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Les Vivants et les Morts/Le Port de Palerme

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Les Vivants et les MortsArthème Fayard et Cie (p. 143-144).


LE PORT DE PALERME


Je regardais souvent, de ma chambre si chaude,
Le vieux port goudronné de Palerme, le bruit
Que faisaient les marchands, divisés par la fraude,
Autour des sacs de grains, de farine et de fruits,
Sous un beau ciel, teinté de splendeur et d’ennui…

J’aimais la rade noire et sa pauvre marine,
Les vaisseaux délabrés d’où j’entendais jaillir
Cet éternel souhait du cœur humain : partir !
— Les vapeurs, les sifflets faisaient un bruit d’usine
Dans ces cieux où le soir est si lent à venir…

C’était l’heure où le vent, en hésitant, se lève
Sur la ville et le port que son aile assainit.
Mon cœur fondait d’amour, comme un nuage crève.
J’avais soif d’un breuvage ineffable et béni,
Et je sentais s’ouvrir, en cercles infinis,
Dans le désert d’azur les citernes du rêve.


Qu’est-ce donc qui troublait cet horizon comblé ?
La beauté n’a donc pas sa guérison en elle ?
Par leurs puissants parfums les soirs sont accablés ;
La palme au large cœur souffre d’être si belle ;
Tout triomphe, et pourtant veut être consolé !

Que signifient ces cieux sensuels des soirs tendres ?
Ces jardins exhalant des parfums sanglotants ?
Ces lacets que les cris des oiseaux semblent tendre
Dans l’espace intrigué, qui se tait, qui attend ?

— À ces heures du soir où les mondes se plaignent,
Ô mortels, quel amour pourrait vous rassurer ?
C’est pour mieux sangloter que les êtres s’étreignent ;
Les baisers sont des pleurs, mais plus désespérés.

La race des vivants, qui ne veut pas finir,
Vous a transmis un cœur que l’espace tourmente,
Vous poursuivez en vain l’incessant avenir…
C’est pourquoi, ô forçats d’une éternelle attente,
Jamais la volupté n’achève le désir !