Les Stratagèmes (Frontin)/Trad. Bailly, 1848/Livre I/Chapitre XII

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Texte édité et traduit par Charles Bailly, 1848.
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XII. Rassurer les soldats, quand ils sont intimidés par de mauvais présages.

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1. Scipion, arrivant d’Italie en Afrique avec son armée, tomba au sortir de son vaisseau, et, voyant ses soldats effrayés de cet événement, sut, par son courage et sa présence d’esprit, trouver dans cette circonstance un motif d’exhortation : « Soldats, s’écria-t-il, réjouissez-vous : je tiens sous moi l’Afrique ! »

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2. C. César, étant tombé au moment où il montait sur son navire, s’écria : « Ô terre, ma mère, je te tiens ! » voulant faire entendre par là qu’il reviendrait dans ce pays dont il s’éloignait.

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3. Le consul T. Sempronius Gracchus s’avançait en bataille contre les Picentins, lorsqu’un tremblement de terre jeta tout à coup l’épouvante dans les deux armées. Il exhorta les siens, les rassura ; et, les ayant déterminés à fondre sur l’ennemi, que la superstition tenait abattu, il donna l’attaque, et fut vainqueur.

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4. Dans l’armée de Sertorius, les boucliers de la cavalerie, par un prodige soudain, parurent ensanglantés à l’extérieur, ainsi que le poitrail des chevaux. Ce général déclara que c’était un présage de victoire, parce que ces objets se couvrent ordinairement du sang de l’ennemi.

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5. Épaminondas, voyant ses troupes effrayées de ce qu’une banderole, qui était suspendue à sa lance comme ornement, avait été enlevée par le vent et jetée sur le tombeau d’un Lacédémonien, leur dit : « Soldats, cessez de craindre ; voilà qui annonce la mort des Lacédémoniens : nous parons les tombeaux pour leurs funérailles. »

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6. Un météore enflammé, tombé du ciel pendant la nuit, effrayait les soldats qui l’avaient aperçu : « C’est, leur dit Épaminondas, une lumière que la bonté des dieux nous envoie. »

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7. Le même général était au moment d’en venir aux mains avec les Lacédémoniens, lorsque le siége sur lequel il était assis se brisa, ce qui fut, pour le commun des soldats, un événement de sinistre présage : « Allons, s’écria-t-il, nous ne pouvons plus rester assis. »

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8. C. Sulpicius Gallus, craignant qu’une éclipse, qui était prochaine, ne fût considérée par les soldats comme un mauvais présage, la leur prédit, et leur expliqua les causes et les lois de ce phénomène.

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9. Pendant qu’Agathocle, de Syracuse, faisait la guerre aux Carthaginois, il y eut une semblable éclipse de lune, dont les soldats furent effrayés comme d’un prodige, il leur expliqua cet événement, et leur apprit à le considérer, quel qu’il fût, comme un phénomène naturel, qui n’avait aucun rapport avec leurs desseins.

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10. La foudre était tombée dans le camp de Périclès et avait effrayé ses soldats. Il convoqua l’assemblée, puis, en présence de tous, il choqua des pierres l’une contre l’autre, en fit jaillir du feu, et mit fin à l’épouvante, en montrant que la foudre s’élance de la même manière du sein des nuages en conflit.

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11. Timothée, général athénien, était sur le point d’engager un combat naval avec les Corcyréens, et déjà sa flotte se mettait en mouvement, lorsque son pilote donna le signal de la retraite, pour avoir entendu un des rameurs éternuer : « Tu es étonné, lui dit Timothée, que parmi tant de milliers d’hommes, il y en ait un qui soit enrhumé ? »

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12. Un autre Athénien, Chabrias, vit, au moment de combattre sur mer, la foudre tomber devant son navire, ce qui fut un prodige effrayant aux yeux de ses soldats : « Profitons de cet instant, leur dit-il, pour commencer le combat : car Jupiter, le plus grand des dieux, nous montre que sa puissance vient au secours de notre flotte. »


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94. — « Teneo te, terra mater. » Suétone raconte ainsi le fait (Vie de J. César, ch. lix) : « Prolapsus etiam in egressu navis, verso in melius omine, Teneo te, inquit, Africa. » Des commentateurs ont pensé que Frontin avait confondu ces paroles de César avec celles qu’il attribue à Scipion dans le paragraphe précédent. Il est certain, dans tous les cas, que les mots teneo te ne sont pas dans un rapport bien direct avec l’intention attribuée ici par Frontin à César, de revenir dans le pays d’où il partait. J’ai dû, quant à moi, traduire conformément au texte.

95. T. Sempronius Gracchus. Il y a ici une erreur de nom : ce n’est pas T. Sempronius Gracchus, mais P. Sempronius Sophus, qui battit les Picentins après avoir rassuré ses troupes sur un tremblement de terre. Voyez Florus, liv. i, ch. 19.

96. Equorum pectora cruenta. Julius Obsequens a recueilli ce prodige (ch. cxxi).

97. Epaminondas…, contristatis militibus. Ce fait, moins la harangue d’Épaminondas, est rapporté par Diodore de Sicile, liv. xv, ch. 52.

98. Defectum lunæ. D’après Tite-Live (liv. xliv, ch. 37), Sulpicius annonça cette éclipse pendant le jour, pour la nuit suivante, en précisant l’heure à laquelle devait commencer le phénomène, et l’instant où il finirait. L’événement ayant été conforme à cette prédiction, les soldats regardèrent la science de Sulpicius comme une inspiration divine.

Ce fait s’accomplissait l’an 68 avant notre ère, et, selon Pline (Hist. Nat., liv. ii, ch. 9), Sulpicius Gallus fut le premier Romain qui expliqua la raison des éclipses de soleil et de lune. À une époque beaucoup plus reculée (583 ans avant J.-C.), Thalès de Milet avait prédit l’éclipse de soleil qui eut lieu sous le règne d’Alyatte.

99. Ejusdem sideris. Selon Justin (liv. xxii, ch. 6), ce fut une éclipse de soleil ; et Diodore de Sicile, qui affirme la même chose (liv. xx, ch. 5), ajoute que l’obscurité fut assez complète pour que l’on pût, au milieu de la journée, apercevoir les étoiles.

100. In castra fulmen decidisset.Voyez, pour les opinions des anciens sur la formation de la foudre, Pline, Hist. Nat., liv. ii, ch. 43, 50 et suiv. ; Sénèque, Quest. Nat., liv. ii, ch. 12 et suiv.

101. Adversus Corcyrœos. Erreur historique. Timothée fut envoyé par les Athéniens, non contre les Corcyréens, mais bien à leur secours, contre les Lacédémoniens, comme le rapporte Diodore de Sicile, liv. xv, ch. 47. Cf. Polyen, liv. iii, ch. 10, § 2.

« Les anciens généraux, dit Machiavel (Art de la guerre, liv. vi) avaient à vaincre une difficulté qui n’existe pas pour les généraux modernes, c’était d’interpréter à leur avantage des présages sinistres. »


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