Les anciens couvents de Lyon/06.2. La Déserte

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Emmanuel Vitte (p. 118-127).

LA DÉSERTE


SI vous voulez bien vous reporter par la pensée au treizième siècle et reconstituer dans votre esprit la partie nord-ouest de notre ville, vous aurez une idée plus précise de la situation topographique de l’abbaye royale des Bénédictines de la Déserte. Le mur des fortifications est là tout auprès, vous connaissez les fossés et la porte de la Lanterne ; si vous voulez sortir de la ville, voici deux portes : celle de Saint-Vincent, au pied de la montée des Carmélites, à la hauteur de la rue Bouteille ; — si vous la franchissez, vous êtes in burgo, dans le bourg de Saint-Vincent, qui n’est plus de la ville ; — et celle de Saint-Marcel, vers la Grand’Côte, qui vous permettra d’aller dans le quartier qui va nous occuper, et qui s’appelait alors Deserta, la Déserte.

C’est qu’en effet cette portion du vieux Lugdunum, qui avait été, ainsi que nous donnent le droit de le conclure les découvertes faites dans l’ancien Jardin des Plantes, si peuplée et si animée pendant la période romaine, n’était plus qu’une vaste solitude, et la Déserte était bien son nom. Cependant l’Annuaire de 1840 dit que ce nom vient plutôt d’une famille de Désertâ, qui était antérieurement propriétaire de cet emplacement.

C’est là qu’en l’année 1296, Blanche de Chalon, fille de Jean de Chalon, duc de Bourgogne, et veuve de Guichard IV, sire de Beaujeu et de Belleville et connétable de France, acheta de Jean Malien, citoyen de Lyon, la maison située près du Portail-Neuf appelée la Déserte, plus une vigne au delà de la porte de Saint-Paul, de l’autre côté de la Saône. Puis elle fit bâtir l’abbaye et la dota. Huit ans après, en 1304, elle fait donation, par forme de fondation, aux abbesses et religieuses du couvent de la Déserte, des maisons et possessions qu’elle y avait, soit vignes, rentes, servis et droits qu’elle exerçait sur les maisons situées rue de l’Herberie et Écorchebœuf. La dame Blanche avait son domicile dans le couvent comme fondatrice. Elle fit venir de Brienne, couvent de Clarisses, situé près de la ville d’Anse (Rhône), Jeanne Dupuy, qui fut la première abbesse et qui fut accompagnée de trois autres religieuses ; elles s’installèrent pour « la Nostre-Dame d’Aoust » de cette même année 1304, et pour la Saint-Michel (fin septembre), quatre autres religieuses du même couvent de Brienne vinrent s’adjoindre à leurs compagnes. Tels furent les commencements de la Déserte.

Il y a aux archives de la préfecture un fonds de la Déserte assez volumineux, mais assez peu intéressant. J’en détache les quelques pièces suivantes :

Blanche de Chalon, veuve de Guichard de Beaujeu, épousa en secondes noces Béraud de Mercœur, en 1268, et en eut un fils… Béraud X de Mercœur, fils de ladite Blanche de Chalon, connétable de Champagne, ayant succédé à Béraud VIII, son aïeul, épousa, en 1295, Isabeau de Forets, fille de Guigue VI de Forets et de Jeanne de Montfort, et mourut sans enfant.

Il avait été nommé gardiateur de la ville de Lyon, en 1312, par Philippe le Bel, et avait acquis le tènement alors appelé La Varissonière, et à présent du Soleil, de Poncet ou Péronet Varisson, le jeudi avant la nativité de saint Jean-Baptiste (1316), par contrat reçu de Vergeys et de Mellonet, au prix de cinq cents livres tournois, où était (sic) contenues neuf pièces ou pies de vignes que plusieurs tenaient de lui en emphytéose, les servis, lods et milods seulement par moitié à Luy deux, l’autre moitié appartenant à la dame abbesse de Saint-Pierre, suivant leurs conventions et création du concours et indivision de 1309.

Ce Béraud X donna ou légua le tènement de la Varissonnière à l’abbaye de la Déserte, moyennant certaine somme, dont ladite abbaye, après sa mort sans enfant, fut empêchée de jouir par Jean II, son cousin, qui fut sire de Mercœur, fils de Jean Ier, comte de Joigny, et d’Agnès de Mercœur, sous prétexte que les biens dudit Béraud de Mercœur étaient substitués.

Cette propriété de la Varissonnière, voisine de la Déserte, arrondissait magnifiquement les possessions du couvent. Grâce à l’opposition de Jean de Joigny et d’Agnès de Mercœur, il ne put en jouir pour l’heure, mais plus tard il en eut la possession. Les anciens Lyonnais ont encore connu cette appellation : propriété du Soleil, cour du Soleil.

Je passe sous silence les innombrables papiers qui concernent certaines fondations de prières faites au couvent par les fidèles. Notons cependant la donation par Guillaume de Thurey, archevêque de Lyon (1364), de six florins de pension ou de rente, pour un anniversaire au jour de son obit.

En 1503, un changement survient au couvent de Notre-Dame de la Déserte, les religieuses quittent l’habit de Sainte-Claire et, avec l’autorisation de Jules II, passent sous la règle de Saint-Benoît. Quelle en fut la raison ? On ne la trouve pas, à moins qu’on accorde quelque valeur à ce prétexte donné par l’Almanach de Lyon de 1745 « parce qu’elles avaient quitté leur ancien vêtement et pris un habit noir dans le temps qu’elles furent hors de clôture, cela leur donna lieu de se mettre sous la règle de Saint-Benoît. » Ce serait bien puéril ou bien féminin. Ces mots nous indiquent du moins qu’elles furent un temps hors de clôture, soit par l’effet de la guerre, soit par l’effet d’une générale indifférence.

Mais cette transformation ne dut pas se faire bien franchement, car le P. Ménestrier nous raconte une anecdote qui fait peu d’honneur aux religieuses de la Déserte. L’archevêque de Rohan, que nous avons déjà vu s’intéresser à la réforme de l’abbaye de Saint-Pierre, voulut faire la visite du monastère. Ce simple vouloir nous autorise à penser que la plus parfaite régularité ne régnait pas à la Déserte. L’abbesse, dame Antoinette de Saint-Amour de Foncraine, et ses religieuses se dirent de l’ordre de Saint-François, et exemptes par conséquent de la juridiction de l’archevêque. Les religieux franciscains se présentèrent ; alors elles prétendirent être de l’ordre de Saint-Benoît, et sous la juridiction de l’ordinaire. L’archevêque les obligea de le reconnaître pour leur supérieur, et leur donna des règlements. Le P. Ménestrier place cet épisode en l’année 1511 ; c’est sans doute par erreur, car Antoinette de Saint-Amour de Foncraine ne fut abbesse qu’en 1521.

Les Cordeliers de l’Observance, qui déjà étaient établis du côté de Vaise, voulurent vers cette époque avoir un second couvent plus rapproché de la ville. Ils arrêtèrent leurs pensées sur le voisinage de la Déserte. Nos religieuses, ayant connu ce projet, s’empressèrent de demander au Consulat renfort et soutien « pour qu’elles ne fussent sujettes aux Cordeliers de l’Observance, qui voulaient avoir un second couvent près du monastère de la Déserte, et cela à bien mauvais desseins. » (Extrait des registres consulaires, 13 août 1511).

Les bandes calvinistes, en 1562, n’épargnèrent pas le monastère de la Déserte, qui fut saccagé et pillé. Il faut croire que le monastère eut de la peine à se relever, car nous trouvons une demande de secours adressée au roi Henri. Le roi Henri répond par lettres patentes datées de septembre 1578, par lesquelles il donne à l’abbesse la terre située entre le chemin neuf tirant à la porte neuve, ensemble la petite maison basse et vigne joignant ladite terre, dépendant du domaine de Sa Majesté, et ce, en récompense de cinq sols forts de servis, plus d’un bichet de blé, et deux sols forts aussi de cens et servis qui étaient dus à ladite abbesse sur les héritages enclos dans les fortifications de la citadelle : signé Henri. Nota que ladite terre et maison comprend la moitié de la rue descendant des Carmélites. Ce nota est précieux, puisqu’il nous indique les limites du couvent de ce côté.

Au commencement du dix-septième siècle, une jeune enfant de dix ans, Marguerite de Quibly, nièce de l’abbesse, Mme de Chaponay : entra dans la royale abbaye de la Déserte. Cette enfant, destinée à devenir une femme remarquable à tous égards, doit un instant arrêter notre attention.

Néry de Torvéon, marié à Catherine de Chaponay, tenait, par les alliances de sa maison, aux plus nobles familles de France. Il donna en mariage sa fille Sibylle à Zanobe de Quibly, jeune Florentin, arrivé depuis trois jours à Lyon. De ce mariage naquit Marguerite de Quibly, qui, à l’âge de dix ans, fut confiée à sa tante.

Il est touchant de voir cette enfant, dans un âge aussi tendre, s’efforcer de prévenir les années par le mérite de ses actions, travailler de tout son pouvoir à acquérir cette perfection chrétienne et religieuse, qui est l’ambition des grandes âmes. Elle fut coadjutrice à l’âge de dix-sept ans, et sept ans après, quand sa tante mourut, elle devint abbesse et garda le gouvernement de la Déserte pendant cinquante-huit ans.

Le monastère avait besoin d’une femme pareille, remplie d’énergie, d’activité et de sagesse. À ce moment (1617), les ressources du monastère avaient presque entièrement disparu ; les rentes, les fonds, les droits de l’abbaye étaient perdus ; le couvent n’était pas habitable ; l’église, les voûtes crevées, menaçait ruine. Au spirituel, une bulle d’Urbain VIII dit qu’il ne paraissait en rien que les religieuses de la Déserte eussent jamais vécu sous des règles approuvées dans l’Église, ni qu’il y régnât la vie commune, ni qu’on y eût gardé quelque espèce de clôture. Le vêtement que portaient ces dames ne les distinguait pas des personnes vivant dans le monde, on ne savait si elles étaient religieuses ou non, puisque leur manière de vivre tenait plus de la congrégation séculière que du monastère. Tout ce qu’elles avaient d’observances consistait à se trouver à l’église quand bon leur semblait, et sans y être séparées du peuple, puis à chanter ce qu’elles voulaient de l’office canonial. Quant au reste, elles avaient pleine et entière liberté pour les rapports du dedans et les relations du dehors.

Il y avait, comme on le voit, beaucoup à refaire. Les deux mesures les plus difficiles à prendre et à faire réussir étaient sans contredit la vie commune et la clôture. Mme de Quibly se mit à l’œuvre aussitôt : elle parvint à réunir autour d’elle toutes ses religieuses et sut leur inspirer une telle confiance que toutes signèrent l’établissement de la communauté : c’était le 6 août 1623. L’affaire de la clôture fut plus mouvementée, certaines religieuses opposèrent une vive résistance ; l’une d’elles même voulut se venger de l’abbesse et forma le dessein de la brûler toute vive ; cette infortunée se rendit par la suite à Genève, où elle fit, en plein consistoire, une double apostasie. Mais la clôture finit par être imposée ; dès lors la régularité conventuelle ne fut plus mise en question, et Mme de Quibly couronna toute cette œuvre de réformation en rédigeant un corps de Constitutions et un Directoire remplis de sagesse. Dans tout ce travail de rénovation, l’abbesse fut puissamment aidée parle P. Henri Alby, jésuite.

En même temps cette digne femme procéda à la restauration matérielle de la Déserte. En peu d’années, elle refit l’église, bâtit la maison de l’aumônier, les deux sacristies, les deux chœurs et tout le monastère ; établit la communauté et la pourvut de tout ; déterra heureusement la plupart des anciens titres de l’abbaye, rentra dans les biens qui avaient été usurpés pendant les troubles de la Réforme, en rétablit les droits, en répara les brèches, et parvint à y loger commodément quatre-vingts religieuses, qui étaient entretenues avec les rentes assurées de la maison. C’était une vraie résurrection.

Mme de Quibly fut honorée de la plus noble et de la plus sainte amitié, celle de saint François de Sales, le doux évêque de Genève, et ce fait seul, mieux que tout ce que je pourrais dire, doit donner une idée du mérite éminent de la jeune abbesse. Elle n’avait que vingt-neuf ans quand elle eut cette faveur, et saint François de Sales rencontra en elle de si rares dispositions pour tout ce que la grâce a de délicat et de fort qu’il se fit un bonheur de lui enseigner les mystères les plus cachés de la vie dévote. C’est à elle qu’il écrivit la dernière lettre qu’il écrivit en ce monde : c’est assez dire, comme c’était assez montrer, quelle place choisie il lui avait donnée dans son estime et sa sainte amitié.

L’influence de Mme de Quibly ne tarda pas à se faire sentir, même au dehors. Beaucoup de jeunes personnes des provinces voisines furent confiées aux religieuses ; bientôt les pensionnaires volontaires furent nombreuses.

Mais où cette influence se retrouve, c’est dans les fondations ou les réformes d’autres communautés, pour lesquelles furent réclamés ses services. Bientôt nous la retrouverons au prieuré de Blie, à Lyon. Plus tard, elle est demandée à l’abbaye des dames de Saint-Andoche, en Bourgogne. Le cardinal de Lyon s’oppose à son départ, mais le roi envoie des ordres formels, et elle part. Plus tard, Mme Louise de Polignac, baronne de Drugeanes de Saint-Martin, voulut fonder à Auzon, en Auvergne, une abbaye de filles, sous le titre de Notre-Dame des Bénédictions ; elle demanda l’abbesse de la Déserte, qui accéda à de si pieux désirs. Elle ne fit pas par elle-même d’autres fondations, mais elle envoya des religieuses de son monastère à Saint-André de Vienne, à Saint-Cézaire d’Arles, à Saint-Jean du Buix, près d’Aurillac, à Millau, et en plusieurs autres endroits, où ses conseils et sa direction étaient grandement appréciés.

La peste, aux diverses époques où elle parut, n’épargna pas la Déserte ; en 1628 et en 1629, Mme de Quibly occupa dignement sa place d’honneur, et se prodigua pour secourir celles de ses religieuses qui tombèrent malades. Le fléau croissant toujours, elle demanda à M. de Terreneuve, son beau-frère, une maison de campagne où elle les conduisit ; il n’en resta que cinq au monastère.

En 1628, un événement insolite, inattendu, subit, vint mettre de l’émoi parmi les religieuses : l’archevêque de Lyon, Mgr Charles de Miron, fut frappé d’apoplexie dans ce monastère de la Déserte, où il s’était rendu en visite.

Après un long gouvernement, Mme de Quibly mourut à l’âge de quatre-vingt-deux ans, le 12 juin 1675. Sa nièce, Marguerite de Quibly, lui succéda comme abbesse.

L’église possédait trois tableaux estimés de Dassier, la Bénédiction des pains, un Saint Benoît et une Sainte Scholastique. Elle avait des reliques de saint Paulin et de saint François de Sales. Le rapport de l’intendant Dugué nous apprend qu’en 1668, la Déserte comptait cinquante-six religieuses et quinze sœurs converses ; elle avait un revenu de 7-833 livres et ses dépenses montaient à 14.691 livres ; la différence provenait sans doute des sommes payées par les pensionnaires volontaires ; cependant, malgré tout, on se demande comment on peut subvenir à tant de besoins avec une moyenne de deux cents livres par tête.

Après Mme de Quibly, la Déserte continue sa vie régulière et monotone. Point d’incident marquant à signaler, nous tombons dans les infiniment petits, les conflits mesquins, les petites réclamations ; telle celle, que nous avons vue déjà, par laquelle l’abbesse exige que des ouvertures pratiquées par les Annonciades, et prenant jour sur la Déserte, fussent bouchées ; telle encore celle du curé de la paroisse à propos de sépulture ; l’abbesse prétendait que ses pensionnaires avaient de droit élection de sépulture dans le couvent ; le curé, s’appuyant sur les ordonnances de Mgr de Neuville de Villeroy, lui démontre respectueusement et fermement la fausseté de ces prétentions ; cette réclamation eut lieu vers 1720.

L’abbaye royale de la Déserte vécut jusqu’à la grande Révolution. Elle avait alors une quarantaine de religieuses, et l’abbesse, Alexandrine de Montjouvent, était la sœur du doyen des chanoines-comtes de Lyon. Lorsque liberté entière fut donnée aux religieuses d’abandonner leur retraite, une seule en profita et quitta le couvent. Bientôt l’abbaye fut supprimée.

Après la Révolution, le quartier de la Déserte fut transformé. Sur les fondations du cloître démoli on éleva des maisons, et de l’intérieur du cloître on fit une place. Cette place devrait logiquement s’appeler de la Déserte ; elle s’appelle place Sathonay et rappelle le souvenir de M. le comte Fay de Sathonay, qui fut maire de Lyon du 25 septembre 1805 jusqu’au 27 août 1812. L’ancien clos des religieuses eut une destination nouvelle : il devint l’ancien Jardin des Plantes, créé par un arrêté du représentant du peuple Poullain-Grandpré, en date de l’an V. Jean-Marie Morel, Lyonnais, le grand jardinier du prince de Conti et l’émule, disait-on, de Le Nôtre, dressa, en 1804, le plan des différents travaux qu’on y dut exécuter. C’est son souvenir qu’on a voulu conserver, en donnant son nom à la petite place, qui est dans le voisinage, en haut de la montée des Carmélites. L’impératrice Joséphine donna son nom à ce jardin. Mais il a cessé d’exister lorsqu’on établit un jardin botanique au parc de la Tête-d’Or. Aujourd’hui on a percé à travers le clos la rue du Jardin des Plantes, qui unit la rue Terme à la rue de l’Annonciade, et l’on a prolongé la rue du Commerce, qui autrefois aboutissait à la Grand’Côte, jusqu’à la montée des Carmélites ; le reste est devenu un square qui ne manque pas de grâce. Le petit bâtiment qui sert à loger la justice de paix et la mairie du premier arrondissement faisait partie de l’abbaye. L’autre maison symétrique n’a été construite qu’au moment où l’on ouvrit l’entrée du Jardin des Plantes.

À l’entrée du jardin, on avait placé le buste de l’abbé Rosier, qu’on a surnommé le Columelle français ; comme nous le retrouverons plus tard, je n’en parle pas ici. Mais ne quittons pas cette place sans donner un coup d’œil et un souvenir à Jacquart, ce Lyonnais de génie, qui n’eut guère que des persécutions à subir pendant sa vie et qui, après sa mort, n’obtint que peu de gloire. Il naquit à Lyon, en 1752, d’un père, ouvrier à la grande-tire, et d’une mère, liseuse de dessins. Lui-même connut, dès ses plus tendres années, les souffrances du tireur de lacs. Entre temps il inventa une machine pour confectionner des filets, ce qui lui valut la faveur de Carnot et du premier consul. En 1804, revenu de Paris à Lyon, il poursuivit son idée première. Il parvint enfin à monter un métier de sa façon, et la ville lui acheta son privilège moyennant une rente viagère de trois mille francs. Jacquart aurait pu s’enrichir, mais rien n’égalait son désintéressement. L’Angleterre lui fit les offres les plus avantageuses, il les repoussa avec fermeté. Il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur en 1819. Enfin, jouissant d’une aisance modeste, il se retira à Oullins, où il mourut le 7 août 1834, et où un tombeau, œuvre de M. Clair Tisseur, lui a été élevé. En 1840, Foyatier, l’auteur du remarquable Spartacus, fut chargé de reproduire les traits de Jacquart et de faire, pour la place Sathonay, une belle statue. Hélas ! Foyatier est resté au-dessous de lui-même, et la statue qu’il a donnée, lourde et sans caractère, n’est bonne qu’à être refondue. Mais le moyen, dites-moi, de faire un chef-d’œuvre de statuaire avec une redingote !

Au risque de terminer cet article en queue de poisson, j’ajoute encore un mot. N’avez-vous jamais vu, chez les débitants, des bouteilles ornées d’une étiquette où l’on peut lire ces mots : Arquebuse triple de la Déserte ? Vous n’avez peut-être pas bien su ce que signifiaient ces mots. Ils rappellent un souvenir de l’abbaye dont je viens de parler. Les religieuses avaient le secret d’une eau vulnéraire dont on disait des merveilles, et qui s’appelait arquebusade. Les dernières religieuses, échappées à la tourmente révolutionnaire, ont livré le secret de cette composition, en grande faveur auprès d’une certaine catégorie de Lyonnais : l’arquebuse vit encore, la Déserte n’est plus.

SOURCES :

Histoire de Lyon, par Clerjon.

Registres consulaires et Archives municipales..

Almanachs et Annuaires de Lyon, 1745, 1755, 1840.

Revue du Lyonnais, tome XIX, article de M. Collombet.

Voyage à la Croix-Rousse, par Paul Saint-Olive.

Oraison funèbre de Mme de Quibly, par le P. Polla, jésuite.

Statuts et Constitutions sur la Reigle du glorieux P. S. Benoît pour le monastère royal de Notre-Dame de la Déserte de Lyon. — Lyon, Vincent de Cœursilis.

Lyon monumental, de Monfalcon.

Éloge historique du monastère de la Déserte, par le P. Ménestrier.

Cochard, Description de Lyon.