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Les Veillées du couvent, ou le Noviciat d’amour/08

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ÉPITRE

A MANON.

En lui envoyant un exemplaire de cet ouvrage.

O la plus froide des Manons
Beauté farouche autant que belle,
Jusques à quand ton cœur rébelle
Méprisera-t-il mes leçons ?
Morceau d’albâtre, étui d’ébène,
Force attractive de mes sens,
Quand des baisers bien ravissans
Voudras-tu m’accorder l’aubaine ?
Mais non, j’ose espérer envain,
Le ciel te fit un cœur de glace,
Et l’entoura d’un triple airain.
Comment envahir cette place ?
Que de regards ! que de sermens
Ma tendresse a mis en usage,
Pour mériter que mon hommage
Me valut des plaisirs charmans !
Si l’exemple d’Anaxarête

N’a nul pouvoir sur ton esprit ;
Ah ! c’en est fait, rien ne m’arrête,
Le feu seul aura cet écrit.
C’est pour t’amuser, pour te plaire,
Pour vaincre ta vertu sévère
Que ma plume a tracé les jeux
De deux jeunes cœurs amoureux.
Ils voulaient le plaisir et ne le trouvaient pas,
Ils embrassaient un vain phantôme ;
Oh ! tu n’es pas leur second tome,
Car je te l’offre avec tous ses appas ;
Et ta rigueur intolérable
Trompant mes vœux et mon effort,
Oppose des frimats du Nord
La sécheresse immalléable
Aux feux de mon brûlant transport.
Tu ne voulus jamais, cruelle,
Payer mon amour d’un baiser,
Et si par fois l’amour me fit oser,
Combien de cette bagatelle
Ta résistance haussa le prix !
Que ces baisers sur belle bouche
Font grand bien quand ils sont ravis,
Lorsqu’après un regard farouche
Succède un gracieux souris !

Plus tu les défends, plus je t’aime
Et malgré ta froideur extrême
Je ne me lasse point d’aimer,
Mais lasse toi de résister.
Puisse cette esquisse légère
Des jeux de Louise et d’Agnès
Te faire éprouver les effets
D’un changement involontaire.
Puisse l’amour, pour me venger,
Te rendre aussi tendre et facile
Que tu fus jusqu’ici fertile
En moyens de faire enrager !
Tu pairais cher l’intérêt du plaisir
Tant retardé par ton indifférence ;
Oh ! combien de cette vengeance
Mon cœur se dispose à jouir !
Deviens Sapho, deviens Biblis ;
D’amour furieuse comme elles,
Caunus, Phaon ont dédaigné ces belles,
Mais ne redoute pas mon mépris.
Sapho, pour éteindre sa flamme,
Dans l’Océan fait le saut le plus fou ;
Biblis se pend ; crains leur sort, ô mon ame !
Ou bien si tu te pends que ce soit à mon cou.

FIN.