Les Trois Dames de la Kasbah/XXXIII

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Calmann Lévy (p. 61-63).
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XXXIII


Cependant il se faisait tard. Ils étaient fatigués, et ils avaient soif.

Peu à peu les boutiques de barbiers où on faisait de la musique, les cafés maures où on dansait, s’étaient fermés. Même les portes des filles ne s’ouvraient plus. L’heure de la grande prostitution du dimanche soir était passée. La ville arabe retombait dans le silence et la nuit noire.

Ils auraient voulu entrer quelque part, pour boire encore et dormir. Mais, à eux trois, ils n’avaient plus que les sous de Kerboul.

Et puis Yvon s’inquiétait de deux tout petits chats qu’il avait volés par affection, et qui se plaignaient dans sa chemise de matelot, où il les avait logés pour qu’ils eussent plus chaud.

Ils descendaient maintenant une longue rue déserte. Ils y trouvèrent une porte de marbre, toute sculptée de fleurs très anciennes, d’inscriptions arabes et de dessins mystérieux. Elle donnait dans un couloir de faïence aux mille couleurs ; une lampe y était suspendue, qui jetait une lueur au dehors sur les pavés.

Des gens qui avaient mauvaise mine y entraient furtivement. Ils entrèrent aussi pour voir.

C’était un bain maure mal famé. Les baigneurs étaient partis, et des hommes sans gîte, métis indéfinissables, éclos au hasard du vice, venaient coucher pour deux sous sur les nattes pleines de vermine qui avaient servi au massage.

Ils passèrent devant ce peuple étendu qui s’endormait ; puis ils arrivèrent à des étuves profondes qui avaient de grands dômes et qui suintaient comme des cavernes. On y voyait à peine, dans une buée chaude qui embrouillait l’obscurité ; l’air humide y avait une pesanteur étrange ; — et un homme jaune, nu sur du marbre comme un cadavre, chantait avec une voix de fausset un air lugubre à faire peur.

Ils jugèrent ce lieu immonde, et sortirent.