Les Villes à pignons/Le Dimanche

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Deman (p. 60-62).


Le Dimanche


 
Mille notes claires et gaies
Ainsi que des monnaies
Dégringolent du vieux beffroi vermeil ;
Ce sont autant de sons de cloche
Qui miroitent et qui ricochent
Dans le soleil.

Le vent au loin les éparpille,
Les toits pareils à des mantilles
Les reçoivent entre leurs plis ;
Tous les échos en sont remplis.


Les gens qui passent
Les écoutent sur la grand place
Tinter et cliqueter
Par masses.
Or, c’est dimanche, et c’est midi.

La ville est propre et lisse ;
Chez l’orfèvre trois grands calices
Illuminent superbement
La devanture ;
D’un porche ardent d’architecture
À pas dévots, à pas dormants
Sortent, quittant le prône
Les bons bourgeois et leurs matrones :
Et tels se rejoignent et se saluent
Et tels tournent le coin des rues
Pour s’en aller vers l’esplanade
Faire l’hebdomadaire et régulière promenade.

D’autres gagnent « Le Cheval Gris »
Par le chemin des Chanoinesses :
Auberge fraîche et belle hôtesse,

Poële flambant, comptoir fleuri,
Carreaux sablés et tables claires,
Caves longues, larges tonneaux
D’où jaillit, ainsi que d’un tombeau,
Au creux des verres
La bière.

Et c’est vraiment un bon moment,
Pesant de calme et de bien-être :
De gros buveurs à la fenêtre
Fument leur pipe et regardent les gens
Ou bataillent aux cartes.
Des béguines passent et des sergents,
Et les mitrons avec des tartes.
Les cloches, dans la tour,
Carillonnent toujours,
Mêlant leur bruit avec le bruit des verres,
Avec la splendeur blonde et sonore des bières
Et, quelquefois, avec l’éclat des vins ;
Et tout cela résonne, et tout cela s’égaie
Toujours comme il convient
D’un bruit minime de monnaie.