Les Tremblements de terre/I/10

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J.-B. Baillière et Fils (p. 152-188).

CHAPITRE X


RELATION DES TREMBLEMENTS DE TERRE
AVEC D’AUTRES PHÉNOMÈNES PHYSIQUES


Des efforts considérables ont été faits pour démontrer qu’il existe une relation étroite entre les tremblements de terre et d’autres phénomènes physiques. Des savants consciencieux ont consacré une grande partie de leur vie à la recherche de ces rapports. Admettant que des relations de ce genre pouvaient être masquées par des phénomènes secondaires concomitants, ils ont tenté d’éliminer les causes d’erreurs au moyen de comparaisons statistiques. Les influences astronomiques, c’est-à-dire celles qui tirent leur origine de causes extérieures au globe terrestre et les actions météorologiques qui se rattachent plus directement à la terre elle-même ont été également examinées. On a cherché par exemple, d’une part, quelle pouvait être l’influence des attractions solaires et lunaires sur la fréquence des commotions séismiques, celle des taches solaires, celle du passage des essaims astéroïdes, etc., etc., d’autre part, ce que produisaient les variations barométriques, les pluies, les actions magnétiques etc. Les données positives à déduire de ces travaux compliqués et pénibles sont bien médiocres ; elles sont tout à fait en disproportion avec l’énergie de l’effort qu’il faut déployer pour les acquérir. Et d’abord, elles pèchent par la base ; l’un des éléments de l’opération statistique effectuée est la détermination du nombre des tremblements de terre qui se produisent dans telle ou telle période de temps, dans telles ou telles conditions connues. Or, jusqu’à présent, rien d’incertain et de difficile comme ce travail préalable fondamental. Si un tremblement de terre est peu intense, il passe inaperçu pour la plupart de ceux qui habitent la région ébranlée, et souvent il est mis en doute par les uns alors que d’autres, dans des conditions semblables, prétendent en avoir senti les effets. Doit-on enregistrer toutes les commotions souterraines qui ont été perçues exclusivement par quelques personnes, ou seulement celles qui ont été ressenties par toute une population, ou bien encore celles qui ont produit des désastres matériels ? Lorsque des appareils séismiques sont en usage dans un pays, doit-on tenir compte des ébranlements dont seuls ils révèlent l’existence ? Ces instruments sont plus ou moins sensibles, quels sont ceux dont on consignera les indications ? Où posera-t-on la limite des mouvements séimisques et microséismiques ? Et, en supposant que l’on soit d’accord sur la détermination des séismes, comment arrivera-t-on à établir une concordance dans les observations, les appareils destinés à les déceler étant très inégalement répandus ?

Remarquons d’ailleurs que, dans la pluplart des cas, les discussions portent non seulement sur les phénomènes contemporains de notre époque, mais encore sur ceux qui ont eu pour témoins les siècles passés. Alors ce critérium d’uniformité dans les observations que nous considérons comme indispensable fait nécessairement défaut, et pourtant, s’il l’on se contentait de limiter les recherches à la période actuelle, le principe même des opérations statistiques se trouverait méconnu, car les influences accidentelles cesseraient d’êtres négligeables.

Une autre cause d’erreur plus grave encore provient de la difficulté de délimiter ce qui constitue un cataclysme séismique. En effet, un tremblement de terre se compose ordinairement d’une série de secousses qui se succèdent presque toujours pendant plusieurs mois et quelquefois pendant plusieurs années, avec des recrudescence et des périodes d’affaiblissement. Comment distinguer si l’on a affaire à un ensemble unique de phénomènes ou au contraire à plusieurs séries distinctes de commotions ? Et cependant, de la réponse faite à cette question dépendra tout à fait la donnée qui sera obtenue relativement à la fréquence des tremblements de terre. Il est difficile à un même observateur, dans un pays sujet aux tremblements de terre, de distinguer ce qui appartient à chaque séisme en particulier ; à plus forte raison il y a des chances d’inexactitude lorsque l’on réunit les données fournies par des observateurs divers qui sur cette question du groupement des secousses n’ont pas exactement la même opinion.

Ces causes initiales d’incertitude expliquent en grande partie les résultats contradictoires auxquels on est arrivé. Joignons à cela que l’auteur le plus consciencieux, lorsqu’il part à priori d’une idée théorique, a beaucoup de peine à ne pas faire plier la statistique au besoin de son opinion ; et lors même qu’il respecte les chiffres recueillis dans l’enquête à laquelle il se livre, il est enclin à mettre en relief les petites différences favorables à sa manière de voir.

Un de nos physiciens les plus distigués, le regrettable Alexis Perrey, va fournir une preuve éclatante de ce genre d’abus pour lequel il a trouvé trop d’imitateurs. Ce savant, plein de zèle et animé d’une confiance absolue dans la méthode dont il faisait usage, a consacré de longues années à recueillir tous les exemples connus de tremblements de terre et à comparer le moment de leur production avec celui des phases lunaires.

Il était persuadé que sous une écorce solide de faible épaisseur, le globe terrestre renfermait une masse énorme de liquide igné influencé par les attractions du soleil et de la lune de la même manière que l’eau à la surface de la terre ; en un mot, il supposait qu’il y avait des marées souterraines de matière incandescente, comme il y a des marées aqueuses dans les océans. Il croyait en outre que les marées souterraines pressant contre la paroi interne de l’écorce terrestre devaient y injecter des matières incandescentes et engendrer des actions mécaniques capables de produire les tremblements de terre ou au moins d’en faciliter le développement.

Comme conséquence de ces idées, il admettait que le moment du maximum d’effet des attractions lunaire et solaire devait être en même temps celui de la plus grande fréquence des ébranlements du sol. Les commotions séismiques devaient s’observer, par suite, en plus grand nombre : 1o aux syzygies qu’aux quadratures ; 2o aux périgée qu’à l’apogée, surtout dans la saison des équinoxes ; 3o en un lieu donné, elles devaient être plus nombreuses au moment des passages de la lune au méridien. Telles sont les trois déductions connues sous le nom

Fig. 22 — Première loi de Perrey.

Études de M. de Montessus.

de lois de Perrey (fig. 22). Or, voici ce qu’a fourni la statistique appliquée à leur démonstration. Sur 5588 tremblements de terre, enregistrés par Perrey, 2761 se sont produits au moment des syzygies et 2627 au moment des quadratures ; il y en a donc eu 134 de plus dans la première période que dans la seconde. Et Perrey y voit naturellement une confirmation de sa loi. Mais si l’on considère que le nombre ainsi constaté ne représente pas 3 pour 100 du total des ébranlements séismiques qui figurent dans cette statistique, on sera loin de partager l’assurance du savant physicien relativement à l’exactitude de sa première loi. Le doute sera encore plus grand si l’on tient compte des résultats obtenus par d’autres auteurs au moyen de statistiques analogues. En effet, Roth, par exemple, trouve qu’au lieu d’un maximum, les tremblements de terre présentent, au moment de la pleine lune, un minimum de fréquence, lequel, à la vérité, s’étend au dernier quartier. D’après Schmidt, le maximum s’observerait pendant la nouvelle lune et le dernier quartier. Il y a discordance complète entre ces résultats et ceux qui ont été obtenus par Perrey. Le désaccord est moins prononcé avec les chiffres recueillis par M. de Montessus en partant principalement de l’observation des commotions terrestres sur le continent américain. Voyons cependant ce qui résulte de cette étude. Le graphique ci-joint représente les résultats détaillés des recherches statistiques compulsées par l’auteur dans un mémoire couronné en 1883 par l’Académie des sciences. Sur les 4943 tremblements de terre qui y figurent, un millier environ se retrouvent seulement parmi les 5388 utilisés par Perrey, de telle sorte que si l’on réunissait les nombres recueillis par les deux savants on arrive à un total de près de 9000 observations. Les 4943 tremblements de terre du catalogue de M. de Montessus se décomposent comme il suit : 1225 se sont produits pendant la nouvelle lune, 1221 pendant le premier quartier, 1278 pendant la pleine lune, et 1218 pendant le dernier quartier. On voit donc que le maximum de la nouvelle lune est insignifiant et que celui de la pleine lune ne correspond guère à plus de 1 pour 100 du total des observations, ce qui vraiment est presque négligeable. En somme, la première loi de Perrey est si mal étayée par l’emploi des statistiques qu’il y a lieu d’en suspecter l’exactitude. Il n’est donc pas permis jusqu’à nouvel ordre d’en tirer aucune conséquence théorique.

Les deux autres lois du même auteur ne sont pas mieux vérifiées par l’observation ; il s’agit toujours, entre les nombres comparés, de différences trop faibles pour qu’on puisse leur attacher une importance quelconque.


Fig. 23 — Deuxième loi de Perrey.

Études de M. de Montessus.

La deuxième loi de Perrey (fig. 23), même en se plaçant au point de vue de l’auteur est celle qui, a priori, offre le moins de prise aux vérifications statistiques, car l’excentricité de l’orbite lunaire est trop petite pour que la plus ou moins grande distance du satellite à la terre exerce une influence sensible sur le nombre des tremblements de terre. Cependant, Perrey ayant trouvé en considérant les 5388 séismes qu’il a notés qu’il s’en présentait un peu plus du côté du périgée, que du côté de l’apogée, en a conclu qu’il y avait là une vérification de sa loi. Un essai du même genre a été fait par M. de Montessus. Le graphique ci-joint, calculé (pl. 23) en divisant en quatorze parties la révolution moyenne de la lune du périgée à l’apogée représente les résultats qu’il a obtenus. Il trouve 2543 tremblements de terre du côté du périgée contre 2400 du côté de l’apogée. Ce nombre 143, qui représente la différence de ces deux nombres équivaut seulement à 3 pour 100 du total observé ; de plus, le périgée et l’apogée y correspondent à des minima. M. de Montessus a trouvé en effet 229 séismes le jour du périgée et 196 le jour de l’apogée alors qu’il en compte jusqu’à 417 certain jour intermédiaire. Il en conclut très hardiment à la négation de la loi et pense que sa statistique combinée à celle de Perrey donnerait des nombres de séismes à peu près égaux pour les quatorze ordonnées de la courbe.


Fig. 24 — Troisième loi de Perrey.

Études de M. de Montessus.

La troisième loi de Perrey (fig. 24) indique un maximum du nombre des secousses à l’heure du passage de la lune au méridien et surtout à celle de sa culmination supérieure. La loi, formulée d’une façon moins précise, peut aussi être exprimée dans les termes suivants : ces secousses sont plus fréquentes lorsque la lune est dans le voisinage du méridien que lorsqu’elle est à 90°.

L’examen statististique de cette loi a été tenté aussi par M. de Montessus. Le graphique ci-joint (pl. 24) renferme l’indication des résultats auxquels il est arrivé. Les séismes de l’Amérique centrale y figurent au nombre de 1163 au lieu de 801, comme dans les tableaux précédents, ce qui tient à ce que l’auteur a tenu compte dans ce cas-ci de la nombreuse série de secousses qui, en 1879–1880, ont accompagné la remarquable éruption du lac d’Ilopango, près de San Salvador. Il est possible qu’un certain nombre des secousses provenant de cette série d’Ilopango ne soient autre chose que des commotions du sol dues à l’explosion du gaz et des vapeurs qui ont été l’un des traits caractéristiques de l’éruption ; mais la même loi horaire étant supposée vraie, pour les séismes proprement dits et pour les explosions volcaniques, il n’y a pas lieu d’incriminer l’extension donnée par l’auteur à son tableau statistique. Sur le graphique, un maximum assez net se montre à la culmination supérieure au milieu de la courbe qui représente la fréquence moyenne des séismes, et l’auteur fait remarquer qu’un maximum de moindre importance apparaîtrait encore si l’on augmentait comme on doit le faire les ordonnées de la culmination inférieure dans le rapport de 25 à 60. L’examen du tableau de M. de Montessus semble effectivement justifier dans une certaine mesure l’exactitude de la troisième loi de Perrey, au moins en ce qui regarde la culmination supérieure, car pour 190 séismes qui se produisent pendant l’heure de la culmination, on n’en constate environ que 150 pendant la sixième heure avant ou après celle-ci. Sur 3589 tremblements de terre, il s’en produit donc 40 de plus au moment du passage supérieur de la lune au méridien que lorsqu’elle est à 90°, c’est-à-dire 1 pour 100. De plus, nous remarquons que dans l’heure qui précède la culmination, on ne constate que 153 secousses et 144 seulement dans celle qui suit.

La faiblesse de ces chiffres ne correspond guère à l’idée qu’on se fait d’observations provenant d’un voisinage de maximum. Enfin, quand on compare les diverses courbes qui fournissent les éléments destinés à constituer la courbe totale, on est frappé de leurs irrégularités et de leur bizarrerie, et l’on est vraiment tenté d’attribuer à un heureux hasard le maximum présenté par la courbe générale.

On trouve des différences de même ordre quand on compare le nombre des tremblements de terre compris entre les deux passages de la lune au méridien avant et après la culmination supérieure ; c’est ainsi, par exemple, que dans le tableau ci-dessus, de M. de Montessus, on constate 1858 séismes avant la culmination supérieure, et 1731 après. Il n’y a évidemment aucune importance à attacher à cette différence. Et cependant, les données fournies par M. de Montessus, sont d’autant plus intéressantes que plusieurs physiciens ont attribué une importance spéciale aux observations de statistique séismographique faites sur les régions voisines de l’équateur, prétendant que l’influence de la lune devait y être plus manifeste qu’aux latitudes moyennes.

Certains jours ont été signalés comme correspondant particulièrement aux grands cataclysmes séismiques ; tel est le jour qui précède le premier quartier de la lune, noté à ce point de vue par Edmonds[1].

Les statisticiens sont actuellement d’accord pour considérer cette prétendue loi d’Edmonds comme tout à fait dépourvue de fondement.

En résumé, les influences attribuées à la lune sur la production des tremblements de terre sont des plus contestables et, en tous cas, la démonstration est loin d’en être faite.

Cependant, il faut avouer que dans certains cas on observe de singulières coïncidences ; telles sont celles par exemple qui se sont produites lors du tremblement de terre de Charleston, en août 1886. La secousse principale s’est manifestée le 31 à 9h 59min 30s environ du soir. Or, deux jours auparavant, la lune était au périgée à 2 heures du matin ; il y avait nouvelle lune ce jour-là à 8 heures du matin et éclipse à 5 heures. Peu après, c’est-à-dire à peu près au moment du tremblement de terre, avaient lieu les plus hautes marées du mois. La plus forte se produisait à 9h 44min du soir à Charleston, c’est-à-dire seize minutes avant la secousse principale. Enfin, le passage supérieur de la lune au méridien avait lieu à Charleston à 2h 31min du soir, le 31 août.

Ce tremblement de terre s’est donc produit au moment d’une très forte marée et, si les mouvements du sol n’avaient été médiocrement intenses malgré l’énorme extension du séisme, la coïncidence astronomique aurait pu augmenter dans une effrayante mesure les dégâts que la mer est susceptible de causer en pareil cas.

On a cherché aussi à établir qu’il existait dans la fréquence des tremblements de terre une certaine périodicité en rapport avec d’autres phénomènes astronomiques de diverses nature. C’est ainsi que Gautier a cru que l’importance et le nombre des commotions séismiques étaient soumis à une périodicité de dix ans, correspondant au cycle de Méthon ; que le capitaine Delaunay a cherché à prouver l’existence de périodicités de douze et de vingt-huit ans, correspondant aux révolutions de Jupiter et de Saturne. Jadis, on a cherché sans succès à établir l’influence des planètes auxquelles on attribue encore volontiers d’autres actions bien plus étranges.

On s’est également adressé au soleil et à ses taches. La découverte des relations qui existent entre l’apparition des taches du soleil, les déviations de l’aiguille aimantée et, par suite, les aurores boréales, ont également appelé l’attention de ce côté. On sait, en effet, qu’en appliquant la méthode statistique à la comparaison des taches solaires et des phénomènes magnétiques, Loomis et Wolf ont admis entre ces phénomènes l’existence d’une relation assez simple. D’après eux, durant la période de cent cinquante années environ, pendant laquelle on a fait des observations suivies, on constate des maxima et des minima qui coïncident à peu près avec une période d’environ dix ans. Wolf a exprimé cette loi, en termes très absolus, en adoptant la formule suivante : « Le nombre des taches et les variations moyennes en déclinaison sont non seulement soumis à la même période de dix ans un tiers, mais ces périodes coïncident jusqu’aux moindres détails, de manière que le nombre des taches présente des maxima à la même époque que les variations. »

Chercher s’il existe un rapport simple entre l’apparition des taches solaires et les tremblements de terre revient donc, d’après cela, à l’examen des relations qui peuvent lier les phénomènes séismiques et les phénomènes magnétiques ; nous nous occuperons ci-après de la discussion du problème.

Enfin, parmi les influences astronomiques susceptibles d’agir sur le développement des séismes, nous devons noter encore celle du passage des essaims d’astéroïdes au voisinage de la terre. Le capitaine Chapel a été l’un des principaux soutiens de cette hypothèse, attribuant aux astéroïdes non seulement les tremblements de terre, mais encore les phénomènes météorologiques les plus divers. D’après lui, ces éléments cosmiques, malgré leurs dimensions généralement très petites, détermineraient par leur chute des vibrations de l’écorce terrestre susceptibles de se propager à de grandes distances. On ne peut s’empêcher de sourire quand on songe à la très faible quantité de mouvement qu’ont pu communiquer en tombant les plus gros des bolides connus et quand on compare les effets mécaniques qui ont pu résulter à ceux qu’engendrent les ébranlements séismiques, même de médiocre intensité. D’ailleurs, on sait que le sol est rarement en repos complet. Les appareils microséismiques montrent qu’au moins certaines parties de l’écorce terrestre offrent un mouvement incessant ; il faudrait donc supposer notre globe assailli par une grêle perpétuelle d’astéroïdes. De plus, les tremblements de terre devraient présenter leur maximum de fréquence aux époques annuelles bien connues du passage de ces corps : tout cela est contredit par l’observation. L’argument tiré par Chapel de la verticalité fréquente des chocs séismiques n’a véritablement aucune portée ; cette direction de certaines secousses pouvant être expliquée plus rationnellement de bien d’autres manières ; bref, la singulière théorie dont il vient d’être question peut tout au plus être considérée comme un jeu de l’esprit, ou, à un autre point de vue, comme un exemple frappant des abus auxquels l’imagination peut se laisser aller dans l’explication des phénomènes naturels lorsqu’une base sérieuse fondée sur l’observation ou l’expérimentation fait défaut. Certains phénomènes astronomiques ont une action météorologique directe ; tel est, par exemple, le mouvement de la terre dans le plan de l’écliptique, qui détermine les saisons ; telle est encore la rotation de la terre sur elle-même qui produit le jour et la nuit. On a cherché encore, par l’emploi de la méthode statistique, si ces phénomènes agissaient aussi sur le développement des tremblements de terre. Considérons d’abord ce qui est relatif aux saisons :

De nombreux auteurs, Mallet, Perrey, Volger, Hoff, Mérian, Kluge, Élysée Reclus, Fuchs, Poey, etc., ont construit des tables ou tracé des graphiques qui représent la distribution des secousses tout le long de l’année et qui montrent par conséquent la relation entre les saisons et la production des séismes. Presque tous ces auteurs sont d’accord pour conclure à un maximum séismique pendant la saison pluviale ; ils pensent en conséquence que dans l’hémisphère boréal le maximum séismique a lieu en hiver, et que dans l’hémisphère austral il se produit en été. En général, ce maximum est d’autant plus marqué et de plus courte durée que l’on a affaire à une région plus circonscrite. C’est ce qui ressortira nettement de la considération de quelques-unes des courbes tracées ci-après. La constatation de ce maximum hivernal dans quelques-unes de nos régions européennes est l’un des faits qui semblent ressortir avec le plus de netteté des études séismiques. C’est Mérian qui le premier, en 1834, ayant classé suivant l’ordre de leur répartition les tremblements de terre survenus dans les cantons du nord-ouest de la Suisse, publia ce résultat inattendu. La surprise fut grande dans le monde savant. Mais bientôt Perrey et Volger vinrent prêter à cette découverte l’autorité de leur compétence. Depuis lors, les statistiques relatives à la question se sont multipliées ; plusieurs d’entre elles, empruntées à des observations locales, semblent confirmer la loi de Mérian ; d’autres sont moins nettes dans la formule résultant de leur application, et d’autres paraissent l’infirmer. Pour permettre à nos lecteurs de juger véritablement de l’état de la question, nous mettrons sous leurs yeux, d’une part, les tableaux graphiques consignés dans l’opuscule consacré par Toula, en 1880, à l’exposé des doctrines séismiques, généralement acceptées à cette date, et, d’autre part, nous présenterons ceux qui résultent des travaux plus récents de M. de Montessus. Nous ferons remarquer à ce propos que la statistique appliquée par deux auteurs différents à la même région est loin de conduire toujours à des résultats identiques, ce qui s’explique bien par les causes d’incertitude et d’erreur que nous avons signalées au début de cette étude et, pour montrer tout l’intérêt du problème, nous rappellerons que la loi de Mérian à peine révélée fut l’objet des préoccupations de Humboldt et d’Arago. Humboldt[2] a cru devoir donner son adhésion aux affirmations du savant suisse. Arago, tout en penchant vers la même opinion, a pensé cependant que sa confirmation réclamait des études nouvelles ; aussi, le voyons-nous[3] poser le problème suivant : Les tremblements de terre sont-ils plus fréquents au Chili dans une saison que dans une autre ? Dumoulin, ingénieur hydrographe à bord de l’Astrolabe, s’appuyant sur l’examen de 150 secousses observées par Vermoulin en 1833 à la Conception, et sur un catalogue de 1200 autres notées par le même observateur du 20 février 1835 jusqu’au passage de l’expédition, rapporta une réponse négative. Disons encore que, parmi les statistiques régionales, celles qui ont apporté l’appoint le plus considérable en faveur de la loi de Mérian, sont les statistiques combinées de Volger et de Forel[4]. Elles portent sur plus de 1500 secousses observées en Suisse et indiquent avec une assez grande netteté un maximum de fréquence en hiver et un minimum en été. La statistique de Volger comprend 1230 tremblements de terre depuis le ixe siècle de notre ère jusqu’en l’année 1854 ; elle donne les chiffres suivants :

Hiver .  .  .  .  .  .  .  .  .  .    461 tremblements de terre
Printemps  .  .  .  .  .  .  .    315
Été .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .    141
Automne .  .  .  .  .  .  .  .    313

Mais cette statistique de Volger laisse à désirer et Forel en fait la critique en ces termes : « Elle réunit indistinctement ce que nous appelons les tremblements et les secousses ; elle ne sépare pas les ébranlements principaux du sol et les ébranlements accessoires qui accompagnent les grandes secousses ; elle ne distingue pas (ce qui est le cas ordinaire) deux éléments fort importants : la fréquence des phénomènes séismiques et leur intensité. »

À l’appui de cette dernière remarque, Forel montre par les données de vingt-six mois d’observation (en 1882, 83, 84) que la fréquence et l’intensité moyenne des tremblements de terre ne se correspondent pas dans leur distribution suivant les saisons. Tandis que la statistique générale de Volger donnait un maximum en hiver et un minimum en été, Forel trouve pour la fréquence des tremblements un maximum en hiver et en automne, et un minimum au printemps ; pour l’activité séismique, un maximum en été et un minimum au printemps[5].

Les tableaux graphiques de M. de Montessus conduisent aux conclusions suivantes : Aux Antilles, il trouve égalité entre le printemps et l’été, l’une et l’autre saison étant bien plus riches en séismes que l’automne et l’hiver qui sont aussi de leur côté presque égaux entre eux sous le rapport séismique. Il est à remarquer que les deux maxima principaux ont lieu en mai et en juillet et qu’un minimum très accentué se montre en décembre. Ainsi, d’après cela, les séismes seraient plus fréquents aux Antilles dans la saison sèche que dans la saison des pluies, contrairement à la loi généralement admise.

Au Pérou on trouve un maximum en été, mais là, l’été correspondant à notre hiver, la loi de Mérian est réalisée. Sur la courbe mensuelle, le maximum principal a lieu en mai et un minimum très marqué se montre en novembre, ce qui montre bien que le maximum mensuel ne correspond pas toujours au maximum saisonal. En réalité on voit que le maximum de l’été est peu important et que la discussion sur ce point manque véritablement de base sérieuse.

Pour le Japon, M. de Montessus reconnaît lui-même que le nombre de séismes inscrits dans son catalogue ne permet pas de tirer la moindre conclusion du maximum qu’il constate en été.

Pour l’archipel indien, il trouve un maximum en automne, un minimum en hiver. Dans les courbes mensuelles un maximum assez prononcé apparaît en décembre et deux minima se montrent en mars et en mai. La saison des pluies ayant lieu de mai jusqu’en août, la loi de Mérian ne paraît pas justifiée.

Au Centre-Amérique, M. de Montessus trouve un maximum au printemps, égalité entre l’hiver et l’été, minimum en automne. Dans la courbe mensuelle, le maximum principal se montre en juin, des minima très prononcés apparaissent en août et octobre.

Les 429 observations de tremblements de terre suisses donnent un maximum en automne avec une valeur presque égale pour l’hiver et un minimum très prononcé en été et au printemps, ce qui est conforme aux tableaux de Volger et de Forel. Notons en outre un maximum moins important en juillet, mais remarquable par l’existence de minima dans les mois contigus.

Enfin M. de Montessus emprunte encore l’indication de 1046 autres séismes à diverses autres régions et trouve que ceux-ci fournissent un maximum en automne et un minimum au printemps (fig. 25).


Fig. 25. — Répartition des séismes
par mois.

Puis, faisant le total des 4943 séismes qui figurent dans son tableau, il les répartit suivant les saisons et les mois et trouve alors qu’ils donnent presque les mêmes chiffres pour chaque saison, savoir : 1195 en automne, 1319 en été, 1190 au printemps, et 1239 en hiver. Les différences qui existent entre ces nombres sont véritablement bien peu considérables. Aussi admettrons-nous volontiers la conclusion formulée dans les termes suivants par M. de Montessus : « Il est difficile d’admettre que la loi du maximum hivernal soit une de celles qui s’imposent à la conviction. Dès qu’on opère sur de grandes séries, on voit les nombres relatifs aux différents mois de l’année tendre sinon à l’égalité à mesure qu’augmente le nombre des phénomènes observés et enregistrés, du moins leur différence diminuer et cela aussi bien pour le monde entier que pour une région isolée. »

La courbe mensuelle générale montre un maximum en mars entre deux minima en février et avril, ce qui rend bien difficile l’interprétation de cette partie de la courbe. Il existe aussi un maximum plus régulier en juillet, mais il nous semble avoir peu d’importance, bien qu’à la rigueur on puisse l’identifier à celui que Kluge considère comme l’expression de la fréquence plus grande des phénomènes éruptifs dans cette portion de l’année pour l’univers entier (particulièrement en août).

Les savants qui n’admettent pas la loi de Mérian dans toute sa généralité, mais qui la considèrent cependant comme vérifiée par l’observation dans certains pays tels que la Suisse, ont cru pouvoir expliquer le fait d’après la diversité des causes qui engendrent les tremblements de terre. D’après eux, les séismes qui se manifestent loin des volcans seraient dus à des effondrements, à des glissements souterrains ou à des dislocations d’autre genre, facilités par les infiltrations des eaux. Alors, dans les contrées qui en sont le théâtre il n’est pas étonnant que la fréquence de ces phénomènes soit en rapport avec l’abondance des eaux pluviales, tandis que dans les pays volcaniques la cause des séismes étant tout autre, leur loi de fréquence se traduit par des graphiques absolument différents.

Dans l’Amérique centrale une croyance populaire très répandue attribue un plus grand nombre de secousses aux mois pendant lesquels on passe de la saison sèche à la saison pluvieuse et réciproquement ; mais les observations de M. de Montessus paraissent tout à fait contraires à cette opinion.

La question de la relation entre les saisons et la fréquence des tremblements de terre a aussi été étudiée par Falb. Ce savant compte 5500 tremblements de terre, de l’an 800 avant Jésus-Christ jusqu’en l’année 1842, et divise l’ensemble de ces séismes en deux séries, l’une comprenant ceux qui sont antérieurs à 1794, l’autre ceux qui sont postérieurs à cette date. Chacune des deux séries renferme 2750 tremblements de terre.

La courbe qui correspond à la première est beaucoup moins accidentée que celle qui représente la seconde. Elle offre un maximum en janvier et un minimum en août.

La seconde courbe montre deux maxima à peu près égaux en août et en octobre, un maximum de moindre importance en janvier et un minimum en juin. Le même savant a construit la courbe de fréquence pour les séismes qui se sont fait sentir à Copiapo, ville du Chili septentrional. Il trouve des maxima en octobre et en janvier et des minima en septembre et en décembre.

Mallet, en compulsant 120 tremblements de terre de l’hémisphère sud, avait trouvé un maximum en novembre, des minima en mars et en août. Si l’on compare ces résultats à ceux qui résultent de l’étude des tremblements de terre du Pérou, on voit quelle confusion règne dans ces données de la statistique.

Milne, dans l’espoir d’obtenir des résultats plus nets, a groupé autrement les 255 tremblements de terre qui ont été constatés dans la Grande-Bretagne. Il trouve que la moyenne mensuelle est de 21,2 ; que la moyenne des mois de mars à août inclusivement est de 16,1, et celle des mois de septembre à février de 26,3.

Kluge, dans un groupement analogue, a trouvé pour l’hémisphère nord :

862 séismes d’avril à septembre ;
948 séismes d’octobre à mars.

Et pour l’hémisphère sud :

300 séismes d’avril à septembre ;
337 séismes d’octobre à mars.

Dans l’état actuel de nos connaissances, on est en droit de penser que les tremblements de terre sont plus fréquents la nuit que le jour. C’est au moins ce qui résulte de l’ensemble des renseignements qui ont été recueillis sur chacun des séismes, et les statistiques appliquées à la question sont d’une clarté qui ne laisse rien à désirer. Il semble même que le rapport du nombre des séismes nocturnes à celui des séismes diurnes soit dans toutes les régions représenté par une fraction très différente de l’unité. Pour la Suisse, par exemple, ce rapport est évalué par la commission scientifique à environ 75 pour 100. Pour l’Amérique centrale, il s’élèverait à 65 pour 100. Le rapport en question est encore plus élevé si, au lieu de considérer les mouvements du sol, on applique la statistique à l’examen des bruits souterrains qui, comme nous l’avons vu, constituent l’une des manifestations les plus caractéristiques et les plus fréquentes de la cause séismique. En effet, pour l’Amérique centrale, ce rapport peut être évalué à environ 75 pour 100. Le tableau et le graphique dressés par M. de Montessus mettent en évidence la généralité du fait. Le maximum de fréquence, comme en Suisse, a lieu entre 2 et 4 heures du matin, le minimum entre midi et 2 heures. Cependant, ces résultats, en apparence si tranchés, ont été maintes fois contestés et ne seront définitivement établis que quand ils résulteront d’observations faites à l’aide d’instruments enregistreurs. Ceux qui en nient l’exactitude font remarquer que les phénomènes séismiques se perçoivent bien plus nettement la nuit que le jour. Pendant la journée, les bruits souterrains échappent aisément, confondus avec tous ceux qui résultent des conditions ordinaires de la vie. Toute personne en mouvement n’éprouve aucune sensation distincte d’ébranlements du sol qui n’ont pas une forte intensité. Le silence de la nuit et la position horizontale sont très favorables à la perception des bruits et des commotions terrestres. Par conséquent un grand nombre de tremblements de terre diurnes doivent échapper à l’observation, et les statistiques appliquées à la question manquent dès lors d’une base certaine.

Cette opinion est, du reste, celle des savants suisses qui ont le plus contribué à établir la loi en question.

M. Forster, par exemple, rattache cette différence à l’état d’activité des observateurs ; il estime qu’un homme au repos ou couché est dans de meilleures conditions d’observation qu’un homme en activité. Il divise la journée en deux périodes, l’une d’activité, l’autre de repos ; ces périodes sont variables suivant la saison.

Dans les mois d’hiver, d’octobre à mars, les heures de repos sont de 7 heures du soir à 7 heures du matin et dans les mois d’avril à septembre de 6 heures du matin à 7 heures du soir ; il compte encore, comme période de repos, étant donné les mœurs suisses, l’heure du repas de midi à 2 heures.

Il répartit ainsi les secousses observées :

1882 1883
Heures d’activité .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  9 6
Heures de repos .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  33 12

et trouve pour la distribution des secousses :

1882 1883
De 9 heures du soir à 9 heures du matin .  .  .  34 14
De 9 heures du matin à 9 heures du soir .  .  .  8 4

Il conclut dans les termes suivants :

« Comme il n’y a aucune raison pour que le nombre des secousses ne soit pas égal dans les heures d’activité et de repos, il est évident que notre statistique, qui se base sur l’observation d’un appareil de sensibilité variable (l’homme actif ou l’homme au repos) est insuffisamment exacte. Il serait nécessaire pour une statistique vraiment scientifique que l’on pût obtenir la dissémination à la surface d’un pays d’un nombre considérable de séismomètres automatiques[6]. »

Ajoutons encore qu’au point de vue théorique, il est difficile de s’expliquer pourquoi les tremblements de terre en un point donné seraient plus fréquents lorsque par la rotation de la terre ce point se trouve sur la face de notre globe qui est le plus éloignée du soleil.

Il est à noter que beaucoup d’auteurs considèrent cette répartition horaire des phénomènes séismiques comme tout à fait analogue à celle que l’on note dans les éruptions volcaniques, où les explosions seraient également plus nombreuses la nuit que le jour, de telle sorte que si la relation en question était démontrée pour l’une des deux catégories de phénomènes, on pourrait la considérer aussi comme vraie pour l’autre catégorie. C’est ce qui nous engage à relater ici l’ensemble des observations faites sur les secousses et les bruits souterrains qui ont accompagné l’éruption du lac d’Ilopango en décembre 1879. Avant que les matériaux volcaniques fissent leur apparition à la surface du lac, avant qu’aucune explosion ait eu lieu, il s’est produit environ 700 secousses de tremblements de terre dont la plupart ont été accompagnées de bruits souterrains (retumbos). Deux commissions locales, l’une dirigée par M. Goodyear, l’autre par M. Rockstroh, en ont suivi attentivement toutes les phases, et nous devons à M. de Montessus l’exposé détaillé et la critique minutieuse des faits observés. Or, d’après ce savant, la proportion des secousses nocturnes serait de 66 pour 100 et celle des retumbos nocturnes de 78, 8 pour 100. Nous ajouterons que l’auteur de ce travail, quoiqu’en général peu disposé à admettre les résultats de la statistique appliquée à l’étude des tremblements de terre, se montre ici très enclin à en accepter la donnée.

Les influences météorologiques ne sont pas moins contestables que les influences astronomiques ; cependant dans quelques cas particuliers exceptionnels on leur a attribué une action efficace ; c’est pourquoi nous devons discuter attentivement l’appui que les considérations statistiques peuvent leur prêter.

Et d’abord, la relation entre la fréquence des tremblements de terre et la production des phénomènes d’électricité statique ou dynamique terrestre a été à diverses reprises regardée presque comme manifeste et soumise à des recherches ayant moins pour objet de l’établir que de la confirmer avec éclat. Des théories étranges ont été basées sur ces rapports et un ouvrage remarquable de vulgarisation scientifique s’en est fait l’écho[7]. Des paratonnerres séismiques ont été construits en partant de l’idée que les commotions souterraines provenaient de dégagements d’électricité sans issues suffisantes. La fréquence et l’intensité remarquables des cataclysmes séismiques de ces dernières années ont été attribuées au progrès du déboisement des montagnes, les arbres étant supposés faciliter par leurs pointes l’écoulement de l’électricité du sol, et remplissant dans cette hypothèse l’office de paratonnerres naturels.

On a souvent signalé les déviations de l’aiguille aimantée comme étant sous la dépendance des phénomènes séismiques. Boué et Chapel se sont faits particulièrement les défenseurs de ces théories magnéto-séismiques à l’appui desquelles ils ont apporté un grand nombre d’observations. Ces idées avaient été déjà préconisées par Capucci à Naples après l’éruption de janvier 1839 au Vésuve. Elles ont été également soutenues par Mermet à propos de la secousse du 19 mai 1839, et par Combar à la suite de celui de Smyrne du 29 juillet 1880. Un des faits les plus curieux à signaler à ce propos est le suivant : À Arequipa, un observateur nommé Espinosa a remarqué, dit-on, pendant plusieurs années, que tout ébranlement du sol était précédé de la chute d’un morceau de fer adhérent à un aimant, et l’on rapporte qu’il s’était constitué ainsi une sorte d’avertisseur. On relate des observations du même genre faites par Aguilar à Quito.

On raconte aussi qu’en 1875, Destieux, chef du bureau télégraphique de Port-de-France, à la Martinique, a constaté que ses appareils avaient offert des perturbations magnétiques considérables. Un fait plus intéressant encore à l’appui du développement de courants locaux, conséquence de la mise en jeu des forces séismiques, est celui qui a été récemment cité par M. L. Soret[8], à propos du tremblement de terre de février 1887 dans le midi de la France. À Cannes, les clapets des abonnés du bureau téléphonique sont tombés, tandis que ceux qui n’étaient pas reliés avec un circuit fermé sont restés en place ; d’où l’on a conclu que la chute des clapets tombés était due à la production d’un courant local et non au choc mécanique causé par le séisme. Cependant, M. Offret, qui a discuté la question[9], fait remarquer que les clapets demeurés en place n’étant pas appelés à fonctionner, n’avaient pas été réglés, et que, par suite, leur chute sous l’influence des vibrations de la maison était plus difficile que celle des autres. Il fait remarquer, en outre qu’à Nice, aucun clapet n’est tombé au bureau des téléphones. L’observation de Cannes doit donc être considérée comme incertaine.

Nous devons mentionner ici le fait bien singulier d’une déviation considérable de l’aiguille aimantée, produite au moment d’un tremblement de terre et demeurée permanente après la secousse. On en possède deux exemples provenant de savants tellement considérables qu’il est impossible de les passer sous silence. Le premier a été rapporté par Humboldt et Bonpland comme ayant eu lieu à la suite du grand tremblement de terre de Cumana du 4 novembre 1799. Le second a été observé au Guatemala après le séisme du 8 décembre 1859.

Restent enfin les remarquables observations de Gray et de Milne dont il a été précédemment question.

Un tremblement de terre, quelle que soit sa cause, est accompagné certainement de phénomènes mécaniques puissants dans les profondeurs du sol, il n’y a donc rien d’irrationnel à supposer que ces phénomènes entraînent un changement temporaire ou durable dans le développement des phénomènes magnétiques dont le sol terrestre est le siège normal ; il s’agit seulement de démontrer la réalité et l’importance de ces modifications ; en tous cas il est évident qu’il y a lieu de rejeter immédiatement toute relation qui ne s’appuie que sur des considérations théoriques.

Ce qui ressort positivement des observations faites pour la première fois lors du tremblement de terre de l’Andalousie en décembre 1884 et renouvelées récemment à propos du tremblement de terre du midi de la France du mois de février dernier, c’est que les secousses violentes sont accompagnées de perturbations magnétiques. Ces perturbations ont été, comme nous l’avons déjà dit, considérées comme l’effet de courants intimement liés à la cause qui produit les séismes, ou au moins attribuées à la production de courants électriques développés par l’action des mouvements profonds du sol. Nous avons déjà précédemment exposé les raisons qui nous font considérer ces irrégularités dans le tracé des courbes magnétiques comme de simples effets mécaniques dus à la transmission de l’ébranlement.

Nous ajouterons que l’observation appliquée à la comparaison des phénomènes séismiques avec l’ensemble des phénomènes électriques terrestres prouve immédiatement que s’il existe une relation entre ces deux ordres de faits, elle est d’ordre tout à fait secondaire. Le tracé des courbes magnétiques ne correspond pas, en général[10], à celui des graphiques que fournit l’étude des tremblements de terre, et tous les naturalistes sont d’accord pour reconnaître que les aurores boréales ne coïncident que par pur hasard et tout à fait exceptionnellement avec quelques-unes des grandes commotions terrestres ; ce sont évidemment des phénomènes indépendants.

Dans la plupart des régions sujettes aux tremblements de terre, on admet généralement que la production d’un ébranlement coïncide avec un état particulier de l’atmosphère. Lorsque le temps est calme, la pression barométrique basse, la température élevée et l’air saturé de vapeurs, on redoute la venue prochaine d’un tremblement de terre. Cependant, rien ne justifie ces appréhensions. Quand, par hasard, cet état atmosphérique particulier vient à cesser sans avoir été accompagné de la production d’aucun cataclysme, on le passe sous silence et il n’en est plus fait mention. Quand, au contraire, il est accompagné ou suivi à bref délai d’une commotion souterraine, il frappe tous les esprits et ne manque pas d’être cité comme une preuve décisive de l’influence marquée des causes météorologiques sur le développement des phénomènes séismiques.

J’en dirai autant pour les phénomènes atmosphériques inverses ; ainsi, lors du tremblement de terre d’Andalousie, on a remarqué que l’événement avait été précédé d’un état climatérique particulier tout à fait extraordinaire en cette région : un froid rigoureux, des pluies abondantes et même des chutes de neige inaccoutumées ont été signalés comme étant les phénomènes précurseurs du séisme. On a rapporté encore qu’au moment de la secousse principale, le ciel s’était subitement couvert d’un nuage blanc et qu’à chaque secousse une sorte de brouillard avait enveloppé le lieu de la catastrophe. Il suffit de rapporter ces récits pour montrer leur peu de portée, car ce brouillard qui a tant frappé les imaginations n’était autre que le nuage de poussière produit par l’écroulement des habitations.

Poëy et Hœfer ont beaucoup insisté sur la coexistence des cyclones avec les grands tremblements de terre. Quelques exemples particuliers se sont présentés à l’appui de leur thèse ; on cite particulièrement le cyclone du 4 novembre 1799 au Venezuela, ceux du 2 août 1837 et du 19 novembre 1867 aux Antilles, celui du 22 août 1856 en Algérie, comme ayant coïncidé avec des ébranlements du sol, mais de tels cas doivent être considérés comme fortuits. D’une part, dans les îles de l’archipel de la Sonde, qui sont souvent ravagées par les deux genres de phénomènes, une étude attentive, due à M. Mangeot, montre qu’il n’existe entre eux aucune relation simple ; sur les côtes de la Chine, les tremblements de terre sont beaucoup moins fréquents que les cyclones et n’apparaissent que très rarement avec eux. Inversement, dans l’Amérique centrale, sur les côtes du Pacifique, les tremblements de terre sont extrêmement fréquents et les cyclones presque inconnus. Le rapprochement entre ces deux catégories de phénomènes n’est donc aucunement justifié.

Enfin, dans une région quelconque, quand on considère les courbes barométriques et thermométriques, et que l’on compare leur tracé à celui qui résulte de la statistique des phénomènes séismiques, on est frappé de la dissemblance absolue qui existe entre elles. La preuve la plus frappante de ce désaccord provient surtout de l’examen des données comparatives fournies par les régions équatoriales, où le tracé diurne des courbes barométriques offre une grande régularité. Rien de pareil ne se manifeste dans le tracé des courbes séismiques. La question a été particulièrement observée dans l’Amérique centrale par M. de Montessus. Il a compulsé trois années d’observation faites au collège San Luis de Santa Tecla (San Salvador) ; quatre faites à San Salvador par lui-même et vingt années faites au Guatemala. Cette étude fait ressortir nettement le défaut de concomitance des phénomènes météorologiques et des séismes. « J’ai cherché, dit M. de Montessus, pour environ neuf mille courbes barométriques quotidiennes, comment les tremblements de terre se répartissent autour des deux minima et des deux maxima de la sinusoïde si régulière, qui représentent la marche du baromètre sous les tropiques, et aussi comment ils se groupent par rapport aux périodes, soit de quelques jours pendant lesquels cet instrument monte, reste stationnaire ou descend (tout en parcourant chaque jour une courbe presque superposable à celle du jour précédent, mais placée un peu plus bas), soit de quelques mois, pendant lesquels il oscille autour d’une position progressivement ascendante ou descendante. Le classement des tremblements de terre observés donne dans tous ces groupements des chiffres sensiblement égaux. »

M. de Montessus va plus loin ; partant d’observations faites sur l’Izalco, volcan qui, comme le Stromboli, est en éruption permanente, il croit pouvoir affirmer que les explosions du volcan ne sont pas influencées par l’état de la pression barométrique. Il s’appuie sur ce fait pour se ranger du côté de ceux qui regardent les dégagements des gaz naturels comme n’étant aucunement modifiés par les variations de pression de l’atmosphère. L’examen de cette question sort du cadre que nous nous sommes proposé de remplir ; c’est pourquoi nous éviterons de la discuter à fond, considérant d’ailleurs que, pour être résolue, elle exigerait l’emploi simultané de l’expérimentation et de l’observation dans des conditions de précision qui, jusqu’à présent, n’ont jamais été réalisées.

Il y a d’ailleurs lieu de distinguer les tremblements de terre normaux de ceux qui accompagnent les éruptions volcaniques. On comprend à la rigueur que des dégagements de gaz, comme ceux qui ont lieu dans une éruption, puissent être influencés par une baisse barométrique et, par suite, qu’il y ait en même temps une certaine action exercée sur les mouvements du sol concomitants. Plusieurs savants éminents ont cru même trouver dans l’observation directe la démonstration du fait. M. Palmieri, directeur de l’Observatoire du Vésuve, a, d’après une série d’observations faites en 1867, conclu de ses études que, non seulement les explosions augmentaient d’intensité et de fréquence quand il y avait diminution dans la pression atmosphérique, mais il a annoncé en outre que l’écoulement des laves était soumis à toutes les influences dont il a été précédemment question. Chaque jour, en dehors de l’influence barométrique, il a observé deux maxima et deux minima avec un retard correspondant avec celui de la marée. Il a de même admis un accroissement des phénomènes au moment des syzygies et un affaiblissement aux quadratures de la lune. Schmidt, naguère directeur de l’Observatoire d’Athènes, a soutenu les mêmes idées dans une certaine mesure. Enfin, dernièrement, M. Laur les a reprises en les développant et en essayant de les démontrer à l’aide de l’étude d’un dégagement gazeux du bassin de Saint-Étienne.

Dans les observations des dégagements de grisou consignées dans les registres des compagnies houillères, on trouve aussi certaines séries qui semblent appuyer l’hypothèse de la relation en question, mais il en est d’autres qui la contredisent. Quant aux séismes proprement dits où des émissions de matière volatile ne sont pas en jeu, on ne connaît véritablement aucun fait qui permette de les considérer comme étant sous la dépendance des variations de la pression atmosphérique.

À ce sujet nous citerons encore en terminant cette discussion les lignes suivantes publiées par M. Forel[11] :

« Qu’il y ait parfois coïncidence entre un tremblement de terre et une forte baisse barométrique, cela est incontestable ; mais que ce soit la règle, c’est ce que l’expérience nie. Pour le rechercher, j’ai choisi les 22 tremblements les plus considérables étudiés en Suisse pendant nos quatre années d’observation (1879–83), et j’ai noté l’état de la variation barométrique dans notre pays au jour du tremblement. J’ai trouvé :

1879 1880 1881 1882
Baisse barométrique 9 tremblements 2 1 4 2
Hausse 11 0 3 5 3
Baromètre stationnaire 2 0 2 0 0

« Il n’y a pas là la coïncidence plus fréquente des tremblements de terre avec la baisse du baromètre que réclame la théorie récemment soutenue par M. Laur. Je dois donc la déclarer, à mon avis, insuffisamment justifiée. »

Ainsi, les observations de la Commission suisse s’accordent avec celles de M. de Montessus pour infirmer la relation controversée.

  1. Cornval. polytechn. Soc. Journal, et Edinb. n. phil. Journ., 1845, t. XXXVIII, p. 271, et t. XXXIX, p. 386.
  2. Cosmos.
  3. Instructions relatives à la physique du globe, rédigées au nom de l’Académie des sciences pour le voyage de circumnavigation de la Bonite.
  4. O. Volger, Untersuchungen über das Phänomen der Erdbeben in der Schweiz, Gotha, 1857. — Forel, Archives des sciences physiques et naturelles, 1881 à 1885. Genève.
  5. Forel comprend dans l’hiver les mois de janvier, février et mars, dans le printemps avril, mai, juin, et ainsi de suite. Il calcule l’importance des tremblements de terre d’après la formule que nous avons donnée page 58. Au point de vue de la fréquence, les séismes se distribuent mensuellement en Suisse comme il suit dans ces dernières années :

    1880 1881 1882 1883 TOTAL
    Janvier .  .  .  .  . 2 1 4 5 12
    Février .  .  .  .  . 2 4 6 2 14
    Mars .  .  .  .  .  . 0 4 4 1 9
    Avril  .  .  .  .  .  . 2 1 3 0 6
    Mai .  .  .  .  .  .  . 3 0 1 0 4
    Juin  .  .  .  .  .  . 3 5 0 0 8
    Juillet .  .  .  .  .  . 4 1 4 1 10
    Août .  .  .  .  .  . 0 2 0 2 4
    Septembre .  .  . 4 1 1 0 6
    Octobre  .  .  .  . 0 4 2 0 6
    Novembre  .  .  . 0 9 0 1 10
    Décembre  .  .  . 1 5 4 3 13
  6. Forel, Archives des sciences physiques et naturelles, Genève, 15 mai 1885.
  7. Jules Verne, Voyage au centre de la terre. L’auteur figure un naturaliste qui, pénétrant dans les profondeurs de l’écorce terrestre, s’y trouve au sein d’une immense cavité parsemée de lacs et de rochers ; il y est assailli par une tempête électrique d’une violence inouïe. Les décharges de la foudre souterraine sont décrites en termes émouvants ; enfin l’orage électrique ébranle le sol et détermine un violent tremblement de terre suivi d’une éruption volcanique. La théorie électrique de M. Hœfer, qui regarde les tremblements de terre comme produits par des orages électriques, n’a pas de base plus sérieuse que le roman scientifique dont il vient d’être question.
  8. Comptes rendus, t. CIV, p. 1088.
  9. Comptes rendus, t. 104, p. 1150.
  10. Il y a cependant lieu de signaler ici l’opinion contraire soutenue par M. Tacchini (Bollettino della Società geografica italiana, 1887), en s’appuyant sur la relation curieuse qu’il a constatée le 25 février 1887 entre le tracé des lignes magnétiques dans la haute Italie et la position de l’épicentre du tremblement de terre de Ligurie. Le tracé de ces lignes, déterminé par le professeur Christiani, montre effectivement trois centres d’intensité magnétique maxima, l’un situé dans la partie orientale de la Vénétie, le second au mont Viso, le troisième, le plus important, sur la côte de Ligurie, précisément sur la surface couverte par l’épicentre du tremblement de terre. Depuis lors, M. Tacchini, voulant de nouveau comparer les tracés géodynamiques et les lignes magnétiques, a appliqué le même genre d’examen au tremblement de terre de Charlestown du 31 août 1886. Dans ce cas encore il a trouvé une relation remarquable entre les deux genres de phénomènes.
  11. Archives physiques et naturelles de Genève, t. XIII.