Les Voyages Advantureux de Fernand Mendez Pinto/Chap. 31.

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Traduction par Bernard Figuier.
Arnould Cotinet et Jean Roger (p. 104-106).


De la ſommation que le Roy de Iantana enuoya faire au Roy d’Achem, ſur ce qui concernoit le Royaume d’Aaru, & de la reſponſe qui luy fut faite.


Chapitre XXXI.



Apres que le Roy de Iantana eut fait ce ſerment entre les mains d’vn ſien grand Cacis, qui s’appelloit Raja Moulana, vn iour de feſte qu’ils ſolemniſent leur Ramadan, il s’en alla à l’Iſle de Campar, où apres auoir celebré les ceremonies de leur nopces, il tint Conſeil de ce qu’il deuoit faire ſur le ſuiet où il s’eſtoit engagé, pource qu’il reconnoiſſoit la choſe aſſez difficile, à cauſe qu’il eſtoit neceſſaire de hazarder beaucoup du ſien. La derniere reſolution qu’il prit, fut qu’auparauant qu’entreprendre aucune choſe, il eut à enuoyer ſommer le Roy d’Achem, ſur le droit que de nouueau il auoit au Royaume d’Aaru, à cauſe du mariage qu’il auoit fait auec la Reyne d’iceluy, ſa nouuelle femme, & que ſelon la reſponſe qu’il en auroit qu’il reſoudroit apres, ſur ce qu’il auroit à faire. Ce Conſeil ſembla ſi bon au Roy, qu’il expedia & enuoya incontinent au Roy d’Achem vn Ambaſſadeur, auec vn preſent de riches ioyaux d’or, & de draps de ſoye, & vne lettre qui contenoit ces mots. Sibry Laya quendou, pracamaa de raja, legitime Roy par ſucceſſion de patrimoine de ma captiue. Malaca, vſurpée par le ioug tyrannique, force de bras, & l’iniuſtice des infideles Roys de Iantana & Bintan, & des ſuſdicts Rois d’Andragie & de Lingaa. À toy Siry, Soultan Aaradin, Roy d’Achem, & de tout le ſurplus de la terre des deux mers, mon vray frere par l’ancienne amitié de nos Ayeuls, fauory par le cachet doré de la ſaincte maiſon de la Mecque, pour bon & fidele Daroes, comme les Datos Monalas, leſquels pour l’honneur du Prophete Noby, ont voyagé ſterilement dans les miſeres de cete vie : Moy ton allié en chair & en ſang, ie te fais ſçauoir par mon Ambaſſadeur, que les iours paſſez de la ſeptieſme Lune de cette preſente Annee, s’en vint à moy pleine d’vn grand trauail & affront, la noble vefue Ancheſiny, Royne d’Aaru, auec le viſage triſte, & les yeux baignez de pleurs, ſe proſternant par terre, & s’eſgratignant les iouës à belles ongles, & me diſt que tes Capitaines luy auoient pris ſon Royaume, auec les deux riuieres de Laue & Panetican, & tué Aliboncar ſon mary, auec cinq mille Amborraias, & Ouroballons tous gens de remarque qu’il auoit auec luy, & captiué trois mille enfans qui n’auoient encore iamais peché, leſquels ayants les mains liées auec des cordes, l’on ſoüettoit continuellement ſans aucune pitié, comme s’ils euſſent eſté fils de meres infidelles. C’eſt pourquoi eſtant eſmeu comme ton frere, en la proximité que le ſaint Alcoran nous enseigne, & à laquelle il nous oblige, ie l’ay receuë ſous la protection de ma verité, afin qu’eſtant plus aſſeuré, ie me puiſſe informer de la raiſon, & du droict que pour ce faire tu as peu auoir, & ayant reconneu par ſes ſerments que tu n’en as aucun, ie l’ay receuë pour ma femme, afin que plus librement ie puiſſe deuant Dieu demander le ſien. Ie te prie donc, comme eſtant ton vray frere, que tu luy rendes ce que tu luy as pris, & que de tout cela tu luy en faſſes vne bonne & entiere reſtitution, puis qu’en la Loi profeſſée de noſtre verité, tu y es obligé. Et quant au proceder que tu dois tenir en la reſtitution que ie te demande, elle ſe doit faire par l’ordre que Syribican mon Ambaſſadeur te monſtrera, & ne le faiſant ainſi conformement à ce que par Iuſtice ie te demande, ie me declare ton ennemy pour cette Dame, à laquelle ie me ſuis obligé par vn ſerment ſolemnel de la defendre en ſon affliction. Cet Ambaſſadeur eſtant arriué à Achem, le Roy le fit receuoir honorablement, & prit la lettre qu’il luy portoit. Mais apres en auoir fait ouuerture, & veu ce qu’elle contenoit, il le voulut incontinent faire mourir, ce qu’il eut fait ſans doute, ſi quelqu’vn des ſiens ne l’en eut diuerty, luy diſant, que s’il le faiſoit, cela luy cauſeroit vne grande infamie. Ainſi congediant ſur l’heure cet Ambaſſadeur, ſans vouloir prendre ſon preſent, pour le meſpriſer dauantage il luy bailla vne lettre pour reſponſe de celle qu’il luy auoit apportée, où eſtoient ces mots, Moy le Soultan Alaradin, Roy d’Achem, de Baarros, de Peedir, de Paacem, & des Seigneuries de Dayaa & Batas, Prince de toute la terre des deux mers Mediterranée & Oceane, & des mines de Menencabo, & du Royaume d’Aaru nouuellement pris auec iuſte cauſe, À toy Roy remply de ioye, & deſireux d’vn douteux heritage, i’ay veu ta lettre eſcrite à la table de tes nopces, & par les inconſiderées paroles d’icelle i’ay recogneu l’yurognerie de tes Conſeillers & Secretaires, à laquelle ie ne voulois reſpondre, n’euſt eſté la priere des miens. C’eſt pourquoy ie te dis que tu ne m’en tiennes point pour excuſe : car ie te conffeſſe que ie ne veux point eſtre loüé de toy, & touchant le Royaume d’Aaru, tu n’as que faire d’en parler, ſi tu veux demeurer en vie, il ſuffit que ie l’ay fait prendre, & qu’il eſt à moy, comme bien toſt ſera le tien, ſi tu t’és marié à deſſein auec Ancheſiny, afin qu’à ce ſuiet tu t’en puiſſes preualoir du droit d’vn Royaume, qui deſia n’eſt plus ſien. C’eſt pourquoy tu demeureras auec elle comme les autres maris auec leurs femmes, qui cultiuans la terre, ſe contentent du labeur de leurs mains. Reprens premierement ta Malaca, puis qu’elle a eſté autresfois tienne, & lors tu penſeras à ce qui n’a iamais eſté à toy, ie te fauoriſeray comme vaſſal & non comme frere, comme tu te qualifies. De ma grande & Royale Maiſon du riche Achem, le meſme iour de l’arriuée de ce tien Ambaſſadeur, que i’ay expedié incontinent ſans le vouloir dauantage voir ny ouïr, comme il te pourra dire lors que tu l’auras de retour chez toy.