Les Vivants et les Morts/Je marchais près de vous
JE MARCHAIS PRÈS DE VOUS…
Je marchais près de vous, dans mon jardin d’enfance.
Le soir uni luisait ; une calme innocence
Émanait des chemins, dépliés sous les cieux
Ainsi qu’un long secret franc et silencieux…
On entendait le lac, sur l’escalier de pierre,
Murmurer sa liquide et rêveuse prière
Qui, mollement, se heurte au languissant refus
Qu’oppose au cœur actif la nuit qui se repose…
Nous marchions lentement dans le verger touffu,
Où fraîchissait l’odeur des poiriers et des roses.
J’écoutais votre voix aux sons plaisants et doux.
Hélas ! je vous aimais déjà pour quelque chose
De vague, d’infini, d’antérieur à vous…
Un peuple de silence environnait ma vie.
Les fleurs au front baissé, par la nuit asservies,
Exhalaient je ne sais quel confiant repos
Entre la calme nue et les miroirs de l’eau.
J’étais bonne pour vous, soigneuse, maternelle,
Je souffrais de sentir votre voix comme une aile
Battre votre gosier et haleter vers moi ;
Ma main aux doigts muets s’irritait dans vos doigts ;
L’aspect fidèle et sûr de la nuit renaissante
Me rendait ma jeunesse, attentive et pensante.
Quelle limpidité dans l’éther blanc et noir !
J’entendais s’échapper, des roses amollies,
L’éloge de l’altière et mystique folie
Qui brise le réel pour augmenter l’espoir…
— Ô sublime vaisseau de la mélancolie,
Nul amour ne s’égale aux promesses du soir !
Le lac, les secs soupirs des grillons dans les plaines,
Les pleurs minutieux de l’étroite fontaine,
L’espace recueilli et cependant pâmé,
Libéraient tout à coup, de ses rêveuses chaines,
Le désir éternel en mon cœur enfermé ;
Je songeais, par delà les présences humaines ;
Votre voix me devint inutile et lointaine :
Je n’avais plus besoin de vous pour vous aimer…