Les Tremblements de terre/I/07

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J.-B. Baillière et Fils (p. 128-132).

CHAPITRE VII


DE LA COORDINATION DES OBSERVATIONS SÉISMIQUES.


Dans les pages qui précèdent, on a pu voir que pour l’étude des tremblements de terre, il était indispensable que les observateurs fussent munis d’instruments de précision ; mais il faut en outre, qu’il y ait coordination dans tout l’ensemble des données que l’on recueille. Dans plusieurs des pays sujets aux tremblements de terre, on a depuis quelques années entrepris d’établir ainsi un réseau d’études séismiques. Les premières tentatives ont été faites en Suisse, elles datent de l’année 1878. Organisées par la Commission séismologique, instituée par la Société helvétique des sciences naturelles, dans sa session de Berne, en août 1878, elle a établi son programme en dirigeant son activité sur trois points principaux :

1o Réunir tous les documents sur les tremblements de terre constatés en Suisse dans les temps passés ;

2o Collecter toutes les données possibles sur les tremblements de terre actuels ;

3o Organiser un système d’observations méthodiques à l’aide d’appareils distribués sur tout le territoire de la Suisse, qui donnent des chiffres et valeurs comparables entre eux et permettent une étude vraiment scientifique du phénomène. Cette partie du programme était de beaucoup la plus difficile[1].

Ces essais, inaugurés dans les conditions les plus modestes, ont eu pour premier résultat de réunir sur toute l’étendue du territoire helvétique, un grand nombre d’observateurs de bonne volonté auxquels un bureau central dirigé par le professeur Forster, directeur de l’Observatoire tellurique de Berne, a donné des instructions détaillées et dont l’éducation scientifique, d’abord très imparfaite, s’est complétée graduellement. Les instruments séismographiques faisaient entièrement défaut.

Peu à peu, quelques instruments, d’abord très grossiers, ont été introduits dans les observatoires. Jusqu’à ce jour, on a dû chercher surtout à tirer parti des indications horaires obtenues par l’observation directe. Pour donner à celles-ci la valeur indispensable à leur utilisation, il a fallu d’abord s’occuper du réglage des montres et des horloges employées. Cette question du réglage est maintenant résolue de la manière suivante : Un observatoire central, muni d’une pendule réglée astronomiquement, est relié directement par voie télégraphique à un certain nombre de stations principales réparties aussi bien que possible sur toute l’étendue de la Suisse et, tous les matins, l’heure exacte est envoyée de là à chacune de ces stations. Elle est ensuite distribuée sur des réseaux secondaires reliés aussi par voie télégraphique à chacune des stations principales.

L’Italie est de même divisée en provinces séismiques, recouvertes chacune par un réseau de communications télégraphiques en relation plus ou moins directe avec un observatoire régional. Jusqu’à présent, la liaison des diverses provinces n’est qu’imparfaitement établie et, dans chacune d’elles, l’organisation est seulement plus ou moins avancée sans être tout à fait achevée. L’un des services les plus complets est celui de la province de Sicile dont l’observatoire régional, dirigé par le professeur Silvestri, est à Catane. Le réseau télégraphique qui part de cet établissement s’étend sur toute la Sicile ; il doit prochainement être prolongé jusqu’à Pantellaria et jusqu’aux îles Lipari.

Des essais d’une organisation analogue sont faits en Allemagne, en Autriche et au Japon. Il serait à désirer qu’on y songeât aussi dans le midi de la France, dans la partie méridionale de l’Espagne, en Algérie, en Grèce, en Asie Mineure, en Syrie. Il en est de même dans les régions de l’Amérique et de l’Asie orientale, les plus sujettes aux tremblements de terre.

Plus le nombre des observations séismiques sera considérable, plus les instruments dont ils doivent être pourvus seront précis, et plus les documents fournis par l’étude des tremblements de terre acquierront d’importance. Cependant, en attendant que ce résultat désirable soit atteint, l’institution d’une bonne organisation peut encore conduire à l’établissement de données nombreuses et intéressantes, et surtout contribuer puissamment à faire rejeter les théories bizarres qu’a fait surgir de tout temps la considération des phénomènes séismiques.

A. Heim a rendu un véritable service à la science en montrant que, même en l’absence d’observatoires et d’instruments spéciaux, on pouvait encore faire des progrès dans la connaissance des séismes, à la condition de réunir un groupe nombreux d’hommes attentifs, capables de conserver leur sang-froid au moment où le sol s’ébranle sous leurs pas, demeurant en relations suivies les uns avec les autres et stationnant en des localités diverses sur l’étendue d’une région sujette aux cataclysmes séismiques. Tel a été le but de la notice et du questionnaire qu’il a rédigés en 1879, et c’est encore pour arriver à ce résultat qu’il a publié[2] le compte rendu détaillé d’une conférence dans laquelle il faisait appel à tous les amis de la science, s’adressant non seulement aux naturalistes de profession, mais encore à tous ceux qui s’intéressent aux choses de la nature. L’organisation remarquable du service séismique en Suisse et son développement rapide ont été la conséquence de cet appel chaleureux ; de toutes parts ont surgi des observateurs volontaires ; tous les tremblements de terre se produisant sur le sol helvétique ont été signalés et étudiés dans toutes leurs manifestations. On a vu peu à peu les observateurs, se soumettant eux-mêmes à une sorte de discipline et perfectionnant leur éducation scientifique, remplir chaque jour plus efficacement la mission à laquelle on les appelait à concourir, de telle sorte que, dès la fin de 1881, Forel pouvait écrire les lignes suivantes, dans le rapport qu’il publiait au nom de la Société séismologique suisse : « Grâce à l’appui de la presse périodique, grâce surtout à la bonne volonté que notre appel a rencontrée dans toutes les classes de la société, nous avons pu réunir un nombre très considérable d’observations, la plupart très bien faites, souvent beaucoup plus complètes et beaucoup plus précises que nous n’osions l’espérer au début ; il en est bien peu, même parmi les plus simples et les plus modestes, dont une comparaison et une critique intelligente ne puisse tirer quelque chose d’utile. Un fait particulièrement intéressant, c’est que la valeur relative de ces observations s’est notablement élevée et que, après deux ans de récolte de ces documents, nous reconnaissons une supériorité très évidente dans ceux qui nous ont été envoyés les derniers. »

  1. Extrait du rapport de M. Forel, Archives des sciences physiques et naturelles, t. VI, p. 461.
  2. Bulletin de l’Association scientifique de France en 1880.