Les Voyages de Milord Céton dans les sept Planettes/Cinquième Ciel/Chapitre V

La bibliothèque libre.

CHAPITRE V.

Des Mœurs des habitans du soleil.


Après avoir quitté notre théologien, Zachiel badina un peu Monime sur l’impatience qu’elle avoit marquée en écoutant les discours de ce prétendu savant. Je dois maintenant vous instruire, continua le génie, des mœurs, des usages & de la façon de penser de ceux qui habitent ce globe lumineux. Vous avez dû remarquer l’un & l’autre, à la forme de leurs corps diaphanes, qu’il est aisé d’appercevoir à travers leurs cerveaux ce qu’ils imaginent ou ce qu’ils pensent ; car il est certain que sans leurs habits on pourroit distinguer, au mouvement de leurs cœurs, les différentes passions qui les agitent : enfin on peut regarder tous les citoyens de ce monde comme de vrais squelettes vivans, dans lesquels il est aisé de distinguer les impressions que peuvent produire les passions dans le corps des humains ; c’est par cette raison qu’il leur est très-difficile de cacher leurs pensées, aussi n’en prennent-ils pas la peine.

C’est ici un monde qui n’est rempli que de savans ; jamais la dissimulation, la basse flatterie ni la politique n’y ont été connues ; ils pensent ce qu’ils disent, ils exécutent ce qu’ils promettent ; presque tous philosophes éclairés par la raison, l'examen de leur propre conduite est regardé chez eux comme leur premier devoir & leur principale occupation, du reste tout ce qui les environne ne sert qu’à leur délassement ; toujours attentifs à se perfectionner, à retrancher leurs desirs, à réprimer leurs passions, on ne les voit point tourmentés par la folle ambition d’augmenter leurs richesses.

Dans ce monde, les hommes n’ont aucune supériorité sur les femmes, à moins que la vertu, la science, le bon-sens & la raison ne la leur donnent. Il est certain qu’une femme peut également posséder tous ces dons, sur-tout lorsqu’elle reçoit la même éducation : celles-ci ont cet avantage, les mêmes sciences & les mêmes talens leur sont enseignés ; c’est par cette éducation qu’elles acquièrent la justesse du raisonnement dans les connoissances utiles & nécessaires ; dès leur naissance on les instruit à penser juste, à réfléchir & à parler raisonnablement de toutes choses ; on peut dire que ce n’est guère que dans ce monde où s’établit leur véritable triomphe, parce que le bon-sens, l’esprit & l’érudition brillent également dans toutes leurs expressions ; ce qui prouve que la vérité ressemble à la lumière, & qu’elle frappe tous les esprits attentifs à la chercher. La nature, toujours judicieuse & libérale à distribuer à chacun des humains une portion égale de ses dons, n’a point prétendu favoriser un sexe plus que l’autre. Je ne sais par quelle fatalité on interdit aux femmes dans les autres mondes les connoissances exactes & approfondies de toutes les sciences ; on ne peut jamais leur faire une injure plus marquée & dont les suites leur deviennent plus funestes ; car il est certain que ce n’est que l’ignorance dans laquelle on les élève, qui occasionne leurs foiblesses, leurs superstitions & tous leurs égaremens.

C’est une remarque que vous avez dû faire dans presque tous les mondes que nous venons de visiter. Vous n’ignorez pas que la plupart des jolies femmes passent presque toujours la moitié de la journée à leur toilette : là on les voit examiner, avec un soin recherché, le rapport que des ornemens étrangers peuvent avoir avec leur figure, & ne se déterminer à tel ou tel ponpon, qu’après l'examen le plus scrupuleux de l’effet qu’il doit produire sur leurs charmes ; que ne doit-on pas présumer du tems que les vieilles ou les laides y doivent employer, sur-tout lorsque les graces ne président point à leurs conseils.

Vous ne verrez pas non plus ici de ces femmes qui, d’un air simple & niais, écoutent les discours de nombre d’étourdis aussi légers que des papillons, qui ne daignent leur parler que dans la vue de les séduire par les fausses impressions qu’ils répandent dans leurs esprits. On ignore, ou l’on fait semblant d’ignorer dans plusieurs de ces mondes, l’utilité qu’on retireroit en donnant aux femmes une éducation convenable, qui procureroit à l’un & l’autre sexe leur bonheur & leur tranquillité. Ces réflexions qu’on doit être accoutumé à donner à mon génie, se présentent d’elles-mêmes sur la façon de penser & d’agir des habitans du soleil.

La plupart des philosophes de ce monde, continua le génie, loin de se prêter à l’ignorance de ces prétendus esprits forts, qui croient que le hasard, à la naissance des mondes, a balancé dans les vagues du firmament ces masses si énormes, ces globes de feu qui parcourent l’espace immense de ce grand univers ; que c’est le hasard qui les dirige dans leur course majestueuse & rapide ; que c’est le hasard qui fixe le cercle de leurs révolutions, & qui empêche que se heurtant ou s’entre-choquant les uns les autres, ils ne se réduisent eux-mêmes en parties élémentaires aussi imperceptibles que les arômes dont ils sont formés.

Ceux-ci au contraire regardent la nature comme une divinité superbe ; ils croient que c’est une force répandue par-tout ; qu’elle est essentielle à la matière ; qu’elle y tient par une espèce de sympathie qui lie tous les corps & les soutient dans l’équilibre ; qu’elle est une puissance qui, sans se décomposer elle-même, a le secret merveilleux de varier les êtres à l’infini ; qu’on doit enfin la regarder comme un principe d’ordre & de régularité qui produit éminemment tout ce qui se peut produire dans ce vaste univers.

Apprenez, mes chers enfans, dit Zachiel, que tout ce qui est dans la nature a besoin d’être nourri & substanté ; le plus grossier des élémens nourrit le plus subtil ; la terre nourrit la mer, & la terre jointe à la mer, nourrit l’air ; celui-ci, à son tour, sert de nourriture à ces feux éthérés, à commencer par la lune, dont les vapeurs exhalent aussi à leur tour, de son humide continent, la nourriture nécessaire aux astres qui sont plus élevés ; & le soleil qui départ à tous sa lumière ; reçoit à son tour, de ces astres un tribut d’humides exhalaisons, en s’abreuvant le soir des eaux de leur Océan. Il est bon que vous sachiez que l’air est un fluide huit cents fois plus léger que l’eau. Un homme soutient ordinairement une masse d’air de vingt-six milliers ; & sans la faculté élastique de ce milieu, un fardeau aussi énorme l’écraseroit dans l’instant. La pesanteur de l’air est une découverte qu’on doit à Toricelli, disciple du fameux Galilée. Paschal en a fait de fameuses expériences & l’a démontrée.

L’emblême dont ces savans se servent pour représenter la nature, est un cercle peint en bleu & tout parsemé de flammes, au milieu duquel est un serpent avec une tête d’épervier : les flammes, le serpent & la tête d’épervier représentent les attributs de la divinité, & le cercle la divinité elle-même : ils sont persuadés que la nature chérit également ses ouvrages, qu’elle partage également ses bienfaits entre les hommes & les animaux.