Les Transformations de l’Agriculture/03

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Les Transformations de l’Agriculture
Revue des Deux Mondes5e période, tome 35 (p. 650-689).
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TRANSFORMATIONS DE L’AGRICULTURE

IV[1]
LE CREDIT AGRICOLE


LE CRÉDIT AGRICOLE EN ALLEMAGNE ! CAISSES SCHULTZE-DELITSCH ET CAISSES RAIFFEISEN

Parmi les questions qui, depuis une quinzaine d’années, préoccupent hommes politiques, agriculteurs, économistes, il convient de rappeler tout spécialement le crédit agricole. Le crédit, cette alchimie réalisée, cette algèbre de la richesse, cet idéal de l’argent, est-il utile, nécessaire, applicable à l’agriculture ? Utile, nécessaire : comment en douter, en présence de cette concurrence étrangère qui, toujours menaçante, prescrit impérieusement de perfectionner sans cesse les méthodes, de transformer l’outillage, toutes choses qui exigent de nouveaux capitaux ? Et, en descendant du général au particulier, le cultivateur n’a-t-il pas besoin de trouver de l’argent à bon marché en certains cas, afin de parer à des pertes imprévues, de franchir une crise momentanée, d’échapper à l’usurier des campagnes, d’attendre l’instant favorable pour livrer au commerce sa récolte ? Applicable : ici commence la difficulté ; maint effort a déjà été tenté, maint projet mis en avant, discuté savamment, mainte tentative a avorté : on échouait pour avoir méconnu les différences profondes qui séparent le crédit commercial et le crédit agricole. Tout distingue, en effet, le fabricant et l’agriculteur : procédés, but, moyens, nature des choses. Le premier achète de la matière première pour la transformer ; le second crée lui-même la matière première pour les plantes et les animaux, il dispose de la vie, selon le mot de Laveleye, de la puissance de multiplication ; le fonds de roulement de l’un est essentiellement mobile, se renouvelle toujours, celui de l’autre est par essence fixe, immeuble par destination. Le fabricant achète et revend à terme, l’agriculteur opère presque toujours argent comptant. Les opérations de l’industrie et du commerce sont rapides, les bénéfices faciles à prévoir ; les opérations de l’agriculture sont à long terme ; elle fait à la terre des avances qui ne lui sont pas toujours remboursées, car le soleil, la pluie, deviennent parfois ses collaborateurs et parfois ses plus cruels ennemis : une sécheresse, un orage violent, une épizootie peuvent détruire en quelques jours les plans les mieux concertés. Elle ne saurait donc, comme le commerce et l’industrie, s’accommoder du papier court, il lui faut du papier long, il lui faut du temps. Or ce qui fait le profit du banquier, c’est le mouvement de l’argent ; donc, toutes choses égales, l’escompte agricole sera moins rémunérateur que l’escompte commercial. D’autre part, la situation du cultivateur, moins exposé aux brusques virevoltes de la fortune, ne se dissimule pas aisément ; de plusieurs lieues à la ronde, on sait s’il est mal dans ses affaires ou s’il a de quoi. Il suffit, au contraire, d’une spéculation malheureuse pour qu’un industriel, bon aujourd’hui, devienne mauvais demain. Il y a donc moins de danger à consentir un an de crédit à celui-là que trois mois à celui-ci : crédit signifie confiance, et qui, mieux que la terre et l’homme de la terre, mérite d’inspirer confiance ?

Mais ce sentiment qui va se monnayer, peut-on dire qu’on le retrouve dans le crédit foncier ? Celui-ci livre un immeuble comme garantie d’une dette ? Est-ce là le crédit, ou n’en est-ce pas un peu l’antipode, je dis un peu, car il comporte lui-même quelque aléa, l’immeuble pouvant être atteint par une dépréciation impossible à prévoir, le débiteur recourant parfois et avec succès à des ruses qui font plus d’honneur à son sens diplomatique qu’à sa bonne foi. Le prêt sur hypothèque, cela rappelle en quelque mesure les contrats par lesquels le beau-père marie sa fille selon la coutume de Normandie, l’épée au côté : il ne se méfie pas, mais il ne se fie point, et préfère la précaution inutile à l’absence de précautions ; on peut le comparer à un général avisé qui envoie de toutes parts des éclaireurs, des espions, place lui-même ses grand’gardes, et n’abandonne au hasard que ce qu’il ne peut lui enlever.

Le crédit agricole proprement dit suppose l’absence de toute garantie foncière, soit que le débiteur ne puisse, soit qu’il ne veuille la consentir. Il peut avoir besoin d’argent pour acheter des engrais, du bétail, des instrumens : il le trouve cet argent, mais à quel prix ! Que de contrats usuriers, ne fût-ce que ce système de la retenue, consacré en fait par le Gode civil et très usité dans l’Est, où le bailleur donne du bétail au preneur, mais partage avec lui le profit et la perte : ainsi il retire son capital plus la moitié du croît, et le preneur qui garde, soigne, nourrit les bêtes, n’a que l’autre moitié.

Il fallait donc en passer par la volonté de ces usuriers ou demi-usuriers ruraux, qui, après tout, rendent encore des services à leurs… victimes : car on ne pouvait donner en gage ni les récoltes engrangées, ni les animaux à l’étable, l’article 2076 du Code civil ne permettant la constitution du gage mobilier qu’avec déplacement de l’objet. Donc, point de crédit réel mobilier[2]. Le cultivateur avait-il du moins la ressource du crédit personnel, pouvait-il trouver du crédit sur sa seule signature ? Ici encore, d’autres difficultés surgissaient : privilège du bailleur vis-à-vis du fermier, juridiction commerciale fermée aux créanciers obligés de subir les longues et coûteuses formalités des tribunaux civils, papier du cultivateur repoussé par la Banque de France.

Utile, nécessaire, difficile à organiser, le crédit rural offre aussi ses dangers, dangers tels que certains esprits timorés ont conclu contre lui, parce qu’il conduit souvent à la ruine le cultivateur en le surchargeant de dettes qu’il ne peut amortir avec les revenus de sa terre ; c’est sans doute en ce sens qu’on a affirmé que le crédit soutient l’agriculteur comme la corde soutient le pendu. Là comme ailleurs, tout dépend de l’usage qu’on en fait, et il est certain que beaucoup de propriétaires animés de l’esprit d’utopie, ou ayant plus grands yeux que grand ventre, comptent sur leurs champs comme Perrette sur son pot au lait, et jonglent avec leur patrimoine comme certains financiers avec les milliards du budget de l’Etat. Il proprietario si mangia il podere. Proscrire cependant le crédit agricole parce qu’il présente ces inconvéniens, ce serait raisonner à la façon de ceux qui condamnent l’instruction, les chemins de fer, l’automobile, l’électricité, parce qu’ils font des victimes.

Ce n’est pas que le problème n’ait préoccupé en France maint esprit ; au XVIIIe siècle, on publiait déjà des projets de crédit agricole, et, en 1840, le ministre de l’Agriculture chargeait M. Royer d’étudier les sociétés de crédit agricole en Allemagne. Mais tandis que nous cherchions vainement la formule libératrice, d’autres pays avaient réussi : leur exemple démontra qu’il n’y a rien ici de chimérique, et qu’on ne s’acharne pas à la découverte de la pierre philosophale. En Allemagne, les premières sociétés de crédit ont plus d’un siècle d’existence : les Landschaften provinciales (corporations de propriétaires) émettaient des obligations foncières au moyen desquelles on faisait des prêts hypothécaires entre associés. Voilà l’origine du crédit foncier. Aujourd’hui elles consentent des prêts remboursables en cinquante-cinq ans, à 4 et demi pour 100, intérêts et amortissement compris ; ne touchant aucun dividende, elles n’exigent du débiteur que les frais d’administration, à peine un quart pour 100. Beaucoup prélèvent sur leur réserve la somme nécessaire pour créer, au profit de leurs membres, un crédit agricole mutuel mobilier. Ainsi fit, il y a vingt-sept ans, la Landschaft de Brandebourg, qui avança 500 000 marks pour accorder à ses adhérens des prêts sans hypothèque. Ailleurs, ce sont les États provinciaux qui fournissent aux sociétés d’agriculteurs les fonds nécessaires : la caisse agricole de Lausitz a pris naissance de la sorte au moyen d’une avance de 4 500 000 marks.

Les associations Schultze-Delitsch (Worschuss-vereine) ou sociétés d’avance sont surtout urbaines, comprennent assez souvent plusieurs communes, possèdent un capital. Quand on voit ce qu’il a fallu de dévouement, d’intelligence, de travail doux et patient à des hommes comme Schultze et Raiffeisen pour réussir et mener à bien leur apostolat, on s’étonne, — et l’on ne peut s’empêcher d’admirer, d’avoir confiance dans les destinées de l’humanité qui, dans tous les ordres, voit sans cesse surgir des êtres vraiment providentiels. Schultze n’eut pas seulement à triompher des habitudes, des préjugés ruraux, il dut combattre et les socialistes qui, Lassalle en tête, se montrèrent violemment hostiles au « réformateur bourgeois, » et les gouvernemens qui se méfiaient de ses tendances et ne comprenaient point la portée de son œuvre. Il livra une longue bataille, plus longue que le siège de Troie et finit par la gagner[3]. Ses sociétés d’avance, complétées, disciplinées par deux institutions, la Fédération générale et la Caisse centrale, ont pris un grand essor et prospèrent partout. On peut définir le Worschuss-verein : une société mutuelle entre ouvriers, petits industriels et agriculteurs, ayant pour objet de leur procurer, au moyen du crédit, les fonds nécessaires à l’exercice de leur profession. Pour figurer comme associé, il suffit d’être laborieux et honnête, de jouir de ses droits civils, et d’accepter le principe de la responsabilité illimitée vis-à-vis du déposant (depuis 1889 seulement, beaucoup de sociétés ont consacré le principe d’une responsabilité limitée) ; il faut aussi prendre une action, une part sociale (Geschafts antheil) dont la valeur oscille entre 100 marks (125 francs), et 200 thalers (750 francs). Chaque associé ne peut avoir qu’une seule action ; il se libère, s’il le veut, par de minimes versemens mensuels ou hebdomadaires ; la part sociale devient ainsi une sorte d’épargne obligatoire, et fournit à la société une garantie réelle. L’intérêt payé par les associés emprunteurs est en général de 8 à 9 pour 100, et ce taux, trop élevé pour la classe rurale, éloigne de l’idéal poursuivi le crédit à bon marché : ainsi la fonction sociale de l’institution tend à se déplacer, celle-ci perd en partie son caractère humanitaire, excite à l’épargne plutôt qu’elle ne réalise le crédit personnel, et la majorité des sociétaires se compose aujourd’hui de petits patrons attirés avant tout par l’appât de gros dividendes. Formées presque toujours dans les grandes villes et dans les centres industriels, elles sont trop éloignées des paysans, ne les connaissent pas ; assez, et ceux-ci ne profitent des prêts que dans la proportion de 20 pour 100 au maximum. Garantie solide pour le crédit personnel, brève échéance de trois mois, telle fut la manière favorite de Schultze, mais cette limitation même ne permet guère « la rédemption économique, » la reconstitution du capital dans cette industrie agricole pour laquelle le temps, les longs espoirs sont synonymes de sécurité et de bonheur, qui répugne au provisoire, à ce que Lafcadio Hearn appelle l’impermanent.

Cependant les Worschuss-vereine ont rendu un immense service en luttant avec succès contre l’usure qui, presque autant qu’en Italie, rongeait les classes laborieuses, prenait tous les déguisemens, passait à travers les mailles de la loi et appliquait le droit de manière à le rendre cruellement injuste : usure d’argent, geld und Creditwucher, l’usurier prêtant l’argent à brève échéance, et par exemple exigeant 5 ou 10 centimes par jour ou par semaine ; l’usure dans le commerce du bétail (Vieb-wucher), le bétail vendu à crédit aux petits cultivateurs, avec une majoration de 50 pour 100, l’échéance fixée à une époque où le débiteur ne pourra payer, celui-ci obligé de subir les conditions léonines de son créancier, Shylock stipulant un intérêt très élevé, ou prenant à un prix dérisoire le bétail qui se trouva dans l’étable ; — l’usure en marchandises (Waarenwucher) qui revêt des formes différentes suivant les régions ; l’usure sur la terre (Guterwucher), plusieurs s’associant pour acheter de grandes étendues de terrains, et les revendant par parcelles à des prix exorbitans grâce à des manœuvres plus ou moins immorales, mais légales. Comme on voit, les usuriers allemands n’avaient pas attendu les Américains pour inaugurer le régime des trusts : et ils pratiquent aussi avec succès le cheptel des bestiaux, le système de la retenue. Heilmann cite un district où les vaches qui font l’objet de ce commerce représentaient un capital de 105 000 marks, et laissaient un bénéfice de 35 000 marks aux propriétaires.

Les associations Raiffeisen (Darlehenskassen) sont exclusivement rurales, ont en général pour limite le territoire d’une commune, se fondent sans apport des sociétaires. Instituées il y a environ cinquante ans, par M. Raiffeisen, bourgmestre de Neuwied, qu’on a surnommé le Schultze-Delitsch des campagnes, ces banques paysannes qui ont commencé dans la Prusse rhénane, en Westphalie, se sont répandues dans toute l’Allemagne, en Alsace. Leur fondateur partit de ce principe qu’il fallait habituer le peuple à compter sur sa propre initiative pour améliorer sa condition. Et puis, le cultivateur n’a pas toujours l’emploi immédiat du produit de ses ventes ; ces sommes, il les garde souvent chez lui, où elles sommeillent au lieu de travailler, exposant leur possesseur à la tentation du gaspillage, au vol, au crime. Ne vaut-il pas mieux qu’il en touche les intérêts avec la certitude d’être remboursé à l’échéance ? Dans ce dessein, quelques propriétaires aisés se syndiquent, auxquels les cultivateurs confient leurs fonds disponibles ; ces fonds sont prêtés aux cultivateurs qui ont besoin d’argent pour acheter du bétail, et même pour construire ou acquérir des terres, ce qui devient alors du crédit foncier. L’intérêt payé par les sociétaires n’a jamais dépassé 7 pour 100, et les caisses Raiffeisen n’ont jamais non plus emprunté à un taux plus élevé que 6 1/2 pour 100 ; le taux moyen est de 4 1/2 à 5 pour 100. Quelques prêts se font pour une durée de dix ans, la plupart pour neuf mois, un an, deux ans. L’administration est gratuite ; seul le caissier teneur de livres reçoit une rétribution ; la banque étant locale, groupant autour d’elle prêteurs et emprunteurs, l’administration se simplifie, et la surveillance des sociétaires devient plus facile. « Nous sommes cent membres qui nous épions les uns les autres, » disait un paysan italien. Comme dans les sociétés Schultze-Delitsch, le bailleur de fonds a pour garantie la solidarité illimitée de chaque membre : aussi les yeux sont-ils braqués, les oreilles tendues du côté de celui qui semble mal tourner et qui pourrait faire perdre quelque chose à tous les autres ; le moindre indice, la plus faible présomption, sont aussitôt notés, commentés, dénoncés. D’ailleurs le comité de direction contrôle l’emploi de l’argent emprunté. Dans un roman de Tolstoï, le barine dit à son serviteur : « Je vois ce qui se passe en toi, je vois en toi à deux archines de profondeur. » Les paysans sont d’admirables psychologues quand il s’agit de mesurer la fortune d’un voisin ; il faut les entendre raisonner là-dessus ; on dirait qu’ils voient les écus, si bien cachés cependant, qu’ils ont tout pesé dans une balance de précision. Si l’emprunteur ne présente plus les mêmes garanties de solvabilité qu’au début, la société a le droit d’exiger le remboursement intégral du prêt, en prévenant quatre semaines d’avance.

La caisse de crédit devient ainsi une école de comptabilité et d’économie, une école de morale, une école de solidarité ; elle donne au papier escompté la garantie de la solvabilité solidaire : revêtu de son aval, le papier circule, reçu aux meilleures conditions. Le paysan apprécie beaucoup l’avantage d’avoir à sa portée un établissement qui lui sert un intérêt, qui, depuis quelques années, reçoit mêmes des timbres-poste, et facilite l’épargne des plus petites sommes. Un certain nombre de ces caisses forment un syndicat général qui siège à Neuwied, et versent une partie de leurs fonds de réserve à une caisse centrale qui permet de parer aux éventualités. D’ailleurs, les pertes sont insignifiantes : les caisses Raiffeisen ont traversé sans crise les guerres de 1866, de 1870, et n’ont pas souffert de ce danger qui consiste à prêter à long terme des dépôts qu’on peut réclamer à bref délai. Partout elles mettent fin à l’usure, ce fléau des campagnes. Dans le local même de la banque, se forme souvent une espèce de casino, où l’on s’entretient des améliorations à réaliser, où l’on trouve des livres, des journaux agricoles. Les caisses Raiffeisen prospèrent ; à la fin de 1898 elles étaient au nombre de 8 575.

Voilà donc les caractères généraux des Darlehenskassen : point de parts sociales, gratuité de l’administration, indivisibilité du fonds social, longue durée du prêt, cadre restreint des opérations, absence d’esprit de spéculation, responsabilité illimitée entre sociétaires ; cette dernière garantie rassure les prêteurs les plus timorés, si bien que l’argent n’a jamais fait défaut aux caisses Raiffeisen, et qu’on a pu dire qu’elle est l’épine dorsale du système. D’ailleurs, grâce aux précautions prises, le danger est plus apparent que réel : M. Raiffeisen a dit fort sagement : « Le district dans lequel la caisse fonctionne doit être le plus petit possible. Il doit être assez petit pour que tous les membres du comité de direction puissent parfaitement connaître la situation morale et matérielle de tous les sociétaires. Il doit être assez grand pour que les affaires sociales soient assez nombreuses pour pouvoir couvrir les frais et former une réserve. » Détail pirruant : Raiffeisen eut pour principal adversaire le promoteur même du mouvement coopératif en Allemagne : brochures, articles de journaux, conférences, commissions d’enquêtes parlementaires, tout fut mis en œuvre dans cette lutte épique entre les deux réformateurs. Tant de fiel entre-t-il en l’âme des… philanthropes ? Les disciples de Schultze firent enfin voter la loi de 1889, dirigée surtout contre les caisses Raiffeisen ; mais celles-ci respectèrent la loi en la tournant un peu, à l’exemple de certain notaire du théâtre d’Emile Augier. Ainsi elle prescrivait l’émission de parts sociales, mais sans fixer le minimum de chaque action ; les Darlehenskassen ont réduit ces parts à un chiffre tellement infime que les choses n’ont point changé en fait[4]. D’ailleurs la loi de 1889 qui autorise la formation des sociétés anonymes à responsabilité limitée, conserve la société à responsabilité illimitée que Schultze-Delitsch ne cessa de préconiser : « Rejeter celle-ci, disait-il, serait imiter un homme qui préférerait un couteau sans tranchant à une lame bien aiguisée, de peur de se couper les doigts. » Aucune caisse de la Fédération de Neuwied n’a fait faillite ; aucune n’a dû recourir au droit de dénonciation à quatre semaines ; aucune panique ne s’est produite. Quelle réponse aux accusations lancées contre le système de Raiffeisen !

En Alsace-Lorraine, on comptait, en 1902, 421 caisses succursales du type Raiffeisen (402 en 1901), et voici leur situation économique. Recettes 43 585 031 ; dépenses, 12 711 773 ; bénéfices, 164 816 ; capital constitué et réserve, 1 220 000 ; placemens d’épargne dans les caisses, 37 millions et demi de francs ; emprunts, 26 327 500 francs ; dépôts en comptes courans, 101 millions de francs ; nombre des sociétaires40500. L’association des caisses rurales d’Alsace-Lorraine a constitué avec succès des syndicats pour l’achat, la vente des céréales, vins, houblons.


II. — LE CRÉDIT AGRICOLE EN ITALIE : BANQUES POPULAIRES, CHAIRES AMBULANTES, CAISSES D’ÉPARGNE

Un spectacle non moins curieux nous attend en Italie où, grâce à M. Luzzatti, les banques populaires de crédit mutuel ont rendu les plus grands services et libéré l’agriculture de ce pays : l’usure[5], l’hypothèque, des impôts formidables, le latifondisme, l’absentéisme, tantôt un morcellement excessif, tantôt d’immenses domaines administrés à merveille en Lombardie, mais abandonnés dans le Midi à des gérans peu fidèles, dont la plupart auraient mérité la réponse d’un grand seigneur du XVIIIe siècle à son intendant : « Je te donne pour tes étrennes tout ce que tu m’as volé cette année ; » le sol tombant peu à peu en friche et ne trouvant plus acquéreurs ni fermiers, — de telles misères semblaient défier les remèdes, poussant les victimes vers l’inertie, le banditisme, l’émigration, le communisme. La main de l’homme se retirait de la terre, et la terre le punissait sévèrement, les marais se reformaient, les maladies endémiques dévoraient certaines provinces. Dans plusieurs régions, la production du blé, même en 4885, ne dépassait pas six hectolitres à l’hectare.

Les abus de la grande propriété se faisaient durement sentir, ceux de l’émiettement du sol (atomisirung) n’étaient pas moins fâcheux. « Par legs du passé, écrivait en 1898 M. Léopold Mabilleau, il existe, dans les seules provinces dépendant de Naples et de Sicile, 500 000 hectares de « terres publiques, » 185 000 en Sardaigne, 200 000 dans les anciens États pontificaux. Et la saisie des propriétés pour lesquelles l’impôt n’a pu être acquitté, vient augmenter chaque jour cette espèce de fonds de mainmorte… Selon l’Annuaire du Ministère des Finances pour l’année 1880, sur 3 500 000 propriétaires contribuables inscrits seulement au rôle foncier… il y en avait 3 millions qui payaient moins de 20 lires d’impôts à l’Etat et à la province réunis et 370 000 qui payaient moins de 40 lires… Dans certaines provinces, comme la Ligurie, l’Emilie, la Toscane et les Marches, la propriété rurale se fractionne jusqu’à des cotes infinitésimales : 25 pour 100 des domaines inférieurs à 10 ares, 33 pour 100 à 1 hectare[6]… »

Dans ce pays où la richesse agricole paie encore un tiers au moins du revenu, les ventes judiciaires pour non-paiement des taxes se multipliaient ; en 1892, on compte 1881 ventes publiques pour des cotes inférieures à deux lires (la lire équivaut à notre franc) ; de telle sorte que, pour recouvrer 2 à 3 000 lires d’impôts, le Trésor a jeté sur le pavé 1 881 propriétaires avec leurs familles, et qu’on a pu dire en un sens « que le fisc italien est le plus socialiste de l’Europe. » Même en Vénétie, la plus riche province de l’Italie, la propriété changeait de mains avec une rapidité inquiétante. A la fin de 1894, on évaluait la dette hypothécaire portant intérêt, debito fruttifero, à 10 milliards 82 millions.

Mais en même temps de grandes choses s’accomplissaient : « En dix ans, ajoute M. Mabilleau, malgré le krach des banques, les révoltes de Sicile et les folies de la politique mégalomane, malgré les charges militaires et les catastrophes coloniales, l’Italie est arrivée à égaliser presque son agio, à supprimer le déficit de ses budgets, et à porter sa rente tout près du pair, à 95. Mieux que cela : elle a su créer des modèles d’exploitation agricole, de gestion financière et d’organisation sociale. Surplus d’un point, elle a pris l’avance dans la voie du progrès économique, et ses maîtresses d’hier, l’Angleterre et l’Allemagne, ne dédaignent pas de venir, après la Belgique et la Suisse, lui demander des leçons… »

Et comment de tels progrès se sont-ils réalisés ? C’est grâce au crédit coopératif, aux caisses d’épargne, à une législation intelligente et libérale que des hommes de grand cœur et de grand esprit, secondés avec énergie par le gouvernement, ont obtenue et appliquée. Instituée en 1865 avec un capital de 27 000 francs, la banque populaire de Milan avait, en 1883, 7 891 000 francs, un fonds de réserve de 3 314 000 francs, 17 millions déposés à la Caisse d’épargne ; elle réalisait 4 231 000 francs de bénéfices en 1882. Au 1er janvier 1896, son capital atteint 8 598 300 lires, sa réserve 4 299 150 lires, ses dépôts dépassent 51 millions, et elle a 17 860 sociétaires. Dans la Haute-Italie et l’Italie centrale, le chiffre des dépôts, les transactions, la prospérité des banques populaires s’accroissent partout dans les mêmes proportions ; la plupart traversent victorieusement les crises économiques, les paniques, l’épreuve du feu, selon le mot de Luzzatti. Et l’on a remarqué que les institutions de crédit coopératif avaient été beaucoup moins gravement atteintes que les institutions de crédit ordinaire : leur force de résistance a étonné les fondateurs eux-mêmes. De 1887 à 1895, le nombre des banques populaires s’éleva de 618 à 720 ; et dans ces chiffres ne sont pas comprises les caisses rurales.

Les Banques populaires italiennes sont, depuis tantôt vingt ans, fédérées en une grande association : Associazione italiana delle Banche popolari.

L’administration est toute de dévouement : députés, sénateurs, anciens ministres, les hommes les plus distingués, sans distinction d’opinions, y prennent part avec un zèle qui ne s’est jamais ralenti. « Là, comme partout, il ne suffit pas d’avoir une bonne machine, il faut un bon mécanicien. » Pour cliens, des commerçans, des industriels, des cultivateurs ; la Banque de Milan correspond avec toutes les banques populaires de la Haute-Italie : et, partant de ce principe que le travail et la probité sont le capital des pauvres gens, elle cherche à instituer le crédit personnel en leur faveur au moyen de prêts sur parole ou prêts d’honneur, qui, il est vrai, leur donnent de quoi vivre et non de quoi se rendre utiles, font ce qu’on a appelé le crédit à la consommation, tandis que le vrai crédit personnel est un moyen de travail, une avance à la production. Ces prêts, qui ne peuvent dépasser 200 francs, sont absolument gratuits, mais l’emprunteur doit en indiquer l’emploi et se présenter sous le patronage de deux personnes qui, sans répondre de lui pécuniairement, certifient qu’il saura remplir ses engagemens. En 1893, 70 banques populaires consentaient des prêts d’honneur. À Lodi par exemple, 10 000 francs sont affectés à des achats de machines à coudre, la banque populaire règle elle-même le marchand et se substitue à lui pour recevoir des acomptes ; ailleurs, les crédits visent la fourniture d’outils, de matières nécessaires au travail, la location de boutiques, l’entretien d’apprentis, etc. « Le crédit sur gage, remarque Léon Say, n’a jamais été que l’enfance du crédit. Le crédit public n’existait pas, quand les rois empruntaient sur leurs reliques ou bien sur leurs bijoux ; il n’a été véritablement fondé que lorsqu’il est devenu en quelque sorte personnel, que lorsque l’État a pu trouver des capitaux sur la confiance qu’il inspirait, et lorsque les créanciers de la nation ont eu pour gage général les revenus publics sans affectation spéciale. Le crédit commercial a passé par les mêmes phases. Le crédit agricole est encore dans l’enfance, justement parce qu’il n’est pas personnel ; il n’existe que quand il est le crédit tout court et sans phrases. »

Les banques populaires ne se contentent pas d’escompter le papier commercial et industriel : elles s’occupent de distribuer et faire fructifier l’épargne née du travail aisé, d’encourager les efforts du travail dénué de ressources et qui a besoin de béquilles ou d’échasses pour franchir un mauvais pas ; elles organisent le crédit agricole, le crédit ouvrier, favorisent de leur mieux la coopération de consommation, la coopération de production, les laiteries coopératives, les caisses agraires, les cantines sociales, « et toute autre forme de la mutualité conseillée par le génie du bien. » Partout les institutions de crédit grandissent, se développent à vue d’œil : le moins d’entraves possible, peu de formalités, une décentralisation économique très avancée, aucune distinction entre les effets commerciaux et les effets agricoles ; qu’il soit souscrit par un cultivateur ou par un négociant, l’effet à ordre a la même valeur, entraîne la même responsabilité, la même procédure expéditive. Ainsi les banques populaires font du crédit personnel, comme le prouve cette statistique publiée lors du Congrès de Bologne. Sur 405 341 sociétaires, elles comptaient 88 000 petits agriculteurs (1895), 17 000 ouvriers agricoles, 29 000 ouvriers journaliers (contadini giornalieri), 69 000 employés ou fonctionnaires, 92 000 commerçans de détail ; les rentiers et personnes sans profession n’y représentaient que 7 p, 100 du chiffre total. Leur portefeuille a passé de 25 534 000 lires en 1870, à 214 490 000 livres en 1894. D’ailleurs, le mélange d’effets courts industriels et d’effets longs agricoles continue de s’opérer avec succès, et c’est même cette ingénieuse combinaison du portefeuille commercial avec le portefeuille agricole, qui rend possibles et pratiques les prêts ruraux. Ainsi, en Italie, le crédit des campagnes est sorti des villes. La plupart des sociétés de crédit mutuel sont en quelque sorte adossées à une caisse d’épargne, se confondent avec elle ; l’argent des membres déposans sert à faire des prêts aux autres membres, si bien que la société joue vis-à-vis d’eux le rôle de maître Jacques, tantôt créancière et tantôt débitrice ou dépositaire. On a le choix entre le livret nominatif ou le livret au porteur, et celui qui présente ce dernier est considéré comme mandataire régulier de la personne au nom de laquelle le livret est inscrit. Si vous agissez comme déposant au nom de plusieurs, on ne vous demandera ni acte de société, ni pouvoir pour retirer l’argent. A la succursale de Magenta, Léon Say vit une jeune fille apportant une somme de 9 lires au nom d’une société composée de quatre de ses amies et de cinq garçons, qui formaient une cagnotte et donnaient 1 lire par semaine pour faire plus tard une excursion.

Il convient de rappeler aussi l’Association des banques populaires avec l’Union Militaire (la plus importante des Coopératives après le Navy and Army Store) qui non seulement a réduit de 25 à 30 p. 100 le coût de la vie pour ses membres officiers, mais encore a entrepris l’exportation de vins purs à types constans, huiles, beurres, fromages, légumes, les offrant aux coopératives de consommation étrangères, et les faisant produire par des coopératives indigènes.

Le crédit agricole est un des modes du crédit personnel, et bien qu’il entraîne quelques risques, puisqu’on prête ici non à la terre, mais au travail, il réussit plus facilement que le crédit ouvrier. L’homme de la terre ne s’en isole pas, on la sent derrière lui, protectrice, nourricière et amie, fournissant une espèce de garantie morale, et le principal, l’éternel moyen de travail. Sa grande ombre plane sur ses fils, et elle demeure pour eux l’instrument du crédit, de la résurrection par le travail. M. Enea Cavalieri a dit justement : « Tout prêt réclame deux signatures : ici le paysan en donne une ; la terre donne l’autre. »

Le prêt agricole en Italie exige en général un triple concours : le syndicat agricole dont fait partie l’emprunteur, le professeur d’agriculture, nommé là-bas le titulaire de la chaire ambulante, qui est l’homme du pays, de la région, et non l’homme de l’autorité centrale comme chez nous, choisi, subventionné, dirigé, stimulé, contrôlé, par les autorités locales. Différence considérable qui entraîne des conséquences non moins importantes et tout à l’avantage de nos voisins ; l’Italien peut opposer son veto, examine tout d’abord l’utilité de l’achat, la moralité de l’emprunteur, et, après la livraison des fonds, surveille minutieusement leur emploi. Enfin la Caisse d’épargne ou Caisse agraire qui proie les fonds, débite le syndicat agricole et le crédite quand l’argent est rendu. Les Caisses n’ont en général qu’un compte unique avec le syndicat agricole. Comme on voit, le professeur d’agriculture, qui va prêchant les bons usages du crédit (cattedra ambulante), est la cheville ouvrière de l’opération. Il y a là, selon le mot de M. Rayneri, « un surcroît de garantie, une heureuse coordination des trois principaux facteurs du crédit agricole : la science, le crédit et la suppression des intermédiaires. »

Le budget de la chaire ambulante d’agriculture pour la province de Parme s’établissait de la sorte en 1894 :


Traitement du professeur 4000 francs.
— de l’assistant 2 000 —
Conférences et visites 1 500 —
Subventions pour les champs d’expériences 1 000 —
Bulletin mensuel 1 500 —
Imprimés, frais de poste et menues dépenses 500 —
Dépenses imprévues 500 —
10 000 —

La Caisse d’épargne de Parme paie une partie de cette somme, 3 250 francs ; le Conseil provincial concourt pour le reste. C’est à propos de cette œuvre de décentralisation pratique que M. Guerci remarquait avec humour : « Un centimètre carré de faits vaut mieux qu’un kilomètre carré d’idées. »

Conférences, consultations agricoles, champs d’expériences et de démonstrations, bulletin de la chaire, cours de taille et de greffage, amélioration du bétail, vigilance antiphylloxérique, laiteries coopératives, caisses agraires, syndicats agricoles, voilà le terrain d’action de la chaire ambulante. Le professeur vulgarise les conquêtes de la science agronomique, aide ses auditeurs à franchir le pas difficile, qui, dit un proverbe italien, est celui de la porte ; il se met à leur portée, inspire confiance, visite champs et vignes, introduit des reproducteurs dans leurs communes, va au besoin les acheter lui-même dans d’autres pays, installe des stations de monté, propage le système de culture améliorante que Georges Ville appelle la sidération, et que là-bas on nomme l’induction, l’induction gratuite de l’azote atmosphérique par les plantes légumineuses, trèfles, luzernes. Nos professeurs d’agriculture, fort instruits, mais trop théoriciens, peu pratiques, auraient grand besoin de prendre exemple sur les titulaires de chaires ambulantes, en particulier sur M. Bizorrero, auquel les paysans de la province de Parme ont décerné le surnom de saint de la Coopération. Ainsi la chaire ambulante, c’est, en toute vérité, l’école qui marche, va trouver ses élèves chez eux, les remue, les convertit ; la conférence n’a pas le caractère d’une leçon académique, mais d’une leçon de choses faites en action. Au 1er janvier 1903, il y avait en Italie 60 chaires ambulantes ; la première date de 1890.

Un trait particulier de l’économie publique italienne, c’est l’autonomie de la Caisse d’épargne. Qu’il s’agisse de la grande Caisse d’épargne de Milan, qui, en 1895, avait 526 882 358 lires de dépôt, et une réserve de 63 788 364 lires, ou des petites sociétés agricoles, toutes restent entre les mains d’administrations privées. Au lieu d’alimenter la dette flottante, les grands travaux de l’Etat, leurs capitaux demeurent là où ils ont été produits, fécondant de nouveau le travail d’où ils sortent, remplissant en même temps l’office de canaux de drainage et d’irrigation. L’État n’a pas, comme en France, la gestion des fonds ni la responsabilité ; un ministère à bout de ressources n’y saurait puiser à pleines mains pour dissimuler ses gaspillages et retarder des emprunts inévitables. Que l’épargne, qui est de la production capitalisée, revienne à la production pour la féconder, que le capital garde le souvenir de son origine et la tendance à y retourner, voilà l’idéal poursuivi par M. Luzzatti et ses dévoués collaborateurs MM. Cavalieri, Schiratti, Pepoli, Isolani, V. Sani, Vivante, Maffi, Guerci, etc. Et cet idéal, ils l’ont réalisé avec une ténacité merveilleuse, inaccessibles au découragement, inventant sur-le-champ la formule, le moyen le plus propre à la contrée où ils opéraient, faisant des prosélytes parmi les hommes les plus routiniers du monde, recommençant vingt fois, cent fois la démonstration, insensibles aux critiques, aux calomnies qui assaillent toujours les bienfaiteurs de l’humanité. Décentraliser le crédit, liquider sans hésitation les pertes, interdire les affaires aux administrateurs et aux employés, renforcer les réserves, limiter les dividendes, marcher pas à pas, avec une sévère prudence, tel est le mot d’ordre. Y a-t-il un meilleur procédé, pour enlever des recrues au socialisme, que de prouver aux pauvres gens qu’ils ont intérêt au maintien de la société, de montrer que leur travail est un capital dont ils peuvent être fiers, que la propriété, ce terme magique, est aussi à leur portée ? Grâce aux fondateurs du crédit agricole, seuls les paresseux, les envieux, les fous, les malhonnêtes gens ont encore intérêt à grossir les rangs du parti communiste.

On a défini la Caisse d’épargne de Milan : un grand banquier privé qui fait toutes les affaires de banque, prête sur marchandises et sur hypothèque, et qui est un crédit foncier en même temps qu’une banque d’escompte. Elle sert un intérêt de 3 1/2 pour 100 aux livrets au porteur, de 4 pour 100 aux livrets nominatifs, mais ne délivre ceux-ci qu’aux agriculteurs qui travaillent la terre de leurs mains, aux ouvriers, artisans et gens de métier ; tandis que la Banque de France ne sert pas d’intérêts à ses déposans pour pouvoir en donner aux actionnaires, ces banques italiennes paient un intérêt aux déposans et n’accordent aucun dividende aux actionnaires. Détail assez curieux : ce sont les caisses d’épargne qui là-bas dirigent les bureaux de perception, adjugés aux enchères à ceux qui, tout en offrant certaines garanties, soumissionnent au taux le plus bas : elles entretiennent les rapports les plus intimes avec les banques populaires, avec les sociétés de secours mutuels, conseillent celles-ci, les subventionnent, répandent partout les institutions de prévoyance. En 1895, la Caisse de Parme consacrait 58 904 francs à des œuvres de charité et de prévoyance.

La loi du 15 juillet 1888 est en quelque sorte la grande charte des caisses d’épargne en Italie. Elles jouissent de la personnalité juridique, peuvent recevoir des donations et des legs ; la loi les autorise à ouvrir dans une certaine mesure des livrets spéciaux en faveur de certaines institutions de bienfaisance, telles que les sociétés de logemens hygiéniques des manœuvres (braccianti)[7], journaliers, instituteurs, avec versement plus réduit et taux d’intérêt plus élevé. Elles disposent librement des fonds qui leur sont confiés, et jouent le rôle de véritables banques, d’après les règles établies par leurs statuts ; bien entendu elles sont inspectées par des délégués ministériels, et doivent envoyer tous les six mois un état de leur situation au ministère de l’Agriculture et du Commerce. Prêts sur hypothèques, ouvertures de comptes courans à des corps moraux avec garanties hypothécaires ou chirographaires, avances sur effets portant deux ou plusieurs signatures, avances sur titres et valeurs, crédit agricole,… telles sont leurs opérations les plus fréquentes. Partout où il y a une caisse d’épargne, il y a une caisse de prêts : casse di rispannio e prestiti ; les deux caisses n’en font qu’une. La Caisse d’épargne reçoit et prête ; on peut la comparer à un fleuve qui sur sa route se grossit de nombreux affluens et, par des canaux adroitement aménagés, va porter au loin l’eau, la force motrice aux pays déshérités.

Au 1er janvier 1884, on comptait 223 caisses d’épargne ordinaires avec 172 succursales, et 4 679 bureaux de poste faisant l’onction de caisses d’épargne ; en 1897, la fortune personnelle des 233 caisses libres s’élevait à 166 370 516 lires, leurs dépôts à 1 346 230 lires, les dépôts des caisses postales à 500 millions.

D’aucuns reprochent au crédit populaire d’être assez cher et inégal : il varie de 5 à 8 pour 100 dans les prêts, de 4 1/2 à 9 pour 100 dans les escomptes. Tel qu’il existe, il constitue un immense bienfait : à côté de taux d’usure qui s’élevaient à 100, même à 150 pour 100, les cultivateurs ont béni ceux qui leur apportaient de l’argent à 6 ou 7 pour 100, ils le considèrent comme une manne providentielle. « Je crois être en paradis, disait un nouveau client des banques rurales, lorsque je compare ce que je paie maintenant à ce que je donnais autrefois aux usuriers. »

À côté des banques populaires Luzzatti, conçues sur le modèle des banques Schultze-Delitsch, un autre savant doublé d’un homme de bien, le professeur Léon Wollenborg, a fondé les caisses rurales de prêt d’après le type Raiffeisen. « Combattre l’usure, raviver l’industrie languissante des petits cultivateurs, leur assurer l’appui du capital, voilà mon but, » écrit M. Wollenborg. Les prêts vont de 25 à 600 lires et, comme pour les banques populaires, n’entraînent que des pertes insignifiantes : ils ont en général pour objet l’achat d’une paire de bœufs, d’une vache, d’un cheval, de brebis, parfois de fourrages ou d’instrumens aratoires ; en Piémont, ils permettent une culture intensive de la vigne ; ailleurs, ils facilitent l’élevage des vers à soie. Tel associé qui a acheté une vache a pu, avec la vente du lait et du fromage, payer sa dette à la Société et conserver le veau de la bête, résultat qu’il n’aurait jamais obtenu sans ce concours.

Ici comme ailleurs, l’initiative, la persévérance ont fait des prodiges : Wollenborg dut lutter longtemps pour vaincre l’inertie rurale ; rassurer ses concitoyens sur les conséquences de la solidarité, « ce fantôme effrayant qui, comme tous les fantômes, se réduit à rien dès qu’on se donne la peine de le regarder de près. » Il finit cependant par persuader les habitans de Loreggia, sa commune ; sans doute, lorsqu’ils virent que ce millionnaire faisait partie de la Société, pensèrent-ils qu’il risquait plus qu’eux, et qu’il supporterait les pertes éventuelles. En 1897, les caisses Wollenborg étaient environ au nombre de cent ; sauf quelques détails, l’œuvre de Raiffeisen revit tout entière dans les caisses rurales italiennes.

Presque partout le médecin, le curé, l’instituteur en font partie, et tous leurs membres sont des agriculteurs : chaque dimanche, les instituteurs font déposer par leurs écoliers à la caisse rurale leurs petites économies de la semaine. Le curé de Loreggia, collaborateur fort zélé de M. Wollenborg (celui-ci est israélite), écrivait à un journal de Venise : « On va maintenant moins au cabaret, on travaille mieux et davantage. Les gens honorables étant seuls admis comme associés, on a vu des ivrognes promettre de ne plus entrer au cabaret, et tenir parole. On a vu des ignorans, de cinquante ans et plus, apprendre à écrire pour savoir signer leurs demandes d’argent et leurs billets. Tel individu, repoussé parce qu’il est inscrit au bureau de bienfaisance, a fait les démarches nécessaires pour que son nom fût rayé de la liste de secours, et désormais, au lieu de vivre d’aumône, il vit de son travail[8]. » Fondées le plus souvent avec l’appui du clergé, les caisses rurales Wollenborg répudient avec soin toute tendance confessionnelle.

Au contraire, les caisses rurales catholiques, instituées par dom Luigi Cerutti et dom Giuseppe Resch, qui en 1897 s’élevaient au chiffre de 540, sont nettement confessionnelles : des économistes, des philanthropes tels que M. Eugène Rostand, désapprouvent formellement cette confusion des principes : « Les prêtres catholiques de la Vénétie, remarque ce dernier, avaient pris dès l’origine une part intelligente et généreuse à la diffusion des caisses rurales : pourquoi les faire sortir de ce rôle juste et si profitable à leur prestige moral ? Par elle-même la coopération est une école de vertus, prévoyance, sacrifice, amour mutuel : la subordonner à des fins qui sont en dehors et au-dessus d’elle, est une faute. Œuvre économique, il n’est bon ni de la fonder sur des bases mystiques, ni de l’enfermer entre croyans d’une Église : sa nature est d’être ouverte à tous sans autre condition que l’honnêteté et le travail. Les promoteurs des caisses catholiques exigent, même dans leurs statuts, un acte confessionnel, en font dépendre la dispensation du crédit, placent dans le clergé le pivot de mécanismes financiers : autant de dangers, les mêmes que si l’on inféodait la Coopération à un parti politique, et plus graves en ce qu’un intérêt moral plus élevé peut être compromis. La meilleure et la plus irrécusable preuve de l’altération qu’il apporte à l’activité coopérative est dans les immédiates dissensions qu’il a fait succéder à la tolérance mutuelle jusqu’alors générale, et dans les accusations outrageantes, absurdes, d’athéisme ou de franc-maçonnerie dirigées par les guides du mouvement contre les hommes du plus haut sentiment religieux, dès que ceux-ci ont résisté. »

Il existe enfin un troisième groupe de caisses agraires, celles par exemple dont la caisse d’épargne de Parme a favorisé l’éclosion, qui restent en dehors de toute influence politique : sociétés coopératives en nom collectif, dont le capital, constitué par les bénéfices de chaque année, sert avant tout à couvrir les pertes éventuelles et les bénéfices, et peut, lorsqu’il a atteint un certain chiffre, être affecté à des œuvres d’utilité locale. En 1897, la Caisse d’épargne leur accordait des emprunts au taux de 4 pour 100, mais elles ne peuvent emprunter et verser leurs dépôts ailleurs qu’à la Caisse d’épargne, qui exerce ici une véritable tutelle. Les avances aux sociétaires sont faites à courte échéance, mais peuvent durer deux ans, grâce aux renouvellemens trimestriels successifs ; la caisse veut se réserver le droit de redemander le paiement intégral à l’échéance ; on fait aussi des prêts à longue échéance, des prêts de dix ans. Il fallait, remarque M. Guerci, une institution pouvant faciliter l’œuvre de la Chaire ambulante, paralyser les obstacles pour la défense, une institution tenant du comice ou du syndicat agricole, un pied-à-terre à la campagne, d’où la Chaire pourrait développer plus rapidement son action.

La loi du 7 juillet 1901 ne fait aucun appel à l’intervention de l’Etat, et l’épargne continue d’aller au travail. En 1897, les dépôts confiés à la Caisse d’épargne du Banco di Napoli dépassaient à peine 30 millions ; en 1902, il y avait des succursales de cette caisse d’épargne dans toutes les provinces du Midi, et les dépôts dépassaient 60 millions. En Sardaigne s’épanouit une institution locale fort ancienne, les monts frumentaires, monti disocorso frumentarie e numerari, créés en 1420 pour protéger les paysans contre l’usure, leur avancer des semences remboursables à la fin de la récolte, de l’argent, des instrumens agricoles. En 1898, un décret royal les a réglementés et placés sous le contrôle de l’État ; chaque commune, aux termes de ce décret, doit former un mont de secours autonome, les prêts produisent un intérêt de 4 à 5 pour 100, la caisse dite ademprivile est alimentée en partie par le produit des baux emphytéotiques.


III. — LE CRÉDIT AGRICOLE EN BELGIQUE. L’ABBÉ MELLAERTS. LE BOERENBOND

Qu’on l’approuve ou non, toutes les institutions agricoles en Belgique présentent un caractère politique et confessionnel ; socialistes et catholiques le reconnaissent, le proclament au besoin : des partis nettement tranchés, luttant avec âpreté pour la vie, c’est-à-dire pour le pouvoir, des convictions très ardentes, une certaine tendance à se grouper, à s’associer, sans doute en souvenir des ghildes du moyen âge, le goût de la bataille, le sens de l’organisation pratique, uni à une singulière faculté d’idéalisme chez ce peuple plus grand par le caractère et par ses actions que par le nombre des habitans et l’étendue du territoire, une telle situation explique peut-être le trait particulier, et aussi le succès d’une semblable combinaison. A vrai dire, elle a réussi brillamment du côté catholique, et assez médiocrement du côté socialiste ; le principal leader et écrivain socialiste, M. Emile Vandervelde, reconnaît avec mélancolie que le parti ouvrier n’a presque rien conquis sur ces paysans « avec lesquels on peut tout, sans lesquels on ne peut rien. » S’il a cependant réussi à implanter dans les pays agricoles (terrœ incognitœ) quelques comices et syndicats, un petit nombre de laiteries coopératives et de sociétés coopératives rurales de consommation, c’est grâce aux trains ouvriers qui, le soir, ramènent à la campagne beaucoup de travailleurs des usines et des ateliers : ainsi, pour 50 kilomètres, ils paient leur coupon de semaine 2 fr. 25, alors que les voyageurs ordinaires versent 3 fr. 25 pour leur unique billet d’aller et retour. Inconnus dans les districts de petite culture, sporadiques et intermittens parmi les bûcherons des forêts ardennaises, permanens dans la seule région de grande culture, les syndicats socialistes restent clairsemés : point de crédit agricole socialiste ; d’ailleurs le crédit agricole jure avec la formule communiste, comme oui jure avec non, blanc avec noir, bon sens avec utopie ; il en est la négation directe, puisqu’il fortifie, consolide, accroît, étend la propriété ; et, quel que soit l’illogisme des abstracteurs de quintessence chimérique, ils hésiteraient à fournir des armes contre eux-mêmes.

C’est le parti catholique qui a institué en Belgique le crédit agricole ; l’abbé Mellaerts, après avoir étudié en Allemagne le mécanisme des caisses Raiffeisen, les introduisit avec les tempéramens que comportent la législation et l’esprit de ses compatriotes. Une loi de 1884, créant des Comptoirs agricoles, n’avait abouti qu’à faciliter les prêts pour les gros propriétaires[9]. Il fallait aller jusqu’aux petits ; dans ses conférences, dans ses brochures, l’abbé Mellaerts précisa fort nettement les conditions, les exigences du crédit rural : 1° Empêcher que l’argent ne sommeille chez ses possesseurs, ou qu’il n’aille dans les villes alimenter l’industrie et le commerce. 2° Prêts à long terme, époque du remboursement fixée en raison de l’emploi auquel est destiné l’emprunt ; le crédit à court terme, au lieu de présenter des avantages, ne cause que des préjudices, et livre les emprunteurs aux usuriers ; la durée des prêts variera donc entre cent jours et dix ans ; 3° Permettre le remboursement des emprunts par acomptes, à des dates fixées d’avance ; ces dates correspondront aux époques où le cultivateur réalise ses produits : rembourser par acomptes, c’est épargner et faire œuvre de prévoyance ; 4° Les prêts au moindre intérêt possible ; 5° Tous doivent pouvoir emprunter avec le moins de démarches et de formalités possible. Exiger comme condition de crédit une part dans le capital de la banque, c’est couper bras et jambes au paysan ; l’épargne mensuelle, très sagement exigée de l’artisan et de l’ouvrier des villes, devient un non-sens vis-à-vis de l’agriculteur qui ne fait des recettes qu’au moment de la vente de sa récolte ou de son bétail. « La vraie caisse d’épargne du cultivateur, remarque M. Louis Durand, c’est son écurie, où chaque jour ses élèves croissent et prennent de la valeur ; ce sont ses terres, bien cultivées, et portant des récoltes d’autant plus belles qu’on y a dépensé plus de travail et plus de capital circulant, sous forme d’engrais et de semences de choix. »

La loi belge ne tolérant ni l’exclusion de capital, ni l’exclusion de dividende, ni la règle de l’indivisibilité de la réserve, les caisses rurales durent admettre un capital de parts sociales, la distribution de dividendes, la divisibilité de la réserve. Mais, pour ne pas s’éloigner du type Raiffeisen, on prit un certain nombre de mesures, telles que : parts sociales fixées au chiffre le plus faible, deux ou trois francs par membre, taux des dividendes limité de manière à ne pas dépasser le taux normal de l’intérêt, statuts rendant très difficile à obtenir la dissolution de l’association.

La caisse rurale est une société coopérative avec engagement solidaire et illimité de ses membres. Ne peuvent en faire partie que « les personnes domiciliées dans la commune qui, reconnaissant la religion, la famille et la propriété comme bases de la société, y conforment leur conduite, possèdent leurs droits civils, et sont aptes à s’engager par contrat. » Voici les principaux cas d’exclusion : insolvabilité, déchéance des droits civils, retard de quatre mois pour le paiement de la part ou mise, inconduite notoire, engagemens commerciaux avec des gens considérés comme des usuriers, persistance du membre à faire partie d’une autre société de crédit reposant aussi sur la responsabilité illimitée. La caisse rurale est autonome, gère elle-même ses affaires par le conseil d’administration, le caissier, le conseil de surveillance et l’assemblée générale. Elle a un service des dépôts, un service des comptes courans et un service des prêts : les deux premiers ouverts aux étrangers, le troisième réservé aux sociétaires, pour des emplois productifs et rémunérateurs. Elle puise à trois sources : son capital social ; les dépôts qu’elle reçoit ; enfin, elle emprunte en cas de besoin, soit auprès de la Caisse générale d’épargne, soit auprès des caisses centrales de crédit. Quant à l’intérêt des sommes prêtées, l’expérience a démontré la sagesse de ce précepte : la différence entre les intérêts que la caisse paie pour ses emprunts et les intérêts qu’elle exige pour ses avances, doit être de trois quarts à 1 pour 100 en faveur des opérations de prêts. Ainsi la caisse rurale paie d’ordinaire 3 pour 100 d’intérêts pour ses dépôts d’épargne, pour ses emprunts, et elle demande 4 pour 100 pour ses prêts. Point de prêts de consommation, mais des prêts de production pouvant rapporter un intérêt supérieur à celui que l’emprunteur doit payer. La responsabilité solidaire, illimitée, a pour contrepoids des précautions multiples et fort minutieuses ; ainsi la caisse ne prête qu’à ses membres, à des habitans connus de la paroisse ou de la commune, dans un dessein d’utilité : l’assemblée générale fixe le chiffre maximum des prêts ; le conseil de surveillance examine tous les trois mois les affaires en cours ; les membres du conseil d’administration remplissent leurs fonctions gratuitement, et doivent, sous leur responsabilité personnelle, éviter les opérations présentant quelque danger. Enfin l’emprunteur fournit des garanties sérieuses : hypothèque, gage, privilège agricole, caution. Avec un semblable arsenal de mesures protectrices, les pertes ne sont guère à redouter ; et de fait, ni en Belgique ni en Allemagne on n’a eu à déplorer une seule faillite de caisse rurale.

L’avoir social comprend le montant des droits d’entrée, le total des mises, la réserve, les parts que la société possède dans une caisse centrale de crédit. En effet, les 366 caisses rurales sont affiliées à un groupement régional, et, depuis la loi de 1894, en rapport d’affaires avec la Caisse générale d’épargne. Les Caisses centrales, organes fédératifs, ayant pour but d’établir entre les caisses rurales des relations de bonne confraternité, de leur rendre des services d’ordre administratif et financier, sont au nombre de huit, dont la principale siège à Louvain. Elles contrôlent les caisses rurales, reçoivent le trop-plein des dépôts des unes, consentent des prêts aux autres, les cautionnent en vers la Caisse d’épargne. Elles perçoivent un double ducroire, c’est-à-dire une double commission, l’un pour tout emprunt fait à la Caisse d’épargne par leur intermédiaire, celui-là égal au douzième des intérêts payés à la Caisse d’épargne ; l’autre, double de la première, éventuel et à terme, pour le cas où la caisse locale entre en liquidation, ou ne fait plus partie de la Caisse centrale.

Quant à la Caisse générale d’épargne, bien qu’elle fonctionne avec l’aide de l’Etat, sous sa surveillance et sous sa garantie, elle a son existence propre, son autonomie ; créée afin de favoriser la pratique de l’épargne et le développement des idées de prévoyance, elle prête à 3,25 pour 100 aux caisses rurales affiliées à une Caisse centrale de crédit agricole.

L’abbé Mellaerts, fondateur du Boerenbond ou Ligue des Paysans, institua en 1892 à Rillaer la première caisse agraire : au 31 décembre 1903, on en comptait 386, leurs dépôts en comptes courans et sur livrets d’épargne atteignaient le chiffre de 7 036 748 francs ; elles n’avaient utilisé leur crédit à la Caisse d’épargne que pour 94 128 francs, et elles avaient consenti des prêts pour une somme de 18 576 513 francs. On l’a vu, le clergé joue ici un grand rôle, non seulement lorsqu’il s’agit de créer et donner le branle, mais pour faire vivre, marcher et progresser l’œuvre : souvent le curé du village accepte les fonctions de caissier, et les paroissiens insistent pour qu’il ne se dérobe pas. Le Boerenbond reste une fédération agricole catholique qui a ses journaux, protège énergiquement ses membres, veille aux intérêts moraux et matériels des ouvriers qui travaillent en France : rien de ce qui touche la campagne ne lui est étranger, et chaque année est en quelque sorte marquée par une nouvelle victoire sur ces éternels ennemis, la misère, l’ignorance et la routine qui ne désarment jamais, reviennent toujours à la charge, et reparaissent sous des costumes divers ; car, hélas ! ils prennent parfois la forme de l’inquiétude, du mécontentement, plus âpres à mesure qu’on leur enlève leurs légitimes griefs ; et les peuples les plus riches, les plus heureux, sont souvent les moins reconnaissans envers le destin. Les véritables apôtres le savent, et cette pensée douloureuse ne les décourage point : ils savent aussi que le mal est immense encore, s’appliquent à en resserrer les limites ; mais ils comptent un peu sur cette petite goutte de bon sens, sur cette poussière céleste qui combat en nous les impulsions de haine et de bouleversement.

Mentionnons encore la Ligue du coin de terre et du foyer insaisissable qui n’est pas du crédit agricole proprement dit, mais aboutit à des effets assez semblables : donner à l’ouvrier urbain la jouissance d’un jardinet, le détourner ainsi du cabaret et de l’ivresse plus dangereuse de l’alcool anarchiste, le ramener à la vérité familiale et au bonheur par la sérénité, inculquer le sens et faciliter l’accès de la propriété, faire goûter la paix de l’âme qui tombe de celle-ci, tel semble le but de cette Ligue qui remplace la bienfaisance en argent par la bienfaisance en terre et en foyer[10].


IV. — LE CRÉDIT AGRICOLE EN FRANCE : ÉTAT ACTUEL DE LA LÉGISLATION

Grâce aux efforts du législateur, et surtout à l’initiative, au dévouement des propriétaires amis du progrès, les préjugés contre le crédit agricole commencent à disparaître dans nos campagnes ; beaucoup comprennent qu’il peut rendre des services à toutes les classes d’agriculteurs, que ceux-ci ne doivent pas se croire humiliés en allant demander un prêt, une avance, à la caisse rurale dont ils sont sociétaires, que ce prêt témoigne en faveur de la confiance qu’ils inspirent. C’est là un grand pas de fait, et l’on ne saurait trop multiplier les preuves, trop répéter les argumens, car la routine, l’ignorance d’une part, d’autre part l’esprit de dol et de fraude se coalisent sans cesse contre le progrès, la lumière, la probité ; la spéculation de mauvais aloi joue en perfection le grand air de la calomnie. Les caisses locales et régionales s’efforcent d’arracher le paysan aux griffes de l’usurier ; celui-ci met les ruses de Basile au service de Shylock, et lutte par tous les moyens. Cependant la victoire se dessine en faveur des mutualistes, et, pour n’avoir pas beaucoup d’années d’existence, les institutions de crédit agricole franchissent rapidement les étapes de l’adolescence à la virilité. On veut rattraper le temps perdu, l’exemple des autres peuples semble avoir inspiré une émulation généreuse ; des faits comme ceux-ci, que j’emprunte à un excellent Guide pratique publié par le ministère de l’Agriculture, impressionnent sensiblement nos ruraux qui plus ou moins ressemblent à saint Thomas : ils veulent voir les pieds et les mains, toucher du doigt le bénéfice.

Un cultivateur avait dans ses granges force pailles et fourrages dont il ne pouvait se défaire qu’à vil prix : pas de capitaux disponibles pour l’achat des bestiaux d’élevage ou d’engraissement. Mais la caisse de Chartres lui fournit les capitaux nécessaires, et, six mois plus tard, la plus-value du bétail lui procurait un bénéfice très supérieur à celui qu’aurait procuré la vente des denrées ; il lui restait encore le fumier produit par ses animaux, et il avait respecté cette règle de bon sens : Qui vend son grenier, vend sa terre.

Un fermier de la Mayenne, débiteur de 1 500 francs à échéance fixe, avait 500 boisseaux de froment à vendre ; le blé était à 3 francs, une hausse semblait certaine, mais comment attendre ? Un ami lui conseille de s’adresser à la caisse rurale ; il se laisse convaincre, on l’admet comme membre du syndicat des agriculteurs de la Mayenne et de la caisse locale de Château-Gontier : huit jours après, il recevait une avance, signait un billet au taux de 4,50 pour 100 par mois ; le blé ne tardait pas à atteindre le cours de 3 fr. 30 centimes ; notre homme vendit aussitôt ses 500 boisseaux, réalisa un gain de 150 francs, paya 17 francs pour l’intérêt de 1 500 francs pendant trois mois : bénéfice net, 133 francs.

Le crédit agricole sous la forme de prêts d’animaux (cheptel-bétail) est à l’ordre du jour dans les congrès et les écrits des spécialistes ; plus d’un syndicat l’a très heureusement résolu, et sur ce point comme sur d’autres, le législateur n’aura qu’à s’inspirer des mœurs et pratiques nouvelles. Dans l’Est, mainte caisse agricole achète elle-même des animaux qu’elle vend ensuite à crédit à ses membres, ou leur prête à 4 pour 100. A Langres, par exemple, le prêt a lieu sous la garantie d’un bail avec promesse de vente et billet à ordre représentant la valeur du bétail ainsi que les intérêts dus à l’échéance. Quelle différence entre cette opération et la retenue ou cheptel consenti par un capitaliste ! Soit une vache de 300 francs, donnant en trois ans, trois veaux estimés 450 francs ; le bailleur et le preneur se partageant ces 450 francs, touchent 225 francs chacun ; le preneur conserve la vache, mais il redoit 75 francs ; plus même, si la vache est (assurée. En s’adressant à une caisse de crédit, le preneur aura à payer : assurance 14 fr. 36, intérêts 36 francs, billets (timbres et droit) 4 fr. 35 ; cotisation du syndicat, trois ans à 50 centimes, 1 fr. 50 ; en bloc, 60 fr. 21 centimes ; mais tous les produits étant sa propriété, il a 390 francs ; différence en faveur du second système : 165 francs. Dans le bail à cheptel ordinaire, le preneur ne supporte, il est vrai, que 50 pour 100 des risques, tandis qu’ici il les a tous, mais grâce aux assurances mutuelles contre la mortalité du bétail, il se décharge des deux tiers de ces risques.

On s’occupe beaucoup du crédit agricole depuis une douzaine d’années ; les inspirateurs des syndicats ont mis la question à la mode, les candidats aux fonctions électives l’inscrivent dans leurs programmes, et il ne se passe pas d’année sans que plusieurs volumes et thèses de doctorat attestent l’intérêt du sujet. Diverses lois sont intervenues, diverses propositions attendent le bon plaisir des Chambres ; au ministère de l’Agriculture, on prépare un projet d’ensemble qui, tout en tenant compte des premières expériences, établirait l’ordre et l’harmonie dans toutes ces dispositions, et constituerait en quelque sorte le code de la matière.

La loi du 19 février 1889 restreint le privilège du bailleur à la garantie des fermages de deux années échues, de l’année courante et de l’année à venir.

La loi du 5 novembre 1894 accorde un régime de faveur aux sociétés de crédit agricole fondées sur la mutualité : elles peuvent recevoir des dépôts de fonds en comptes courans, avec ou sans intérêts, et remplir le rôle de véritables caisses d’épargne, se charger des recouvremens et des payemens, contracter les emprunts nécessaires pour constituer ou augmenter leur capital de roulement, devenir de véritables banquiers des agriculteurs et des syndicats.

La loi permet aussi de commercialiser les engagemens agricoles, ce qui leur ouvre, en cas de contestation, la juridiction consulaire ; enfin, elle exempte les sociétés de crédit agricole de la patente et de l’impôt sur les matières mobilières, et simplifie les formalités de publicité.

La loi du 20 juillet 1905, qui réforme le régime des caisses d’épargne, confère à toutes les caisses d’épargne ordinaires, autonomes ou municipales, la libre disposition d’une partie de leur fortune personnelle : ainsi elles peuvent consacrer le cinquième de leur capital et la totalité de leurs revenus à des prêts aux sociétés de crédit agricole. La fortune personnelle des caisses d’épargne étant de 92 millions de francs, voilà donc une somme de 19 millions, sans compter le revenu annuel, qui pourrait servir au crédit agricole.

La Convention du 31 octobre 1896, qui assure à la Banque de France le renouvellement de son privilège, a stipulé que celle-ci avancerait à l’Etat, sans intérêts, une somme de 40 millions. L’article 5 de la loi du 17 novembre 1897, approuvant cette convention, a décidé en outre que la Banque verserait chaque année, jusques et y compris 1920, une redevance qui ne doit jamais s’abaisser au-dessous de deux millions. Cette redevance s’est élevée à 4 300 000 francs pour l’année 1903, et le total des sommes versées à ce titre atteignait, au commencement de 1904, le chiffre de 28 700 000 francs qui, joints à l’avance de 40 millions, forment environ 69 millions mis gratuitement à la disposition du crédit agricole. L’article 2 de la loi autorise la Banque de France à escompter « les lettres de change et autres effets de commerce à ordre souscrits par des syndicats agricoles ou autres[11]. »

D’après la loi du 31 mars 1899, l’avance de 40 millions et la redevance annuelle de la Banque de France sont mises à la disposition du gouvernement pour être attribuées, à titre d’avances sans intérêts, aux caisses régionales de crédit agricole mutuel ‘constituées conformément à la loi du 5 novembre 1894. Ces caisses régionales, ont pour objet de faciliter les opérations effectuées par les membres des caisses locales de leur circonscription. Elles escomptent les effets garantis par celles-ci, leur consentent des avances pour fonds de roulement, peuvent réescompter tout ou partie de leur portefeuille à la Banque de France ou aux grands établissemens de crédit ; leur papier portant trois signatures, celles de l’emprunteur, de la société locale et de la caisse, est bancable, circulant, vivant, produisant tous effets légaux. Il va de soi que toute spéculation demeure interdite aux caisses régionales. Quant à la loi du 25 décembre 1900, elle stipule que les caisses régionales pourront recevoir de l’Etat des avances égales au quadruple de leur capital versé en espèces.

Enfin une loi du 18 juillet 1898 a créé un nouvel instrument de crédit sur gages, le warrant agricole que les agriculteurs peuvent escompter dorénavant et utiliser au même titre que le commerçant ou l’industriel utilisent le warrant commercial : voici les produits agricoles susceptibles d’être warrantés : céréales en gerbe ou battues, fourrages secs, légumes secs, fruits séchés et fécules, matières textiles, animales ou végétales, graines, vins, cidres, eaux-de-vie et alcools de nature diverse, cocons, bois exploités, résines et écorces à tan, fromages, miels et cires, huiles végétales, sel marin. Ainsi le cultivateur pourrait aujourd’hui emprunter sur ses récoltes en grange ou en grenier, et attendre le moment opportun pour la vente : mais cette loi jusqu’ici n’a rien produit, car elle méconnaît certains obstacles pratiques, la difficulté du contrôle pour le prêteur un peu éloigné, le gage de celui-ci disparaissant si l’emprunteur le vend dans une foire, le privilège du bailleur qui prime le droit du porteur de warrant ; par-dessus tout, les formalités, lenteurs et frais qu’entraîne la constitution d’un warrant. La réforme en a déjà été discutée par le Sénat, et il semble fort difficile d’aboutir. On propose que le prêteur puisse exiger le dépôt des produits dans les magasins d’un syndicat ou chez une tierce personne à sa convenance, si l’emprunteur ne lui inspire pas confiance. Cela suffira-t-il pour vivifier une loi anémique ? Peut-être.

Les véritables apôtres du crédit agricole n’avaient pas attendu cette double manne financière tombant de l’Empyrée législatif, pour se mettre à l’œuvre : ici comme ailleurs, M. Louis Milcent et d’autres propriétaires du Jura, le marquis de Froissard, M. Alfred Bouvet, s’étaient mis à la tête du mouvement syndical dans le Jura, et les premiers donnaient l’exemple. Ils s’appliquèrent d’abord à créer une certaine atmosphère morale, pour que le crédit mutuel pût fleurir, car celui-ci, pensaient-ils, ne se produit pas par une sorte de génération spontanée, il sort d’un état social préexistant, comme le fruit survient après la fleur. Le goût et l’habitude de l’association, le concours d’initiatives dévouées, la sélection de cultivateurs d’élite, un cercle d’opérations restreint, telles apparurent les premières conditions du succès. Le syndicat agricole devint tout naturellement le point de départ et comme la pépinière de la société, parce qu’il réunit en un faisceau les diverses classes d’agriculteurs, parce que ceux-ci, dans cette école primaire de solidarité, ont appris à apprécier les avantages de l’entente. La première caisse rurale française fut organisée par ses fondateurs sous forme de société anonyme à capital variable : le capital social, fixé à 20 000 francs, fut représenté par 40 actions de 500 francs chacune, dont l’intérêt ne doit pas dépasser 3 pour 100 ; mais il peut y avoir des coupures de 50 francs, pour faciliter l’entrée aux associés peu fortunés, et la loi de 1867 n’exige que le versement du dixième. L’administration demeure gratuite ; afin de limiter les risques, et parce qu’elle est une véritable coopérative de crédit, la caisse ne fait d’affaires qu’avec les membres, exige de l’emprunteur une caution solvable, et les prêts ne dépassent point le chiffre de 600 francs. Comme on voit, ce sont les capitaux des uns qui permettent de faire des avances aux autres. L’emprunteur, dans sa demande, spécifie ses raisons, qui doivent être des raisons d’ordre agricole : achats de bestiaux, semences, engrais. instrumens ; le conseil d’administration consulte la section cantonale correspondante du syndical ; s’il agrée la demande, l’emprunteur signe un billet à ordre de trois mois (billet qu’il pourra renouveler trois fois) ; il le fait endosser par un autre membre ; la société appose la troisième signature ; et voilà un simple cultivateur qui va obtenir de l’argent au taux de 3 pour 100, auquel s’ajoute la commission bien modique de un quart ou un demi pour 100 que prélève la caisse pour ses propres frais. Ce système de responsabilité limitée aux seuls actionnaires peut paraître inférieur au système allemand ; mais au moment où fut fondée la caisse de Poligny, il ne semblait pas possible encore d’établir le crédit mutuel sur le principe de la solidarité complète.

Depuis sa fondation, c’est-à-dire depuis 1883, jusqu’en 1900, la Société de Poligny a prêté 3 032 264 francs aux cultivateurs de la région. En 1898, 1e montant des prêts dépasse 419 000 francs, et en 1899 il atteint presque 430 000 francs ; 161 000 francs pour 1896, 174 000 francs pour 1899, tels sont les chiffres des dépôts.

Parmi les missionnaires du crédit agricole en Provence, les uns ont marché sur les traces de la Société de Poligny, les autres ont adopté la solidarité illimitée, base des sociétés Raiffeisen ; dans les sociétés du type Méline, la responsabilité des sociétaires se limite d’ordinaire à la part souscrite par eux ; d’ailleurs, la loi de 1894 accorde toute latitude à ce sujet, mais elle exige sagement que la société de crédit soit adossée à un syndicat. À Courcelles (Indre-et-Loire), fonctionne un système assez ingénieux : les sociétaires supportent une responsabilité solidaire proportionnelle à leur inscription créditable ; ce vocable désigne le montant maximum du prêt que la Caisse peut consentira un membre. A l’assemblée générale annuelle, chaque syndiqué demande le crédit, c’est-à-dire la somme maxima qu’il désire pouvoir emprunter eu cas de besoin ; le vote a lieu au scrutin secret. Ainsi Pierre demande 600 francs, et il y a quarante votans. A… vote 600 francs, B… 400, C. 800, D… 1000, E… 100, etc. ; total des votes 20 000 francs, qui, divisés par 40, donnent 500 francs. C’est donc un crédit de 500 francs que ses associés accordent à Pierre, et qu’il pourra demander à la caisse dans le cours de l’exercice.

MM. Rostand et Rayneri, fondateurs du crédit populaire en France, ont réuni en un faisceau l’œuvre de Schultze et celle de Raiffeisen, après avoir constaté que leurs principes peuvent se concilier et se compléter, les associations Schultze-Delilsch convenant mieux pour le crédit ouvrier, dans les milieux urbains, les associations Raiffeisen dans les communes rurales. M. Charles Rayneri raconte en ces termes la naissance de la première caisse rurale fondée par la Banque populaire de Menton :

« Castellar, charmante localité à 7 kilomètres de Menton, desservie par une belle route carrossable, eut nos préférences. Nous savions qu’il y avait dans cette commune un instituteur intelligent et dévoué, et nous nous ouvrîmes à lui de ce projet. Par des causeries et des publications nous cherchâmes à le familiariser avec cette question, dont il ne tarda pas à devenir un vrai pionnier. M. Charles Grinda, nommé depuis secrétaire général du groupe et directeur de la Caisse régionale, commença par causer du projet à quelques bons agriculteurs, tâche assez ingrate ; on appréciait fort l’avantage d’obtenir du crédit à de bonnes conditions ; mais, quant aux moyens, la solidarité effrayait. C’est par là qu’on se trouvait arrêté. Cependant, à force d’explications, d’exemples, un petit noyau d’agriculteurs se montra moins récalcitrant. C’est alors qu’on songea à tenir une réunion, et qu’on nous pria de donner une conférence. M. Grinda, suivant nos conseils, commença par fonder ce que nous avons appelé la trinité rurale, en obtenant au préalable la collaboration du maire et du curé.

« Nous nous souvenons de cette réunion du 1er juillet 1893, d’où devait sortir la première institution de crédit agricole du département, qui fut une des premières à fonctionner en France. Dans la salle de la mairie, au milieu d’une centaine de bons cultivateurs, nous exposâmes l’utilité des caisses agricoles, la simplicité de leurs rouages, la force de la solidarité et son innocuité grâce aux précautions dont sa pratique est entourée, les résultats frappans donnés par ces institutions partout où il en existe. On écoutait avec intérêt, on lisait sur les visages la confiance en l’idée, on devinait que l’état d’esprit se modifiait. L’impression fut excellente ; on décida qu’une seconde réunion serait tenue le 30 juillet suivant pour procéder à la constitution de la Caisse. À cette seconde séance, les statuts furent signés par 19 membres, tous petits propriétaires et agriculteurs… L’inauguration de la Caisse eut lieu le 3 septembre… »

Les 19 néophytes de 1893 se sont multipliés : pendant les six premières années, le mouvement des prêts a été de 281 700 francs au taux de 5 pour 100 par an. Dans le premier semestre de 1899, la Caisse a accordé pour 5 510 francs 45 prêts dont voici l’affectation :


Nombre Achats
Achats d’engrais 30 2 750
Arrangemens de famille et partages de biens 5 460
Achats de terre 2 750
Réparation de deux moulins à huile 2 250
Exploitation d’une forêt ; fabrication de charbon. 1 500
Pour paiement d’anciennes dettes 3 400
Réparations à une maison 1 300
Achat d’une ânesse 1 100

Au 1er septembre 1904, les sociétés adhérentes au Centre fédératif du crédit populaire en France atteignaient le chiffre de 427 ; la plupart sont des caisses de crédit agricole, ne faisant des opérations qu’avec des agriculteurs syndiqués et pour la satisfaction des besoins agricoles. Cent trente-six réunissent un capital social versé de 1 940 699 francs, mais dans ce chiffre figurent six sociétés qui pratiquent le crédit urbain et possèdent 1 559 329 francs. Deux cent quatre-vingt-trois sociétés sont réparties entre 47 départemens, 22 autres entre nos trois provinces algériennes. Ainsi la lumière se fait, le corps agricole s’est formé, la caisse de crédit prend pour devise sociale l’union des bonnes volontés sans distinction de croyances ni d’opinions politiques, pour devise économique la protection de l’épargne et la mise au contact des énergies, des intelligences locales ; unis, vainqueurs ; isolés, vaincus. Dans un rapport spécial sur les Alpes-Maritimes, M. Rayneri a pu dire très justement : « Nous avons à la base la Banque populaire de Menton, institution mère : elle a enfanté dans le département ce beau mouvement d’association et de solidarité qui a réalisé l’entente si désirable et si précieuse des intérêts urbains avec les intérêts ruraux. A côté, la caisse régionale des Alpes-Maritimes, vivant avec elle dans l’intimité féconde de deux sœurs poursuivant un même idéal, les deux alimentant ces joyaux des campagnes qui sont les caisses agricoles, s’appuyant à leur tour sur les syndicats : au-dessus, le groupe départemental, organe d’étude, de propagande, de défense, complétant harmonieusement cet ensemble d’activités répandues sur les points les plus divers du département, mais convergeant toutes vers un but unique. » La production du lait des races de bétail s’améliore, le citronnier, la fleur d’oranger, l’olive regagnent du terrain. Les banques populaires d’Antibes et de Menton ont passé de 232 à 994 sociétaires, leurs dépôts de 1 649 099 à 1717 069 francs.

Grâce à l’ardente obstination de sa propagande, M. Louis Durand a, contre vents et marée, implanté et fait prospérer dans mainte région les Caisses du type Raiffeisen (responsabilité illimitée et circonscription restreinte). L’Union des Caisses Durand a publié récemment la statistique des opérations effectuées en 1903. Ces chiffres marquent un pas sérieux en avant.

1902 1903
Nombre des Caisses ayant répondu aux questionnaires 371 384
Nombre de membres 12 551 13 448
Nombre de prêts en cours au 30 décembre 4 298 5 361


fr. c. fr. c.
Montant de l’actif 2 876 734, 01 3 469 024, 96
Bénéfices 16 196, 97 19 114, 62
Pertes 558, 45 51, 72
Nombre des créances douteuses 4 5
Montant des créances douteuses 4 894, 44 2 769, 61

M. Louis Durand se plaint qu’un grand nombre de directeurs négligent de répondre aux questionnaires, diminuant par leur inertie les chiffres qui établissent la vitalité de l’œuvre : il a raison de dire qu’il faudrait répondre de suite ; « sinon on oublie, puis on oublie qu’on a oublié[12]. »

Les fondations enregistrées par l’Union depuis ses débuts atteignent le chiffre de 1 066. M. Louis Durand estime que 700 caisses, tant rurales qu’ouvrières ou mixtes, existent et prospèrent ; les autres végètent ou se sont dissoutes pour des raisons diverses : mollesse de certains administrateurs, mort de l’homme qui était la cheville ouvrière de l’autre, prétentions fiscales du ministère des Finances, etc. Comme les caisses similaires allemandes, les caisses Durand n’ont pas de capital, mais la responsabilité solidaire assure aux déposans une garantie de premier ; ordre. Il y a quelques années, dans le seul groupe régional du Doubs, 52 caisses, composées de 1 428 membres, présentaient à leurs créanciers une garantie foncière de 14 700 000 francs, sans compter la fortune mobilière des associés.

Dans la Haute-Saône et le Doubs, MM. Fournier-Sarlovèze et Caron ont aussi obtenu de brillans résultats ; depuis trente ans et plus, M. A. Calvet s’efforce, avec autant d’habileté que de persévérance, d’acclimater dans la région pyrénéenne du Sud-Ouest, les industries pastorales et l’idée coopérative.

A ceux qui continuent de redouter l’inconnu, que le fantôme de la responsabilité limitée ou illimitée effraie, il est bon de citer ces réflexions d’un homme pratique : « L’organisation d’une caisse, très compliquée en apparence, est d’une simplicité et d’une facilité enfantines. Dès les premiers pourparlers, on se heurte partout à cette invariable réponse : Il n’y a dans notre commune que deux catégories de paysans, les riches qui n’emprunteraient jamais, et les besogneux qui ne rendraient pas l’argent emprunté. Si l’on a la ferme volonté de réussir, on passe outre, et, à peine la Caisse est-elle formée que, des deux catégories, s’en dégage une troisième, qui absorbe les deux premières, à quelques unités près ; l’on est alors étonné de constater que les plus fortunés trouvent profitable et commode d’user du crédit agricole, et, qu’en examinant de près la situation et la valeur morale des besogneux, les insolvables y sont plus rares qu’on ne croyait d’abord. D’ailleurs, l’expérience permet d’affirmer aujourd’hui qu’il n’existe pas, dans une commune, plus de trois ou quatre agriculteurs ne méritant pas d’être accueillis au crédit agricole… et que ce n’est pas toujours parmi les modestes que sont ces suspects. Chaque jour nous amène de nouvelles créations de Caisses, et les nouveaux venus sont unanimes dans leurs regrets qu’on ne leur ait pas fait connaître plus tôt le moyen de se procurer une avance si utile à un taux aussi bas. »

Il reste beaucoup à faire, mais les véritables amis, les amis agissans de l’agriculture ont sujet de s’enorgueillir du présent. Aujourd’hui, le crédit agricole rayonne sur 68 départemens ; des caisses régionales ne tarderont pas à s’établir là où elles manquent encore ; le chef du service du crédit agricole au Ministère s’y emploie de son côté avec une activité fort intelligente. Sur les 69 millions venant de la Banque de France, les avances faites aux caisses régionales atteignaient à la fin de 1904 le chiffre de 14 200 000 francs ; de 1901 à 1903, le nombre des caisses locales s’élève de 300 à 616, les prêts consentis aux agriculteurs à 42 millions. Le comte de Vogué, dans son rapport au Congrès d’Arras en 1904, affirme qu’il y a environ 1 200 caisses locales, mais beaucoup, qui ne sont pas affiliées aux Caisses régionales, n’entrent point dans la statistique ministérielle. Les administrateurs des caisses régionales consentent les avances aux caisses locales affiliées, à un taux qui varie de 1 à 4 p. 100 ; même variation dans le taux de l’escompte. Grâce au dévouement de tant d’hommes de bien qui vont au peuple pour le servir et non pour être servis par lui, les frais généraux sont réduits au minimum : 56 879 francs pour près de 17 millions d’affaires en 1903. Toutes les Caisses régionales sont visitées une fois au moins chaque année par les inspecteurs du service du contrôle ; ils ne critiquent ni les opérations ni la comptabilité, mais seulement cette tendance de certains administrateurs à abaisser le loyer de l’argent au-dessous du cours. Ne faut-il pas prévoir que les avances gratuites de l’État peuvent ne pas être continuées indéfiniment, qu’elles cesseront même en 1920 ? Les Caisses n’ont-elles pas pour mission de faire l’éducation de l’agriculteur, et, prêter à 1 pour 100, n’est-ce pas le tromper sur sa véritable situation et les conditions qu’il est en droit d’obtenir ? Que deviendraient les Caisses si, l’Etat opérant le retrait total ou partiel de ses avances, elles n’avaient pas pris la précaution de se constituer des réserves importantes ? Un certain nombre n’y songent point, et plus elles font d’affaires au-delà d’un certain chiffre, plus la masse de leurs bénéfices diminue ; les choses se passent autrement dans toute entreprise bien dirigée. Il y aurait un moyen très efficace de parer à un tel danger, et de constituer une seconde ligne de défense pour les Caisses de crédit agricole ; il consisterait à adopter le système admis dans d’autres pays, préconisé avec force par M. J. Rostand, à permettre en grand ce que la loi de 1895 a permis en petit. Aujourd’hui les sommes déposées aux Caisses d’épargne, plus de 4 milliards 200 millions, représentent des capitaux passifs, inertes, qui, convertis en fonds publics nationaux, détournés de l’agriculture, du commerce et de l’industrie, des travaux publics départementaux et municipaux, en un mot de toutes les sources de la richesse locale, produisent en somme l’élévation factice du cours de la rente, entraînent l’Etat à contracter trop facilement des emprunts successifs. Pourquoi les administrateurs des Caisses d’épargne ne pourraient-ils pas, sons certaines garanties, prêter les fonds de dépôt aux caisses régionales de crédit agricole ? Les croit-on moins intelligens que leurs collègues de l’étranger ? Le régime du libre emploi, tant discuté, n’a-t-il pas permis à nos voisins de grouper des capitaux considérables ? On a donné à l’épargne française des habitudes déplorables, en lui inspirant la terreur de toutes les entreprises capables d’alimenter le travail national. La petite épargne a la caution la plus solide qui existe, la caution de la France elle-même ; en échange d’une telle sécurité, la France a le droit de demander à la petite épargne que ses capitaux soient employés à favoriser des sociétés coopératives, à procurer le crédit à bon compte, des prêts sur l’honneur. Comme le dit M. Albert Jarrin, les baisses d’épargne sont toutes désignées pour cette tâche, n’ayant point d’actionnaires à enrichir, et jouissant en outre de cette condition qui manque aux banques ordinaires, la permanence, une existence quasi éternelle.

Ajoutons que la défiance de l’Etat est le commencement de la sagesse agricole, et ne nous étonnons pas si beaucoup, paraphrasant la parole prophétique, craignent les présens de ce nouveau Grec, présens qu’il nous offre avec notre argent[13], si M. Méline et presque tous les hommes pratiques ont repoussé la création d’une banque centrale agricole proposée à plusieurs reprises par M. Godet et ses amis. « Une banque centrale doit, comme toutes les parties de l’édifice coopératif, venir à son heure, être la résultante d’un développement profond des institutions locales et régionales, et non les précéder ; être en un mot, même lorsque l’État croit devoir l’encourager, le fruit spontané et issu du mouvement lui-même, en harmonie avec ses conditions, appropriée à ses besoins. » Ainsi s’exprime M. Dufourmantelle dans un vœu adopté par le Congrès de Nancy : on a pensé sagement qu’il fallait organiser le crédit agricole par en bas, on se souvient encore du lamentable désastre où sombra, vers 1876, la grande société fondée en 1860. Les 69 millions de la Banque de France ont déjà fait loucher plus d’un député ; certain ministre n’a-t-il pas marqué quelque velléité de détourner 15 millions de cette destination ? Pas pour toujours, peut-être, on nous le disait, mais les promesses des ministres passés, présens,… et futurs ! Cela vaut, j’imagine, les promesses des hommes d’Etat de respecter l’intégrité d’un empire malade où ils envoient leurs armées. Le budget moderne est un ogre insatiable, plus vorace que Saturne lui-même : et les nourrisseurs de cet ogre sont d’autant plus empressés à le satisfaire qu’ils contribuent grandement à exciter sa boulimie : or le budget, c’est le ventre et l’estomac de l’Etat.

Les amis du gouvernement reprochent aux créateurs des caisses libres autonomes, qui se dérobent à toute ingérence administrative, de faire de la politique confessionnelle ; et ils n’ont pas toujours tort. Les défenseurs de la liberté, du self help, accusent les partisans du pouvoir de faire servir les avances au triomphe de leur politique électorale, à ce qu’un rural de mon pays appelle : la politique du coucou ; ils citent des faits à l’appui de leurs dires, ils rappellent aussi que le paiement des avances a subi de grands et singuliers retards. Chaque parti affirme bien haut : « Je ne fais pas de politique, mais je ne veux pas qu’on en fasse ici. » Certes, la neutralité absolue serait l’idéal, mais par cela même elle semble un peu chimérique. Un croyant, un sceptique, un radical, un modéré, peuvent-ils, lors même qu’ils se cantonnent sur le terrain agricole, faire abstraction complète de leurs convictions, établir entre celles-ci et les affaires une cloison entièrement étanche ? Ce même homme qui aujourd’hui, à trois heures de l’après-midi, s’occupe de son syndicat, d’une caisse rurale, redeviendra peut-être politicien à six heures, et combattra ceux qu’il a approuvés quelques instans avant. Lui demander de ne jamais s’embrouiller dans ses rôles divers, d’échapper pendant dix ans, vingt ans, à la tentation de transporter ici l’influence acquise là-bas, c’est trop attendre de l’humanité moyenne, et même de l’humanité d’élite. Ce qu’on peut tenter, c’est de rendre de plus en plus difficiles les abus, en surveillant la pratique de la liberté, et surtout l’action de l’Etat qui est toujours excessive en France, qui a diminué peut-être en certains cas, mais qui, tout compte fait, a progressé par l’application des principes de la vraie et de la fausse démocratie, — car le régime du tout à l’État a les sources les plus opposées. Je ne sais quel philosophe du XVIIIe siècle concluait : « Elargissez Dieu ! » Souhaitons qu’on élargisse aussi la vie provinciale, la décentralisation. C’est d’ailleurs une grande chose d’avoir attiré l’attention des parlement sur les classes rurales, et il convient de reconnaître que tous les partis s’occupent sincèrement d’améliorer leur situation, que, depuis vingt-cinq ans d’excellentes fois ont été votées, qu’on s’est efforcé, parfois avec plus de zèle que de prévoyance, de rendre à l’agriculture son prestige, le sentiment de sa puissance, de sa haute mission, de la noblesse du travail des champs. C’est en effet le problème des problèmes ; notre société a l’air d’être entraînée à une vitesse vertigineuse, et il importe d’empêcher que le paysan n’achève de se laisser emporter par cette ivresse de changement, qu’il ne ressemble à ce laboureur du poète, qui


… songe que peut-être il faudra, chez les morts,
Labourer des champs d’ombre arrosés par l’Érèbe.


Il faut encourager les petits, il ne faut pas décourager les autres. Les autorités sociales, les grands propriétaires ne remplissent pas tous leur devoir, mais la majorité ne demeure plus inerte ; elle comprend ses véritables intérêts, renonce à l’absentéisme, revient à la terre, ne s’imagine plus que l’ordre social a pour objet de permettre aux uns de toucher des rentes, d’obliger les autres à les payer. Les socialistes révolutionnaires apportent à l’œuvre de destruction le denier du diable ; à nous de verser pour l’œuvre de régénération le denier du bon sens ; à nous de comprendre que l’inégalité la plus insupportable est celle qui consiste à avoir les honneurs, les bénéfices, sans charges correspondantes ; à nous de répéter aux égoïstes le mot de Bautru à un évêque du XVIIe siècle qui ne résidait guère dans son diocèse : « C’est bien fait, Monseigneur, cela marque la confiance que vous avez en Dieu ; votre diocèse peut-il être mieux que sous la conduite de la Providence ? » Résider sur sa terre, c’est lui donner de la force, c’est se donner la force qui se dégage naturellement d’elle


VICTOR DU BLED.

  1. Voyez la Revue des 1er décembre 1904, 15 juillet 1905 et 1er mai 1906.
  2. On dit que le crédit est personnel lorsqu’il a pour seule base la confiance qu’inspire la personne de l’emprunteur ; il est réel lorsqu’il a pour garantie les biens du débiteur. Ce crédit réel est mobilier ou hypothécaire, suivant que les biens donnés en garantie sont meubles ou immeubles. En réalité, le crédit est l’échange d’une valeur présente avec une autre dans l’avenir.
  3. Eugène Rostand : la Réforme des Caisses d’épargne françaises ; — Blondel : Étude sur les populations rivales de l’Allemagne et la crise agraire ; — Bodenheimer : le Crédit agricole coopératif, Strasbourg, 1890 : — Louis Durand : le Crédit agricole en France et à l’étranger ; — Claudio Jannet : le Crédit populaire et les banques en Italie du XVe au XVIIIe siècle ; — Le Barbier : le Crédit en Allemagne, Nancy, 1890 ; — Micha : Histoire du crédit agricole en Europe ; — Henri Pierangeli : De la mutualité appliquée au crédit agricole en France et à l’étranger ; — Lassalle : Capital et travail ; — Tisserand et Lefebvre : Études sur l’économie rurale de l’Alsace ; — Heilmann : les Paysans de l’Alsace : l’Impôt et l’usure ; — Cauwès : Cours d’économie politique.
  4. D’après M. Blondel, il y avait, en 1897, 9 938 associations allemandes de crédit ; 3 005 du type Schultze-Delitsch ; 2 447 de l’Union d’Offenbach ; 2 245 du type Raiffeisen ; 2 241 associations dissidentes.
  5. Dans la province de Modène, l’usure montait à 1 000 pour 100 ; le prêteur exigeait un franc par semaine pour un prêt de cinq francs, ou bien achetait d’avance la récolte à des prix dérisoires.
  6. Rayneri, Mabilleau et Rocquigny : la Prévoyance sociale en Italie ; — Léon Say : Dix jours dans la Haute Italie, avec une préface de M. Eugène Rostand, 2e édition, 1896 ; — Albert Jarrin : les Caisses d’épargne italiennes et le Crédit agricole, in-8o, Chambéry, 1900 ; — C. Guerci : Instituzioni agrarie della provincia di Parma, 1895 ; — Bodio : la Statistique des langues populaires, avec une préface de M. Luzzatti, 1895 ; — Luigi Battei : Les institutions agraires de la province de Parme ; — Gasca : Il credilo e l’agricultura ; — De Laveleye : Nouvelles lettres d’Italie ; — Valentini : Il credito in Italia ; — Morpurgo : Rapport sur la situation des paysans en Vénétie ; — Levi : le Banche popolari ; — Aies. Rossi : Il credito popolare nelle associazioni cooperativi ; — Wollenborg : les Caisses rurales italiennes ; — Andisio : le Casse rurali cattoliche ; — Luigi Cerutti : Studio sulle casse rurali cattoliche di Prestiti ; — Tite Poggi : Origine, organisation et résultats de l’enseignement agricole ambulant en Italie ; — VIIe Congrès international d’agriculture.
  7. Sur les Sociétés de Braccianti, voyez Rayneri, p. 347 et suiv. : une loi de 1889 leur confère la facilité de prendre part aux adjudications inférieures à 100 000 francs : la ville de Parme a confié aux coopératives de travail la construction des abattoirs, le percement des boulevards, et elle n’a pas eu à s’en repentir ; dans cette ville les travaux sont répartis sur plusieurs années et s’exécutent en hiver, saison de chômage.
  8. « La laiterie coopérative est un professeur d’arithmétique, » répétait souvent l’initiateur de ce mouvement si heureux, dom Antonio délia Lucia. Autant peut-on dire de la caisse agraire.
  9. Max Turmann : Les Associations agricoles en Belgique. — Mellaerts : Les Caisses rurales d’épargne et de crédit ; — VIIe Congrès international d’agriculture, tome Ier ; — La Ligue du Coin de terre et du Foyer insaisissable, par Joseph Goemaere, p. 23 et suiv. ; — Participation de la Caisse générale d’épargne au fonctionnement du crédit agricole en Belgique, par M. Orner Lépreux, 65 et suiv. ; — Monographies agricoles des différentes régions de la Belgique ; — Congrès national d’agriculture, 2 vol., 1901 ; — Vandervelde : Essais sur la Question agraire en Belgique ; Syndicats agricoles et Coopératives socialistes (Mouvement socialiste, 1er et 15 avril 1901) ; — Vlieberg : Le Socialisme agraire (Revue sociale catholique, février 1900) ; — Wauquez : Le Crédit agricole en Belgique (Revue des Questions scientifiques, 1899) ; — Maurice Damoiseaux : Les prêts des Caisses Raiffeisen et leurs garanties ; — Les Banques coopératives pour la vente du beurre et des œufs, O. Schepens, 1902 ; — Malherbe et Fabry : Les Banques populaires agricoles, 1903, O. Schepens ; — Monographie de la Caisse rurale d’Hooglede ; — Em. Tibbaut : Les Etapes de la Mutualité rurale, 1903 ; — Les Caisses rurales en Belgique et à l’étranger, O. Schepens, 1903 ; — Louis Variez : Les Associations rurales en Belgique.
  10. La place me manque aujourd’hui pour examiner la question du crédit agricole en Autriche-Hongrie, Danemark, Russie, Écosse, etc. ; j’espère avoir l’occasion d’en parler dans une autre étude.
  11. Ministère de l’Agriculture : Guide pratique pour la création de Caisses de crédit agricole mutuel ; Bulletin mensuel de l’Office des renseignements agricoles ; — IVe Congrès national des Syndicats agricoles à Arras, dans le Journal d’Agriculture pratique, 14 juillet 1904 ; — Congrès du Crédit populaire et agricole, Nancy, du 7 au 10 novembre 1904 ; — Fournier-Sarlovèze : A propos des Caisses rurales ; — VIIe Congrès international d’agriculture, tenu à Rome, avril et mai 1903, 2 vol. ; — Rapport de M. Tisserand sur le Concours Méline entre les Sociétés de crédit agricole mutuel ; — Louis Durand : Le Crédit agricole en France et à l’étranger ; — Félix Moustier : Questions rurales ; — Louis Dop : Le Crédit agricole ; — Jarrin Albert : Les Caisses d’épargne italiennes et le Crédit obligatoire ; — Rostand : La Réforme des Caisses d’épargne françaises, 2 vol., 1891 ; — Pierangeli : De la Mutualité appliquée au Crédit agricole en France et à l’étranger, 1897 ; — D’Anglade : Du Crédit agricole personnel et mobilier ; — Barbery : La Banque de France et le Crédit agricole ; — Galliet : Le gage sans dessaisissement et le crédit agricole ; — Geffriand : Les Caisses régionales de Crédit agricole mutuel ; — De Laveleye : Nouvelles lettres d’Italie ; — Lavigne : Le Crédit agricole mobilier, les Warrants agricoles ; — Pierre Caziot : Le Crédit agricole en France et à l’étranger ; — André Avenel : Le Crédit agricole et le Cheptel-Bétail (Journal d’Agriculture pratique, 14 janvier 1904) : — François Bernard : Le Crédit aux améliorations agricoles, dans le Journal de l’Agriculture, 30 janvier 1904.
  12. « Les Caisses rurales, disait un propriétaire de la Haute-Saône, sont des machines qui exigent, pour fonctionner, de l’huile de dévouement dans leurs rouages, et qui s’arrêteraient bien vite si l’on introduisait dans les engrenages le moindre grain d’indifférence et d’égoïsme.
  13. M. Burelle, président de la Caisse régionale de Crédit agricole du Sud-Est, affirme même que faire de l’escompte au-dessous de 3 p. 100, c’est commettre un acte déloyal, car c’est nuire à la Banque de France qui a fourni les fonds nécessaires pour instituer le Crédit agricole. Le Congrès du Crédit populaire et agricole, tenu à Nancy en novembre 1904, a très sagement émis le vœu que les Caisses régionales prennent pour base le taux de la Banque de France, et consacrent la plus grande partie de leurs profits à la constitution de fonds de réserve.