Flora, s’affaissait sous la caresse persistante de Maud.

Ma bouche cependant était restée collée sur les lèvres de corail ; ma langue recommença à se promener doucement sur le point sensible, sans que la belle, délicieusement surprise, fit un seul mouvement pour l’arrêter. Flora, qui s’était relevée, revint à la bouche de Maud et, au bout d’un instant, reçut dans la sienne les soupirs de bonheur qui s’exhalaient de nouveau du sein de la gosse, dont je sentais les fesses se tortiller sous ma succion passionnée.

— Quelle ravissante créature ! dis-je à Flora, pendant que Maud courait se purifier, nous exhibant un joli petit cul, rond et rosé.

— Oui, répondit-elle, tout ce qu’il y a de plus charmant, vive, enjouée, espiègle et bonne !… Je la trouve parfaite…

— Dites-moi, chérie, ne penses-tu pas que la mignonne pourrait supporter le choc ?… Je crois m’y connaître, et…

— Ah ! polisson ! interrompit Flora, vous avez envie de prendre ce gentil pucelage !… Eh bien ! oui, je crois qu’elle peut te le donner ; elle est très robuste… mais pas aujourd’hui, je t’en prie… parlons-en d’abord à Dora.

— C’est bien mon intention ; d’ailleurs je vous l’avais promis. Mais toi, mon ange, tu ne veux donc pas ?…

— Si, répondit-elle en m’entourant le cou de ses bras et en fixant sur moi ses beaux yeux avec une indicible expression de tendresse ; si, mon amour, je suis à toi, quand tu voudras… Mais je désirerais que mes deux chéries fussent là. Attendons Dora, veux-tu ?

Maud revint en courant et se jeta dans mes bras. « Oh ! cher ami, que c’était bon !… Comme vous m’avez fait jouir !… Je voudrais bien vous rendre le plaisir que vous m’avez donné ; comment faire ?… »

Eh bien ! dit Flora en riant, rend-lui la pareille.

— Oh ! est-ce qu’on peut aussi… branler un homme ?… comment s’y prend-on ?…

— Cherche, dit Flora,

Je m’étais replacé sur la chaise longue, ma robe de chambre toute ouverte ; Flora s’était remise à mes pieds, me caressant les bourses, tandis que, de la main gauche, je lui pelotais les seins ; j’avais passé le bras droit autour de la taille de Maud, qui saisit mon membre à pleine main. « Oh ! regarde, Flora, comme il est redevenu gros et dur… Qu’il est beau !… »

Et ayant amené sa menotte jusqu’au bout du gland, elle le lâcha brusquement ; maître Jacques, tel un ressort, revint me frapper le ventre. Elle recommença plusieurs fois le jeu. Puis elle s’amusa à faire aller régulièrement ses doigts sur le prépuce, couvrant et découvrant le gland.

— C’est ça, lui dit Flora… va un peu plus vite…

Et Maud, activant le mouvement, colla ses lèvres aux miennes…

Je commençais à avoir la respiration plus courte, Maud m’observait curieusement, portant son regard de mon priape à mon visage. Tout à coup, je lui saisis brusquement la main, en criant : « Arrête !… arrête !… ou je vais décharger… »

Elle me regarda, surprise : « Non, non, dit-elle, je veux voir comment ça sort… car on m’a dit qu’il sortait quelque chose… »

Elle avait à peine recommencé, que je la serrai fortement et que cinq à six jets superbes de bonne liqueur s’élancèrent en l’air.

— Oh ! que c’est amusant, s’écria Maud, en frappant des mains… quelle vigueur !…

Flora s’était précipitée sur l’objet pour en aspirer les dernières gouttes…

— Comment cela s’appelle-t-il, en français, demanda Maud ?…

— Du sperme.

Sperm ! mais c’est un mot anglais… n’y a-t-il pas un autre mot en français ?…

— Si !… en langage vulgaire, on dit : du foutre.

— Du foute !… foute !… comme c’est drôle…

— Mais non, lui dis-je : foutre, en faisant sonner l’r.

— Foutrrrre, répéta-t-elle, en faisant, à son tour, rouler l’r, avec un sérieux tout à fait comique ; du foutrrre… je veux en goûter aussi… donne, Flora…

Elle repoussa la tête de son amie et se mit à sa place, puis pressa entre les doigts monsieur Jacques qui n’était pas bien fini, car préoccupé des questions de la gosse, je n’avais pu remarquer ce que faisait Flora. Une grosse goutte perla encore à l’orifice, et Maud, après un mouvement d’hésitation, la cueillit du bout de sa langue. « C’est salé, dit-elle en riant, mais c’est bon… »

— Eh bien ! ma chère petite, je t’en donnerai autant que tu en voudras. En attendant, prenons quelques réconfortants.

Et m’étant rajusté, j’allais au salon prendre un plateau rempli de bonnes choses, préparé par mon boy. Pendant que nous grignotions quelques gâteaux, Flora emplit un verre d’alicante que Maud but en le sirotant. D’un second verre, Flora ne but qu’une gorgée qu’elle garda dans sa bouche, et, s’approchant de moi, me l’offrit ainsi à humer sur ses lèvres. Nous recommençâmes plusieurs fois le jeu en alternant.

— Oh ! que c’est drôle ! s’écria Maud, en dansant et frappant des mains, moi aussi, je veux…

Et s’approchant de moi, la bouche pleine, elle voulut me faire boire comme le faisait Flora ; mais à peine ses lèvres se furent-elles approchées des miennes que tout le liquide s’échappa, m’éclaboussant le visage, aux éclats de rire immodérés des deux petites folles.

Je ne pus m’empêcher de rire aussi en m’épongeant, mais je lui criais : « Attendez, polissonne… je vais vous fouetter… »

Je la poursuivis en riant, la voyant serrer sa robe sur ses petites fesses : je la rejoignis près du lit, sur lequel elle s’affala, me présentant ainsi l’endroit approprié. J’eus vite fait de la retrousser et de mettre à nu un joli petit fessier, sur lequel j’appliquai quelques claques assez vigoureuses, qu’elle reçut avec de petits rires étouffés. Tu sais, ma chère amie, que c’est là un stimulant pour le plaisir. Je vis alors ses jambes s’écarter, et j’allongeai le bras gauche par devant pour lui donner une caresse à laquelle ma main droite venait de la disposer.

Pendant toute cette scène, j’avais délaissé Flora : puis quelle ne fut ma stupéfaction, en me retournant, de voir cette dernière faire, au milieu de la chambre, quelques acrobaties. Maud me regardait en riant follement, jouissant de mon étonnement. « Ah ! ah ! chéri, s’exclamait-elle alors, vous ne saviez pas que Flora était une excellente acrobate ?… Oh ! ma chérie, j’ai une idée : fais la croix de Saint-André… »

Docile, la charmante fille se mit sur ses deux mains et s’y soutint, les jambes écartées légèrement fléchie au dessus de sa tête. Tout cela fut fait bien plus promptement que je ne puis l’écrire.

Vivement, Maud avait débouché le flacon d’alicante, et en versa le contenu dans la conque de Flora, qu’elle ouvrit le plus possible de la main gauche, et me dit : « Buvez !… »

Sans me le faire répéter, je me précipitai sur la coupe vivante dont j’aspirai le liquide avec délices, tandis que, non moins prompte, la petite Hébé léchait ce qui coulait le long du ventre. Au bout d’un instant, Flora, s’écroula entre mes bras, en murmurant : « Oh !… assez !… assez !… je jouis !… oh !… »

Quant à moi, tombant à genoux, je continuai à pomper de mes lèvres avides le mélange délicieux qui ruisselait du corps de l’adorable bacchante.

Lorsqu’elle se releva, ce fut pour courir au cabinet de toilette, où je la rejoignis bientôt. Nous avions tous deux besoin d’une purification sérieuse.

— Je suis morte, me dit-elle…

— Pauvre chérie !… cela vous a fatiguée ?…

— Oh ! non, ce n’est pas cela… c’est d’amour et d’ivresse voluptueuse…

Elle tourna vers moi ses yeux pleins de langueur pour un long baiser qu’elle me rendit avec usure.

— Allons sur le lit nous reposer un instant, dis-je.

Maud nous y avait précédés, nue comme un chérubin, frileusement blottie sous le drap. Nous demeurâmes ainsi pendant un quart d’heure environ, plongés dans un anéantissement délicieux.

Je te laisse à penser, chère amie, si entre ces deux corps tièdes et moelleux, maître Jacques était disposé à dormir ; d’autant plus que Maud, feignant de vouloir sommeiller, l’avait pris dans sa menotte, et que Flora, le bras gauche étendu sur ma poitrine, avait, de sa main droite, saisi mes deux globes encore pleins. Bientôt maître Jacques gonfla la tête et remua avec impatience…

— Je vous croyais fatigué, dit Maud, rompant le silence.

— Mais non, mignonne, et je veux…

— Dites-moi, dear sweetheart, c’est du féminin, cette chose-là, n’est-ce pas ?…

— C’est aussi du masculin, chère Maud, rectifia Flora.

— Ah ! ça, tu ne dors pas non plus, toi ?…

— Attends, je vais te montrer si je dors…

Et se redressant sur les genoux, elle allait m’enjamber, sans doute pour aller corriger Maud, mais je la saisis quand elle fut à mi-chemin, en lui passant la main par derrière entre les deux jambes, de telle sorte que j’avais quatre doigts dans ses poils et que mon pouce se trouvait juste sur son petit trou mignon où il chercha à s’enfoncer.

— Ah ! fit-elle en s’arrêtant et en se prêtant à cette manœuvre, j’aime assez qu’on me mette le doigt là… Mes chéries me l’ont souvent fait pendant qu’une d’elles mettait sa langue sur mon clitoris…

— Je le crois bien, répondis-je, les deux choses se complètent ; avec le doigt, ça s’appelle faire postillon, ou postillonner…

— Moi aussi, dit Maud, j’aime ça, postcuillonner

— Mais, ma chère Flora, continuai-je, puisque tu ne veux pas être dépucelée aujourd’hui, je vais te l’introduire dans ton petit trou de derrière… et tu seras tout de même vierge… jusqu’à nouvel ordre…

— Oh ! dit-elle, est-ce possible ?… Une pareille grosseur !…

Et elle serrait fortement dans sa main l’instrument de son supplice.

— Mais oui, c’est possible, fit Maud d’un ton sentencieux ; tu sais bien qu’il y a des hommes qui le font entre eux, et je ne crois pas qu’ils l’aient plus large que nous… Tu sais bien, sir Duncan Simpson, le père de Dora…

— Veux-tu te taire ! mauvaise langue, dit Flora, en donnant une claque sur les fesses de l’indiscrète blondinette.

Je les regardais toutes deux, très surpris.

— Eh oui ! me dit Flora à l’oreille, sir Duncan passe pour avoir ce vice ; il a un assez joli petit Eurasian[2] de seize à dix-huit ans, qui ne le quitte pas… Beaucoup d’autres Anglais font de même… aussi leurs femmes leur rendent-elles la pareille entre elles.

— Que m’apprenez-vous là, chère amie !… Et Dora le sait ?…

— Elle s’en doute !… aussi, n’a-t-elle avec son père que des rapports strictement officiels. Comme elle a une grande fortune personnelle, dont il la laisse absolument maîtresse, elle habite dans un pavillon indépendant du bungalow de son père et vit complètement à sa guise, sans qu’il lui fasse la moindre observation ; elle se borne à faire correctement les honneurs de la maison.

— Enfin, dis-je pour conclure, ce sont leurs affaires et cela ne nous regarde pas. Ainsi, veux-tu essayer, chère Flora ? demandai-je, en ramenant la conversation au point d’où elle avait dévié, pendant que Maud, un peu confuse de son indiscrétion, s’amusait avec maître Jacques pour lui faire prendre patience.

— Mais ça va me faire horriblement mal ?…

— Je t’assure que non, chère amie… du reste, nous allons prendre quelques précautions.

Je dis un mot à Maud, qui disparut aussitôt.

— Et vous croyez, reprit Flora que c’est possible et même facile ?…

— Possible, chère enfant, j’en suis sûr… facile, je ne sais, mais je crois, dis-je en introduisant mon index qui pénétra sans grand effort dans le petit réduit. Mais descendons du lit et viens sur le fauteuil, ce sera plus commode…

Résignée, la chère victime se laissa mener, et la tête appuyée sur son bras je la fis se courber sur le fauteuil : elle me présenta une superbe mappemonde, comparable à la tienne, ma chère Cécile.

— Ma Flora bien-aimée, ce que je vais faire sera pour ton plaisir plutôt que pour le mien, car, bien que le jeu me plaise, tu éprouveras, j’en suis sûr, une volupté intense… surtout si cette gamine de Maud veut bien te prêter, par devant, le secours de sa petite langue de chat… Pour commencer, tu souffriras peut-être un peu, mais…

— Fais donc vite, mon chéri, j’aurai du courage…

Maud prit alors, au bout du doigt, un peu de vaseline que je lui avais envoyé chercher, et l’enfonça profondément dans le petit trou de son amie ; la patiente commença à frémir de plaisir ; puis, sur mon indication elle continua à lubréfier les bords de l’étroit abîme.

— À mon tour, maintenant, lui dis-je.

La charmante enfant comprit et se mit à enduire de salive maître Jacques, qui ne se tenait plus. Quand il fut bien humecté, tout gonflé de désir, il se présenta à l’huis qui s’ouvrait pour l’absorber, mais il eut de la peine à s’introduire. La pauvre Flora étouffait ses plaintes et secondait de son mieux mes efforts… « Pousse !… pousse !… » disait-elle pour m’encourager.

Tout à coup je poussai un cri de soulagement auquel répondit un gémissement de la victime… j’étais enfin au cœur de la place…

— Et maintenant, Maud, à ton poste !…

Elle alla immédiatement s’asseoir entre les jambes de Flora, et se mit à la minetter avec adresse, tandis que je commençais mon mouvement de va-et-vient, en serrant fortement les nichons de la chère Flora, qui dit au bout de quelques secondes : « Oh ! mais c’est délicieux… je ne me doutais pas… J’ai bien souffert un moment… Maud… un peu plus vite… ta bonne langue… oh ! cher ami… je te sens bien… Quelle volupté extraordinaire !… oh ! mon ami… mon chéri… mes bien-aimés… je vais jouir… Maud, arrête un instant… que je savoure… oh ! plus vite… mais allez donc… »

Et elle donnait des coups de reins terribles… « Oh ! cette fois, voilà… je te sens décharger… oh ! que je jouis !… »

Et je continuai de lancer mon flot dans ses entrailles au moment précis où elle s’affaissait en soupirant, pendant qu’à ma grande surprise Maud roulait sur la natte en poussant également des petits cris de jouissance… La coquine s’était branlée en faisant minette à Flora…

Après nous être lavés tous les trois, nous nous installâmes sur le lit, afin de reprendre de nouvelles forces.

— Eh bien ?… demandai-je à Flora.

— Mais cela ne m’a pas fait autant de mal que je l’aurais cru, et quand ç’a a été au fond, et que tu as remué, j’ai éprouvé un chatouillement d’une nature particulière, mais vraiment agréable, surtout étant accompagné de la jouissance antérieure que me procurait la langue experte de cette chère Maud.

— Ainsi, tu recommencerais volontiers ?…

— Tout de suite, si tu n’étais pas fatigué… Et si la même opération par devant n’est pas plus douloureuse et à des suites aussi agréables…

— Cent fois plus, ma chérie… mais ce sera pour la prochaine fois…

— Oui, oui, mon bien aimé… tout à toi…

— Oh ! que cela doit être bon, dit à son tour la petite Maud, d’avoir l’homme que l’on aime étendu sur soi, les lèvres collées aux siennes, de l’entourer de ses bras, de s’ouvrir à lui et de le sentir pénétrer en vous, d’avoir dans son corps cette grosse machine qui va et vient en liberté, puis qui crache, son sperme — je dis bien ? — jusqu’au fond de la matrice, et mourir de bonheur en ne faisant qu’un seul corps… Oh ! tiens !… vilaine Dora, va !…

Et elle serrait mon priape qui renaissait à la vie.

— Eh bien ! mon bébé, tu as des dispositions ?…

— Oh ! cher ami, c’est vous qui m’inspirez de pareilles idées… je n’ai jamais eu envie d’un autre homme.

— Tu es adorable !…

Et je mis un gros baiser sur sa joue.

— Et c’est toi, Flora, qui, avec Dora, avez fait son éducation sexuelle ?…

— Non, dit Maud, c’est tante Kate…

— Oui, reprit Flora à son tour, Kate était notre troisième, à Dora et à moi ; elle avait trois ou quatre ans de plus que nous. Elle s’est mariée, il y a quelques mois, et habite maintenant Rangoon (Birmanie anglaise). Seulement avant de nous quitter, elle avait « préparé » Maud, et elle nous l’a passée pour la remplacer.

— C’est une intention délicate… Et Maud s’est laissée faire ?…

— Je crois bien, répliqua, vivement celle-ci ; il y a longtemps que je me doutais de ce qui se passait entre Kate et ses deux amies, et je mourais d’envie d’en être… Aussi, la première fois que nous fîmes l’amour toutes quatre ensemble, je faillis mourir de joie… J’aime tant Flora !…

— Et Dora ?…

— Dora aussi je l’aime bien ; elle est si belle, si polissonne, et si… tout, quoi !… Mais je préfère Flora ; elle est si bonne !… Dora pense surtout au plaisir qu’elle se procure ; Flora ne s’occupe qu’à donner du plaisir aux autres.

— Veux-tu te taire ! protesta celle-ci… tu as bien vu que non, tout à l’heure…

— Si, si… tiens… je t’aime…

Et la gentille enfant se mit en travers de mon corps pour embrasser Flora qui, toute émue, lui tendait son museau par-dessus mon visage.

Quant à moi, j’étais ravi d’apprendre tous ces petits secrets, et charmé des aptitudes amoureuses de mes trois délicieuses maîtresses.

Bien entendu, chère Cécile, je te donne ici la traduction de ce dialogue qui était dit en un anglais tout à fait divertissant.

Enfin l’heure était venu de nous séparer, et Flora me donna rendez-vous pour le samedi, au tennis de Dora.

Maud me donna un dernier baiser, en ajoutant : « Je n’y serai pas… ce sera bien long jusqu’à mardi… Mais, ajouta-t-elle tout bas, vous me le mettrez, n’est-ce pas… là ?… et puis là ?… comme à Flora ?… »

Polissonne, dit Flora qui avait deviné… il n’y a plus d’enfants !…

Et nos deux amoureuses se sauvèrent.

. . . . . . . . . . . . . .

Ton Léo.

V

Paris, 20 décembre 18…
Mon Léo,

Gérard arrive le mois prochain. J’ai reçu de lui une lettre datée de Baltimore ; il vient passer une quinzaine de jours en France, pour livraison au Creusot de je ne sais quelles machines et en commander d’autres.

Conçois-tu ma joie ?… Un autre toi-même qui m’arrive ! Il me dit t’avoir écrit sa venue en France ; mais quinze jours seulement, c’est peu !… j’espère qu’il pourra prolonger son séjour au moins d’une semaine.

Quel dommage que tu ne sois pas auprès de moi pour partager nos plaisirs !… Surtout Thérèse étant là… quelles belles parties carrées !… Car j’ai tout raconté à celle-ci, ou presque tout. Je lui ai dit que Gérard était ton ami d’enfance, que tu l’aimais comme un frère ; qu’il avait été mon amant, de ton gré, et que tous trois nous avions passé des nuits de volupté dans le même lit, je lui ai dit que je voulais recommencer avec elle et Gérard, qu’il la posséderait autant que moi. J’ai un peu hésité craignant qu’elle ne s’effarouchât de mes projets, mais quand j’eus fini, elle me dit simplement : « Oui, mais si je ne lui plais pas ?… »

— Ah ! cela m’étonnerait bien que tu ne lui plaises pas !… avec cette frimousse… cette bouche qui appelle les baisers, ces yeux de gazelle, cette gorge si parfaite !… Ah ! je n’ai qu’une crainte : c’est que tu lui plaises trop… S’il allait vouloir t’emmener en Amérique ?…

— Moi, vous quitter !… Écoutez, chère maîtresse… écoute, ma Cécile chérie : j’ai eu des amants, j’ai aimé des femmes, mais jamais, je te le jure, jamais je n’ai ressenti pour personne un sentiment pareil à celui que j’éprouve pour vous… pour toi. Je ne sais comment définir cette sorte d’amour… : cela tient de l’amour charnel le plus intense et de l’amour maternel, car vous êtes parfois une grande enfant, ma chérie, et aussi de l’amour filial. Vous êtes pour moi bonne comme une mère… je sens que vous êtes ma vie même… J’aimerai Gérard, j’aimerai Léo s’il veut de moi… je me donnerai à qui tu voudras, si cela peut augmenter tes plaisirs, mais s’il fallait désormais vivre sans toi, si tu ne m’aimais plus, si tu me renvoyais… j’obéirais, je m’en irais, mais avant trois mois je serais morte…

Je l’écoutais ravie. Accroupie devant moi, elle levait ses beaux yeux voilés de larmes, et le tremblement de sa voix me faisait vibrer délicieusement.

— Écoute-moi à ton tour, Thérèse. Je te crois et j’accepte le don de ta vie comme je te donne de la mienne ce qui m’en appartient. Tu es ma sœur, mon amante, ma femme… nous ne nous quitterons jamais… nous sommes liées l’une à l’autre… Et ne crains rien, je suis sûre que Léo m’approuvera et qu’il nous aimera toutes deux de la même affection.

Je mis sur son front un baiser chaste, presque fraternel, et nous nous quittâmes…

. . . . . . . . . . . . . .

… Hier jeudi, je suis allée voir ma jeune sœur à sa pension ; elle m’a demandé de la faire sortir pendant les vacances du jour de l’an : bien entendu j’y ai consenti, quoique cela doive me gêner dans mes relations avec Thérèse, car je la ferai coucher dans la chambre de Thérèse et j’installerai celle-ci dans ton cabinet de travail. D’ailleurs, quelques jours de repos me feront du bien. Elle devient extrêmement jolie, ma petite Valentine… plus jolie que moi, et bien développée. Sais-tu qu’elle vient d’avoir dix-sept ans ?… c’est une petite femme ; je crois qu’il faudra bientôt songer à la marier.

Papa et maman me pressent d’aller les rejoindre à Nice. Cela m’ennuie de quitter Paris. L’arrivée de Gérard sera un bon prétexte pour rester ici. Cependant, il pourrait se faire qu’il voulût aller passer quarante-huit heures auprès de mes parents, qu’il aime comme les siens, et qui l’aiment aussi comme un fils. Dans ce cas, je l’accompagnerais, et naturellement Thérèse serait du voyage.

Celle-ci m’a conté son histoire : Issue d’une très honorable famille, elle fit d’assez bonnes études dans un lycée de jeunes filles, et c’est là qu’elle prit le goût des attouchements et des divertissements entre elles. À la suite de malheurs de famille et de diverses aventures que je te raconterai lorsque nous serons ensemble, elle fut obligée de se placer. En dernier lieu, elle était chez la Saint-Léon, qu’elle avait, malgré son expérience, prise pour une vraie baronne. Mais la richissime Esther N…, qui entretenait cette dernière, prit ombrage de Thérèse (je crois qu’elle avait bien raison) et exigea son renvoi. C’est alors qu’elle rentra chez moi, pour son bonheur et pour le mien, je l’espère.

Ta Cécile.

VI

Calcutta, le 23 décembre 18…

Chère Cécile, il est arrivé, le grand jour où je devais enfin cueillir cette fleur précieuse que la tendre Flora m’avait réservée, et ce bouton charmant que la délicieuse et espiègle Maud était impatiente de m’abandonner !

— Plaignez-vous, mauvais sujet, me dit gaiement Dora en entrant avec ses deux amies : trois gentils pucelages à croquer le même jour…

— Trois ! interrompis-je étonné, car je ne pensais qu’à Maud et à Flora.

— Oui, trois, car je compte bien, moi aussi, vous en offrir un, reprit-elle, en se mettant la main sur les fesses ; Flora m’a dit que c’était un piment exquis.

— Pardon, fit Maud à son tour, alors cela fera quatre, car j’en ai deux pour ce cher Léo : celui-ci, dit-elle en portant sa main à sa petite fente, et celui-là, en montrant son petit fessier.

— Mais, petite coquine, lui dis-je, je vais te martyriser !…

— Cela m’est égal, répliqua-t-elle crânement, je veux n’avoir rien à envier à mes amies.

— Eh bien ! dit Flora, tu promets, toi !…

— C’est possible, mais si je promets, je veux tenir aussi.

— Cher ami, me dit Flora, comment pourrez-vous suffire à un pareil travail ?…

— Un travail, chérie ? dites donc un plaisir, le plus grand des plaisirs, quatre ou cinq fois répété.

— C’est bon, c’est bon, fit à son tour Dora, nous connaîtrons votre valeur ; pour moi, je ne suis pas inquiète. Mais, pour commencer, prenons quelque chose : je n’ai pas tiffiné[3].

Et déjà elle grignotait un morceau de plum-cake en remplissant les verres de vin de Bordeaux.

— J’aime assez le thé, le soir, parce que j’y suis habituée depuis mon enfance ; mais, dans la journée, et en mangeant, je préfère les bons vins de France, j’aime tout ce qui vient de France !…

— Et aussi les v… de France, murmura Maud installée sur mes genoux.

— Veux-tu te taire, polissonne, et ne pas prononcer de vilains mots, dit Flora.

— Crois-tu que je vais parler ici comme au temple ?… En tous les cas, si le mot est vilain, la chose est bien jolie ; regarde plutôt…

Et elle lui fit voir ce qu’elle tenait dans sa main et qui lui montrait sa reconnaissance par de petits soubresauts.

— Assez Maud, dit Dora en voyant l’émotion qui me gagnait ; laisse-lui ses forces…

Maud, comprenant l’importance de la recommandation, se leva à regret.

— Maintenant, mes petites chattes, un bon verre de malaga.

— C’est Maud qui va nous l’offrir, s’écria Flora.

Maud la regarda étonnée.

— Oui, continua-t-elle, comme l’autre jour, en croix de Saint-André…

Ce fut au tour de Dora de prendre un air interrogateur.

— Vous allez voir, Dora, lui dis-je, c’est exquis, et on ne peut plus gracieux.

— Mais, se récria Maud, je ne sais pas me tenir sur les mains, la tête en bas, comme Flora.

— On te tiendra, dit celle-ci en riant.

La complaisante Maud se dépouilla prestement de tous ses vêtements, et se montra dans sa juvénile et ravissante nudité qu’avivait une pudique rougeur.

— Est-elle jolie, est-elle mignonne, s’exclama Dora qui vint, robe et chemise ouvertes, serrer Maud dans ses bras et se frotter contre son délicieux petit corps.

— Tenez-lui les jambes tous les deux, dit Flora : je vais verser et Dora boira.

La gentille Maud se jeta tête baisée sur la natte, s’appuyant sur ses deux menottes. Je pris sa jambe droite d’une main, tandis que de l’autre je maintenais son dos ; Dora saisit l’autre jambe en regardant Flora qui, sans perdre une seconde, versa dans la corolle béante le vin sucré que contenait son verre. Maud en le sentant couler, cria : « Oh ! que c’est frais. »

Dora s’était précipitée sur la coupe vivante et aspirait le délicieux breuvage, tandis que Flora soutenait la jambe de Maud. Dora paraissait insatiable, elle ne lâcha prise que lorsque Maud se fut affaissée, palpitante, en criant : « Oh ! je jouis ! »

Dora s’effondra de son côté, soupirant : « Moi aussi !… »

Elle s’était branlée sous, ou plutôt au-dessus des yeux de Maud.

Dora relevée la première sauta au cou de Flora : « Oh ! chérie, quelle jouissance !… »

— Mes petites amies, dis-je, aux choses plus sérieuses !

Toutes trois se rendirent au cabinet de toilette pour quelques soins préliminaires ; je les regardai tortiller leurs belles fesses avec cette démarche un peu embrassée que prend la femme lorsqu’elle se sent nue.

Elles revinrent bientôt, et le premier mot de Flora, en me donnant un baiser, fut de demander par qui on allait commencer ?

— Par moi ! s’écria Maud, je suis en retard sur vous !…

— Et moi qui suis l’aînée, demanda Dora, n’ai-je pas un droit de priorité ?…

— Et Flora, ajoutai-je, qui ne dit rien, mais qui n’est pas moins impatiente. Écoutez-moi, mes petites amies, voulez-vous vous en rapporter à moi pour le programme de la fête ?

— Oui, oui, répondirent ensemble les trois voluptueuses.

— Eh bien ! je commencerai par Maud qui, ayant une double opération à subir, devra se reposer entre les deux ; puis je débarrasserai notre Dora de la virginité qui lui reste. Je reviendrai ensuite à Maud pour lui enlever son pucelage numéro deux. Et enfin, Flora voudra bien me faire son dernier sacrifice. Et je te jure, mon bel ange, fis-je en mettant un baiser sur ses lèvres sensuelles, que tu ne perdras rien pour attendre.

Maud s’était déjà élancée sur le lit, hennissant d’impatience, comme une jeune cavale qui a senti l’étalon. J’allais la rejoindre, lorsque la prévoyante, Dora m’arrêta, me conseillant de lui mettre, sous les fesses, un drap replié.

Ces préparatifs étant vite exécutés. Maud reprit position. Je commençais à ne plus pouvoir me contenir : je sautai près de cette jolie gosse que j’entourai de mes bras en lui passant d’ardentes langues.

Flora s’assit auprès de nous, et Dora demeura debout devant l’autel pour présider aux manœuvres.

— Maintenant, mes amis, allez y… Du courage, Maud…

La mignonne me tendit les bras dans un mouvement adorable, en me disant : « Viens, mon Léo, viens, mon cher amant, ne crains rien… mets-le-moi… Va !… »

Et elle mit ses lèvres sur les miennes en tressaillant : Guidé par la main de Flora, mon priape venait de toucher le bouton sacré. Le gland entra facilement ; je sentis le ventre de Maud se soulever pour venir au-devant de son bourreau. Flora me caressait doucement les testicules, tandis que Dora promenait sa main du haut en bas de mon épine dorsale, allant jusqu’à l’entre-fesses qu’elle chatouillait avant de remonter : messire Priapus avançait doucement. Tout à coup, Maud me cria de pousser plus fort, et donnant un vigoureux coup de reins, poussant un cri qu’elle étouffa, elle me serra à perdre haleine.

J’avais fait, au même instant, un effort énergique et… je me sentis nager dans une mer de délices.

Les bras de Maud se desserrèrent. Elle poussa un grand soupir et me dit : « ça y est !… »

Je soulevai sa tête pour la regarder : de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front. Elle reprit : « Continue, mon chéri… baise moi doucement… fais durer le plaisir le plus longtemps que tu pourras… Donne-moi tout !… »

Cette fois, j’allais facilement. Ma respiration devint plus courte. Maud lâcha ma langue qu’elle suçait depuis un moment, et me secondant comme si elle n’avait fait que cela toute sa vie, elle murmura d’une voix entrecoupée : « Ça vient !… je vais jouir… oh ! cher… donne… donne… oh ! je le sens !… je décharge aussi… je jouis… oh ! encore !… encore !… c’est le paradis… toujours… »

Ses bras et ses jambes se détendirent, et la nouvelle initiée demeura sans mouvement, les narines frémissantes, les traits empreints d’une béatitude sans mélange.

J’allai faire mes ablutions : lorsque je revins, Maud reprenait ses sens : « Oh ! cher ami, cher ami, me dit-elle avec passion, que je t’aime !… que je suis heureuse !… oh ! mes bien-aimées, dit-elle en se tournant vers Dora et Flora, qui regardaient en souriant cette naïve expression de bonheur, vous n’avez pas idée des délices que j’ai éprouvées quand je l’ai senti pénétrer jusqu’au fond de moi et m’inonder de ce nectar… »

— Mais si, répliqua Dora, nous en avons parfaitement l’idée, moi du moins…

— Et la douleur ?… demanda Flora, intéressée.

— Oui, une douleur atroce, déchirante, mais qui ne dure qu’un instant. Qu’est-ce que cela en comparaison des ravissements qui suivent ?… Oh ! je voudrais qu’on me baise toujours, toujours… toi, Léo, fit-elle en se reprenant, rien que toi seulement… pas tous les hommes, et mes deux chères amies… Oh ! tiens… tiens…

Et elle avançait son ventre contre ma poitrine, la frottant avec sa motte en feu.

— Allons, ma petite Maud, calme-toi, dit doucement Flora.

— Oh ! Dora, s’écria Maud en se jetant au cou de son amie, si tu voulais… oh ! que tu serais gentille, je t’aimerais… encore plus…

— Mais quoi ?… que veux-tu, ma chérie ?…

— Eh bien ! fit Maud d’un ton câlin, que tu me cèdes ton tour.

— Comment, tu veux recommencer ?…

— Non, pas comme ça… quoique j’en aie bien envie… mais je veux essayer de l’autre façon…

— Quoi ! demanda Flora, tu veux tout de suite ?…

— Oui, je veux qu’il m’enquioule… j’ai vu comme tu étais heureuse l’autre jour… Et puis après, vous serez débarrassées de moi.

— Allons, petit monstre, fais ce que tu voudras…

— C’est toi, ma Dora, qui me feras minette, pendant qu’il me le mettra.

— Oui, polissonne, je veux avoir l’étrenne de ton petit chat dépucelé.

Maud avait déjà posé sa poitrine sur l’un des coussins du fauteuil, et écartait ses jambes entre lesquelles Dora prit place, assise sur l’autre coussin, les lèvres tendues vers la plaie rose. Flora lubréfiait avec du cold-cream le réduit où j’allais pénétrer, et elle y enfonça le doigt.

— Tu vois, souffla Maud, comme ça entre facilement… Attends, Dora… je jouirai trop vite.

— Oui, répliqua Flora, mais ce n’est pas un doigt que l’on va mettre là…

Et se tournant vers moi, elle me dit : « Va, chéri… va conquérir ce nouveau pucelage. »

C’était facile à dire. Je ne te rends pas compte en détail des efforts qu’il me fallut faire et que Maud supportait avec une constance vraiment héroïque, m’encourageant de ses exclamations étouffées, mêlées d’anglais et de français :

— Oh ! Go on ! push forward !… ta langue, Dora… slowly… que c’est bon ! push slowly… oh ! fort… quick… quickly… Dora… darling… oh ! je sens ton foutrrre… I am fainting… my bottom… oh !…

Elle retomba, le nez, sur le coussin, pendant que Dora se relevait en s’essuyant les lèvres couvertes de liqueur…

— Attends, dit Maud en me retenant, ne t’en va pas… laisse-le sortir tout seul… je le sens… oh ! ajouta-t-elle en portant vivement le doigt à son bouton en feu… je jouis encore… oh !…

— Encore !… dit Dora… mais elle n’a fait que cela !… Je l’ai sentie couler au moins trois fois…

— Je suis morte… morte de bonheur… soupira la petite en se relevant et en s’étendant sur la chaise longue.

Flora me prit la main et m’entraîna. C’est elle qui voulut laver, nettoyer maître Jacques, qui en avait bien besoin.

— Repose-toi un moment, mon chéri, me dit-elle.

Elle me prit dans ses bras et me posa la tête sur son sein. Je portai machinalement la main à son chat.

— Tu dois en avoir envie ?… lui demandai-je.

— Oui, je suis terriblement excitée…

Dora et Maud revinrent.

— C’est à moi, maintenant, dit Dora… te sens-tu bien, mon Léo ?…

— Tiens ! ma belle, regarde plutôt !…

— Oh ! fit Maud, et dire que ce n’est pas pour moi !…

Elle vint se jeter sur mon membre et se mit à le sucer goulûment.

— Arrête, Maud, dit Flora en lui arrachant sa proie… tu vas faire tort à Dora…

— Hélas ! fit la gentille gamine en se relevant, contrariée comme un enfant auquel on enlève un jouet… je voudrais le sentir toujours…

— Tu ne sais pas ce que tu dis, reprit Dora… Va te reposer, mon petit ange…

Mais Maud ne voulait rien entendre ; et voyant Flora installée devant le minet de Dora, se remit à sucer mon priape, « pour qu’il passe mieux ». Puis, quand elle nous vit prêts, elle vint, comme Flora lui avait fait tout à l’heure, maintenir ouverts les deux battants de l’huis. Je m’avançai alors fièrement.

Le gland seul avait pénétré et je sentais Dora flageoler sous l’ardente langue de Flora.

— Attends, dis-je à celle-ci, que je me reprenne.

Dora, cependant, se tortillait, à demi enclouée : elle poussait des gémissements de plaisir et de douleur, et semblait, par son mouvement, m’inviter à poursuivre ma tâche. Je tenais ses adorables nichons dans mes deux mains et j’allais, d’un vigoureux élan, donner un puissant coup de reins, quand je sentis le doigt de Maud, que la gamine avait plongé dans un pot de cold-cream, s’insinuer chez moi comme je cherchais à le faire chez Dora. Ce mouvement m’ayant rendu une ardeur nouvelle, je donnai un suprême coup de bélier qui lui fit pousser un cri. Je m’arrêtai alors, me sentant bien au cœur de la place. Me penchant à son oreille, je lui dis : « Plus rien que du plaisir, ma chérie… Va. Flora !… »

Et je ramonai du haut en bas, glissant facilement, ce que Dora constata par ses exclamations : « oh ! ami, c’est bon… va… déchargeons ensemble… Flora, chérie, plus vite… Et toi aussi, chéri, va… je sens que ça gonfle… Viens… oh ! je jouis !… »

Je jouissais en même temps, lui lançant des jets brûlants dans les profondeurs de son être.

S’arrachant du pieu, elle courut, suivie de Flora, au cabinet de toilette où Maud les avait précédées. Celle-ci revint aussitôt, et se mit à faire la toilette de maître Jacques, avec un soin délicieux ; je me laissai faire comme un pacha.

Flora et Dora en rentrant s’étaient jetées sur le lit, où elles lutinaient doucement et se becquetaient.

Maud ayant fini son doux office, se remit à caresser mon membre. Celui-ci, sous tant d’attouchements lascifs, ne resta pas inerte et commença à se soulever. Elle fit doucement aller le prépuce d’avant en arrière, couvrant et découvrant tour à tour la tête rose, la lardant au passage d’un petit coup de langue ; puis, passant sa main sous mes globes qui pendaient mollement, elle les chatouilla doucement, si bien qu’elle leur rendit leur belle apparence. Priape se redressa, et Maud se relevant alors, s’écria joyeusement : « Oh ! chéries, voyez donc comme il rebande !… C’est pour toi, Flora… »

Les chéries ne s’occupaient guère de nous !…

— Que font-elles donc ? me demanda Maud, en m’entraînant vers le lit.

Étendue sur le dos, Flora tenait Dora étroitement enlacée : toutes deux s’étreignaient furieusement, les yeux mi-clos, les langues mêlées, les seins s’écrasant, se frottant leur toison l’une contre l’autre. Soudain Dora se retourna sur elle-même, la tête au pied du lit ; ses deux jambes s’entre croisèrent avec celles de Flora qui se prêta sans mot dire à cette manœuvre. Puis, par un léger mouvement de reins, elles rapprochèrent leurs sexes ; leurs deux vulves entre-bâillées se touchaient. Dora, de ses mains, ouvrit les grandes lèvres de son vagin et les referma brusquement en happant celles de Flora ; elle se mit alors à frotter, légèrement d’abord, puis plus vite, son clitoris en feu sur celui de sa partenaire qui était resté un peu en dehors.

Penchée sur le lit, Maud regardait avec une curiosité avide le combat engagé ; moi-même je ne pouvais détacher mes yeux de cet excitant spectacle. Dora, allongée, étirée, les nerfs tendus à se rompre, serrait et crispait les poings ; les muscles de ses bras et de ses jambes se gonflaient ; son visage se convulsait sous l’empire d’une volupté inouïe. Flora, inerte, les bras en croix, semblait une visionnaire ; ses traits respiraient une joie céleste. Elle agitait néanmoins, avec un mouvement de tangage de plus en plus prononcé, ses hanches, et laissait entendre, de temps à autre, un long soupir de jouissance.

Ne pouvant plus y tenir, je glissai mon priape entre les cuisses de Maud, qui se prêta aussitôt, et je l’enfilai en levrette. Ah ! ce ne fut pas long : au bout de quelques secondes, j’activai mes mouvements, comme je le voyais faire à Flora et à Dora, et, presque simultanément, un quadruple cri de jouissance retentit, et nous nous affaissâmes, pendant que Dora et Flora se tordaient en mouvements désordonnés.

Ma Cécile, j’ai rarement éprouvé plaisir aussi aigu : je n’ai jamais vu pareil spectacle. Comme je compris bien alors l’étymologie du mot tribade, qui veut dire : frotter.

Flora, soupirant à peine, les jambes écartées, jouissant encore ! Je me glissai près d’elle et la mangeai de baisers.

— Tu est fatigué, murmura-t-elle en saisissant mon priape.

— Fatigué !… m’écriai-je, tu vas voir !…

Je bondis brusquement sur elle et, sans la moindre préparation, furieusement, je me mis à l’enfiler sans qu’elle eût la pensée ou la force de se défendre. Maître Jacques, qui n’avait pas faibli, entra plus facilement, car tout était lubréfié, élargi, disposé par la scène que je viens de te raconter. Malgré cela, Flora qui poussait de son côté, fit tout à coup entendre un cri de douleur, que je n’eus pas le temps de réprimer. Maud et Dora accoururent et restèrent stupéfaites en nous voyant aux prises. Flora, revenue à elle, me disait : « C’est fini, ça ne me fait plus mal, continue… »

Encore quelques mouvements réciproques, mais retardés, savourés, et je la sentis fondre en même temps que moi et haleter dans un spasme suprême. De grosses larmes coulaient sur les joues de Flora, qui avait beaucoup souffert. La gentille Maud la consolait de son mieux : « Oh ! ça me cuit !… dit Flora d’une voix éteinte… j’ai eu bien plus mal que de l’autre côté… »

La tendre victime était tout ensanglantée, et mon triomphe n’était que trop visible.

— Viens, lui dit Dora, appuie-toi sur moi, mon ange ; je vais faire ta petite toilette…

Pendant ce temps-là. Maud me câlinait, tenant mon pauvre priape emprisonné dans une serviette.

— Mon chéri, Flora était donc bien étroite ?…

— Pas plus que toi, je pense, elle était plus énervée.

— Moi, je ne sens plus rien… Je vais préparer le thé, cela nous fera du bien…

Flora revint, un peu pâlie, mais souriante, et alla s’étendre sur la chaise longue. Je m’approchai d’elle, l’embrassant et lui demandant : « Je t’ai donc fait beaucoup de mal, ma chère Flora ?… »

— Oui, mais je suis heureuse d’avoir souffert pour toi… Aussi, nous recommencerons quand tu voudras !…

— Oh ! pas aujourd’hui… je ne suis plus en forme… regarde !…

— C’est vrai ; fit-elle, il doit être bien fatigué, le chéri : cinq fois de suite !… Tiens, il faut que je l’embrasse, le bourreau de mon pauvre minet…

Et se penchant sur mon membre apaisé, elle le bécota.

— Cher Léo, me dit-elle en mettant sa tête câline sur mon épaule, j’ai une grâce à te demander…

— Une grâce ! ma chère aimée… parle !… tout ce que tu voudra…

— Eh bien ! continua-t-elle en hésitant, je voudrais… mais tu promets de n’en rien dire à nos amies jusqu’à nouvel ordre ?…

— Je te le promets, répondis-je, légèrement intrigué.

— Je voudrais passer toute une nuit avec toi… rien que nous deux…

— Oh ! ma chérie, je le désire autant que toi, si c’est possible…

— Oui, je m’arrangerai… Attends quelques jours, je te le dirai… Oh ! que je suis heureuse !… toute à toi, seule à toi pendant une nuit entière !… Nous ferons tout, tout !…

Et elle me serra passionnément sur son sein.

— Chut ! ajouta-t-elle, voilà nos amies.

— Quel dommage, soupira Maud, que l’homme ne puisse pas le faire indéfiniment comme la femme !…

— Alors, demanda Dora, tu n’en as pas encore assez ?… Tu le referais encore ?…

— Mon Dieu ! répondit Maud ingénument, j’aurais voulu le faire encore une fois de chaque côté, car la première ne compte pas.

— Eh bien ! répliqua Dora, tu n’as pas l’air de te douter que notre ami Léo vient d’accomplir une prouesse dont peu d’hommes, je crois, seraient capables. Cinq fois, coup sur coup !… Le voilà sur Le flanc pour huit jours.

— Oh ! fis-je en me redressant, je ne vous en demande que trois…

Tout le monde s’habilla. Nous prîmes le thé, et après quelques petites caresses, mes trois libertines me quittèrent, promettant de m’écrire pour une prochaine séance. En les reconduisant jusqu’à la porte, Maud étant restée en arrière, me retint un instant, et me souffla à l’oreille : « Oh ! que je voudrais coucher toute une nuit avec toi !… rien que nous deux, et le faire de toutes les façons !… » Comme Flora !…

— Oui, ma petite chatte, moi aussi… nous arrangerons cela, si c’est possible.

Encore un petit coup de langue, un doigt sur les lèvres, et elle s’envola.

. . . . . . . . . . . . . .

Ton Léo.

VII

Paris, 2 janvier 18…

Eh bien ! voilà du nouveau, par exemple, auquel je ne m’attendais guère, et qui t’étonnera peut-être. Hier soir, pour son jour de l’An, j’ai mené Valentine au Théâtre-Français. On jouait les Plaideurs et les Femmes savantes. Nous avons ri comme deux petites folles. Line était délicieuse dans sa robe gris perle ruchée de rose : elle portait, pour la première fois, le ravissant collier de perles que tu lui as envoyé pour ses étrennes. Ma petite sœur attirait tous les regards sans paraître s’en douter : moi, j’étais heureuse de sa joie et de son succès.

Nous sortîmes avant la fin du spectacle, car, ayant renvoyé ma voiture, nous devions prendre simplement l’omnibus, par gaminerie. À onze heures et demie, nous étions rentrées ; j’avais dit à Thérèse de ne pas nous attendre et de se coucher. Nous nous déshabillâmes, nous aidant mutuellement, et après une petite collation, notre toilette de nuit faite, nous nous couchâmes.

J’allais m’endormir, quand je crus sentir à côté de moi un léger mouvement…

— Tu ne dors donc pas, Line ?…

— Non, je n’ai pas sommeil… je pense au théâtre…

— Mais que fais-tu là, à te remuer ?…

Et je portai vivement ma main sur la sienne. Elle n’eut pas le temps de la retirer d’entre ses jambes, qui étaient écartées.

— Moi, rien… fit-elle d’une voix hésitante… j’allais m’endormir…

— Ce n’est pas vrai… j’ai bien senti où était ta main… Comment, petite malheureuse, tu as cette habitude-là ?…

J’avais redonné pleine lumière. Line était toute rouge ; elle me jeta les bras autour du cou en m’embrassant : « Ne me gronde pas, sœurette, c’est si bon… »

Et, confuse, elle cacha son visage sur ma poitrine. Ma main était retombé machinalement sur sa motte et je la sentais se soulever et se contourner pour demander une caresse…

— Ainsi, tu te… chatouillais ?…

— Oui, me souffla-t-elle à l’oreille.

— Mais tu vas abîmer ta santé, mon enfant !…

— Oh ! je ne le fais pas tous les jours… mais ce soir, j’en ai vraiment trop envie… Cile, ma chérie, je vais te le faire aussi… tu vas voir comme je sais m’y prendre…

Avant que j’eusse pu m’en défendre, je sentais sa petite menotte se fixer, sans hésitation, au bon endroit et l’agacer.

— Oh ! me dit-elle, comme tu as du poil… tu me le montrera demain, n’est-ce pas ?…

Je ne répondis pas, car l’émotion commençait à m’envahit ; ma main accomplissait la même besogne que la sienne, et Line témoignait par ses soupirs et ses trémoussements du plaisir que lui causait mon doigt, tout en murmurant d’une voix entrecoupée : « Oh ! chérie, comme c’est bon… je t’aime… je fais bien ?… Ah !… plus vite… tiens… je jouis… jouis aussi, ah !… »

— Oh ! ma Cécile, dit-elle en revenant à elle, que c’était bon !… Je n’ai jamais été si heureuse… Et toi, as-tu bien joui aussi ?… Je suis sûre qu’oui… Je l’ai bien vu… Je l’ai senti… ma main est toute mouillée.

— Allons, bonsoir, petite polissonne, dormons…

— Bonsoir, ma Cile… Nous le ferons encore, demain matin, tu veux bien ?…

— Oui, oui, nous verrons… Bonsoir, ma chérie !…

Et nous nous endormîmes, son ventre collé à mes fesses, sa main sur mes nichons.

Nous nous réveillâmes en même temps.

— Je rêvais, me dit Line, que je le faisais avec un homme, et que cet homme, c’était toi… Veux-tu encore une fois, dis ?… tu me l’as promis, ajouta-t-elle d’un ton câlin.

Et déjà elle fourrageait.

Je sautai à bas du lit, en l’entraînant avec moi, et nous courûmes au lavabo faire une toilette sommaire. Je levai le rideau, il faisait à peine jour : la pendule marquait sept heures et demi. Bon ! Thérèse ne viendra pas avant neuf heures…

Et nous nous recouchâmes vite, en nous réchauffant l’une contre l’autre. Elle était divinement fraîche et jolie : je lui donnai un baiser sur la bouche, et je sentis passer un petit bout de langue, que je ne pus m’empêcher de saisir. Elle me rendit aussitôt cette caresse, avec une expérience qui me fit voir que ce n’était pas la première fois qu’elle la pratiquait.

— Oui, c’est ça… faisons-nous des langues, Cile, c’est bon… Branlons-nous tant que nous le pourrons…

Quand ce fut fini, elle me demanda doucement : « Dis moi, Cile, tu as un amant ?… »

— Par exemple ! fis-je en sursautant… À quoi penses-tu ?… Tu sais bien que j’adore mon mari, et que pour rien au monde je ne voudrais le tromper. (En effet, m’ami, je ne te trompe pas, puisque je te dis tout).

— Pardonne-moi, chérie, mais comme Léo est loin et que tu es seule depuis longtemps… On m’a dit qu’une femme ne pouvait pas s’en passer, et alors, je pensais…

— Voyez vous ça !… Et qui vous a mis ces jolies choses dans la tête, mademoiselle ?…

— Alors, reprit-elle sans répondre à ma question, c’est toujours toute seule, pauvre chérie, avec ton doigt ?… Ou bien, c’est que tu as une amie ?… Dis, avec qui le fais-tu ?…

Quoique je voulusse mettre[sic] si naïvement dépravée, que je lui répondis tout bas : « Eh bien ! oui, là !… »

— Qui est-ce, dis, Cile ?… Dis-le-moi, je ne le répéterai pas ?…

— Eh bien ! c’est… c’est Thérèse… quelquefois… Là, es-tu contente ?…

— Thérèse !… oh ! mais c’est vrai qu’elle est jolie et bien faite… je n’y avais pas fait attention… alors, c’est elle qui est ta petite gougnotte ?…

— Comment ! tu connais ce mot là ?… Mais qui donc t’a appris toutes ces choses ?… Quand as-tu commencé ?…

— C’est l’année passée, avec Madeleine de Sercey, cette petite brune frisée qui s’est mariée l’été dernier ; oh ! qu’elle était amoureuse ! J’étais son amie. Il faut te dire qu’à la pension, chacune des grandes a une bonne amie, généralement plus jeune qu’elle, avec qui elle fait toutes sortes de choses, et qu’elle aime comme un homme aime une femme. Depuis la rentrée, je suis l’amie de Louise Tardival, mais nous nous partageons la petite Palmyre Léontel, une créole de la Martinique qui n’a que treize ans et demi, mais qui a déjà des nichons plus gros que les miens et qui est cochonne comme tout. Ah ! elle en sait, celle-là !…

— De sorte que c’est Madeleine de Sercey qui t’a appris toutes ces polissonneries et ces vilains mots que tu dis couramment ?

— Oui, elle et mademoiselle Kerthe, la sou-maîtresse, cette jolie blonde qui a l’air si sainte nitouche.

— La sous-maîtresse ?…

— Oui, elle est joliment gentille, et très instruite !… Elle nous a eues presque toutes ; mais, toutes les trois, nous sommes ses favorites.

— Et c’est toujours avec le doigt ?…

Ma sœur rougit, et machinalement avança sa petite langue rose, en me disant : « Et puis avec ça aussi. »

— Avec la langue à la place du doigt ?…

— Oui. Oh ! c’est bon, va… laisse-moi te le faire ?…

— Et tu sais comment cela s’appelle ? fis-je en la repoussant un peu, car déjà elle se glissait sous les couvertures.

— Oui !… faire minette… Mademoiselle Berthe aime beaucoup cela, mais ne nous le fait pas souvent ; elle dit qu’étant trop jeunes, cela nous épuiserait.

— Elle a fichtre bien raison !… Mais quelle pension !… Si vos parents savaient cela !…

— Oh ! tu ne le diras pas à maman ?… Et puis, je t’assure que cela ne nous empêche pas de bien travailler… Nous n’y pensons que le soir.

— Écoute, chère enfant, lui dis-je en la pressant tendrement sur ma poitrine ; après ce que nous venons de faire ensemble, je serais mal venue à te prêcher la morale ; je te sais gré de ta confiance en moi et je te jure que je n’en abuserai pas. Mais je t’en prie, ménage ta santé ; en abusant des plaisirs auxquels tu parais être bien sensible, tu perdrais ta beauté, ta fraîcheur de rose, l’éclat vif de tes yeux, ta gaîté même, puis l’appétit, le sommeil, et tu en arriverais peut-être à te tuer. Une fois ou deux par semaine c’est même beaucoup.

— Mais, chère sœur, ne crains rien, je suis plus raisonnable que tu ne le penses ; j’ai beaucoup de force de caractère ; je suis très passionnée, mais je sais aussi me contraindre. Du reste, je vais perdre Louise Tardival, qui est obligée de travailler beaucoup pour passer son examen le mois prochain. Maintenant que je t’ai tout avoué, aimons-nous, dit-elle, en frottant sa toison contre la mienne…

— Oui, mon petit ange… je veux bien… tout ce que tu voudras…

Au même instant, j’entendis du bruit à la porte, et je la repoussais vivement, en disant : « c’est Thérèse ! »

— Thérèse, ta gou…

Je ne lui laissai pas le temps d’achever et lui donnai une tape sur la fesse.

— Madame m’avait dit de n’entrer dans sa chambre qu’à neuf heures, il n’est que huit heures et demie, mais il m’a semblé entendre parler ces dames et je me suis permis…

— Tu as bien fait, Thérèse : rallume le feu, mon enfant.

C’était la première fois que je tutoyais Thérèse devant Valentine. Celle-ci, la tête sous les couvertures, poussait des petits rires étouffés.

Thérèse se retourna brusquement en mettant un doigt sur la bouche. Quand elle eut rallumé le foyer, je lui dis de s’approcher. Valentine riait de plus belle, en montrant le bout de son museau rose.

— Regarde un peu ce que nous faisions. Line et moi…

Et rejetant vivement draps et couvertures, je montrai à la belle, stupéfaite, nos chemises relevées et nos doigts placés en bonne position. Elle fit un bond en arrière, ne sachant quoi dire.

— Eh bien ! oui, c’est ainsi… Ne te sauve pas comme si cela te faisait peur, ne prends pas tes airs effarouchés, et viens nous embrasser… Valentine sait tout.

Elle s’approcha en hésitant ; à peine fut-elle à portée que Line, qui était au bord, la saisit par le cou et, l’attirant sur elle, l’embrassa à pleine bouche. Thérèse, toujours sensible à cette caresse, la lui rendit et, penchant vers moi, m’en fit autant.

— Tu te figures peut-être que c’est moi qui ai débauché cette pauvre innocente ? Eh bien ! pas du tout… c’est elle qui…

— Va chercher le chocolat, Thérèse, et reviens vite… je veux te débaucher aussi, interrompit Line.

— Amusons-nous, Cile, en l’attendant… tu sais, comme nous allions le faire quand elle est entrée ?…

Elle me grimpa dessus et recommença à me passer des langues que je lui rendais avec vivacité. Elle s’arrêta pourtant, et me dit : « Attends, sœurette chérie, je vais te faire mimi ; tu me diras si je fais bien… tu jouiras toute seule… moi je me réserve pour le faire avec Thérèse… Qu’elle me plaît !… qu’elle est jolie !… je ne l’avais pas regardée… Crois-tu que je lui plaise et qu’elle voudra bien avec moi ?… »

— Mais, répondis-je en riant, elle serait bien difficile…

Déjà la gamine s’était blottie dans mon giron et avait commencé sa douce besogne, d’une langue très experte. Les bras allongés, elle chatouillait, de ses deux menottes, les boutons de mes seins. L’un de mes pieds était venu se placer sous son conin, qui se frotta sur ce point d’appui, mais je le retirai quand je sentis l’orgasme se produire, car je ne voulais pas qu’elle s’achevât ainsi. Lorsqu’elle m’entendit pousser un premier cri de jouissance définitive, elle me fouetta, de deux ou trois rapides coups de langue et remonta vers moi. Ce fut sur sa bouche que j’exhalai mes derniers soupirs…

Thérèse entra, portant un plateau sur lequel était notre déjeuner. Au moment où elle allait le poser sur le lit, Line lui passa vivement la main par l’entre-bâillement de sa robe.

— Mais prenez donc garde ! vous allez me faire verser le chocolat sur le lit… Quel petit démon !…

— Ouvrez votre robe, Thérèse !… montrez-moi vos beaux nichons !… Je ne déjeunerai pas avant…

La brave fille me regarda en riant et en haussant les épaules ; puis, reculant un peu, elle ouvrit le haut de sa chemise, exhiba, aux yeux éblouis de Line, sa merveilleuse gorge. « Oh ! que vous êtes belle, Thérèse !… que vous êtes belle ! murmura-t-elle. »

— Allons, vous les avez vus, maintenant : déjeunez tranquillement, et vous aurez du dessert.

Et elle s’en alla.

— Elle est très jolie, me répéta Valentine. Je veux m’amuser avec elle comme avec toi… Tu n’es pas jalouse, au moins ?…

— Jalouse de toi ! non, mon enfant… je suis heureuse, au contraire, de voir que tu m’excuses…

— Si je t’excuse, chérie !… Dis plutôt que je t’envie et que je voudrais être à ta place…

Au même instant, Thérèse rentrait souriante.

— Me voici ; nous sommes seules, et personne ne viendra nous déranger. Maintenant que la « femme de chambre » (elle appuya sur ce mot) a fini, voici « l’amie » qui est toute à vous…

Line se suspendit à son cou…

— Oui, l’amie, l’amante, l’adorée de nous deux… Tu m’aimeras aussi un peu, dis, Thérèse ?…

— Comment ne pas vous aimer…

— Oh ! Thérèse, je t’en prie, tutoie-moi comme je le fais moi-même : je suis sûre que lorsque tu es seule avec ma sœur, tu ne lui dis pas vous.

— Eh bien ! oui, répondit Thérèse en rendant à Line ses baisers, je t’aimerai, mon cher petit ange, je t’aimerai autant que j’aime Cécile, et ce n’est pas peu dire. Je vais te le prouver. Et elle l’entraîna vers le lit.

— Attends, fit Line, laisse-moi te déshabiller… je veux te voir toute nue…

Ce fut tôt fait. Line poussa un cri d’admiration à la vue de cette merveilleuse chute de reins, de ce torse si harmonieux, de ces fesses majestueuses, de ces cuisses rondes et polies. Elle l’embrassa à plusieurs reprises, puis la mena devant la psyché où se reflétait ce « nu » admirable. La mignonne caressa tout le corps de la belle fille, qui se laissait faire en frémissant de plaisir, les yeux brillants, la bouche entr’ouverte… Tout à coup, Line s’arrêta : « Viens, viens, dit-elle d’une voix haletante… je n’en puis plus… je te veux… toute à moi… rien qu’à moi d’abord. »

Celle-ci s’était déjà couchée sur sa petite amie et, à son tour, la mangeait de caresses. Insensiblement, son corps pivota, et sans s’être dit un mot, toutes deux s’abordèrent dans un ardent gamahuchage réciproque. Thérèse allongea le bras de mon côté, car elle me devinait vivement excitée par ce que je voyais ; je compris le désir et me plaçant convenablement, je la mis à même de me faire participer, avec son doigt, à leur mutuelle ivresse.

Line partit la première, en serrant convulsivement ses jambes autour de la tête de Thérèse, qui fondit aussitôt ; mais celle-ci ne put se retirer des lèvres de Line, qui ayant saisi son clitoris, le serrait, le tirait, le suçait à la faire crier ; et toutes deux jouissaient encore en rugissant, quand je m’écriai à mon tour : « Oh ! Thérèse… Line… chéries… voilà… oh !… oh !… je meurs !… je meurs !… »

Thérèse se dégagea la première, le visage congestionné, mais heureuse, et elle se précipita sur ma grotte béante pour en aspirer les derniers effluves.

Line était demeurée inerte, anéantie par le plaisir.

Presque aussitôt, sous la langue enragée de Thérèse, je jouis de nouveau, plus abondamment que la première fois ; elle m’épuisa dans une longue aspiration, puis revint s’affaler à mon côté.

J’avais si fortement serré la motte de Line, dans ce dernier spasme, qu’elle fit un mouvement et revint à la vie. « Je suis morte… j’étais au ciel », murmura-t-elle.

Et subitement elle m’enjamba et s’étendit entre moi et Thérèse, dont elle saisit la tête à deux mains, lui disant : « Ah ! ma Thérèse, que je t’aime !… que tu m’as rendue heureuse !… Je n’avais jamais ressenti pareilles délices. Tout ce que j’ai fait avec mes amies ne sont qu’enfantillages ; toi, tu m’as fait éprouver de l’amour… de l’amour véritable, comme on dit que les hommes en ont pour les femmes. Il m’a semblé que mon cœur s’ouvrait et qu’il se fondait en toi. Mon âme s’est envolée… Je t’aime !… »

Puis se tournant vers moi, elle m’embrassa tendrement : « Oh ! pardon, sœur, pardon de ce que je viens de dire. Je t’aime aussi, ma Cile, je t’aime autant que Thérèse ; ne m’as-tu pas fait connaître le bonheur ?… N’ai-je pas aussi expiré sur tes lèvres ?… Ne sois pas jalouse, mon adorée ! »

— Mais non, ma chérie, je ne suis pas jalouse ; je suis attendrie seulement… de te voir si heureuse… Et toutes trois nous nous embrassâmes, et on se mit à bavarder.

— Dis donc, sœur, tout à l’heure, pendant que Thérèse et moi faisions soixante-neuf, il m’a semblé sentir quelque chose… qui n’était pas fait comme le nôtre… Mais j’étais si heureuse que je n’ai pas bien regardé.

— Eh bien ! examine-le maintenant…

Thérèse écarta complaisamment les jambes, et la petite curieuse se pencha sur l’objet en question, que sa partenaire exhiba de son mieux, en glissant un coussin sous ses fesses. Line écarta les grandes lèvres et mit au jour ce qui avait déjà suscité chez moi une si vive surprise. Elle prit entre ses doigts le joli clito qui se roidit aussitôt sous cet attouchement : « Que c’est drôle, fit-elle, on dirait une affaire d’homme ! »

— Vous en avez donc déjà vu, mademoiselle ?…

— Que tu es bête !… Et les statues !…

Elle le mit entre ses lèvres, voulant le sucer.

Notre insatiable amie recommençait à pousser de nouveaux soupirs, de nouvelles exclamations ; tout à coup, elle se redressa, et grimpa sur Line qui mit le fameux petit membre juste au bon endroit, en jetant ses bras autour des reins de son « homme », s’écriant : « Oui, oui, baise bien ta petite femme… fais-moi jouir… oh ! je te sens dans moi, tu me brûles… pousse… frotte… pas si fort… va… »

Entre chaque mot elle lui passait des langues et l’étreignait avec frénésie.

Thérèse continuait ses mouvements de reins avec une régularité et une vigueur masculine ; elle ne tarda pas à murmurer à son tour : « Oh ! c’est toujours bon… toujours… Je sens que ça vient… je vais jouir… ô délices… je coule… je fonds… je meurs… oh !… »

Et toutes deux rendirent l’âme dans un double cri de jouissance.

— Allons, cette fois, je m’en vais, dit Thérèse en se levant ; si je restais au lit, je sens que je m’endormirais.

— Toi, mon amour, dit-elle à Line, repose-toi bien ; tu es jolie comme un cœur, tu seras une parfaite amoureuse ; mais, tu sais, il ne faut abuser ni du doigt, ni de la langue. Ce matin, nous avons fait des folies… « Et nous en ferons encore demain, n’est-ce pas, Thérèse ?… C’est mon dernier jour de vacances… »

— Linette chérie, vous êtes une petite dévergondée…

— Je t’aime, Thérèse !… Elle nous quitta après nous avoir fait une langue à chacune…

— Thérèse… je t’adore… murmura encore Line, et ses yeux se fermèrent…

. . . . . . . . . . . . . .

Tu vois, cher Léo, que nous avons bien commencé l’année, à Paris ; et j’ai vu, par ta dernière lettre, que de ton côté tu te disposais à ne pas mal finir celle qui vient de s’écouler. Le récit de tes exploits nous a forcées, Thérèse et moi, à interrompre notre lecture ; tu devines pour quoi faire.

J’espère que tes trois ravissantes maîtresses ne te feront pas oublier ta petite femme, et que ni Dora, ni Maud, ni même Flora ne parviendront à remplacer

Ta Cécile.

VIII

Calcutta, le 6 janvier 18…

Je t’ai dit, chère Cécile, que le surlendemain du jour où Flora m’avait amené cette délicieuse petite Maud, je devais assister à l’afternoon-tea et au tennis que Dora donne une fois par semaine à ses amis et à ceux de son père.

Quand j’arrivai dans le jardin, deux parties étaient engagées, dans lesquelles figuraient mes trois amies : je ne pus que les saluer rapidement. Tandis que je causais avec sir Duncan Simpson et quelques personnes, je les suivis du regard dans tous leurs mouvements.

Dora mettait, comme malgré elle, de la dignité, je dirais presque de la majesté dans ses moindres gestes. Flora, plus maîtresse d’elle, était la grâce un peu nonchalante, mais dont je jouissais avec délices en pensant aux heures folles que nous avions passées ensemble.

Dans la partie voisine, Maud, en robe courte, vive, sautillant, riant comme une enfant espiègle et se tournant pour me faire des grimaces, sans que le groupe où j’étais sût à qui elles s’adressaient.

La partie où figurait Dora prit fin et elle s’avança vers nous pour me serrer la main, puis elle ajouta : « Vous m’avez dit, monsieur Fonteney, que vous aimiez beaucoup les fleurs ; voulez vous venir voir ma serre ?… »

Jamais il n’avait été question entre nous de mon amour pour les fleurs, mais je m’inclinai, devinant sa pensée. Je m’éloignai avec elle. En même temps elle appela Flora, qui s’empressa d’accourir, tandis que Maud, dont la partie n’était pas finie, nous regardait partir d’un air boudeur.

— Je parie, dit Flora, qu’avant dix minutes elle nous aura rejoints.

En entrant dans la serre, nous aperçûmes une ravissante collection de fougères, de mousses, de silaginelles, au milieu desquelles un ruisselet et un petit jet d’eau entretenaient une fraîcheur constante. À peine entrés, je saisi Flora, qui était près de moi, et la couvris de baisers qu’elle me rendit avec la même ardeur.

— Attendez un moment, nous dit Dora, en faisant le tour de la serre, regardant s’il n’y avait personne.

Elle revint quelques instants après, et me sauta au cou : « Comme le temps me durait de te revoir, fit-elle. Il me semble qu’il y a un siècle… Je suis tout à fait rétablie, maintenant… Viens vite, je meurs d’envie de t’avoir… Flora, monte la garde. »

Elle m’entraîna au fond de la serre, vers un petit tertre, couvert de mousse. Et la troussant aussitôt, je l’enfilai en levrette, quoique le pantalon nous gênât un peu.

Nous ne tardâmes pas à expirer de bonheur. Dora se releva et m’embrassant : « Ah ! fit-elle, ça m’a soulagée… Que c’est bon !… Flora, à ton tour… je vais veiller… »

Je la fis asseoir et, lui écartant les jambes, je me mis à genoux devant elle, la tête entre ses cuisses ; je commençais à peine à lui faire sentir ma langue, lorsque nous entendîmes la voix de Dora : « Voici quelqu’un !… »

Prompt comme l’éclair je me retirai, quand j’entendis la voix de Maud. Au même instant, celle-ci arriva vers nous en courant. « Je m’en doutais !… Ne vous dérangez pas, mes amours, continuez !… »

Je m’étais remis en position et j’allais reprendre ma douce besogne, quand Flora soupira : « Non, ce n’est pas à continuer, c’est à recommencer. »

Elle avait joui au moment même où je me retirais.

— Ah ! c’est à recommencer ? s’écria Maud… eh bien ! je veux en être, moi.

Et se glissant comme un chat entre mes jambes, elle eut vite dégagé maître Jacques de ses entraves et commencé un mouvement de succion aussi expérimenté que délicat, qui m’eut bientôt mis au niveau de la chère Flora, envers laquelle je redoublais d’ardeur. Je la sentais palpiter sous mes caresses, et malgré le quasi-silence auquel nous étions obligés, elle ne pouvait s’empêcher de pousser de délicieuses exclamations : « Oh ! qu’elle est bonne, ta langue… va, mon chéri… jouis aussi… suce bien, Maud… va… tiens, tiens… »

Dora, qui s’était rapprochée, put recevoir sur ses lèvres les derniers soupirs de la tendre enfant, tandis que, de mon côté, j’exhalai un flot brûlant dans la bouche de la gourmande gamine, qui se releva en s’essuyant les lèvres.

Toute cette scène n’avait pas duré plus d’un quart d’heure, et nous fûmes prêts en un instant à retourner sur la pelouse. Cependant, jetant un dernier regard dans la serre, j’aperçus, sur une petite table, une boîte de couleurs, et un chevalet avec une chaise devant.

— Qu’est-ce que cela ? demandai-je en sortant.

— C’est l’attirail de peinture de Dora, répondit Flora. Vous ne savez donc pas qu’elle fait l’aquarelle à ravir. Elle ne vous l’a donc pas dit ?

— Jamais !… Comment, Dora, vous êtes modeste à ce point ?…

— Bah ! je n’y ai pas seulement pensé.

— Chère amie, il faudra me montrer vos merveilles…

— Vous savez bien, répondit-elle avec un sourire malin, que je vous montre tout ce que vous voulez. Eh bien ! oui, je vous ferai voir mon atelier avec tout ce qu’il y a dedans. En attendant, venez prendre un cocktail.

Nous avions rejoint la compagnie qui s’était fort éclaircie pendant notre courte absence. Il n’y avait plus, avec Sir Duncan, que trois ou quatre personnes, et parmi elles la mère de Maud.

— Monsieur Fonteney m’a demandé à visiter mon atelier et à voir mes croûtes, dit Dora à son père.

— C’est une faveur, me dit celui-ci, que ma fille n’a encore, je crois, accordée à aucun gentleman. Vous y verrez de très jolies choses.

— Eh bien ! me demanda Dora, quand voulez-vous ?… Demain matin !… cela vous convient-il ?… c’est dimanche.

— Entièrement à vos ordres, miss, fis-je en m’inclinant.

— Faisons mieux, dit alors Sir Duncan : ma chère Dora, priez M. Fonteney de venir, sans façon, déjeuner avec nous. Vous lui montrerez ensuite vos pochades à votre aise.

Je ne pus qu’acquiescer, et je pris congé.

Le lendemain, j’arrivais chez Sir Duncan à l’heure convenue, où je rencontrai un capitaine du génie, que je connaissais et qui est le secrétaire du père de Dora. Le déjeuner achevé, Dora demanda : « Maintenant, messieurs, voulez-vous venir voir mes peintures ?… »

— Non, répondit son père, j’ai à causer avec le capitaine ; M. Fonteney t’accompagnera.

J’offris le bras à Dora et nous sortîmes. Je pense t’avoir dit qu’elle occupait un petit bungalow indépendant de l’habitation de son père, à une trentaine de mètres de celle-ci. Ce cottage n’a qu’un rez-de-chaussée auquel on accède par une véranda ; une pièce centrale servant à la fois de salon et d’atelier, flanquée à droite et à gauche de deux chambres à coucher, compose avec ses dépendances l’appartement de Dora.

La porte du salon s’ouvrit devant nous et j’aperçus debout dans la pénombre, une petite indienne en pagne de soie, à peine brunie, fort jolie, avec de grands yeux effarouchés, qui pouvait avoir douze ou quinze ans. À peine la porte était-elle refermée que Dora me sautait au cou, me serrait dans ses bras et me donnait les plus tendres baisers, en me disant : « Enfin, nous sommes chez nous !… Je t’ai tout à moi… rien qu’à moi !… »

Et comme je lui montrais la petite indienne qui nous regardait, stupéfaite : « Ne t’inquiète pas, chéri, me dit-elle, c’est Amalla, une enfant que j’ai achetée à ses parents, pendant une promenade à cheval à travers la campagne.

— Achetée ?…

— Oui, elle me coûte même fort cher : je l’ai payé cent roupies.

Je n’en revenais pas.

— Eh oui ! reprit Dora, cela est assez fréquent ici. Sa famille était tombée dans la plus profonde misère. Il y a quinze mois que je l’ai et je ne me suis pas un seul instant repentie de l’avoir prise avec moi. Daisy, ma dame de compagnie, lui apprend à lire et à écrire, et elle parle déjà passablement l’anglais ; je crois qu’elle m’est attachée, et elle est tout à fait habituée à moi maintenant.

Pendant que Dora me donnait ces détails, la petite bengalie, accroupie sur la natte, levait sur sa maîtresse ses grands yeux, devinant qu’il était question d’elle (car Dora me parlait en français) ; elle buvait ses paroles et me regardait curieusement, avec une expression de plus en plus douce.

— Viens ici, Amalla, dit Dora.

La petite se leva et se tint debout entre les jambes de sa maîtresse. Sans rien dire, en souriant, Dora écarta le pagne léger qui s’enroulait autour du buste gracile de la fillette, puis elle ouvrit le petit corsage…

— Laisse-moi montrer à mon ami ta jolie petite gorge.

Amalla se défendait faiblement. Pour l’encourager, je mis mes lèvres sur celles de Dora et nous nous baisâmes avec passion. En même temps, j’ouvrais la robe de mon amie et je mettais au jour ses seins d’une blancheur de lait.

— Montre-moi les tiens, Amalla, que je voie s’ils sont aussi gros…

Je vis deux petits globes bien ronds, fermes et bruns, fort appétissants, avec leurs petits bouts roses sur lesquels je portai un doigt qui la fit tressaillir. Soudain, elle se jeta sur Dora et prit dans sa bouche le bout d’un des seins qu’elle se mit à sucer. Mais celle-ci se leva en se rajustant, et nous dit : « Mes enfants, ne nous échauffons pas. Il me semble, cher ami, que vous n’êtes guère pressé de voir mes œuvres ».

— Pardon, chère amie, mais que puis-je voir de plus joli que ce que vous m’avez montré ?… Mais dites-moi, en lui désignant Amalla du coin de l’œil, est-ce que ?…

Elle me devina, et me répondit à l’oreille : « Tu es bien curieux !… Eh bien ! oui, là… es-tu content ?… Il faut bien qu’elle me serve à quelque chose… Je t’assure qu’elle a une petite langue fort habile. »

— Et vous, Dora, est-ce que vous lui rendez la pareille ?

— Indiscret !… Non, jamais avec la bouche ; mais quelquefois avec le doigt, quand je suis bien contente d’elle… C’est sa plus grande récompense. Figure-toi qu’il y a huit jours, Maud était venue prendre sa leçon de peinture. J’achevai un travail sans m’occuper d’elle, quand un léger bruit me fit lever la tête, et je vis dans un coin de l’atelier, ma Maud et Amalla, étendues toutes deux sur la natte, les mains passées sous leurs jupes, qui… se branlaient. J’allais me fâcher, mais leur position était si drôle, elles avaient l’air si absorbé dans leurs exercices, que j’éclatai de rire et leur criai : « Ne vous gênez pas, polissonnes !… »

Elles se gênaient si peu, que presque aussitôt leurs soupirs simultanés m’annonçaient la fin de leur amusement.

Dora me montra ensuite ses dessins, ses aquarelles vraiment fort belles : marines, paysages, portraits, etc.

— Ne me donnerez-vous pas un souvenir, ma chérie ?… Je serais si heureux de rapporter à Cécile quelque chose de vous !…

— Tout, mon ami, tout ce que tu voudras. Prends !… tout ce que j’ai est à toi…

Et avant que j’eus le temps de la remercier, elle ajouta : « Mais tu n’as pas tout vu !… »

Ouvrant alors un petit bureau fermé à clef, elle en tira un carton d’où elle sortit une trentaine d’esquisses, les unes inachevées, les autres complètement terminés, et les étala sous mes yeux.

Ce fut un éblouissement !… C’étaient elles : Dora, Flora, Maud, Kate, Amalla, nues ou à peine vêtues, dans toutes les positions, s’amusant isolément ou se caressant en groupe de deux ou de trois, se branlant, se gamahuchant, mettant en évidence leurs trésors de beauté, leurs seins palpitants, leurs croupes bondissantes, leurs hanches se tordant, les nez et les bouches fourrageant dans les toisons, s’étreignant, les doigts s’enfonçant dans les chairs, les cheveux épars ou couvrant à demi les poitrines et les gorges… L’amour lesbien sous toutes ses formes, la passion dans toute son intensité, avec toutes ses fureurs, avec une vérité d’attitude, un frémissement de vie dans tous ces corps !…

Dora était ravie de l’enthousiasme que je manifestais et qui s’adressait autant à l’exécution qu’au choix des sujets. À la fin, n’y tenant plus, je la saisis dans mes bras et l’embrassai longuement sur les lèvres, lui disant : « Oh ! viens… viens… je te veux… »

Mais elle, se dégageant, me dit encore : « Tu n’as pas tout vu !… »

Elle reprit un autre carton dans lequel se trouvaient, avec quelques ébauches, huit aquarelles qui représentaient un homme… moi, ton Léo, avec elle et Flora, puis tous quatre ensemble, faisant… tout ce que je t’ai raconté et tout ce que son imagination féconde lui suggérait que nous puissions faire encore !

Après une moment de silence, elle me dit : « Bien que tout cela ait été fait « de chic », je n’en suis pas mécontente ; mais il faudra que vous me donniez quelques poses… »

— Oh ! chère Dora, tout ce que vous voudrez ; mais pourrai-je garder mon sang-froid, lorsque je tiendrai Maud ou Flora nue dans mes bras ?…

— Ça, fit-elle en souriant, c’est mon affaire… Eh bien ! nous prendrons jour… Croyez-vous, cher Léo, ajouta-t-elle, que cela ferait plaisir à votre femme d’avoir quelques-unes de ces aquarelles ?… Ne s’effarouchera-t-elle pas de vous voir en cet état, avec d’autres ?…

— Au contraire, elle sera ravie, enchantée, soyez-en certaine !… Je lui ai tout écrit et vous avez lu sa réponse.

Dora me donna quatre compositions que je t’envoie ; je n’ai pas besoin de te recommander de les serrer au plus profond de ton secrétaire. Mais ne les regarde pas trop avec mademoiselle Thérèse !…

Après avoir remis ses cartons dans son petit bureau, elle me dit : « Viens, maintenant, mon chéri… »

Et elle m’entraîna vers sa chambre.

Nous nous étendîmes sur le sofa, et je mis immédiatement à l’air sa gorge qui palpitait de désir. J’eus vite fait d’enlever mes vêtements que je jetai à terre. Amalla courut les ramasser, puis revint près de nous, après avoir prudemment donné un tour de clef à la porte de l’atelier. Dora, pendant ce temps, avait desserré le cordon de sa jupe, et caressait mon priape déjà plein de feu et d’impatience. Amalla, debout, nous regardait en souriant.

— Tiens, petite, lui dit Dora, vois comme il est beau… prends-le !…

Elle ne se le fit pas dire deux fois et saisit à pleines mains l’objet que Dora lui montrait, pendant que mes doigts se promenaient sur la toison d’or de ma belle amie et que nos langues se fêtaient de concert. Je sentis Amalla prendre dans sa bouche la tête rose de maître Jacques, qu’elle mordilla doucement. Dora se dégagea un instant et regarda en souriant l’occupation à laquelle se livrait sa petite élève : puis elle lui dit : « Arrête, Amalla, c’est pour moi… Viens, j’ai une fantaisie, comme Flora… »

Elle me fit alors remonter jusqu’à la hauteur de sa bouche, et saisissant à son tour maître Jacques de ses lèvres avides, nous dit : « Là, comme cela… baise-moi dans la bouche… fais comme si c’était… ailleurs… et toi, Mimi, fais-moi… là… avec ta langue, ma petite… »

Amalla avait déjà commencé une besogne à laquelle elle paraissait très habituée, et je sentais ses petites menottes me caresser doucement les fesses, pendant que moi-même, obéissant docilement à Dora, je faisais, entre ses lèvres, le mouvement de va-et-vient.

Ni l’une ni l’autre ne pouvant parler, tout se passa silencieusement, mais, quand, à la fréquence de mes soupirs, Dora comprit que j’allais rendre l’âme, elle me serra plus fortement contre elle, de peur que je me retirasse, et… je crus qu’elle allait m’avaler tout entier, pendant que je sentais son ventre se soulever et se crisper dans une torsion finale.

M’étant alors relevé, j’aperçus Amalla qui s’affaissait à son tour sur la natte, car son doigt lui avait rendu le même service que sa langue à sa belle maîtresse. Je passai par-dessus son corps pour aller au cabinet de toilette et me rhabiller.

Quand je revins, Dora me sauta au cou, en disant : « C’est bien bon et je comprends que Flora aime tant cela ; mais c’est vraiment un plaisir trop court. Maintenant, mon chéri, il faut nous séparer, et soyez bien sage, monsieur, jusqu’à jeudi ; nous irons vous voir toutes les trois. »

Amalla m’avait pris la main et l’embrassait avec effusion.

— Vous savez, me dit Dora sur le seuil du bungalow, cette petite, maintenant, vous aime autant que moi.

Je donnai à Amalla une tape amicale sur la joue, qui la fit tressaillir de joie, et je rentrai chez moi.

. . . . . . . . . . . . . .

Deux mots maintenant en réponse à ta lettre du 8 décembre. Ce que tu m’as raconté de ta femme de chambre m’a fait venir l’eau à la bouche, et tes descriptions enflammées m’ont… embrasé aussi. Cependant, je trouve que tu as été bien vite en besogne. Tu ne connais guère cette fille que tu es en train d’adorer, et je crains que les ivresses de votre lune de miel ne te fassent exagérer les charmes de ta nouvelle amie. Je ne saurais trop te recommander la prudence dans les confidences que tu me parais disposée à lui faire ; j’attends avec une certaine impatience ta prochaine lettre, dans laquelle j’espère ne pas trouver trace des déceptions que je redoute.

Je t’envoie mes plus tendres caresses.

Léo.

IX

Paris, 9 janvier 18…

Nous partirons bientôt pour Nice où mes parents me réclament à cor et à cri. Je laisserai à Lyon Thérèse qui m’a demandé huit jour de congé pour aller voir sa famille. Le temps va me sembler long pendant son absence…

Après une semaine passée en notre compagnie, Gérard nous a quittées hier, pour se rendre au Creusot. Cette séparation a été une sorte de délivrance, et si j’ai pleuré sur le quai de la gare, au moment du départ, c’est moins à lui même qu’à ma propre jeunesse que je disais un adieu peut-être éternel. Il était ému, mais je suis certaine qu’il ressentait un sentiment analogue, et je l’ai bien compris au geste qu’il a fait une dernière fois à la portière du wagon, qui signifiait clairement : « Eh bien ! n’en parlons plus ! »

Physiquement et moralement, il a vieilli de dix ans. J’étais allée, avec Thérèse, l’attendre à son arrivée ; je le cherchais vainement parmi les passagers qui débarquaient, alors qu’il était devant moi et me souriait en prononçant mon nom.

— Gérard ! criai-je à mon tour, en me jetant à son cou et en pleurant.

— J’ai bien changé, n’est-ce pas ? Oui, je le sais, mais je suis toujours le même pour vous chère, Cécile.

Hélas non ! le pauvre ami n’était plus le même, je m’en suis bien vite aperçue. La fièvre des affaires s’est emparée de lui et l’obsède. Nous avons passé la nuit au Havre où il a couché avec moi. Revenus à Paris le lendemain, nous l’avons installé dans l’appartement de papa, prenant, bien entendu, nos repas en commun. Thérèse a passé plusieurs nuits avec lui, mais elle ne s’est laissée faire, m’a-t-elle dit, que pour m’être agréable.

Il a cherché à être aussi aimable que possible, mais ce n’était plus la même chose… Thérèse t’écrira, de son côté, ce qu’elle en pense. Quant à moi, je désire ne plus le revoir.

. . . . . . . . . . . . . .

Mardi 12 janvier.

Je vais te raconter la dernière aventure de Thérèse.

J’avais dû sortir après le déjeuner pour quelques courses urgentes dont papa m’avait chargée. Sans m’en expliquer le motif, Thérèse me demanda la permission de s’absenter, promettant de rentrer à sept heures précises.

Elle arriva, à sept heures et quart, toute souriante. « Me voilà, fit-elle gaiement, je suis en retard ?… »

— Un peu… j’allais me mettre à table. Peut-on, dis-je avec une froideur feinte, demander à mademoiselle où elle a passé son après-midi ?…

— Oui, madame, répondit-elle sur le même ton.

Après s’être mise en déshabillé, elle vint s’asseoir sur mes genoux en m’embrassant. La coquine me connaît bien et ne se laisse pas prendre à mes bouderies, quand elles ne sont pas sérieuses.

— Ainsi, lui demandai-je, tu est contente ?… tu t’es bien amusée ?… « Oui, je suis très enchantée de ma journée ».

Nous nous mîmes à table, et pendant tout le dîner nous ne parlâmes que de choses insignifiantes devant la bonne qui nous servait.

Dès que nous fûmes seules dans ma chambre, je lui dis, avec un peu d’impatience : « Eh bien ! me diras-tu où tu es allée ?… »

— Devine !…

Une idée me traversa l’esprit : « Je parierais que tu as été rejoindre la Saint-Léon !… »

— Oh ! fi !… mieux que cela, ma chère… Je suis allée voir Valentine à sa pension.

— Valentine !… Alors, tu reviens de Sèvres ?…

— Parfaitement. L’idée m’est venue dès que tu as été sortie. Après le déjeuner je me suis fait conduire à la gare. J’avais emporté la partition de sonates qu’elle t’a demandée et une boîte de chocolat que j’ai achetée chez Pihan. Arrivée à la pension, je fus reçue par la directrice, qui me reconnut immédiatement, et je lui demandai à voir Valentine de ta part. Elle l’envoya chercher de suite. Je te laisse à penser la surprise de la chérie quand elle m’aperçut. Elle me sauta au cou pour m’embrasser et ses premières paroles furent pour me demander comment tu allais.

— Cécile va très bien, mais elle a eu des visites à faire et m’a chargée de vous apporter cette partition de musique et ce petit paquet.

— Oh ! merci Thérèse… Viens dans ma chambre…

Dès que nous y fûmes arrivées, la charmante enfant se suspendit à mon cou et me couvrit de caresses que je lui rendis avec entrain : « Que tu es gentille d’être venue, ma Thérèse !… Tu m’aimes toujours ?… »

— Tu le vois bien, Line, puisque je n’ai pas pu attendre la fin du mois pour te revoir.

Et la regardant bien en face : « Avez-vous été sage, mademoiselle ?… Voyons vos yeux… »

— Oh ! oui !… Rien qu’une fois avec mademoiselle Berthe ; et encore elle n’a pas voulu me le faire, mais je me suis branlée en lui faisant mimi : et avant-hier, encore une fois, avant de m’endormir en pensant à, toi… Mais maintenant je t’ai, je te tiens, je te veux… Oh ! vite, ma Thérèse, ne me fais pas languir…

Et sa main fourrageait. La mienne aussi, du reste… si bien qu’un instant après, j’étais obligée de lui mettre la main sur la bouche pour l’empêcher de crier.

— Ah ! fit-elle, ça va mieux, j’en avais bien besoin…

Nous ne pouvions nous déshabiller, ni fermer la porte à clef. Cependant, je mourais d’envie de sentir frétiller sa petite langue entre mes cuisses. Pour me distraire, je visitai son linge, j’examinai ses livres, ses cahiers ; elle tournait autour de moi comme une chatte, me becquetant, me pelotant, me caressant de mille façons. Elle me dit tout à coup : « Oh ! montre-moi tes belles fesses, si blanches, si potelées. J’en ai rêvé bien souvent… »

Et elle passa sa main dans la fente de mon pantalon.

N’en pouvant plus, je me renversai sur son lit, en lui disant : « Ta langue, ma chérie, ta langue… fais-moi mimi… bien doucement… »

La petite polissonne ne se fit pas prier et me lécha avec rage, au point que je dus la prier de ralentir son mouvement.

Quand nous eûmes terminé, quatre heures sonnèrent. Line me dit : « Voilà la récréation ; mademoiselle Berthe est libre, je vais la faire venir… Je veux que vous fassiez connaissance, tu verras comme elle est gentille ; je ne lui ai rien dit de tes rapports avec ma sœur ; je suis sûre qu’elle te plaira… »

Avant que j’eusse pu l’en empêcher, elle s’était envolée ; elle reparut au bout de quelques minutes, tenant par la main la sous-maîtresse que j’avais aperçue lors de notre dernière visite. Line nous présenta l’une à l’autre, et voyant qu’aucune n’osait commencer la conversation, elle nous dit : « Mes chères amies, vous savez qui vous êtes ; je t’ai dit, Thérèse, que c’est Berthe qui m’a donné mes premières leçons de… ce que tu sais bien ! Et vous, Berthe, je vous ai raconté que j’avais trouvé chez ma sœur une charmante amie qui s’est assurée que j’en avais profité. Maintenant, vous n’allez pas rester là, à vous examiner. Nous sommes seules ; je vais veiller… »

Et elle se tint près de la porte entr’ouverte, les yeux sur le vestibule d’accès.

Ce petit discours fit monter au visage de Berthe une légère rougeur, et je ne trouvai rien de mieux à faire que de lui tendre la main et lui dire en souriant : « Voulez-vous m’embrasser, mademoiselle… »

Ah ! je t’assure que la conversation ne languit pas !… Quelques minutes après, elle était dans mes bras, me baisant sur la bouche ; nos baisers répétés nous mettaient en feu ; son apparente timidité avait disparue et son visage respirait le désir et la volupté. Elle m’écrasait les seins par-dessus mon corsage. Tout à coup, Line, qui nous regardait, lui dit : « Regarde donc, Berthe, ce que je t’ai dit qu’elle avait de si beau !… »

J’étais assise sur le lit : Berthe me renversa, et se mit à chercher sous mes jupes, pendant que j’écartais les jambes. Elle arriva juste au point sensible qu’elle fit tressaillir ; se mettant à genoux, elle enfonça sa langue dans la grotte et saisit à pleines lèvres ce clitoris que tu connais, et qui bandait sous ses caresses. Quelle adroite gougnotte !… quelle agilité, quel art dans le frétillement rapide de sa langue pointue et pénétrante !… J’avais mis mes jambes sur ses épaules, et lui serrai tellement la tête que je faillis l’étouffer. Elle se releva à demi suffoqué mais souriante, et se précipita sur ma bouche, criblant mes lèvres de baisers passionnés. Line, restée près de la porte, nous disait : « Oh ! mes chéries, j’ai joui en vous voyant. Ce n’est pas à moi, ma petite Berthe, que tu fais minette comme cela… »

Je l’ai cru sans peine : la pauvre enfant, un pareil afflux de volupté la tuerait.

— À mon tour, mon ange, dis-je à Berthe…

Mais elle m’arrêta : « Non, ma chérie, je suis tellement brisée que cela n’est pas possible… mais avec ton doigt, si tu veux… »

Et tandis que ma bouche était sur la sienne, je la branlai jusqu’à ce qu’elle râlât en inondant ma main.

— Je te veux, me dit-elle, je te veux toute entière… je veux te voir toute nue, voir tes nichons, les manier, les sucer, manger ton clitoris… je veux que tu me baises avec ton… il est assez long pour cela… Veux-tu ?

— Oui, oui, lui dis-je, tu me plais, je ferai tout ce que tu voudras, mais ne fatigue pas trop notre chère Valentine.

— Tu veux que je te la conserve, répliqua-t-elle en riant. Ne crains rien, ma chérie ! elle a dû te dire que c’était moi, au contraire, qui étais obligée de la modérer ; mais ce n’est pas l’envie qui me manque.

Tout en causant et en échangeant de menues caresses, le temps passait et nous entendîmes sonner la cloche.

— Voilà l’étude, nous dit Line, il faut que je me sauve ; adieu mes chéries. Thérèse, embrasse bien fort Cécile pour moi.

Et se penchant à mon oreille : « Tu sais comment ?… Et vous deux, faites encore une fois l’amour à ma santé !… »

Et elle se sauva.

— Voulez-vous venir un moment dans ma chambre ? me dit alors Berthe. Je suis libre jusqu’à six heures.

— Oui, je veux bien… allons-y !…

C’était à quelques pas, dans le même corridor. Dès que nous fûmes entrées, elle donna un tour de clef à la serrure : « Comme cela, dit-elle, nous ne serons pas dérangées. »

— Et si, par hasard, on venait frapper ?…

— Je répondrai que je m’habille.

En même temps, elle avait dégagé ses dessous, et me sauta au cou : « Est-ce que je vous plais vraiment ?… »

— Oui, beaucoup, lui répondis-je en la culbutant sur un petit lit où il n’y avait qu’un matelas sans draps.

Et je travaillai si bien la belle que deux fois de suite elle jouit à en mourir. Je te laisse à penser, ma chère Cécile, si elle me donna ensuite de tendres baisers pour me remercier.

Pendant qu’elle me reconduisait, je lui dis : « Sais-tu, petite amie, que tu es la plus heureuse des gougnottes : tu as tout un sérail à ta disposition. »

Elle eut un petit rire d’assentiment.

— Et la Directrice ne s’aperçoit de rien ?

— Oh ! je crois bien qu’elle se doute de quelque chose. Mais comme, malgré ses grands airs, elle a deux amants, qu’elle me sait au courant de ses fredaines, et que d’autre part, je remplis scrupuleusement mes fonctions elle ferme les yeux, d’autant plus qu’il n’y a pas le moindre scandale.

— Et tu ne rencontres pas de rebelles ?

— Non ; d’abord parce que je ne m’adresse qu’à celles que j’ai bien observées et dont j’ai deviné le tempérament ; ensuite, lorsque j’ai envie d’une « nouvelle », je le dis à l’une de mes deux ou trois confidentes qui me la préparent.

— De sorte, mademoiselle, que les pucelles vous tombent toute rôties ?…

— Mon Dieu, oui ; et ce qu’il y a de plus joli, c’est que je les croque, et qu’elles sont encore pucelles…

— Il se fait tard, il faut que je rentre maintenant… Adieu, ma petite Berthe…

Et voilà, ma Cécile, la cause de mon retard.

. . . . . . . . . . . . . .

Je lui ai pardonné de bon cœur son incartade. Elle a une manière si plaisante de vous raconter ces petites polissonneries, qu’on ne peut lui en vouloir. Ce n’est peut-être pas la dernière fois que j’aurai à te mettre au courant de ses aventures. C’est un vrai « homme » pour l’entrain à l’attaque et la vigueur au combat. Cela tient sans doute à sa conformation physique, qui fait d’elle une hermaphrodite.

Un million de baisers de ta

Cécile.

X

Paris, le 30 janvier 18…

Je continue à m’attacher de plus en plus à Thérèse ; chaque jour je lui découvre de nouvelles qualités. Tu ne te figures pas combien elle est sensible et délicate. Il y a trois jours, rentrant pour dîner, je la trouvai dans sa chambre, pleurant à chaudes larmes. Je m’approchai pour l’embrasser, la consoler et lui demander la cause de ce gros chagrin.

Elle se laissa tomber à mes pieds, en joignant les mains ; « Oh ! pardonnez-moi !… pardonnez-moi !… Je suis une malheureuse… je vous ai trompée… »

— Trompée ? fis-je, et comment cela ?… Tu rêves, ma chère amie…

— Non, c’est la vérité… Voilà… je suis sortie… j’ai rencontré… une autre femme… et je me suis laissée aller à… Pardonnez-moi !…

Cette fois, je compris, et partis d’un grand éclat de rire. « Et c’est cela qui te cause tant de chagrin ; tu es folle !… Relève-toi donc et embrasse-moi. »

Sa figure changea subitement, et se jetant à mon cou, elle me dit : « C’est vrai ! vous ne m’en voulez pas ?… »

— Mais non, pas du tout, ma chérie. À une condition, cependant, ajoutai-je en faisant la grosse voix, c’est que vous me direz tout.

Je l’amenai dans ma chambre et la pris sur mes genoux. De gros soupirs soulevaient encore sa gorge.

— Ainsi, lui dis-je, en mettant un baiser sur ses lèvres pour la tranquilliser, tu m’as fait une petite queue… avec qui ?… raconte-moi ça…

Elle commença alors, toute confuse, comme une enfant qui avoue une faute :

— Aussitôt après votre départ, je sors pour aller chez la mercière. À Saint-Philippe, je me trouve arrêtée par un embarras de voitures ; je jette machinalement les yeux sur l’une d’elles, une élégante victoria dans laquelle une jeune dame se prélassait ; au même moment cette femme tourne la tête, et nous nous écrions en même temps : « Oh ! quel heureux hasard !… » C’était mon ancienne maîtresse, celle dont je vous ai parlé, qui se fait appeler « baronne de Saint-Léon » mais qui n’est qu’une vulgaire cocotte pour femmes, et qui, actuellement, est très richement entretenue par la baronne N… C’est elle, je vous l’ai dit, qui m’a donné le certificat si élogieux sur la foi duquel vous m’avez engagée… Je vous ai dit également qu’elle s’était séparée de moi contre son gré, et seulement parce que la baronne X…, jalouse de moi, l’avait exigé.

— Vous n’êtes pas pressée, Thérèse, me dit-elle, montez donc dans ma voiture, nous ferons une petite promenade.

Avant que j’aie eu le temps de répondre, elle m’avait tirée dans sa voiture et fait asseoir auprès d’elle.

— Tu n’es plus ma soubrette, maintenant, fit-elle, tu es une amie, pour moi ; et tu es même très chic, sais-tu ?… Tu deviens très jolie… Es-tu contente de ta position ?…

— Très contente ; je ne suis plus femme de chambre, je suis dame de compagnie.

— Ta maîtresse est jeune ?…

— Vingt-trois ans, je crois.

— Jolie ?…

— Mais oui, fort jolie, et surtout très piquante.

Cet interrogatoire, pourtant très amical, m’impatientait.

— As-tu un amant ?…

— Non, Madame.

— Ah ! oui, c’est vrai, j’oubliais que tu es comme moi… tu aimes mieux les femmes… Tu as bien raison, va !… Tiens, on dirait qu’il va pleuvoir. Il faut rentrer.

— Et moi. Madame, je vais vous quitter.

— Bah ! tu peux bien me donner une demi-heure ; la rue du Cirque est à deux pas. Veux-tu venir voir mon boudoir ?… j’ai tout transformé.

Que faire ? je savais bien que j’avais quelques heures de libre et puis, je ne sais… quelque diable me poussant…

Je répondis oui. Elle dit un mot à son cocher et cinq minutes après nous étions à sa porte.

Sa femme de chambre était, sortie.

— Louis, dit-elle au valet de pied, je n’y suis pour personne. Quand Tiennette reviendra, vous lui direz de ne pas entrer avant que je la sonne.

— Un monstre, ma chère, cette Tiennette, me dit-elle dès que le larbin eut le dos tourné… c’est la baronne qui me l’a procurée.

Dès que nous fûmes dans son boudoir, je lui demandai : « Madame veut-elle me permettre de l’aider à se déshabiller ? »

— De quoi ! répliqua-t-elle aussitôt de sa voix faubourienne : « Madame ! » Qu’est-ce que ces manières-là ?… de ne suis donc plus ta Viève ? (Elle s’appelle Geneviève.) Veux-tu vite m’embrasser et me tutoyer.

Qu’auriez-vous fait à ma place ?… Je lui rendis son baiser et l’accompagnai d’un petit bout de langue.

Tandis que je l’aidais à quitter ses vêtements, elle me posait mille questions à votre sujet. Retenant de folles envies de rire, je répondais affectant à votre égard le plus grand détachement, me contentant de dire que je remplissais auprès de vous le poste de dame de compagnie, énumérant les devoirs de ma charge et parlant de l’affection que vous portiez à votre mari.

— Et cette petite dinde n’a jamais fait attention à toi ? me dit-elle, lorsqu’elle fut en chemise et pendant que je me déshabillais rapidement.

— Mais non !…

Et toi qui la trouves si jolie et bien faite, quand tu la déshabilles, n’éprouves-tu pas des envies ?… car je te connais, petite gougnotte…

— Mais non, je t’assure…

— Eh bien ! si j’étais à ta place, je la dégourdirais…

J’avais une folle envie de rire.

— Eh bien, vois-tu, moi, je t’aime vraiment parce que tu n’as pas cherché à me supplanter auprès de mes amants, hommes et femmes, que tu m’as fidèlement servie, que tu m’as souvent aidée de tes bons conseils, et enfin parce que tu es aussi… cochonne que moi, tout en gardant une décence extérieure dont je ne serais pas capable.

Nous étions presque nues ; elle avait sa main sous ma chemise et déjà chatouillait certain bouton… Nous unîmes nos langues…

(À ce moment-là, Thérèse s’interrompit pour m’embrasser et me demander pardon : « J’avais perdu la tête, me dit-elle, et j’ai oublié ma Cécile ». Je la rassurai encore une fois et la pressai de continuer).

Après ?… Je ne sais comment nous nous trouvâmes vautrées sur le lit, nous gamahuchant follement toutes les deux. Trois fois de suite nous jouîmes ensemble. Lorsque nous revînmes à nous, la Saint-Léon se leva et me dit : « Oh ! Thérèse, que j’ai joui !… que je t’aime !… J’en veux encore… viens me le mettre par devant, par derrière, partout… avec le godmiché, tu sais ?… »

Si je savais !… Je connaissais l’instrument qui avait servi bien des fois dans nos ébats ; j’allai tout droit à un chiffonnier où nous le serrions d’habitude. J’eus tôt fait de me l’attacher. Elle prit à peine le temps d’y introduire une décoction tiède de guimauve, et m’entraînant sur le lit : « Mets-le moi vite, baise-moi bien, fais-moi tout ce que tu voudras… »

Moi aussi, j’étais excitée. Cette bacchante ne me lâcha pas avant de se l’être fait mettre des deux côtés et de m’en avoir fait autant. Quand elle n’en put plus : « Oh ! me dit-elle en se jetant à mon cou, jamais je n’ai joui comme avec toi… Reviens me voir, Thérèse, reviens souvent, je ne suis heureuse qu’avec toi… »

Je me rhabillai.

— Attends, fit-elle au moment de sortir…

Elle ouvrit son secrétaire, prit une bague, l’enveloppa dans un billet de mille francs et le glissa, malgré moi, dans la poche de mon vêtement.

Quand je fus dehors, j’étais comme étourdie et je pouvais à peine marcher ; je pris une voiture et me fis ramener à la maison. À peine dans ma chambre, le sentiment de la trahison envers toi et de l’humiliation que je venais d’éprouver en recevant de l’argent de cette fille me saisit, je tombai sur une chaise, en proie à une crise de nerfs ; puis je pleurai abondamment ; c’est alors que tu es arrivée.

— Chère Thérèse, fis-je en la pressant sur mon cœur.

— Alors, c’est bien vrai, ma Cécile, que tu me pardonnes, et ne m’en veux-tu pas ?…

— Cela dépend, Mademoiselle, répondis-je d’un ton affecté. D’abord m’aimez-vous toujours ?…

— Oh ! peux-tu le demander ?…

Elle jeta ses bras autour de mon cou.

— T’es-tu bien amusée ?… As-tu eu bien du plaisir ?…

— Oui, je l’avoue… pendant que j’y étais… j’avais tout oublié, et ce n’est qu’après…

— Oui, ce n’est jamais qu’après que l’on a du remords… et encore, pas toujours. Alors, tu t’es bien amusée, tu as joui comme une louve pendant deux heures, et tu crois que je vais t’en vouloir !… Mais regarde-moi donc, nigaude ! Je t’envie, au contraire, et j’aurais voulu être à ta place. Mais comment se fait-il que, dans toutes nos folies, nous n’ayons jamais pensé… Écoute, Thérèse, il faut absolument nous procurer un de ces godmichés ; je veux te le mettre, moi aussi.

— J’y avais déjà songé, répondit-elle, et je crois que ce sera possible, devrais-je aller emprunter celui de la Saint-Léon

— Et aller le chercher nous-même, continuai-je.

— Ah ! Cécile, Cécile, fit-elle, en me menaçant du doigt.

— À propos, et ta bague ?…

— Tiens, c’est vrai ! elle est encore enveloppée dans le billet, sur mon lit où je l’ai jetée en arrivant. Je vais la chercher.

C’était un fort beau saphir entouré de brillants ; nous l’admirâmes, et comme la coquetterie féminine ne perd jamais ses droits, Thérèse mit le bijou à son doigt et le fit miroiter avec complaisance.

— C’est trop beau pour moi, soupira-t-elle, je ne pourrai jamais la porter : la veux-tu ?…

— Tu plaisantes, Thérèse ; je trouve qu’il n’y a rien de trop beau pour toi, et je voudrais pouvoir, moi aussi, te couvrir de bijoux… Quant au billet, tu peux le garder sans scrupule ; cet argent ne lui coûte rien… Tu penseras ce que tu voudras, je la trouve très gentille, cette femme, elle me plaît.

— Oh ! elle est bien fanée, va !…

Je partis d’un grand éclat de rire.

— C’est toi, maintenant qui es jalouse de la Saint-Léon !… Folle !… Tiens, allons dîner…

N’ai-je pas raison, cher Léo, d’aimer cette charmante compagne ?…

J’ai voulu prendre une autre femme de chambre, afin de lui éviter les soins du ménage. Elle s’y est énergiquement refusée et, sur mes instances, elle a seulement consenti à ce que je prisse une femme de ménage pour faire les gros travaux. De cette façon, elle est devenue une vraie dame de compagnie, une amie que je puis présenter partout et qui n’est nulle part déplacée. Elle joue passablement du piano, chante agréablement, et nous faisons tous les jours de la musique ensemble. Elle se fait passer pour veuve. Tu verras que tu en raffoleras comme moi.

. . . . . . . . . . . . . .

Ta Cécile.

XI

Calcutta, 11 février 18…

Décidément, ma chérie. Mademoiselle Thérèse est une aimable personne, et je commence à l’apprécier. Je dois ajouter qu’il m’est difficile, étant si loin, de juger si tu as bien fait en te laissant aller avec tant d’abandon au penchant qui t’a entraînée vers elle. Mais je ne puis t’en blâmer : je sais trop bien que, malgré tous les raisonnements du monde on n’est parfois pas maître de résister, et qu’un simple caprice vous emporte souvent au-delà de toute prévision.

Ainsi, le jour où, dans le jardin du lieutenant-gouverneur, j’ai mis un baiser sur l’épaule de Dora, je risquais de me faire jeter dehors comme un malappris. Souvent je me demande ce qui m’a pris vraiment : j’ai ressenti tout simplement un désir immodéré de mettre mes lèvres sur cette chair jeune et appétissante, c’était bien imprudent, et l’aventure aurait pu avoir des suites désagréables…

Sais-tu que notre petite sœur est une gamine délurée ? L’eau m’en vient à la bouche… Il faudra la retirer de cette singulière pension, mais je pense qu’il ne faudra pas la manier à la légère, à moins de trouver pour elle un mari… comme moi, et je crains qu’il n’y en ait pas beaucoup !… Ce que tu m’as raconté de ses débuts ne m’a pas surpris outre mesure. Te souviens-tu que la veille de mon départ, elle est venu nous dire bonsoir dans notre chambre. Elle s’est assise un instant sur mes genoux pour m’embrasser ; tout en batifolant avec elle, je la complimentai sur ses petits nichons que je sentais sous sa camisole de nuit. Je voulus alors qu’elle me les montrât pour les comparer aux tiens, mais tu t’es récriée en disant que cela n’était pas convenable, et tu l’as renvoyée assez brusquement.

J’avais alors vu briller une flamme dans ses yeux et son petit cœur battait plus vite, pendant que sa main tremblait dans la mienne. Ce ne fut qu’un éclair, mais tous ces détails me sont revenus à l’esprit en lisant ta dernière lettre. J’espère qu’à mon retour tu ne t’effaroucheras plus des « timides » caresses que je pourrai lui faire. Il est bien entendu que nous ne dépasserons pas certaines bornes, C’est égal, je suis sûr que ce soir-là, lorsqu’elle a été couchée, elle ne s’est pas endormie sans avoir exercé sur elle-même les petits talents que tu lui reconnais…

Mon usine s’élève rapidement ; les machines, arrivées d’Europe, vont être installées, et maintenant j’ai la certitude de pouvoir l’inaugurer à la fin du mois, quinze jours avant la date fixée par mon contrat. J’avais l’intention, avant de rentrer en France, d’aller passer deux ou trois jours à Darjeeling, résidence d’été du lieutenant-gouverneur et des principaux fonctionnaires du Bengale.

Mais, il y a deux jours, le Gouvernement anglais m’a fait faire des propositions par sir D. Simpson, le père de Dora, et m’a offert d’entreprendre, pendant mon séjour à Darjeeling, les études préparatoires d’un tronçon de chemin de fer d’un nouveau système, que j’avais dit à sir Duncan avoir vu fonctionner dans les Andes. J’ai accepté avec empressement : 25.000 francs de plus ne sont pas à dédaigner : ce nouveau travail me prendra un mois environ : au lieu de partir par le paquebot du 16 mars, je ne prendrai que celui du 30. Tu ne m’en voudras pas de ce retard ?

Tu sais quelle impatience me dévore d’être de nouveau dans tes bras et (pourquoi ne te l’avouerais-je pas) dans ceux de cette Thérèse, dont tu me fais à chaque lettre un si séduisant portrait… Vous devinez sans doute, toutes deux, combien j’ai hâte de contempler les délicieux appas de la Line et de me mêler à vos ébats. Rien que d’y penser, je… Mais non… Flora doit venir me trouver ce soir seule, Dora et Maud étant empêchées.

Mes petites amies commencent déjà à envisager avec chagrin l’heure de la séparation. Dora, qui brûle d’envie de te connaître, parle vaguement d’un prochain retour en Europe, et se propose de faire venir le plus tôt possible, auprès d’elle son indispensable Flora. Celle-ci, dans quelques jours, ira retrouver une de ses parentes à Simla. Il ne me restera donc que Maud, laquelle doit aller avec sa mère s’installer à Darjeeling, où je les retrouverai, si même nous ne faisons pas route ensemble.

Madame Clemenson est devenue très aimable avec moi et je compte bien avoir raison de son apparente pruderie. Dora m’affirme avoir fait sa petite enquête à ce point de vue, et elle est convaincue que l’on ne me fera pas trop languir « si je sais m’y prendre ». Le tout est de savoir s’il faudra en parler à Maud.

Il est question aussi de l’arrivée à Darjeeling de la tante Kate, la même qui a si bien fait l’éducation de Maud ; elle viendrait seule passer l’été dans les montagnes, auprès de sa sœur ; Maud se fait forte de la mettre dans mes bras. Flora prétend, au contraire, que depuis son mariage elle est devenue très prude ; l’isolement, la campagne, le tempérament surtout, lui feront peut-être prendre des distractions avec sa sœur ou avec sa nièce, mais elle ne consentira jamais à une liaison masculine qui serait un accroc à la fidélité conjugale.

Cette question de la tante Kate et de ses goûts que le mariage a peut-être modifiés, fait l’objet d’interminables discussions entre Maud et Flora.

En attendant, nous tenons « séance » deux fois par semaine. Je me rends également le samedi au tennis de Dora, et nous allons faire un tour du côté de la serre où nous nous bornons à de menues caresses. Assez fréquemment je fais une promenade à cheval de six à sept heures du matin, avec Dora et Flora, que je rencontre « comme par hasard ». Le soir nous nous retrouvons au Maiden, car je ne passe plus que deux heures par jour à mon usine, juste le temps de vérifier le travail et de donner des ordres.

Dora a commencé mon portrait. En outre, elle fait à chacune de nos séances, comme intermède à nos plaisirs, un tas de petits croquis suggestifs : nous inventons des positions bizarres qu’elle enlève avec une maëstria étonnante, et dont elle fait des dessins pleins de vie (sans jeu de mots).

Elle m’a promis de me donner son album comme souvenir. Parfois confiant le crayon à Maud, qui dessine presque aussi bien, elle vient compléter le groupe, ce qui donne à l’artiste des distractions qui se traduisent en faux traits et en mouvements impossibles. Dora se fâche alors, et Maud envoie promener album et crayons, mais avec tant de gentillesse que son sévère professeur ne peut tenir longtemps contre ses caresses et rectifie patiemment les fautes de l’écolière.

Cette petite a des idées d’une incroyable drôlerie. Avant-hier, nous étions tous réunis chez moi. Il y avait même la petite Amalla qui porte la boîte de couleurs de Dora, et avec laquelle nous ne nous gênons plus.

Étendus sur la chaise longue, Flora et moi, nous nous reposions après une « séance » et sirotions un verre de limonade ; Maud grignotait des fruits ; Amalla jouait dans un coin : Dora avait simplement un peignoir ouvert. Nonchalamment étendue sur une chaise basse, elle avait, pour dégager son front, rejeté sa longue chevelure dorée entièrement défaite par-dessus le dossier de la chaise, de sorte que l’extrémité en touchait le sol : elle fumait une cigarette, les yeux à demi fermés.

Tout à coup nous voyons Maud s’approcher de Dora par derrière, prendre et soulever ses cheveux dénoués, les étaler et les manier un instant, sans que notre belle amie, qui avait en face d’elle l’armoire à glace, parût s’en apercevoir ; puis, se mettant soudain à cheval sur cette chevelure, l’extrémité dans la main gauche, tout simplement… se branler sur la toison d’or.

Nous n’étions pas encore revenus de notre surprise, que Dora s’écriait : « Mais qu’est-ce que tu fais à me tirer les cheveux, tu me fais mal… »

— Oh ! je t’en prie, répliqua vivement la gamine sans s’interrompre, ne bouge pas… si tu savais comme c’est bon !…

— Mais ne tire pas trop… va doucement… Viens ici, Amalla.

Et Dora, allongeant et écartant ses jambes, montrait à la petite sa grotte d’amour entr’ouverte. Mais, plus rapide que l’enfant, je me précipitai à genoux devant la conque rose, tandis qu’Amalla, honteuse d’avoir été prévenue, se glissait comme une couleuvre sous la chaise et, se jetant à plat ventre sur la natte, prenait entre ses lèvres monsieur Priape qui s’était dressé.

Tous ces mouvements avaient été instantanés ; la complaisante Flora avait placé sa main ouverte sur la nuque de Dora, pour opposer plus de résistance : quand à Maud, elle continuait son balancement, qu’elle modifiait parfois en allant de droite à gauche, sur les milliers de fils de soie, et ce va-et-vient semblait lui procurer les plus délicieuses titillations. Flora avait mis sa langue dans la bouche de Dora qui se prêtait complaisamment au jeu nouveau, pendant que moi-même, allongeant la main, je rendais à la première, avec mon doigt, le même office qu’à la seconde avec ma langue. Et ma gentille bengalie suçait toujours !…

Maud, toute à son affaire, jetait les plus significatives exclamations : « Oh !… vous ne savez pas… comme c’est bon… de se branler sur… des cheveux… oh ! oh ! oh !… jouissons tous ensemble… (seule, elle avait la scène entière sous les yeux) attends… que c’est bon !… que c’est bon !… Ah ! tiens… voilà… jouis, Dora… Flora, ah !… je jouis… je jouis… »

Lâchant enfin l’instrument de son plaisir, elle s’affala sur la natte, à l’instant même où Dora me serrant plus étroitement la tête entre ses cuisses robustes se pâmait à son tour dans les bras de Flora, qui lui mordait les seins en rugissant, et où je fondais moi-même dans la bouche d’Amalla !…

— Et dire, s’exclama Dora revenue à elle la première que cette gamine nous apprend du nouveau !… Le fait est que ce doit être exquis : nous n’y avions jamais pensé !… Les titillations doivent être divisées à l’infini !…

— Mais qui t’a appris cela ? demanda Flora.

— C’est une idée qui m’est venue toute seule, en voyant étalée cette belle chevelure si douce, de me mettre à cheval et de me frotter dessus.

— Et c’est bon ?…

— Oh ! tu n’en as pas idée !… Ça chatouille par une infinité de points… oh ! tiens, si l’on avait, en plus, quelque chose à sucer, ce serait tout ce qu’il y a de plus bon au monde…

. . . . . . . . . . . . . .

Comme tu le vois, ma chère Cécile, nous employons bien notre temps. Plus nous approchons du terme fixé pour notre séparation, plus l’imagination s’exaspère et s’ingénie à trouver de nouvelles jouissances. La diversité de nos plaisirs empêche la satiété : jamais troupe mieux dressée n’a joué avec plus de lubrique fantaisie les multiples scènes de la comédie de la Volupté.

. . . . . . . . . . . . . .

Léo.

XII

Paris, 15 février 18…

Cher Léo, au début de cette lettre, ma plume hésite à commencer le récit d’une aventure qui prend à mes yeux les proportions d’une faute.

Je sais bien que le pardon m’a été accordé d’avance, et que personne n’a rien à me reprocher : « Mon mari seul, me dis-je, aurait le droit de se plaindre, et c’est lui, au contraire, qui m’a engagée dans la voie où je suis actuellement et je ne fais qu’obéir à ses conseils… »

Mais, malgré tous mes raisonnements, je ne me sens pas complètement rassurée ; j’ai peur d’être allée trop loin et d’avoir dépassé le but. Cette fois, ce n’est pas seulement mon corps qui a été en jeu, mais c’est aussi mon cœur, ou au moins une parcelle de ce cœur que j’ai donnée à un autre que toi, tandis que j’aurais dû, pour rester fidèle à nos conventions, te le garder intact.

Mon roman d’hier ne ressemble aucunement à tes folles escapades, cher mari au cœur fidèle et aux sens volages… Chez toi, c’est l’homme, le mâle, qui donne libre cours à ses appétits, et boit sans vergogne, à la première coupe de volupté qui se trouve à portée de ses lèvres. Mais moi, je suis une femme, c’est-à-dire un être fragile, fait d’éléments divers, et je me suis donnée (et non prêtée, comme tu le fais), je me suis livrée corps et âme aux baisers d’un étranger, d’un inconnu, et cet amour nouveau a pris sur moi un étrange empire…

Le mal est récent, la blessure est encore toute fraîche, mais je garderai pour jamais, je le crains, le souvenir de sa douce morsure.

Ma conscience se trouvera peut-être soulagée par l’aveu sincère de mon erreur, mais je ne sais si j’aurai la force de te promettre de n’y plus retomber…

Hier matin, nous nous trouvions dans ma chambre, Thérèse et moi, attendant l’heure du déjeuner. Je relisais une lettre de papa, reçue le matin, dans laquelle il me priait de me rendre sans tarder à Saint-Germain et de visiter, une dernière fois, la petite maison de campagne qu’il convoite depuis longtemps.

J’étais énervée, je me sentais toute drôle et comme envahie par une molle langueur que je n’avais pas éprouvée depuis longtemps. Il faisait un beau temps clair, assez doux pour la saison, et le soleil brillait gaiement, tout joyeux de se sentir débarrassé, au moins pour quelques heures, des vilaines brumes de l’hiver. Et m’adressant à Thérèse, je lui dis : « Ma chérie, ne t’effarouche pas de ce que je vais te dire : j’ai envie de… de faire l’amour… » Elle ouvrit des yeux étonnés, en me répondant : « Mais mon ange, tout de suite si tu veux… »

— Non, tu ne comprends pas, j’ai envie de baiser pour de bon, de me faire baiser, si tu aimes mieux, par un homme, avec un vrai membre… »

— Oh ! Cécile, quelle idée vous prend aujourd’hui… Et si votre mari venait à le savoir ?…

— Mon mari !… Mais il m’a laissé carte blanche et je suis parfaitement libre de faire, sur ce chapitre, tout ce qui me passera par la tête. Or, ce matin, je me suis éveillée avec l’idée fixe de me payer cette fantaisie ; il y a deux jours que cela me tient, c’est une envie folle, et il faut que je la satisfasse…

— Folle ! oui, murmura-t-elle… Ah ! Cécile, vous ne m’aimez plus, ou vous m’aimez moins…

— Écoute, ma chère Thérèse, repris-je : tu n’as jamais eu d’amant sérieux, tu n’as jamais éprouvé auprès d’un homme les mêmes émotions, les mêmes ravissements voluptueux que j’ai goûtés moi-même dans les bras de mon Léo. Tu aimes trop les femmes, d’ailleurs, pour ne pas dédaigner un peu les hommes : leur contact te déplaît plutôt qu’il ne t’enivre ; c’est dans ta nature, dans tes goûts, et je ne t’en veux pas… mais de ce fait, ma pauvre amie, tu ignores le vrai plaisir aigu, foudroyant, presque douloureux, que peut verser un homme jeune et ardent dans le sein d’une femme amoureuse. Certes, un amant peut être moins habile qu’une femme dans l’art raffiné des accompagnements et des hors-d’œuvre préparatoires ; son doigté est moins savant, sa langue moins perspicace ; il lui manque la faculté de comparaison, et il ne sait pas toujours exactement où se trouve le nœud délicat qui retient ou déchaîne les écluses du plaisir. Mais crois-moi, rien ne vaut, dans un conin bien excité, cinq bons pouces de verge masculine vigoureusement maniée et aspergeant la matrice enflammée d’un jet abondant de liqueur… Là, seulement, est le vrai bonheur : tout le reste n’est qu’amusette de petites filles…

— Thérèse resta un moment silencieuse.

— Alors, dit-elle d’une voix légèrement altérée, vous allez prendre un amant…

— Qui te parle de cela ? répliquai-je… Je veux bien m’amuser un peu, mais sans me compromettre ni rendre Léo ridicule…

— Alors ?…

— Alors, voilà : après le déjeuner nous sortirons, nous prendrons le landau et nous irons d’abord à Saint-Germain faire la commission dont papa m’a chargée. Ensuite nous rentrerons à Paris par le chemin de fer, nous irons dîner au restaurant, n’importe où, et… nous tâcherons de rencontrer quelqu’un qui me plaise, soit au café-concert, soit aux Folies-Bergères. Ce serait bien étonnant qu’on ne nous adressât pas la parole ; sans nous flatter, nous valons bien autant que ces dames qui fréquentent les cafés des boulevards… Dans ces endroits-là je ne courrai pas le risque d’être reconnue, et une fois mon envie passée, j’enverrai promener l’homme qui m’aura possédée pendant quelques instants, et je ne le reverrai jamais. Si le cœur t’en dit, tu pourras en tâter aussi…

— Mais réfléchis donc, Cécile, aux suites de ton imprudence… Si la police allait nous arrêter ?… Si tu attrapais du mal (car enfin, ce sera le premier venu !…) Si on nous menait dans quelque sale maison ?… Si…

— Tu m’ennuies, Thérèse, avec tes si et tes mais… Il me faut un homme, n’importe lequel…

— Allons, dit-elle d’un ton résigné, il faut faire tous vos caprices.

Le déjeuner fut court. Nous nous habillâmes très simplement, mais assez chaudement, pour pouvoir rester dans la voiture découverte. Nous avions l’air, toutes deux, de petites bourgeoises en tenue de promenade.

Nous parlâmes peu durant le trajet. La voiture suivait la route directe qui coupe la Seine en plusieurs points, selon le caprice de ses méandres.

Arrivées au sommet de la Terrasse, nous nous fîmes conduire au carrefour de la forêt où se trouve la propriété en question, que je visitais pour la troisième fois. L’inspection terminée, nous nous rendîmes chez le notaire de la ville et, de là, à la gare, dans l’intention de revenir à Paris avant la nuit. Je renvoyai le landau et dis au cocher de rappeler que nous ne rentrerions pas pour dîner.

Nous avions une heure à attendre le train, ayant manqué le départ précédent de quelques secondes. Cette minute de retard a décidé du sort de toute ma journée.

J’entraînai Thérèse dans ce petit sentier tracé entre les vignes, sur le flanc du coteau qui relie en pente douce la Terrasse à la Seine. Puis dans ce petit restaurant, près du pont, où nous avions mangé de la bonne friture avec Férard.

Quelques minutes après nous étions assises devant un groc chaud. Une longue yole à quatre rameurs s’arrêta en face de l’établissement : une voix héla le patron et l’embarcation accosta. L’équipage sauta aussitôt à terre et s’installa en plein vent, autour d’une table de marbre, vis-à-vis de notre fenêtre.

C’étaient des jeunes gens de vingt à vingt-cinq ans. Une femme était avec eux. Dès qu’ils furent arrivés, cet endroit tranquille s’emplit de rire et d’éclats de voix. Au ton de la conversation il était facile de reconnaître que ces joyeux canotiers étaient de bonne famille. Leur gaieté gardait un air de bonne compagnie, et les lazzis qui se croisaient sans interruption, s’ils froissaient, quelque peu la morale, respectaient toujours la grammaire.

La femme qui les accompagnait était le point de mire de leurs traits ; elle ripostait vertement avec blague du gavroche parisien habitué aux joutes poissardes.

— Celui des quatre qui me plairait le mieux, dis-je à Thérèse, c’est le petit brun qui est à notre gauche. J’aime son regard vif, ses sourcils noirs, sa barbe naissante qui tranche sur sa peau blanche, et ses lèvres si rouges. As-tu remarqué les jolies dents qu’il montre lorsqu’il sourit ?

— Moi, dit Thérèse, j’aime assez ce garçon blond, élancé, presque sans barbe, qui a les joues roses et le cou blanc comme celui d’une femme. Celui que tu préfères est très gentil aussi, il a un air tout à fait distingué…

Elle s’arrêta brusquement : « Mais, je ne me trompe pas, ma chère Cécile… Je l’ai déjà vu… il venait quelquefois chez mon ancienne patronne, accompagner sa mère, Madame de… je ne sais plus… Il a beaucoup changé, il y a trois ans de cela, c’était encore un collégien… Ah ! j’y suis !… c’est Monsieur Adrien… Adrien de Cerney, j’en suis sûre à présent… »

Le geste d’étonnement qu’avait fait Thérèse et le bruit de nos paroles attirèrent l’attention du jeune homme ; il leva les yeux vers notre fenêtre et son regard croisa le mien. Ma physionomie exprimait sans doute une vive sympathie, car il rougit légèrement et resta tout songeur.

— Il est timide, votre don Juan, me souffla Thérèse, il me fait l’impression de n’être encore qu’un apprenti.

— À son âge ? répliquai-je, ce serait un oiseau rare. Les jouvenceaux d’à présent n’attendent pas d’être majeurs pour jeter leur pucelage au vent… Et ne serait-ce qu’avec cette femme, que ces gaillards-là m’ont l’air de se partager en bons camarades, ton Monsieur Adrien a déjà vu le loup…

— Sa mère le tient de très près, reprit Thérèse, et elle l’élève comme une fille. D’ailleurs, si je calcule bien, ce garçon n’a pas plus de dix-neuf ans… il n’y a pas encore de temps perdu…

— Je le gobe, moi, ce garçon, dis-je alors ; il a une figure agréable qui ne peut appartenir à un imbécile…

— Eh bien ! puisqu’il te plaît tant, répondit Thérèse, pourquoi ne cherches-tu pas à lui parler ?…

— Ce n’est pas l’envie qui me manque, ma chère, et s’il était seul… Mais je ne puis l’aborder au milieu de ses amis, et surtout en présence de cette femme. Lui aussi, j’en suis sûre désire me voir de plus près…

Le jour baissait : l’équipage reprit ses avirons et la yole quitta le bord sans qu’aucun des canotiers, sauf Adrien, eût remarqué notre présence. Nous nous étions levées, et restâmes un instant sur le seuil, les regardant s’éloigner.

Un regret cuisant me serrait le cœur. À un moment, il me sembla que le rameur placé au dernier banc me faisait un signe d’adieu ; mais ce ne fut qu’une vision vite effacée, et le canot disparut au tournant de la rivière.

Nous revînmes vers la gare, sans nous parler. Thérèse voyait bien à ma mine déconfite que j’étais d’assez méchante humeur et ne trouvait rien à dire pour me consoler. De mon côté, je pensais qu’il n’était pas aussi facile que je l’avais cru d’abord de trouver un galant à même la rue.

Tout à coup Thérèse s’arrêta, prise d’une idée subite : « Voyons, ma chère Cécile, fit-elle, si tu tiens réellement à connaître ce garçon, il y a un moyen bien simple de le retrouver : c’est de demander au patron du café le nom et l’adresse de ses clients de tout à l’heure, il est probable que ce sont des habitués. »

— Que tu es gentille, ma bonne Thérèse, je n’y avais pas songé…

Et nous voici retournant sur nos pas, sans plus penser à l’heure du train.

Ces allées et venues avaient pris un certain temps, et il faisait presque nuit lorsque nous arrivâmes au restaurant. Au moment où Thérèse franchissait la porte, un jeune homme, qui sortait de la maison, me croisa sur la chaussée. À mon grand étonnement je reconnus Adrien.

Il avait changé de costume, mais ses traits étaient gravés si profondément dans ma mémoire que je ne pus réprimer un cri. Il eut de son côté, en me voyant, un mouvement de surprise ; puis il resta immobile, partagé entre le plaisir de me revoir et la crainte de m’aborder. Voyant que je ne lui adressais pas la parole, il allait s’éloigner, quand je l’arrêtai d’un geste. Enhardie par la demi-obscurité, je lui dis d’une voix dont le ton me surprit moi-même : « Monsieur, excusez-moi, je vous prie ; je vais sans doute vous paraître indiscrète, mais il m’a semblé tantôt, pendant que vous étiez avec vos amis, que vous aviez quelque chose à me dire… peut-être me suis-je trompée ?… En ce cas, je vous demande pardon… j’avais cru voir que… enfin, j’espère que vous ne m’en voudrez pas… »

Me voyant ainsi troublée, le jeune homme reprit un peu d’assurance. Il me salua respectueusement et dit : « Vous avez deviné juste, Madame, et si j’avais été seul avec vous, j’aurais certainement essayé de vous dire… que vous me plaisez beaucoup… Mais vous étiez accompagnée, et je n’osais vous adresser la parole en présence de votre amie. Dès que j’ai pu quitter mes camarades, je suis accouru ici dans l’espérance de vous revoir ; malheureusement, vous étiez déjà partie… »

— C’est vrai, fis-je à mon tour, mais je suis revenue sur mes pas… N’est-ce pas un heureux hasard ? ajoutai-je gaiement.

Je lui tendis la main qu’il prit dans la sienne : il était ému, et moi agitée d’un frisson délicieux.

Par discrétion, Thérèse se tenait éloignée ; je l’appelai, et nous reprîmes ensemble tout doucement le chemin de la gare.

Le premier pas était fait : une charmante intimité s’établit rapidement entre nous. Tout occupé de moi, Adrien ne reconnut pas Thérèse qu’il n’avait vu qu’une fois ; je la lui présentai comme une cousine éloignée et me donnai pour une jeune femme libre de sa personne. Je lui demandai son petit nom, et il se nomma sans hésiter.

Arrivés à la station, il nous demanda la permission de monter avec nous dans le train, étant obligé, dit-il, de retourner à Paris le soir même.

Quoique je ne voulusse point précipiter les choses, de peur qu’Adrien ne me confondît avec une vulgaire cocotte, je mis à profit les vingt-cinq minutes de solitude que nous donnait le trajet ; nous étions seuls dans notre compartiment : Thérèse s’accota dans un coin, prétextant une grande fatigue, baissa le store de la lampe, et sommeilla. Nous occupions l’autre coin, Adrien et moi, étroitement serrés l’un contre l’autre. Dès que le train fut en marche, il passa un bras autour de ma taille, se pencha vers moi d’un geste caressant et m’embrassa dans le cou.

Le frais contact de ses lèvres me fit passer un frisson par tout le corps : je tournai la tête et lui rendis son baiser sur la bouche.

Je crus qu’il allait s’évanouir : son bras faiblit et sa tête s’inclina sur mon épaule. Mais il se remit aussitôt et tendit ses lèvres avides sur la coupe qui venait de lui verser une telle ivresse.

Je reconnus alors l’exactitude de ce que m’avait dit Thérèse : cet aimable garçon, si bien fait pour plaire aux femmes, était pur de tout contact antérieur : il avait gardé cette fraîcheur d’expression qui est l’apanage des cœurs neufs et qui s’émousse, hélas ! si vite pour faire place à l’allure cavalière que prennent les jeunes hommes dès le lendemain de leurs débuts amoureux.

Il est évident, pour moi, qu’Adrien ignorait encore les douces pratiques de l’art d’aimer : tout était nouveau pour lui dans le pays du Tendre, et il me fallut ouvrir à la première page le bréviaire des amoureux.

Quelle tâche délicieuse pour une femme experte que d’enseigner le baiser à de jeunes lèvres si ardentes et si dociles !… Vraiment, j’envie le sort des filles de mauvaise vie à qui revient le plus souvent l’aubaine exquise d’initier les adolescents aux plaisirs de l’amour. Connaissent-elles leur bonheur ?… Elles effeuillent sans doute d’une main brutale la fleur délicate des premières caresses ; l’ingénuité de l’amoureux leur semble ridicule, et elles s’empressent de le débarrasser de ce fardeau inutile.

La première expérience que les hommes font de leur virilité devrait laisser au fond de leur cœur un parfum inoubliable : presque toujours, au contraire, ils ne gardent de cette initiation que le souvenir d’une souillure.

Je pensais à tout cela, cher Léo, tandis que je serrais tendrement dans mes bras ce grand garçon tout affolé de désirs. Ses yeux fixés sur les miens imploraient de nouvelles caresses ; ses narines se dilataient et battaient par moment, et sa poitrine gonflée laissait échapper de gros soupirs.

Pourtant ses mains restaient inactives ; soit par retenue, soit par ignorance, il se laissait dorloter, couvrant seulement de baisers innombrables mon cou et ma figure. Pour donner à ses lèvres un champ d’action plus étendu, je dégrafai le haut de mon corsage et laissai paraître un triangle de peau blanche ; il respira avec force le parfum qui s’en échappait, et se serrant passionnément contre ma poitrine, il pâlit encore… mais ce fut tout.

J’avais pitié du pauvre garçon, qui souffrait réellement. Quant à moi, j’étais excitée au suprême degré : mes désirs, longtemps contenus, s’exaspéraient dans cette attente prolongée ; des bouffées de chaleur me montaient au visage. Une autre partie de ma personne était non moins embrasée, si je puis m’exprimer ainsi, en parlant d’un endroit que je sentais tout inondé…

Puisque j’avais entrepris l’éducation de mon élève, autant la mener à bonne fin et en tirer pour moi-même un résultat pratique… Nous avions encore quelques minutes devant nous ; je pris la main du novice amoureux et la glissai sous mes jupons.

Ce geste éloquent fit envoler toutes ses hésitations ; sa timidité disparut pour faire place à une ardeur charmante. D’un mouvement vif et continu, ses doigts grimpèrent le long de mes cuisses. Je sentis une main frémissante qui fourrageait mes poils, cherchant à tâtons le but désiré de son voyage ; j’écartai les jambes et m’avançai à sa rencontre. Ainsi aidé, son doigt trouva bientôt le point sensible ; après avoir plongé trop profondément dans la fente, il revint sur les bords et se mit à caresser un bouton impatient qui se consumait d’une ardeur dévorante. Quelques mouvements de sa main suffirent à me mettre hors de moi, sans avoir eu la force de lui exprimer autrement que par de petits cris étouffés le plaisir inouï qu’il me faisait ressentir.

Quand je rouvris les yeux, Adrien me fixait avec une curiosité inquiète, étonné sans doute du prompt résultat de sa manœuvre. Je l’embrassai avec transport, puis sans quitter ses lèvres entre lesquelles je pointais une langue affolée, j’entrouvris son pantalon et saisis à pleine main un épieu qui se dressait furieusement et qui me parut de belle taille.

J’avais à peine commencé un léger mouvement de va-et-vient, qu’un jet pressé en jaillit, si rapidement que je n’eus que le temps de coiffer l’indiscret de mon mouchoir pour préserver ma robe d’une inondation compromettante. Adrien se tordait dans mes bras… je partis moi-même encore une fois, tant j’étais excitée…

Pendant toute cette scène, la pauvre Thérèse s’était tenue immobile dans son coin. Elle ne dormait pas, et je l’avais entendue soupirer à plusieurs reprises. Nous entrions en gare : je me rajustai de mon mieux et m’adressant à Adrien : « Ne m’avez-vous pas dit que vous aviez à faire en ville ce soir ?… Vous êtes sans doute obligé de rentrer chez vous à heure fixe… »

— Mais, pas du tout, répondit-il avec empressement, et si vous voulez bien accepter mon invitation, vous et votre amie, cela me fera grand plaisir : nous dînerons ensemble et nous passerons la soirée où vous voudrez…

Je refusai d’abord, pour la forme, puis j’acceptai, et nous allâmes dîner dans un restaurant peu fréquenté, aux environs de la Madeleine. Le repas fut charmant : Adrien était un gentil cavalier, plein d’esprit et d’entrain, aimable sans fatuité et rempli d’attentions respectueuses.

Il me parut plus ferré sur la théorie de l’amour qu’il ne l’était sur la pratique. Au dessert, je ne pus m’empêcher de faire une allusion discrète à son inexpérience. Il répondit en rougissant un peu que, jusqu’à ce jour, il n’avait trouvé aucune occasion de se lancer auprès des femmes : « Je n’en ai pas encore rencontré une seule qui me plût réellement, ajouta-t-il, du moins parmi celles qui auraient consenti à se laisser aimer… Quant aux autres (je veux dire les filles de brasserie et les femmes de trottoir), j’ai quelquefois essayé d’aller avec elles, mais elles me dégoûtent tellement qu’au moment de céder je trouve toujours un prétexte pour les lâcher… Mes amis se moquent de moi : ils me disent que je resterai rosière jusqu’au soir de mes noces, comme les demoiselles bien sages. Pour ma part, je trouve qu’ils ne sont pas assez exigeants en fait de maîtresses : ils vont avec n’importe laquelle, changeant de femme tous les mois, se font gruger et tromper, et n’en ont pas pour leur argent… »

— De sorte, interrompit Thérèse, qu’il faut pour vous plaire être honnête d’abord, ensuite rentière, et peut-être duchesse ?…

— Je ne dis pas cela, répondit-il tranquillement, je sais bien que l’on ne peut fréquenter une femme, quelle qu’elle soit, sans que cela coûte… Mais je prétends que le premier bon garçon venu, s’il est aimable et fidèle, vaut cent fois plus que toutes les cocottes de Paris ensemble…

Il parlait d’or cet écolier, et nous nous regardâmes, Thérèse et moi, avec un sourire.

— Vos parents, demandai-je, vous défendent sans doute de faire connaissance avec des demoiselles…

— Maman, oui ; elle est très dévote, m’a fait élever chez les Pères et elle me croirait perdu… Quant à papa, c’est tout le contraire : il dit qu’un garçon de mon âge doit s’amuser un peu, et il s’imagine certainement que j’ai déjà eu pas mal de maîtresses.

— Alors, fis-je tout bas pendant que Thérèse mettait son chapeau, c’est bien vrai, monsieur Bébé, que vous n’avez jamais…

— Non, parole d’honneur, répondit-il d’un ton enjoué…

Puis il ajouta, en m’embrassant derrière l’oreille, pendant que nous descendions l’escalier : « Voulez-vous me donner des leçons ?

Je répondis par un sourire.

Une fois dans la rue, je fis signe à Thérèse de s’en aller de son côté pour me laisser seule avec Adrien. Elle esquissa une grimace boudeuse et me menaça du doigt, mais elle consentit enfin à nous quitter et annonça qu’elle était obligée de rentrer de suite chez sa tante.

Adrien ne se tenait pas d’aise et serrait fortement mon bras. Mon amie partie, il me demanda la permission de me reconduire jusque chez moi, ce que je refusai, bien entendu ; je lui offris comme dédommagement, de faire une courte promenade et de le mettre sur le chemin de son domicile. Il faisait nuit noire, j’avais rabattu ma voilette et relevé le col de mon manteau : je ne risquais donc rien à traverser, au bras du jeune étudiant, la place de la Concorde.

Nous marchions en bavardant, comme deux amoureux. Je t’assure, mon cher mari, qu’à ce moment j’avais tout oublié et que je ne pensais guère à M. Léo Fonteney… Je parlais pour ne rien dire et riais comme une folle, étourdie sans doute par le grand air et la liberté.

— Où demeurez-vous ? lui demandai-je.

— Au no 25 de la rue de Bourgogne, derrière les Invalides ; ma chambrette donne sur la rue de Varenne. Tous les matins je vais à l’École de Droit, dont je suis les cours ; c’est maman qui a choisi pour moi ce quartier tranquille, loin de Bullier et des brasseries du Boul’ Mich’.

— Quel jeune homme modèle ! fis-je : vous voici devant votre porte, monsieur Adrien, je vous quitte…

Cela ne faisait pas l’affaire de mon jeune amoureux, aussi me retint-il de toutes ses forces, me suppliant de monter jusqu’à sa chambre et jurant qu’il serait bien sage… Je me décidai enfin à accepter la tasse de thé qu’il m’offrait, et cette victoire le combla de joie.

Nous passâmes rapidement devant la loge du concierge, dont Adrien redoutait l’œil investigateur. C’était une vieille demeure aux hautes fenêtres, et j’étais un peu essoufflée en arrivant au quatrième étage.

La porte se referma et nous nous trouvâmes dans l’obscurité : Adrien me tenait par la taille comme s’il eût craint de me laisser échapper ; il alluma la lampe et mit feu aux bûches de bois préparées dans la cheminée. Une vive lumière éclaira la pièce et me fit voir une chambre à coucher meublée et décorée avec goût ; un piano occupait l’un des angles, faisant face à un large divan, et le lit dissimulé dans une alcôve profonde était drapée d’étoffe cramoisie.

Je m’assis dans un fauteuil, au coin du feu, et pendant que j’examinais cet intérieur de garçon, qui ne sentait pas du tout la bohème, Adrien disposait sur une table encombrée de bouquins, un service à thé japonais, une assiette de petits fours, un flacon de muscat et des cigarettes.

— Mon Dieu ! fis-je, en voyant ces préparatifs, vous attendiez donc quelqu’un ?…

— Non… ou plutôt oui, répondit-il d’un ton ému.

— Peut-on savoir qui ?…

— Vous !… oui, vous-même, c’est-à-dire l’Inconnue que je désire depuis longtemps, que j’ai enfin trouvé et que j’aime déjà de tout mon cœur…

Il s’était assis à mes pieds sur un coussin et me tendait les bras en me regardant avec une adoration passionnée. Pour tout réponse, je l’attirai vers moi, appuyai sa tête sur ma poitrine, et… nous recommençâmes le jeu charmant que nous avions dû interrompre dans le chemin de fer. Mais cette fois, sûr de plaire et d’être aimé, mon gentil amoureux se montra plein de dispositions : il trouva d’instinct, parmi les cent manières d’embrasser et de caresser une femme, le baiser profond et lent qui fait passer sur la peau un frisson de volupté et vient enflammer délicieusement les sens.

Je ne sais comment je me trouvai tout à coup à demi nue entre ses bras ; ses doigts malhabiles avaient sans doute été aidés des miens, sans que j’en eusse conscience, dans l’extase qui m’enivrait. Je l’étreignis furieusement, en proie à de violents désirs, et lorsqu’il m’eût portée sur le lit et qu’il se fut allongé tout habillé à mon côté, je frémis d’impatience.

D’un mouvement nerveux, je l’enlevai et le plaçai entre mes jambes écartées, qui se serrèrent comme un étau et le retinrent collé contre mon ventre ; écartant alors d’une main le fouillis des poils qui auraient pu barrer la route, je saisis son membre très raide, le guidai dans le chemin du plaisir et l’y enfonçai jusqu’à la garde… : « Va, chéri, lui dis-je d’une voix altérée… va tout seul, maintenant… pousse… entre dedans moi autant que tu le pourras… va… va… »

Et j’activai ses mouvements en l’éperonnant de mes talons croisés sur ses reins. Ainsi stimulé, le jeune cavalier n’avait plus qu’à se tenir solide en selle et suivre le galop de sa monture…

Ah ! cher Léo… je te jure qu’avant cette inoubliable minute de suprême félicité, je n’avais encore éprouvé, ni avec toi, ni avec aucun autre homme, un plaisir aussi intense, aussi délirant… Je jouis avec frénésie, sans discontinuer, sans reprendre haleine, absolument plongée dans un abîme de volupté. La sensation amoureuse ne s’arrêtait que pour recommencer aussitôt avec une force croissante, chaque fois plus pénétrante et plus vive…

Enfin, je retombai, brisée, anéantie…

Quant à Adrien, il me parut avoir partagé les mêmes délices : il jouit une première fois dès qu’il se sentit au fond de ma grotte brûlante, puis animé d’une nouvelle ardeur, il déchargea encore deux fois, prolongeant et décuplant les transports surhumains qui m’agitaient…

Il était près d’une heure du matin lorsque la voiture qui me ramenait au faubourg Saint-Honoré s’arrêta devant ma porte ; Thérèse, inquiète, guettait mon retour avec impatience. Mes traits fatigués et ma démarche chancelante lui donnèrent l’explication de cette absence prolongée ; elle poussa un gros soupir et, sans me demander l’emploi de ma soirée, me déshabilla et m’aida à me mettre au lit.

Lorsque je fus couchée, elle se pencha vers moi, m’embrassa sur le front et me dit d’un ton de doux reproche ; « Vilaine !… c’était donc bien bon ?… »

Je levai les yeux sans répondre…

. . . . . . . . . . . . . .

Ta Cécile.

XIII

Paris, 17 février 18…
Cher Léo,

Tu as remarqué que j’ai été obligée de t’envoyer ma dernière lettre sans qu’elle fût terminée, mais l’heure du courrier me pressait et je ne voulais pas le manquer.

Avant de reprendre mon récit, laisse-moi t’accuser réception de ta lettre du 23 décembre, dans laquelle tu me donnes des détails si savoureux et si complets sur cette séance fameuse ou tu fis connaître à l’altière Dora, enfin subjuguée, des plaisirs nouveaux.

Sais-tu, monsieur mon mari, que tu es un heureux mortel !… Quitter une petite femme charmante (tu le lui as dit assez souvent) qui vous adore et ne se dérobe à aucune de vos fantaisies, s’en aller au loin, dans des pays demi-sauvages, et là, au lieu de se voir réduit à prendre comme exutoire quelque moricaude au nez aplati, aux mamelles pendantes, rencontrer d’un coup trois jeunes filles ravissantes, bien élevées et distinguées (ce qui ne les empêche pas d’être en même temps, dans l’intimité, de délicieuses Messalines) qui se jettent à votre tête.

Avoir trois maîtresses à la fois, qui ne se jalousent pas et se prêtent, au contraire, une mutuelle assistance ; trois jolies filles qui acceptent le plaisir sous toutes ses formes et le font partager, qui gardent au dehors la plus grande respectability et qui restent fidèles à l’homme qu’elles ont choisi de concert !… Mais sais-tu, cher Léo, que cela est unique, invraisemblable et que si je ne te connaissais pas si bien, je n’y croirais pas… En vérité, je suis fière de toi et je suis heureuse de ton bonheur.

Mais je t’en prie, mon adoré, ménage-toi : résiste aux séductions trop nombreuses que t’offrent tes charmantes amies, n’abuse pas de tes forces, et… reviens-nous solide et vigoureux comme tu étais lorsque tu m’as quittée. Cette Dora est si passionnée ! cette Flora a une langue si avide ! cette petite Maud est si curieuse de tout !… Enfin, je ne t’en dis pas davantage, tu es plus raisonnable que moi…

Dans le post-scriptum de ta lettre, tu me recommandes, toi aussi, de prendre bien garde à ma santé et de ne pas m’épuiser avec la voluptueuse Thérèse (que, cependant, tu brûles d’envie de connaître). Merci bien, cher petit mari, du soin que vous prenez de votre petite femme : rassurez-vous, je ne pense pas qu’il y ait à craindre de ce côté, car vous savez qu’elle est assez robuste pour résister aux coups de langue d’une amie.

Ma santé n’a subi aucune atteinte ; Thérèse, bien que vicieuse, est prudente et sage, et le plus souvent, modère ma passion et se refuse à mes caresses.

Je finis par croire que notre séparation momentanée est une bonne chose : elle nous confirme dans la solidité de notre affection et, ainsi que tu vas le voir par la suite de l’histoire de mon escapade avec Adrien, nous avons bien fait de nous permettre réciproquement tous nos caprices et de nous pardonner à l’avance nos mutuelles infidélités, puisque l’expérience vient prouver que rien ne peut attaquer l’inébranlable constance de notre amour.

En me quittant, Adrien m’avait fait promettre de revenir sans faute le lendemain ; j’avais éprouvé moi-même trop de plaisir en sa compagnie pour ne pas désirer le revoir ; il n’eut donc aucune peine à me décider, et j’acceptai l’invitation qu’il me fit de venir déjeuner chez lui à midi. Je m’habillai de bonne heure et me préparai à partir ; j’étais fraîche, reposée, et j’avais de la gaieté plein le cœur…

. . . . . . . . . . . . . . .

D’un air contrit, Thérèse m’aidait à revêtir une toilette différente de celle que je portais la veille, un peu plus élégante, et très soignée quant aux dessous.

— Voyons, grosse bête, lui dis-je la voyant réellement affligée par cette sortie matinale, tu ne vas pas être jalouse à présent ?… Tu sais bien que ce n’est qu’une toquade qui ne durera pas. Veux-tu venir avec moi chez Adrien ?… Tu en goûteras aussi, et tu verras que je ne tiens pas du tout à lui… Tout jeune qu’il est, ce gaillard-là est de force à nous contenter toutes les deux…

Je parlais sans conviction, car, pour rien au monde, je n’aurais voulu emmener Thérèse avec moi : je songeais aux voluptés de la soirée précédente et je savais d’avance quel effet cette double visite intempestive produirait sur Adrien.

— Non, allez-y toute seule, répondit Thérèse.

Vous, lui répliquai-je en la pressant dans mes bras… Oh ! Thérèse, tu veux vraiment me faire du chagrin ?…

Ses yeux se remplirent de larmes.

— Non, ma chérie… mais vois-tu, j’ai peur que tu t’amouraches sérieusement de ce jeune homme. Va… et amuse-toi bien…

Je partis à pied, et en moins d’un quart d’heure, j’étais rue de Bourgogne. Suivant la recommandation d’Adrien, je montai sans rien demander au portier. Je n’eus pas besoin de frapper ; la porte d’elle-même s’ouvrit et je me trouvai dans les bras de mon amoureux, qui me dévorait de baisers, me laissant à peine le temps d’enlever mon chapeau et ma mantille : « Chère Louise, répétait-il (c’est le nom que je m’étais donné), que vous êtes gentille d’être venue !… Je vous aime, je vous adore… Que je suis heureux de vous revoir !… »

Je sentais son cœur battre violemment, tandis qu’il me serrait avec tendresse sur sa poitrine ; j’étais émue, et toute remuée par cette explosion d’un amour sincère et profond. Je baisai ses yeux où tremblait une larme de joie : « Allons, dis-je gaiement, consolez-vous, grand enfant, puisque me voilà… Vous m’avez invitée à déjeuner : et bien ! mettons-nous à table, j’ai une faim de loup… »

— Pardonnez-moi, fit-il ; dans ma joie de vous revoir, j’avais oublié tout le reste.

Au même instant, on frappa à la porte : Adrien ouvrit, et je vis entrer un marmiton portant une manne d’osier dans laquelle se trouvait un repas que le jeune homme avait commandé chez un pâtissier du voisinage.

Je dressai la table et nous nous assîmes côte à côte sur le divan. Adrien ne me quittait pas des yeux, remplissait sans relâche mon assiette et nom verre, et sa figure rayonnait d’un bonheur sans nuage.

La conversation allait son train, et les baisers aussi… Bien avant le dessert, j’étais étendue sur les genoux de l’aimable garçon, qui me passait une à une les cerises glacées que je cueillais entre ses dents blanches ; les pointes de sa petite moustache me chatouillaient le nez, et je riais comme une enfant, en buvant dans son verre les dernières gouttes du chaud bourgogne où il avait trempé ses lèvres.

Ah ! que c’est bon la jeunesse !… Son radieux soleil illumine et transforme tout ; à vingt ans, l’amour s’épanouit sans entraves, rien ne vient altérer le plaisir du moment : on oublie tout, on rêve tout éveillé. L’univers entier se reflète dans les prunelles de la femme qu’on adore, et l’on possède tous les trésors du monde du moment que l’on serre l’être aimé entre ses bras.

Ai-je besoin de te dire, que sous l’influence de ce badinage, je sentais un feu liquide circuler dans mes veines ? Mais cette fois, moins pressée par la violence de mes désirs, je voulus délecter le plaisir à mon aise et l’accompagner des raffinements voluptueux auxquels tu m’as habituée. J’arrêtai donc l’élan du fougueux jeune homme qui se préparait à m’immoler sans plus de cérémonie, et je lui fis comprendre que certains préambules étaient nécessaires.

Je me déshabillai, fis une visite au cabinet de toilette et me mis au lit, gardant seulement ma chemise. Adrien en fit autant, mais au moment où il allait me rejoindre, je lui fis enlever sa chemise et le pris nu dans mes bras.

Un bon feu flambait dans la cheminée ; je me pelotonnai frileusement sous les couvertures et enlaçai mes jambes dans les siennes : un frisson de plaisir me saisit au contact de ces cuisses nerveuses qui me serraient avec force.

Je commençai par couvrir de baisers ses lèvres assoiffées de caresses : je lui passai des langues ardentes qu’il me rendait avec passion : puis je plaçai sa main entre mes jambes et le laissai frotter, doucement d’abord, puis plus vite, mon bouton d’amour. J’évitai de toucher à son membre, dans la crainte de provoquer un dénouement trop brusque ; je saisis son poignet et dirigeai ses mouvements, ralentissant ou accentuant la friction à mon gré. J’allais jouir… lorsque tout à coup je rejetai la couverture sur le pied du lit et me montrai aux yeux d’Adrien complètement nue, ayant relevée ma chemise au-dessus des seins.

À la vue de cette nudité qu’il contemplait sans voile pour la première fois, mon jeune amoureux se jeta comme un affamé sur la chair qui s’offrait à ses lèvres : de ma gorge, sa bouche glissa rapidement le long de mes flancs jusqu’à mon ventre et s’arrêta au niveau de l’endroit que sa main venait de quitter ; pivotant alors sur lui-même, il se mit à baiser passionnément le mont de Vénus et ses alentours : je sentis une langue, d’abord timide, s’insinuer entre les replis de ma vulve, puis se poser franchement et se fixer sur le clitoris… Cette langue agile, pleine de bonne volonté et d’ardeur, commença alors une délicieuse minette…

Le résultat fut rapide, trop rapide même : malgré la bonne envie que j’avais de retenir et de faire durer l’ivresse le plus longtemps possible, je fondis presque aussitôt, secouée par un spasme prolongé… Lorsque j’eus repris mes sens, j’attirai sur ma poitrine le pauvre Adrien tout vibrant de désirs contenus ; je le remis dans la position naturelle et l’enlaçai furieusement. D’un seul coup, son dard pénétra jusqu’au fond de ma conque éperdue ; enflammé par ces longs préliminaires, il atteignit le suprême bonheur dès qu’il se sentit pressé dans cette gaine brûlante, et nous confondîmes nos âmes dans les délices infinies d’une volupté extra-humaine…

Étendu sur moi, il restait immobile, comme écrasé sous le poids d’une jouissance trop intense : de rapides frissons le secouaient tout entier, son cœur battait avec force, et je sentais dans mon cou le souffle pressé de sa respiration. Je voulus l’écarter un peu pour lui permettre de reprendre haleine ; mais il resserra son éteinte, se colla étroitement contre moi… et le vaillant jouteur, dont le membre avait gardé toute sa dureté, recommença un rapide mouvement de va-et-vient.

Ne voulant pas, cette fois, le laisser accomplir toute la besogne, j’appuyai mes mains sur ses reins, le maintins immobile et, sans laisser un seul pouce de son outil sortir de la gaine où il était plongé, je tortillai si bien mes fesses qu’un instant après l’heureux Adrien, les yeux voilés, les narines frémissantes, lançait au plus profond de mon être un nouveau jet de liqueur amoureuse. Quant à moi, j’avais joui une fois de plus… Et nous retombâmes sur le lit en désordre, anéantis, envahis par une langueur délicieuse.

Lorsque nous fûmes remis et que des ablutions répétées eurent rafraîchi nos sens momentanément satisfaits, nous recommençâmes à bavarder, la tête sur l’oreiller. J’examinai alors avec plus d’attention la physionomie expressive de mon jeune ami, et je reconnus qu’Adrien était vraiment un fort joli garçon, aux allures aristocratiques, aux traits fins et distingués : ses yeux vifs, d’une couleur gris-vert foncé, sa bouche petite et sensuelle, tout cela composait un ensemble des plus agréables.

Je laissai mes lèvres s’égarer sur sa poitrine, son cou, ses épaules, ses cuisses, j’arrivai à son membre et le prenant dans ma main, je pointai une langue frétillante vers la tête rose dont je rabattis le doux capuchon de velours.

À cette caresse imprévue, Adrien fit un brusque mouvement de recul, et sa main tenta de m’écarter ; mais j’avais saisi la tête rebelle entre mes lèvres, et je la retins dans une aspiration passionnée : « Non, non, disait-il, pas vous… je ne veux pas… » Pour toute réponse, je tournai mon fessier de son côté, enjambai sa figure et approchai de sa bouche mon minet entre-bâillé…

— Oh ! le délicieux soixante neuf !… Quel dieu bienfaisant a enseigné aux hommes cette posture gourmande, ce raffinement délicat, cette adorable mignardise d’amour cent fois plus voluptueuse que tous les autres rapprochements sexuels ! Vraiment, les amants qui ne font pas minette à leur maîtresse sont des maladroits et des égoïstes : ils lui laissent ignorer les plaisirs les plus délirants qu’il soit donné à une créature humaine d’éprouver…

Nous nous roulions convulsivement sur le lit, en proie aux égarements d’une véritable fureur érotique…

Combien de fois je me pâmai, durant cette folle étreinte, je ne saurais le dire… mais lorsque, deux heures après, je m’éveillai, j’étais brisée de fatigue, j’avais la tête lourde et je pouvais à peine ouvrir les yeux… Le jeune homme dormait d’un profond sommeil.

Je considérai un instant, dans le demi-jour de l’alcôve, son profil régulier qui se détachait un peu pâle, sur le fond sombre des tentures : je me pris alors à réfléchir aux circonstances qui avaient amené notre rencontre ; un rapide examen de l’état de mon cœur me prouva que le caprice léger que j’avais d’abord ressenti s’était brusquement transformé en un sentiment infiniment plus fort et plus tyrannique ; je me rendis compte que j’aimais ce garçon follement, que je le préférais à tous, et que mon amour pour lui égalait (si même il ne le surpassait) celui que j’avais voué à mon Léo…

Ma résolution fut bientôt prise : je me levai sans bruit, me rhabillai en un tour de main, et sortis doucement.

Sur le seuil de la porte, je me retournai et envoyai, au jeune dormeur, le baiser le plus tendre qui ait jamais voltigé sur les doigts d’une femme amoureuse…

Puis je m’enfuis.

Rentrée chez moi, le cœur gonflé, les yeux pleins de larmes, je fis part à Thérèse de ma détermination. Elle écrivit, sous ma dictée, la courte lettre que voici, qui fut portée le soir même à son adresse :

Cher Adrien,

Je vous aime et vous aimerai toujours. Pardonnez-moi le chagrin que je vais vous faire, mais je ne puis continuer à vous voir. Je vous ai trompé en vous disant que j’étais libre… Soyez heureux sans moi… Adieu.

Louise.

Ainsi se termina, cher Léo, ma courte liaison avec Adrien… Mais il était temps…

Ta Cécile.

XIV

Calcutta, 18 février 18…


En nous séparant, Dora m’avait dit : « Surtout, couchez-vous de bonne heure ce soir ; dormez bien et tenez-vous prêt demain de grand matin, on ira vous chercher ».

Le lendemain, je m’éveillai à cinq heures. Je fis ma toilette, et j’attendais, sans savoir qui, lorsque j’aperçus la petite Amalla, entrée je ne sais comment dans ma chambre, et qui me souriait : « Viens ! me dit-elle ».

Elle se laissa embrasser de fort bonne grâce et me prit la main. Il faisait encore nuit. Devant ma porte stationnait un dandi, sorte de palanquin dont se servent les femmes indigènes riches du Bengale, elle m’y fit monter et se pelotonna contre moi.

Nous fîmes environ un mille et demi sans mot dire, car à ma question : « Où allons-nous ? » la gamine avait répondu par un petit rire étouffé. Quand nous nous arrêtâmes, nous étions au bord du fleuve, et l’aube commençait à peine à blanchir l’horizon.

Devant nous, au pied du Ghat, large escalier qui plonge dans l’eau et permet de s’embarquer et de se baigner, un steam-launch stationnait sous pression : une Indienne, bien enveloppée dans son pagne, était debout sur le pont et paraissait nous attendre. Dès que j’eus mis le pied à bord, l’Indienne rabattit le bout du pagne qui cachait son visage, et me tendit la main. Je reconnus Dora.

— Vous, chère amie, dans ce costume ?…

— Oui ; ne vous ai-je dit que je vous enlevais pour une grande journée ? Quant à ce costume, je le revêts quelque fois dans mon atelier, pour avoir plus de liberté dans mes mouvements. Aujourd’hui il m’empêchera d’être reconnue.

L’équipage se composait d’un mécanicien, d’un chauffeur et d’un couli-lascar pour la manœuvre. Elle fit donner par Amalla le signal du départ, et le steam-launch se mit en marche à une allure assez rapide que nous conservâmes pendant toute la traversée de la ville. Lorsque nous commençâmes à la perdre de vue dans les brouillards du matin, le soleil se levait derrière un rideau de tamarins et de manguiers…

Je ne veux pas te faire la description d’un « lever de soleil dans l’Inde ». bien que le spectacle soit particulièrement grandiose.

Nous étions, Dora et moi, sous le charme, et nous nous tenions la main sans échanger une parole. Je ressentais une ivresse étrange à me trouver seul avec cette belle fille que j’avais vue si folle de son corps, si ardemment lascive, et qui me regardait maintenant avec des yeux d’une douceur inexprimable.

Amalla, insensible aux beautés de la nature, s’était endormie sur le pont.

Le yacht avait ralenti sa marche, et nous glissions sur l’Hoogyl, qui étend sa vaste nappe, d’un kilomètre de large, entre deux rives plates et verdoyantes.

— Quelle belle matinée ! me dit Dora : entrons dans le salon, car le soleil commence à être trop chaud.

— Oui, belle matinée, fis-je répondant à son exclamation, belle surtout parce que vous êtes là, près de moi, toute à moi.

Je voulus l’embrasser sur les lèvres et glisser ma main sous son vêtement pour lui caresser les seins. Elle me repoussa vivement.

— Non, pas maintenant, mon ami, plus tard… Écoutez, continua-t-elle d’une voix musicale que je ne lui avais jamais entendue, il faut que je vous dise pourquoi j’ai voulu vous avoir tout un jour rien qu’à moi, sans prévenir mes chères amies, pour lesquelles je n’ai pas de secrets. Vous me prenez pour une jeune fille vicieuse, capricieuse, pensant plus à son plaisir qu’à celui des autres et incapable d’inspirer un sentiment sérieux que d’en éprouver un elle-même…

(Ici, je voulus protester.)

— Non, cher ami, écoutez-moi jusqu’au bout. Je suis tout cela ; je le suis pour tout le monde, excepté pour Flora qui, seule, me connaît bien… Mais je suis aussi autre chose. Il y a en moi, à côté de ces défauts et de ces vices, quelques qualités que je veux vous révéler, à vous seul. Il y a en moi une vraie femme bonne quand elle le veut, aimante, douce, dévouée, tendre, et qui saurait au besoin se sacrificier ; passionnée pour les plaisirs sensuels, mais capable de sentiments plus purs et plus élevés : une jeune fille digne de votre affection, malgré ses écarts, et c’est cette femme que je veux vous donner aujourd’hui.

Je vous aime, et vous êtes un esprit trop supérieur pour que je rougisse de vous l’avouer. Je vous aime, mon ami, comme Flora, car elle vous aime aussi, plus que tout au monde. Pourquoi ? comment ? je n’en sais rien… Mais d’un amour que je ne soupçonnais pas et dont jamais je ne me serais crue capable. Je ne vous demande pas de m’aimer de pareille façon ; je sais que vous ne le pouvez pas, que votre cœur est à votre Cécile, et pour rien au monde je ne voudrais le lui enlever. Je vous aime et vous veux tel que vous êtes. Voulez-vous, Léo ?… (Et elle pencha sa tête sur mon épaule en me regardant tendrement). Voulez-vous que, pour un jour, je sois « votre Dora ?… »

Je ne sais plus au juste quels mots je balbutiai : mais, voyant mon émotion sincère. Dora me saisit vivement le bras, m’entraîna dans la cabine au fond du salon me disant : « Viens !… »

Notre étreinte fut silencieuse et prolongée. De temps en temps Dora, n’ayant plus l’expression ardente et passionnée que je lui connaissais dans ces moments-là, soupirait : « Pas encore… je t’aime… reste… fais-moi un enfant… j’en veux un de toi… »

Lorsqu’enfin nous nous séparâmes, je revins seul sur le pont pour chercher à me ressaisir.

Quelques instants après Dora reparut, le visage rayonnant, huma avec délices l’air encore frais du matin et vint à moi en souriant. Elle avait quitté son costume d’Indienne et revêtu une longue blouse de flanelle blanche, à peine serrée à la taille. Elle posa sa main sur mon épaule et me dit doucement : « Je suis heureuse !… »

Comme je la regardais d’un air interrogateur, elle ajouta : « Non, mon ami, je n’ai pris aucune précaution. Je veux un enfant de vous, et je sens que je l’aurai. Je suis, après tout, libre de mes actions, et n’ai de compte à rendre à personne. De plus… j’ai mes projets, que je vous dirai. En attendant, déjeunons. »

Après avoir pris le thé, Dora disposa sa boîte d’aquarelle qu’elle avait apportée : « Laissez-moi un peu travailler, voulez-vous ? Je voudrais noter quelques tons. Pendant ce temps-là, faites ce que vous voudrez : dormez ou bien amusez-vous avec Amalla : elle est très gentille, vous pouvez tout vous permettre avec elle, excepté… vous m’entendez bien, car je vous veux tout à moi aujourd’hui, je vous l’ai dit ».

Amalla vint rôder autour de moi. Elle portait un gros coussin ; elle me fit signe de m’étendre sur le banc et me le glissa sous les épaules. J’allongeai la main que je passai sous sa petite tête pour la remercier : « Tu es gentille : viens un peu avec moi que je te caresse ».

La jolie bengalie ne se le fit pas dire deux fois : comme un petit chat, elle grimpa sur le banc et s’installa entre mes jambes, appuyant sa joue sur ma poitrine.

— Tu aimes bien ta maîtresse ?

— Oh ! fit-elle, regardant Dora d’un air tendre.

— Et moi, m’aimes-tu un peu ?

I like you very much.

Et elle se tassa plus étroitement contre moi. Je la tirai jusqu’à la hauteur de mes lèvres et lui donnai un long baiser qu’elle me rendit avec sa douce petite langue.

Quelle ravissante enfant ! Elle était déjà femme néanmoins, et je m’en assurai en glissant sous son vêtement flottant ma main qui rencontra deux petits seins, fermes et bien formés.

Continuant mon exploration, qu’elle facilita en desserrant son pagne, je m’assurai de sa puberté en caressant une toison déjà abondante, mais fine et douce au toucher. Puis glissant encore plus bas, mon doigt s’arrêta sur le petit bouton, et cet attouchement la fit aussitôt tressaillir. Amalla se renversa alors sur mon bras gauche, en faisant des yeux languissants.

— Ne vous gênez pas, mes enfants, dit en riant Dora, qui nous regardait du coin de l’œil.

Après m’être assuré que personne ne pouvait nous voir, je continuai le jeu du doigt, qui paraissait plaire à l’enfant, tout en lui donnant de temps à autre de petits baisers ; bientôt je la sentis se crisper et se tordre dans mes bras. Lorsque la douce crise fut passée, pendant laquelle Amalla soupirait des : sweet, very sweet ! mêlés à des interjections indigènes, je quittai doucement le siège, sur lequel j’étendis la gracieuse petite, et m’avançai vers Dora.

— Tous mes compliments, ma chère, votre élève vous fait honneur.

Comme le bateau stoppait en face d’un joli bungalow situé à quelques pas du fleuve et entouré d’un riant jardin, je demandai où nous étions.

— Eh bien ! à douze milles de Calcutta, près de Séramproe, dans le bungalow d’une de mes amies, mistress B…, que vous connaissez, je crois, et à qui j’ai demandé de le mettre à ma disposition pour une journée, afin d’y travailler en paix. Nous sommes chez nous, et personne ne nous dérangera.

La chaloupe amarrée, les deux coulis apportèrent un grand panier et rentrèrent à bord, d’où ils ne devaient plus sortir jusqu’à l’heure du départ. Nous sortîmes les provisions dont la prévoyante Dora avait eu le soin de se munir, et Amalla disposa le couvert.

— Voulez-vous, cher ami, me dit Dora, venir faire un tour dans le jardin, pendant qu’il ne fait pas encore trop chaud ? Du reste, il est fort ombragé.

Nous sortîmes, et au bout de vingt pas nous nous trouvâmes à l’entrée d’un berceau très bien garni de bougainvillées, d’antigones et de passiflores.

— Entrons nous asseoir sous cet ombrage ; cela nous rappellera la tente du lieutenant-gouverneur.

— Chère Dora, dis-je l’enlaçant de mon bras, et approchant mon visage du sien, regrettez-vous quelque chose ?

— Méchant ! pouvez-vous le croire, après ce que je vous ai dit tout à l’heure ?…

— Oh ! ma chérie, dis-je alors, laissons-nous vivre, sans nous demander le pourquoi et le comment des choses, bornons-nous à savourer le bonheur. Je vous aime autant que je puis aimer, après ma femme et presque autant qu’elle, avec cette différence qu’elle est la compagne de ma vie.

— Qu’il me tarde de la connaître !… M’aimera-t-elle aussi ?… Ne nous avez-vous pas dépeintes sous des couleurs trop favorables ?…

— Comment pouvez-vous douter de ses sentiments, après ce qu’elle dit de vous, dans sa dernière lettre ?

— Oui, je crois que nous nous entendrons et que Thérèse sera aussi une bonne amie pour nous. Quant à Line, je me charge de lui apprendre le dessin. Maintenant, cher ami, je vais vous instruire de mes projets. Vous n’avez pas faim ?

— Non, pas encore.

— Bien ; nous luncherons, si vous voulez, dans une heure…

— Laisse-moi t’embrasser, Dora.

— Tout ce que tu voudras, my sweetheart : mais soyons sages ; encore un moment, j’ai quelque chose à te dire : je vais partir.

— Partir ?… pour où ?…

— Pour l’Europe ; mais je t’en prie, laisse-moi parler. Je vais retourner en Angleterre avec mon père, qui y passera six mois en congé, après quoi il prendra sa retraite. Pour moi, j’irai habiter Paris, car j’adore la France, et je m’y fixerai. Je me perfectionnerai dans la peinture et j’aurai pour satisfaire mes goûts, de ravissants petits modèles (auxquels on vous fera goûter, si vous êtes sage, Monsieur), et peut-être de temps en temps un caprice masculin, mais je ne désire à aucun prix le mariage, ni aucune liaison durable qu’avec toi et Cécile, si elle le veut bien… De plus, j’espère bien avoir de toi un enfant, un fils que j’élèverai bien ; tu verras comme je serai bonne mère…

— Et Flora, demandai-je, vous l’abandonnerez ?

— Non, mon ami, vous allez voir. Elle doit, elle aussi, partir dans quelques jour pour Simla avec sa tante, qui est sans fortune. Quant à mon pauvre père, que j’aime malgré tout parce qu’il a été toujours très bon pour moi ; il est en proie à deux passions qui le perdent et qui le tueront…

— Je la regardai d’un œil interrogateur.

— Ne faites donc pas l’étonné ! Il est pédéraste et il boit.

Il boit !…

— Hélas ! oui, depuis quelques mois, il se grise tous les jours, et souvent se couche ivre-mort. Eh bien ! je veux le sauver, ou du moins tout tenter pour cela. Voici ce que je compte faire : je l’accompagne en Angleterre ; j’y reste quinze jours avec lui, le temps de l’installer en province, chez sa sœur et son beau-frère à qui je donnerai mes instructions, et je reviens, comme je vous l’ai dit, m’installer à Paris.

Voilà, cher ami, pour la première partie de mes projets. Qu’en dites-vous ?…

— Je ne puis que les approuver, chère Dora, et ils me conviennent d’autant mieux que je ne vous perds pas. Voyons la suite.

— La seconde partie est peut-être plus délicate, mais j’espère la faire aboutir. Mon père est assez faible de caractère : il lui faut quelqu’un qui le domine. Eh bien ! j’ai résolu de le remarier, pour lui refaire un intérieur et une famille. Savez vous avec qui ?

— Ma foi, non… comment voulez-vous ?…

— Ne cherchez pas. C’est Flora que je veux avoir pour belle-mère.

— Flora !…

— Oui, Flora. Écoutez moi. J’ai l’air de la sacrifier, car je suis absolument certaine qu’elle me laissera disposer d’elle. Mon père a quarante-six ans ; je sais que Flora n’en a que vingt, mais ces disproportions d’âge ne sont pas rares en Angleterre entre époux. Papa est encore très vigoureux : trois mois passés dans le pays natal le remettront complètement, surtout s’il est sobre, et tous deux sont de taille à me donner plus de frères et de sœurs que je n’en voudrais. Je suis certaine qu’une fois mariée, Flora sera une fort honnête femme car, sans moi… et elle ne compromettra pas le nom de son mari… Qu’en dites-vous ?…

— Je dis… je dis… que voulez-vous que je vous dise ?… Cela me paraît parfait comme projet. Reste l’exécution.

— Oui, je le sais bien : c’est là le difficile. Le tout est d’empêcher mon père d’emmener avec lui son giton ; si j’y réussis je me charge du reste. Je le travaillerai si bien pendant la traversée que, lorsque nous débarquerons à Marseille, Flora se trouvera fiancée sans s’en douter.

— Mais dites moi, chère amie, instruirez-vous votre père de ce qui s’est passé entre Flora et moi ?

— Ce n’est pas mon affaire ; elle aura peut-être la loyauté de lui déclarer qu’elle n’est plus intacte, mais vous pouvez être certain qu’elle ne vous compromettra pas. Au surplus, je crois bien qu’il se doute de ce qui existe entre elle et moi. Il m’a lancé plusieurs fois des allusions… Il y a quelques mois, notamment, il m’a dit un jour : « Ne pensez-vous pas à vous marier, Dora ?… N’avez-vous remarqué personne, parmi tous ces gentlemen qui vous font la cour ? Car enfin nos amies (c’étaient alors Kate et Flora) ne pourront pas toujours vous suffire ». Et je me souviens à présent qu’il a ajouté : « Elles sont du reste charmantes, ces deux jeunes filles ; je trouve surtout Flora tout à fait ravissante comme beauté et comme caractère, et si j’avais seulement dix ans de moins… » Eh bien, interrompis-je, vous l’épouseriez ? Il ne répondit rien et la conversation en resta là. Mais ce propos m’est revenu.

Voilà mes confidences achevées, me dit Dora en s’asseyant sur mes genoux et me prenant par le cou.

Amella entra à ce moment et se mit à rire en voyant la position de Dora qui, ayant passé la main sous mon veston, me caressait la poitrine.

— Ça te fait rire, polissonne, de voir que je caresse mon amant. M. Léo est mon amant, tu le sais bien, et tu sais aussi combien je l’aime. Je veux que tu l’aimes et que tu le respectes comme ton maître ; lui aussi t’aime bien, tu as vu comme il te caressait…

La petite se mit à genoux devant moi et joignit ses mains en les portant à son front, ce qui est, chez les Indiens, le signe de l’adoration ; puis, avant que j’eusse pu m’en défendre, elle se courba, prit mon pied et le mit sur sa tête, après quoi elle regarda sa maîtresse d’un air à la fois tendre et soumis, comme pour lui demander si elle était contente.

— C’est bien, dit Dora en souriant et en tendant à la petite une main que celle-ci plaça sur son cœur ; tu es une gentille petite femme ; si tu es toujours dévouée et obéissante, je t’aimerai comme une sœur, je t’instruirai et ferai de toi une belle dame…

— Oh ! maîtresse, répliqua Amalla, je ne serai que votre petite domestique, votre esclave… Et puis, ajouta-t-elle tristement, je suis noire.

— Mais non, ma petite, fis-je à mon tour, tu n’est pas noire, tu es brune, et il y a en Europe, en France, des femmes aussi brunes que toi. Je t’assure que tu es fort jolie et que, quand tu seras instruite et que tu auras pris les manières de l’Europe…

La mignonne, toujours accroupie à mes pieds, buvait mes paroles avec délices. Dora était ravie : « Allons, viens m’embrasser, dit-elle à l’enfant ».

Celle-ci, sautant au cou de sa maîtresse, lui donna un long baiser qui n’était ni chaste ni respectueux.

— Et moi, demandai-je, on ne m’embrasse pas ?…

Amalla fit volte-face et me présenta sa bouche rose et fraîche. Je la pris sur mon autre genou, tandis que Dora, qui avait laissé sa main sur ma poitrine, descendait toujours plus bas, si bien qu’elle fit sauter le bouton de mon pantalon et qu’elle mit à l’air un objet devenu trop gros pour rester enfermé.

— Tiens, regarde comme il est beau, dit-elle en le balançant. Tu le connais déjà…

Puis elle ajouta quelques mots en bengali. Aussitôt la petite sauta à terre et, se mettant à genoux, elle commença à sucer mon priape avec une virtuosité qui promettait pour l’avenir. Dora s’approcha de mon visage et compléta, par une langue douce et pénétrante, les exquises caresses que me faisais sa petite élève.

Mais tout à coup, sentant ma respiration devenir haletante, Dora repoussa vivement Amalla : « Assez, petite, assez… Retiens-toi, mon chéri, tout est pour moi, aujourd’hui… Va, mon enfant, dit-elle à Amalla qui s’était relevée, je te promets que je te le donnerai tout entier un autre jour… Va !… » Et l’enfant disparut sans répliquer. Dora et moi nous nous rajustâmes.

— Maintenant, fit-elle, allons déjeuner !

Lorsque nous eûmes terminé notre repas, après avoir causé de mille choses qui me firent voir sous toutes ses faces l’intelligence de Dora, nous prîmes notre café à la française. Mon amie, me regardant alors d’un air tendre, me dit : « Faisons la sieste, veux-tu ?… »

— Je veux bien, ma chérie, mais je n’ai guère envie de dormir.

— Eh bien ! fit-elle avec un sourire, nous nous reposerons sans dormir.

Nous passâmes dans la chambre, où un vaste lit nous attendait, abrité par une moustiquaire, indispensable dans les habitations à proximité du fleuve.

Pendant que Dora se dévêtait et que je me mettais moi-même à mon aise, elle me dit : « Mon ami, je te jure que je n’ai jamais été si heureuse. Il y a longtemps que je désirais cette journée, seule avec toi !… C’est bien sérieusement que je t’ai dit que je voulais un enfant de toi. Je le veux ; il manque quelque chose à ma vie ; il me faut un souvenir vivant de l’homme qui m’a, le premier, fait connaître le véritable amour dans toute sa beauté ».

Elle s’était approchée de moi. Son ventre, voilé par une chemise transparente, était à la hauteur de mes yeux. Je saisis ses fesses fermes, douces comme du satin, et je regardais son visage rayonnant d’amour et de désir. Me levant alors, je la pris par la taille, et nous nous étendîmes côte à côte, elle tenant mon priape raide prêt à la percer, et moi, mon doigt chatouillant son bouton, mes lèvres collées aux siennes.

— La jouissance ne dure qu’une minute. Retardons-en le moment, me dit-elle : tâchons de faire durer le plaisir. Veux-tu que j’appelle la petite pour nous amuser un instant ? Elle verra ainsi comment deux amants qui s’aiment, s’étreignent et échangent leurs âmes. Tu veux ?…

— Oh ! ma Dora, toi seule me suffis et tu es assez belle pour me faire oublier le reste de la terre, mais je ferai ce que tu voudras. Appelle-la !…

Amalla accourut, souriante, et sur un mot de Dora, elle eut vite fait sauter son pagne et ses vêtements superflus. Elle nous apparut alors dans sa juvénile nudité.

— Viens ici, maintenant, dit Dora.

Mais elle disparut en courant. Surpris, je regardai mon amie, qui se contenta de me dire : « Je parie qu’elle est allée se laver. Je l’ai habituée à une extrême propreté. »

C’était vrai, et quand Amalla revint au bout de deux minutes, nous nous aperçûmes que la petite coquine s’était non seulement lavée, mais parfumée au lait d’iris dont elle avait trouvé un flacon dans le cabinet de toilette.

À peine fut-elle entre nous qu’elle prit par le cou sa maîtresse. Comprenant qu’il n’y avait plus de distance, elle lui couvrit les seins des plus tendres baisers. Comme je caressais ses petites fesses en introduisant ma main dans leur séparation et allant plus loin chercher son bijou, elle tourna vers moi, sa mignonne tête et me tendit un bout de langue que je saisis aussitôt. Mais Dora, qui s’était mise sur le dos, écarta ses cuisses et lui dit, avec un geste du doigt : « À moi, ma petite ».

Celle-ci comprit, et se glissant dans le doux nid, commença un léger gamahuchage, pendant que Dora secouait mon priape, qui désirait mieux que de simples attouchements. Au bout de quelques secondes, Dora, me regardant tendrement, repoussa la petite Amalla, et me dit : « Viens, mon aimé, mets-le moi… »

Amalla, remonta, et prenant à son tour maître Jacques, l’introduisit dans la petite fente où il ne tarda pas à disparaître. Puis elle se mit à genoux, le nez presque sur les deux objets dont elle cherchait à saisir le mécanisme, pendant que sa main droite était allée chercher mes deux globes qu’elle caressa d’instinct. Mais nous ne nous occupions guère d’elle.

Dora, les jambes sur mes reins, me tenait les épaules de ses bras nerveux et elle murmurait : « Longtemps… fais durer… longtemps… Que je t’aime !… Arrête… chéri… plus vite… donne… décharge… je jouis… oh !… »

Et je retombai sur elle.

Amalla suivait toujours des yeux les péripéties de notre délicieuse agonie. À peine vit-elle son ami Jacques se retirer doucement de sa niche, qu’elle se précipita sur lui, le prit dans sa bouche et suça goulûment les dernières gouttes qui en sortaient ; puis, la quittant, elle remit sa langue sur le chat de Dora, qu’elle lécha avec une activité gourmande. Mais ayant touché le bouton de Dora, celle-ci, piquée au vif, fit lâcher prise à la mignonne, en lui disant : « Oh ! non… c’est trop… laisse-moi… je suis morte… »

Si bien qu’Amalla revint à moi et se mit à me faire des langues ardentes, pendant qu’elle frottait son petit chat sur mon stylet, qui commençait à revenir à la vie. Au milieu de toutes nos caresses la pauvre enfant n’avait pas encore joui, et se tortillait sur moi. Je compris ses désirs : « Viens, mon petit chat, je vais te faire minette ».

Je t’ai dit que Dora ne lui avait jamais fait cette caresse et ne lui prêtait que le secours de son doigt. Me penchant à l’oreille de mon amie, je lui demandai tout bas : « Tu veux bien, chérie ?… elle est si gentille… »

Un sourire fut sa réponse : en même temps elle disait en bengali deux mots à Amalla, qui s’installait déjà sur ma bouche ; changeant aussitôt de position, elle se retourna, saisit mon priape à pleines lèvres, et nous commençâmes un double jeu que la chère enfant ne connaissait que de nom, mais qu’elle pratiqua, du premier coup, en maître. Au milieu de nos transports, Dora nous arrêta d’un geste ; « Arrêtez, mes chéris ; attendez, c’est trop vite fini… jouissez bien… vous êtes beaux… »

Et elle promenait du haut en bas sa main caressante sur le dos, les reins et les fesses de la mignonne. Quant à nous, nous ne ralentîmes nos mouvements que pour les activer bientôt, sous les yeux de Dora, aussi haletante que nous.

À peine eûmes-nous poussé le dernier soupir que, à ma grande surprise, Dora, faisant basculer Amalla, lui dit d’une voix entre-coupée : « Oh ! vous m’avez trop excitée… je n’en puis plus… Je veux te le faire aussi… Viens, vite, Amalla… »

Et comme la petite, ravie, portait la main à son conin pour s’essuyer, Dora la saisit : « Non, tiens, je veux te manger… »

Elle la dévorait déjà, et comme j’avançais la main pour chatouiller Amalla, elle me repoussa, et s’interrompant : « Non, non… rien que moi… laisse… »

Je courus me rafraîchir.

Lorsque je revins, Amalla, la bouche entr’ouverte, poussait des sons inarticulés. On eût dit que toutes deux avaient attendu mon retour, car à peine fus-je près d’elles que la petite sera la tête de Dora entre ses jambes et lui saisissant les cheveux de ses menottes crispés, cria : « Oh ! voilà… hou… hou… Oh ! maîtresse, que je vous aime !… »

Dora se releva, sauta au bas du lit en se passant la main sur les lèvres et me dit en courant : « Ma foi, il est aussi bon que celui de Flora… C’était exquis, et j’ai eu autant de plaisir à vous voir ensemble, puis à lui faire minette, que si on me l’eût fait à moi-même. Mais tout cela, c’est de la passion, de la sensualité. L’amour ? tiens, Léo, le voilà… »

M’entourant le cou de ses bras, elle me baisa d’abord sur les yeux, puis sur les lèvres, mais sans avancer la langue. Ensuite, reculant un peu la tête, elle me regarda dans les yeux avec une tendresse inexprimable et me dit doucement en abaissant ses paupières : « Je t’aime. »

Et nous nous endormîmes dans les bras l’un de l’autre.

Cette lettre est déjà bien longue, ma Cécile, mais je la doublerais si je voulais te faire le récit de cette fin de journée et de notre retour à Calcutta, où nous arrivâmes à la nuit. Mais il faut bien que je garde quelque chose à te raconter à mon retour.

Qu’il te suffise, pour le moment, de savoir que cette party, où Dora s’est révélée à moi sous un aspect nouveau, sera un des plus charmants souvenirs de ma vie. Ma belle amie m’a bien recommandé de t’envoyer ses plus tendres caresses, pour toi et pour Thérèse. Cette chère Dora a hâte de vous connaître. Vous plairez-vous ?… Je l’espère…

Léo.

XV

Calcutta, 25 février 18…

Avant mon départ pour Darjeeling, fixé à demain, nous devions avoir, chère Cécile, une dernière entrevue avec mes petites amies et moi. J’ai dîné hier soir chez sir D. Simpson, qui m’a pris en amitié et qui ne serait surpris qu’à moitié de me savoir l’amant de sa fille.

Il avait été convenu officiellement que Dora et Flora, en revenant de leur promenade quotidienne à cheval, viendraient me prendre, à sept heures, pour me ramener à la maison de sir Duncan, mais comme à tous les traités il y a quelque clause secrète, il était entendu, entre nous, que mes bonnes amies seraient chez moi à cinq heures et demie au plus tard et que Maud, qui n’était pas du dîner, viendrait aussi de son côté.

Toutes trois arrivèrent en même temps à mon bungalow, comme convenu, où je les attendais en tenue de combat. Malgré les plaisirs que nous nous promettions, il y eut d’abord un voile de tristesse jeté sur notre réunion, car elle précédait une séparation.

Aussi, dès qu’elle se fut débarrassée de sa robe et de son chapeau, Flora vint se jeter à mon cou en sanglotant ; Dora ne pleurait pas, mais ses traits étaient contractés, ses lèvres pâles et frémissantes ; Maud s’agitait pour cacher son émotion, se déshabillait, s’arrêtait, tournait, ne savait que dire. Flora, cependant, m’étreignait en répétant à travers ses larmes : « Vous allez nous quitter… partir… »

— Voyons, chère Flora, dis-je en l’embrassant, soyez raisonnable… ce n’est que pour un mois, puisque je vous ai promis d’aller vous voir à Simla.

— Mais oui, fit à son tour Dora… Et puis… puisque nous serons tous en France dans trois mois… Tu connaîtras Cécile et Thérèse.

— Et Line, fit à son tour Maud en délaçant ses bottines. Oh ! que je voudrais la connaître, cette petite… comme nous nous amuserions toutes les deux ! Mais, continua l’espiègle avec un gros soupir, je ne vais pas en France, moi…

— Allons, mon petit chat, dis-je en la soulevant dans mes bras, tu y viendras plus tard. En attendant, nous allons passer un bon mois ensemble, rien que nous deux.

— Avec tante Kate… Tu verras, chéri, tu verras comme elle est polissonne…

— Oui, intervint Flora, qui commençait à se rasséréner en écoutant ce bavardage, si le ménage ne l’a pas changée…

Cependant Dora, pour faire diversion, avait débouché le champagne et rempli nos coupes. Je m’assis sur un fauteuil, et, ayant ouvert ma robe de chambre, je fis asseoir Dora et Flora sur mes cuisses nues, tandis que Maud, accroupie entre mes jambes, jouait à la poupée.

Nous gardâmes le silence, ne pouvant parler. Cette polissonne de Maud avait, sans rien dire, mis un doigt de chaque main sur le clitoris de ses amies et les branlait doucement, tandis qu’elle suçotait et léchait sa petite poupée… Nous devenions haletants tous les trois…

Pourtant Dora se dégagea et se mit debout : « Allons mes enfants, nous n’avons que le temps de rentrer et de nous habiller. Je ne veux pas faire attendre mes invités… »

… Je passe, chère amie, sur les détails du dîner. Nous étions quatorze convives ; j’étais vanné ; Flora et Dora portaient les traces évidentes d’une fatigue qui fut attribuée à une longue course à cheval.

Aujourd’hui, je suis bien reposé, et je vais faire mes derniers préparatifs. Je ne suis pas fâché d’avoir quelques jours de repos. À bientôt, ma chérie ; je t’envoie mes plus tendres baisers : j’ai hâte maintenant de te revoir. Quelles bonnes parties nous allons faire ensemble … À nous trois, avec Thérèse, à nous quatre même, avec Line, je ne regretterai pas mes amies d’ici.

Je t’adore, plus que jamais, ma Cécile.

Pour la vie,
Ton Léo.

XVI

Pacy-sur-Isère, 27 février 18…

Thérèse à Monsieur Léo Fonteney.

Cher Monsieur,

Madame Fonteney m’avait fait promettre, avant notre séparation, de vous écrire. C’est donc à ma chère maîtresse qu’il faut vous en prendre de ma hardiesse si elle vous offense, et ne pas m’en vouloir d’une audace que je n’aurais jamais eue moi-même.

Mais ceci dit, je sens qu’il faut maintenant que je vous demande pardon de ce que je viens d’écrire, qui paraît mettre en doute votre bonté et votre indulgence naturelles : je puis avouer que je les connais bien et que je connais de même tout ce qui se rapporte à vous ; Cécile (non, je ne pourrai jamais m’habituer à l’appeler Madame en vous parlant d’elle) Cécile m’a fait lire, de vos lettres, tout ce qui me concerne et même davantage. Elle vous a dit qu’elle m’avait confié tous ces secrets avec un abandon qui, plus que tout le reste, m’a attaché à elle et à vous pour la vie, et que je trahirai d’autant moins qu’il me semble que je suis votre complice. Elle m’a dit qu’après quelques temps d’une défiance que je comprends très bien (si bien même que j’aurais été vivement froissée si elle n’eût pas existé, car elle aurait été la marque d’une trop grande indifférence pour ce que faisait votre chère femme pendant votre absence), vous aviez approuvé entièrement la liaison qui s’était établie entre nous et que vous acceptiez le don que je vous ai fait de mon cœur à tous deux. Laissez-moi donc vous l’ouvrir, comme je voudrais vous ouvrir mes bras.

Vous ne sauriez croire, mon cher Léo, avec quelle impatience j’attends votre retour, non pas tant pour vous connaître, car il me semble que nous avons déjà vécu ensemble, que pour vous prodiguer mes caresses et vous prouver tout mon amour. Je tremble de ne pas paraître digne de vous !

Je ne veux pas faire de fausse modestie, je sais bien que je suis jolie, bien faite, et que je le parais plus encore nue qu’habillée ; je sais aussi que je puis être aussi passionnée que Dora, aussi tendre et aussi aimable que Flora, en qui je trouve bien des ressemblances de goûts avec les miens, aussi gamine et aussi polissonne (avec l’âge en plus) que cette mignonne Maud… mais c’est de mon esprit, de mon caractère, de mes manières que je crains que vous ne soyez pas satisfait.

Pour vous plaire, pour passer ma vie auprès de vous, pour vieillir entre Cécile et vous, je me transformerai s’il le faut. Et pourtant quelque chose me dit que je ferai bien de rester telle que je suis et que vous m’aimerez ainsi.

Si ma destinée m’a réduite pendant quelque temps à la servitude (je ne parle pas de ma condition actuelle) que j’ai courageusement acceptée, elle n’a jamais été dans mes goûts, vous verrez que, soit comme maîtresse, soit comme amie, vous n’aurez pas à rougir de moi. Quant à Cécile, vous l’avez bien compris, n’est-ce pas ? ce n’est pas un simple caprice qui m’a entraînée vers elle. Si un désir impérieux et longtemps contenu m’a poussée dans ses bras, au risque de me faire jeter dans la rue, c’est un sentiment plus élevé et, si je ne crains pas de le dire, plus pur, qui m’a fait lui vouer ma vie. J’aime Cécile, avec toute la fureur de mes sens, mais je l’estime aussi, comme une sœur aînée aime une jeune sœur qui a besoin de protection et de guide.

Que vous ayez eu raison ou que vous ayez été imprudent en la laissant abandonnée à elle-même et maîtresse absolue de ses actions, cela ne me regarde pas, puisque vous avez cru bon devoir le faire. Mais je n’ai pas tardé à m’apercevoir que votre chère Cécile, avec son bon cœur, sa vivacité d’esprit et son amour du plaisir, au milieu des entraînements, des tentations, des facilités de la vie de Paris, pourrait, sans le vouloir, glisser à des imprudences de nature à compromettre votre commun bonheur. Non qu’elle eût jamais cessé, même au milieu de ses folies, de vous aimer plus que tous ceux avec qui elle les eût commises, mais honnête comme elle est, elle ne se serait pas imaginé qu’on pût la tromper, ni qu’un homme, qui aurait eu le bonheur de la posséder, fût ensuite assez vil pour s’en vanter et la perdre de réputation. Ce qui lui manque à la bien-aimée (et c’est un heureux défaut) c’est l’expérience cruelle qu’on n’acquiert qu’à ses dépens : elle croit tous les hommes pareils au seul qu’elle connaisse bien.

C’est contre ces dangers que j’ai voulu la garantir, et je me suis souvent permis de lui donner des conseils qu’elle suit, je le reconnais, avec une docilité d’enfant. Pas toujours cependant, témoin l’aventure avec M. Adrien, qu’elle vous a contée en détail. J’aurais vivement désiré que Cécile n’y retournât pas, et j’ai fait tout ce qu’il fallait pour l’en empêcher, mais je n’ai pas réussi, elle m’a seulement promis de ne plus revoir ce jeune homme.

J’aime à penser, cher Monsieur, que vous m’approuverez de ne pas refuser à votre chère femme des distractions passagères, de les faciliter même, car son tempérament, son imagination l’empêcheraient absolument de se livrer à une affection exclusive, et vous savez mieux que moi qu’abandonnée à elle-même, notre amie ferait des imprudences dont une seule pourrait lui être fatale.

Je partage, d’ailleurs, vos idées sur ce point, et je pense que, pourvu qu’elle ne compromette ni sa réputation ni sa santé, elle peut s’amuser et jouir de sa jeunesse. Est-il besoin d’ajouter, cher Léo, que, de mon côté, moi qui raisonne si froidement en vous écrivant, je suis la première à partager son amour du plaisir et à m’associer à toutes les folies qu’elle vous a contées ?

C’est que, voyez vous, c’est vraiment de l’amour que j’éprouve pour Cécile, un amour que je n’avais jamais ressenti pour personne, ni pour mon premier amant, ni pour aucune des femmes qui m’ont souvent inspiré des passions très intenses mais passagères. Il y a à peine trois mois que je la connais, et pourtant il me semble que nous sommes nées ensemble.

J’aime tout en elle : non seulement sa beauté si piquante et si gracieuse, mais son esprit plein de vivacité, son caractère, ses mouvements d’oiseau, sa grâce primesautière, son regard tour à tour plein d’éclat ou voilé de tendresse. Et quand je la tiens dans mes bras, je suis aussi folle de l’ardeur de ses sens que de la langueur de ses abandons…

Vous ne voudrez pas, n’est-ce pas, que ce bonheur finisse, et vous ne nous séparerez pas ? Si vous saviez comme je vous aimerai ! autant qu’elle, autant qu’elle vous aime et autant que je l’aime. Si vous saviez, cher Léo, avec quelle ardeur je vous désire ! Malgré mon penchant pour mon sexe, vous verrez ce que je serai pour vous !

C’est que vous êtes l’autre moitié de ma Cécile, et que je ne vous sépare pas d’elle dans mon cœur ; c’est qu’à force de parler de vous tous les jours, de lire vos lettres, je finis par croire que vous êtes à moi autant qu’à elle… Et à nous trois, nous ne ferons qu’un tout…

Excusez-moi, cher Monsieur, de vous écrire tout cela. Mais je n’y puis tenir : et puis, dans cette campagne où j’ai passé mon enfance, je me complais si volontiers dans ces idées d’un bonheur calme où je coulerais doucement ma vie entre vous deux !

Cécile vous a écrit quelles ont été nos désillusions, ou plutôt les siennes à l’endroit de Gérard. La pauvre amie s’est bien vite rendu compte que l’Américain qui a passé huit jours avec nous, qui a partagé notre couche, n’est pas du tout le Gérard qu’elle avait cru connaître et qu’à l’entendre elle aimait presque à l’égal de son Léo. Élevé avec lui, vous l’avez aimé dès son enfance ; votre adolescence s’est épanouie en même temps que la sienne, vous l’avez toujours considéré comme un frère plus jeune, sans vous apercevoir des profondes dissemblances qui existaient entre vous.

Cécile, elle, jeune mariée, se trouvant pourvue de deux maris dont elle semble être également aimée, qu’elle aime de son côté avec toute l’ardeur des sensations qu’on lui révélait chaque jour. Cécile, dis-je, a vécu pendant trois mois une double lune de miel avec deux hommes qui se la partageaient sans la moindre jalousie. Elle a fait, pendant trois mois, une longue partie fine à trois, et la chère s’est figurée que ses deux amis resteraient toujours identiques à eux-mêmes et tels qu’elle les connaissait alors. Mais tandis qu’elle conservait l’un et qu’elle appréciait chaque jour davantage sa hauteur d’intelligence, sa noblesse de caractère, qu’elle trouvait sans cesse en lui une nouvelle vigueur, des désirs plus vivaces, des caresses qu’elle ignorait la veille, l’autre disparaissait…

Je ne voudrais pas cependant le noircir à vos yeux, car il a des qualités solides, mais qui ne sont pas celles que nous lui demandions. Nous n’avons trouvé en lui ni ces caresses qui sont comme le parfum de la sensualité, ni cet abandon de tout l’être, si doux pour une femme et si apprécié d’elle, ni même cette vigueur de mâle qui fait éprouver d’inexprimables délices à une femme vraiment passionnée. Laissons-le à son business, et qu’il devienne milliardaire s’il le veut : il ne connaîtra jamais le bonheur d’aimer et d’être aimé.

La volupté vous a conservés l’un et l’autre jeunes, amoureux et fidèles, oui fidèles, malgré vos amusements séparés que vous vous racontez avec tant de candeur, et dont le récit renouvelé fera la joie de vos vieux jours. Me mettrez-vous en tiers dans votre vie heureuse, et voudrez-vous avoir deux femmes aussi tendres, aussi dévouées, aussi amoureuses l’un que l’autre ?… Laissez-moi l’espérer…

Dans quelques jours, je vais rejoindre Cécile à Nice. Il faut maintenant que j’entreprenne la conquête de ses parents pour me faire accepter d’eux comme dame de compagnie et comme amie, après n’avoir été que femme de chambre. Du côté de M. Bativet, je prévois que ce ne sera pas difficile : j’ai des raisons pour le croire encore « gaillard » malgré ses 55 ans. Mais soyez sans crainte : je saurai, tout en le séduisant, le tenir à distance. Quant à votre belle-mère, sa haute vertu et sa fierté de bourgeoisie millionnaire la rendront peut-être plus revêche à cette assimilation ; mais à force de tact, de réserve et d’habilité, je ne désespère pas de réussir.

J’aurai tant de respect, d’égard et de complaisance, qu’elle aussi m’acceptera au bout de quelques temps, me regardera comme étant de la famille, et « la meilleure amie de sa fille ». Du reste ne faudra-t-il pas quelqu’un pour accompagner Valentine, votre ravissante petite belle-sœur, qui va sortir de pension après Pâques ?…

Excusez, cher Monsieur, tout ce bavardage : j’avais vivement besoin de m’épancher dans votre « sein ». J’espère que dans votre prochaine lettre à Cécile, si toutefois vous ne me faites par l’honneur de me répondre directement, vous lui ferez part de l’impression sincère que vous aura causée ma lettre.

En attendant de recevoir de vos nouvelles, permettez-moi de prendre congé de vous en vous assurant, encore une fois, de mon plus affectueux dévouement.

Toute à vous,
Thérèse.

POSTFACE

Ici finissait cette singulière correspondance qui contient plusieurs lacunes, mais dont, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu retrouver la suite. J’ai eu naturellement la curiosité de savoir ce qu’étaient devenus les auteurs des lettres si savoureuses que l’on vient de lire. Voici les renseignements que j’ai pu recueillir auprès des différentes personnes qui les ont connus ou même qui sont encore en relations avec eux.

Cécile est morte trois ans après le retour de son mari et lui fit jurer d’épouser sa chère Thérèse qui ne l’avait jamais quittée. Elle et Léo, toujours inconsolables de cette perte, mais unis par la douleur autant que par le serment qu’ils ont échangé à son lit de mort, habitent Odessa où, depuis quinze ans, M. Fonteney est ingénieur du Gouvernement russe. Ils ont trois enfants qui font leur consolation, ils s’aiment comme au premier jour et seraient aussi heureux qu’on peut l’être si le souvenir de la pauvre morte ne remplissait souvent leurs yeux de larmes.

Valentine, la sœur de Cécile, encore très belle et très courtisée, est restée veuve avec deux filles de 16 et 17 ans, aussi jolies qu’était leur mère à leur âge, et dont l’aînée est le portrait vivant de Cécile.

Leur mère les a surprises, un soir, répétant, avec leur institutrice, les scènes qui avaient eu lieu vingt ans auparavant entre elle, sa sœur et Thérèse. Valentine, qui a conservé ses goûts de jeune fille, n’a pas osé être trop sévère pour ses enfants et s’est bornée, en renvoyant l’institutrice qu’elle se croyait « exclusivement acquise », à leur donner les sages conseils de son expérience.

Dora Simpson, après avoir mis au monde un fils qui ne vécut pas, est venue habiter Paris. Elle y mène une existence très retirée, se consacrant entièrement à son art. Amalla n’a pas voulu la quitter ; tout à fait francisée, c’est maintenant une aquarelliste habile.

Flora, ainsi que l’avait désiré Dora, est devenue lady Simpson ; elle soigne son vicieux mari comme une sœur de charité. Elle lui a donné cinq enfants et a, depuis longtemps, renoncé à tous les plaisirs extra-conjugaux. C’est le modèle des épouses et des mères de famille.

Elle entretient encore une correspondance suivie avec M. et Mme Fonteney, qu’elle a revus deux fois en France et en Russie, où elle a fait un voyage. Tous les ans, elle vient passer quelques jours sur le continent pour visiter sa Dora aimée.

Celle qui fut l’espiègle et la délicieuse Maud a mal tourné. Sa mère, ruinée par des spéculations malheureuses, l’a vendue comme vierge à un vieil Américain fort riche qui l’a emmenée à New-York, où elle n’a pas tardé à se lancer dans la galanterie. Elle tient aujourd’hui avec sa mère, toujours dévote, une maison de rendez-vous pour femmes, très fréquentée par les jeunes détraquées de la société américaine.


FIN

  1. Le Maiden est une promenade de Calcutta où le « high life » va entendre la musique avant l’heure du souper.
  2. Les Anglais, dans l’Inde, désignent sous le nom dédaigneux d’« Eurasians » les descendants des Anglais purs avec les femmes indigènes, et réciproquement. Ce dernier cas est infiniment plus rare.
  3. Le « tiffin » est le repas, généralement composé de viandes froides, de gâteaux, de thé avec beurre, et de vins de liqueurs, que les Anglais prennent à deux heures et après lequel ils font la sieste.