Les anciens couvents de Lyon/16. Saint-Georges

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Emmanuel Vitte (p. 315-331).

COMMANDERIE DE SAINT-GEORGES



L’ORDRE religieux et militaire des chevaliers de Malte est l’un des plus intéressants à étudier. Son origine remonte Jusqu’aux croisades, et il a laissé dans l’histoire du monde catholique des pages bien glorieuses. À grands traits nous allons tracer l’historique et l’économie de cet ordre, avant d’aborder l’histoire locale de la Commanderie de Saint-Georges.

Des trafiquants italiens obtinrent vers 1040, du calife d’Égypte, Romensor de Mustapha, la permission de bâtir une église dans la ville de Jérusalem ; bientôt on y adjoignit un hôpital pour recevoir les hommes tant sains que malades, et l’on y fonda une chapelle en l’honneur de saint Jean-Baptiste. Gérard, natif de l’île de Martigue, en Provence, en eut le premier la direction. Après la première croisade, les libéralités de Godefroy de Bouillon, des princes et des seigneurs, ayant enrichi l’hôpital, Gérard jugea à propos, de concert avec les frères hospitaliers, de fonder une congrégation nouvelle, sous la protection et en l’honneur de saint Jean-Baptiste.

Raymond du Puy, natif du Dauphiné, succéda à Gérard, et le premier prit le titre de Maître. Si Gérard fut le fondateur de cet ordre nouveau, Raymond en fut l’organisateur. C’est lui qui donna une règle aux hospitaliers, les lia par les vœux de chasteté, de pauvreté, et d’obéissance, leur fit ajouter à ces trois vœux celui de recevoir, de traiter et de défendre les pèlerins, détermina le régime dévie, et ordonna que tous les frères porteraient une croix sur leurs habits et sur leurs manteaux. La règle de Raymond fut approuvée par Calixte II, en 1120, et par plusieurs souverains Pontifes.

Voyant que les revenus de l’hôpital de Jérusalem surpassaient de beaucoup ce qui était nécessaire pour l’entretien des pauvres et des malades, Raymond du Puy crut ne pouvoir mieux faire que d’employer le surplus à la guerre que l’on faisait en Terre-Sainte contre les Infidèles ; il s’offrit avec ses hospitaliers au roi de Jérusalem pour combattre les musulmans. Il partagea les hospitaliers en trois classes : la première fut celle des nobles, qu’il destina à la profession des armes pour la défense de la foi et pour la protection des pèlerins ; la seconde fut celle des prêtres ou chapelains, pour faire le service divin dans l’église conventuelle ; la troisième enfin fut celle des Frères-Servants, qui n’étaient pas nobles et qui furent aussi destinés à la profession des armes. Ces dispositions furent approuvées en 1130, par Innocent II, qui ordonna que ces chevaliers auraient pour étendard à la guerre une croix blanche pleine en champ de gueules.

Il serait trop long de signaler les étonnants faits d’armes des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem ; le calife d’Égypte, le roi de Damas, le sultan Nuradin essuyèrent de signalées défaites, et les princes chrétiens ne se lassaient pas de récompenser les héroïques exploits de leurs valeureux défenseurs. Mais on connaît l’histoire des Croisades ; l’heure des revers vint à sonner ; Saladin, calife d’Égypte, s’empara successivement de Jérusalem, de Saint-Jean d’Acre, d’Ascalôn ; Ptolémaïde fut la dernière ville qui resta aux chrétiens dans la Palestine. Tous les princes chrétiens s’y réfugièrent et beaucoup de divisions y prirent naissance. Le Soudan d’Égypte en profita, et, le 18 mai 1291, Ptolémaïde était emportée d’assaut ; le royaume de Jérusalem n’était plus.

Jean de Villiers était alors Grand-Maître de l’ordre ; il emmena ses Hospitaliers dans l’île de Chypre, où Henri de Lusignan voulut bien les accueillir. Ils restèrent là dix-huit ans, mais alors Foulques de Villaret, qui avait succédé à Jean de Villiers, jeta les yeux sur Rhodes et résolut de s’y établir. Rhodes relevait de l’empereur d’Orient, mais était occupée alors par les Sarrasins. Foulques de Villaret alla trouver à Constantinople l’empereur Andronique, qui lui accorda l’investiture de cette île pour lui et pour son ordre, dans le cas où il pourrait s’en rendre maître. Le 15 août 1309, l’île était au pouvoir des Chevaliers.

Rhodes fut le boulevard de la chrétienté, comme les Chevaliers furent les sentinelles avancées de la civilisation ; aussi cette île eut-elle à subir des sièges nombreux et terribles. Je ne cite que les deux plus célèbres, celui de 1480 par Mahomet II, Pierre d’Aubusson étant Grand-Maître de l’Ordre, et celui de 1522, le dernier, par Soliman, où l’héroïque valeur du Grand-Maître Villiers de l’Isle-Adam est restée légendaire. Le 24 décembre 1532, après deux cent treize années de possession, les Chevaliers se retiraient, et Rhodes retombait au pouvoir des Turcs[1].

Dans une revue aussi rapide, il est impossible de signaler tous les hauts faits des Chevaliers ; qu’il suffise de dire qu’ils furent mêlés à tous les grands événements politiques de ce temps-là, et que leur influence fut considérable. Ils étaient en tel honneur que les Chevaliers de Saint-Simon de Constantinople et de Corinthe s’unirent à eux et leur apportèrent leurs biens ; à l’abolition des Templiers, prononcée en 1312 par le concile de Vienne, tous les biens de cet ordre furent adjugés aux Chevaliers de Rhodes ; les rois et les papes s’accordaient à les entourer de leur haute protection et à les combler de bienfaits.

Après sept ans passés à Viterbe, Villiers de l’Isle-Adam obtint de Charles-Quint l’île de Malte, où il installa les Chevaliers. Le 26 octobre 1530, Soliman II voulut s’en emparer et vint l’assiéger. Le grand-maître Jean de la Valette-Parisot et ses chevaliers firent des prodiges de valeur, et les Turcs, après avoir tiré soixante-dix-huit mille coups de canon, furent obligés de se retirer. Le successeur de la Valette fut del Monte, et ce fut du temps de ce Grand-Maître que fut livrée la fameuse bataille de Lépante, où les Chevaliers de Malte se couvrirent de gloire. Ils continuèrent ainsi longtemps à guerroyer sans trêve ni repos contre les Infidèles.

Mais quand la Méditerranée, rendue plus sûre, fut purgée des corsaires dont les audacieuses expéditions avaient longtemps entravé les communications du commerce, Malte cessa de garder le rang à peu près unique qu’elle avait conquis. L’ordre des Chevaliers, se livrant à l’inaction, vit sa gloire décroître : sa discipline se relâcha, son autorité diminua, il n’offrit plus qu’un refuge aux cadets des grandes familles, qui préféraient à la carrière ecclésiastique la position demi-religieuse demi-militaire qu’ils y trouvaient. Aussi, lors de la dissolution, cet ordre n’était-il que le simulacre de ce qu’il avait été dans ses beaux jours.

L’ordre des Chevaliers de Malte vécut en France jusqu’en 1760, il disparut complètement en 1798, époque où Bonaparte, allant en Égypte fit la conquête de l’île et mit ainsi fin à l’existence politique de l’ordre, qui dès lors fut purement religieux. L’empereur de Russie, Paul Ier, qui s’était alors déclaré protecteur de l’ordre, en fut alors Grand-Maître, mais ce n’était là qu’une parodie ; l’ordre était anéanti dans son essence.

Enrichi, comme nous l’avons vu, par des bienfaits nombreux, l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem avait ouvert ses rangs à une foule de membres et s’était répandu dans l’Europe presque entière. Quant à son économie générale, nous allons essayer d’en donner une idée, tout en faisant connaître en même temps quelques-uns des mots du glossaire particulier à cet ordre.

L’ordre lui-même s’appelait la Religion : comme nous l’avons vu, il comprenait trois classes : les Chevaliers, les Chapelains, les Servants d’armes. Les aspirants s’appelaient donats ou demi-croix. Pour être reçu chevalier on était tenu de faire preuve de quatre quartiers de noblesse, tant du côté paternel que maternel, et de justifier que les bisaïeuls avaient été gentilshommes de nom et d’armes. À la tête de l’Ordre se trouvait le Grand-Maître, qui ne dépendait du Saint-Siège que pour les questions de dogme, et qui était nommé à l’élection, selon un mode particulier que nous signalerons plus bas. L’ordre était divisé en huit groupes, appelés Langues : langues de Provence, d’Auvergne, de France, d’Italie, d’Aragon, d’Allemagne, de Castille et d’Angleterre ; après le schisme d’Henri VIII, cette dernière langue devint celle de Bavière. À la tête de chacun de ces groupes se trouvait un chef de langue qu’on appelait Pilier ou Bailli conventuel. Chacun de ces premiers dignitaires avait un titre et des attributions spéciales. Le Pilier de Provence était Grand-Commandeur, celui d’Auvergne Grand-Maréchal, celui de France Grand-Hospitalier, celui d’Italie Grand-Amiral, celui d’Aragon Grand-Drapier ou Grand-Conservateur, celui d’Allemagne était le Grand-Bailli, celui de Castille prenait le titre et exerçait les fonctions de Grand-Chancelier ; celui d’Angleterre, et plus tard de Bavière, s’appelait Turcopolier ou Chef de la Cavalerie. Chaque langue se subdivisait en prieurés, les prieurés en bailliages, et les bailliages en commanderies.

L’hôtel de chaque langue s’appelait Auberge, et des règlements très sévères indiquaient la manière dont les Chevaliers s’y devaient comporter. Les commanderies étaient ou magistrales, ou de justice, ou de grâce. Les Commanderies magistrales étaient celles qui étaient annexées à la dignité de Grand-Maître ; il y en avait une dans chaque prieuré : dans la langue d’Auvergne, où il n’y avait qu’un prieuré, la Commanderie magistrale était celle de Salins. Les Commanderies de justice étaient celles qu’on obtenait par droit d’ancienneté ou par améliorissement. L’améliorissement consistait à obtenir une Commanderie d’un plus grand revenu que celle que l’on quittait et où l’on avait fait des réparations considérables. L’ancienneté se comptait du jour de la réception ; mais il fallait aussi, quand on aspirait à une Commanderie, réunir d’autres conditions : cinq années de résidence près du Grand-Maître de l’Ordre, et quatre caravanes. Ces caravanes étaient des voyages à la mer, que les Chevaliers devaient faire eux-mêmes. Les Commanderies de grâce étaient celles qui étaient données par le Grand-Maître ou par les Grands-Prieurs, en vertu d’un droit qui appartenait à leur dignité, et ils en donnaient Une de cinq en cinq ans à tel frère qu’il leur plaisait.

Un mot maintenant de l’élection du Grand-Maître. Le mode assez bizarre suivi pour cette élection solennelle montre combien l’ordre entier était jaloux de maintenir une égalité parfaite entre tous les religieux et d’écarter les intrigues que l’ingérence de quelques-uns et l’influence des princes étrangers auraient pu susciter. Trois jours s’étaient à peine écoulés depuis la mort d’un Grand-Maître qu’on procédait au choix de son successeur. On empêchait par cette rapidité les partis de se former. Toutes les langues se rassemblaient dans l’église de Saint-Jean, à l’exception de celle à laquelle appartenait le lieutenant du magistère qui devait provisoirement présider les séances. Chaque langue choisissait trois électeurs ; le premier vote donnait pour résultat la nomination de vingt-quatre élus auxquels était remis le droit de l’élection. Après avoir prêté serment entre les mains du lieutenant, ces vingt-quatre électeurs prenaient parmi eux un nouveau président et procédaient à la nomination du triumvirat, c’est-à-dire d’un chevalier, d’un prêtre chapelain et d’un frère servant, auxquels ils abandonnaient à leur tour le droit de voter. Les trois nouveaux élus prêtaient encore serment et en élisaient treize autres successivement par un vote particulier auquel prenait part le dernier élu. Réunis ainsi au nombre de seize, ce qui faisait deux représentants pour chaque langue, ils ballottaient entre eux définitivement un ou plusieurs candidats pour la dignité de Grand-Maître, et celui qui obtenait le plus grand nombre de suffrages était proclamé par le chevalier de l’élection, qui faisait ratifier la nomination à l’assemblée générale, en demandant à voix haute et trois fois de suite si les religieux étaient disposés à l’accepter. Après la proclamation, le nouveau Grand-Maître allait prendre place sous un dais, prêtait serment, faisait chanter un Te Deum, recevait l’obédience de tous les membres de l’ordre et se rendait solennellement à son palais.

J’aurais voulu donner une idée des imposantes cérémonies de la profession, mais il faut se borner ; je n’ajoute que quelques détails à propos du costume. Tous les chevaliers, de quelque rang, qualité ou dignité qu’ils fussent, étaient obligés après leur profession de porter sur leur manteau ou sur leur justaucorps, du côté gauche, la croix de toile blanche à huit pointes, qui était le véritable habit de l’ordre ; la croix d’or n’était qu’un ornement extérieur. Lorsque les chevaliers allaient combattre les infidèles, ou lorsqu’ils étaient en caravane, ils portaient sur leurs habits une casaque rouge en forme de dalmatique, ornée par-devant et par derrière d’une grande croix blanche pleine. À l’église, les chevaliers grand’croix avaient une grande robe noire, avec le grand cordon de l’ordre et l’épée au côté. Les Frères chapelains, allant par la ville, étaient vêtus comme les ecclésiastiques, à la différence près qu’ils portaient la croix de l’ordre sur leur soutane et sur leur manteau ; à l’église, ils avaient un rochet et un camail noir, où était aussi la croix de l’ordre ; ceux qui résidaient à Malte portaient le camail violet.

Il y a eu soixante-huit Grands-Maîtres de l’ordre, dont deux ont été cardinaux, Pierre d’Aubusson et Hugues de Loubeux de Verdale. Urbain VIII, en donnant le titre d’Éminence aux cardinaux, le donna aussi aux Grands-Maîtres de l’ordre de Saint-Jean de Jérusalem. Les résidents de cet ordre auprès des têtes couronnées prenaient la qualité d’ambassadeur, et celui qui était à Rome ajoutait à cette qualité celle de procureur général en cour de Rome.

N’oublions pas que ces ordres militaires, nés des besoins du temps, rendirent pendant plusieurs siècles d’immenses services à l’Europe, qu’ils protégèrent, et aux pauvres de J.-C. (pauperes Christi), dont ils se firent les serviteurs. Quand l’heure des combats avait sonné, ils sortaient l’épée du fourreau et combattaient sans reproche et sans peur ; quand la guerre était finie, ils se consacraient au soin des malades, recevaient les pèlerins, nourrissaient et élevaient les enfants exposés. Les chapitres généraux de l’ordre veillaient avec la plus grande sollicitude à ces divers services, et quand on étudie de près cette floraison religieuse, on ne peut qu’admirer l’Église si féconde et si riche dans sa prodigieuse variété.

chevalier de saint-jean de jérusalem faisant des caravanes

L’ordre militaire des chevaliers de Saint-Jean de Jérusalem s’était rapidement étendu ; il eut bientôt des possessions et des résidences dans tous les pays catholiques de l’Europe. Ce fut vers l’an 1209 que ces chevaliers vinrent s’établir à Lyon. Mais nous ignorons le lieu où ils se fixèrent d’abord.

Ces chevaliers, de concert avec ceux du Temple, eurent l’honneur d’être chargés de la garde du pape et du concile qui se tint à Lyon, pendant le séjour que fit le pape Innocent IV, au cloître de Saint-Just, depuis le mois de décembre 1244 jusqu’au 19 avril 1251. À la suppression des Templiers, arrivée, comme on le sait, au concile de Vienne en 1312, leurs biens, de par la haute autorité de Clément V et de Philippe le Bel, passèrent aux mains des chevaliers de Saint-Jean, qui ne les gardèrent que quelques années. Vers 1315, en suite d’un échange avec le duc de Savoie, les chevaliers de Malte se retirèrent et s’établirent à côté de l’église Saint-Georges.

chapelain de saint-jean de jérusalem

Le roi Childebert, ayant rapporté d’Espagne, en 547, des reliques de sainte Eulalie, les donna à l’évêque de Lyon, saint Sacerdos. Celui-ci fit construire trois ans après, sur la rive droite de la Saône et au pied du coteau de Saint-Just, un monastère de religieuses et une petite église qu’il dédia à sainte Eulalie, et dans laquelle il déposa les reliques de l’illustre martyre[2]. Cette église d’ailleurs devait servir aux besoins spirituels de la population qui s’était agglomérée depuis quelque temps au pied de la montagne de Fourvière. Ce saint évêque en fit aussi le baptistère des filles, comme l’église de Saint-Paul était celui des garçons. Près de deux siècles plus tard, en 732, ce monastère fut ruiné par les incursions des Sarrasins, dont Lyon bien des fois eut à souffrir ; Leydrade, archevêque de Lyon, releva l’église qu’il plaça, en 802, sous le patronage de saint Georges. C’est dans ce monastère à moitié détruit, et près de cette église reconstruite, que vinrent habiter les chevaliers de Malte. Aussi voyons-nous, en 1320, un Bertrand de Rocos porter le titre de commandeur de Saint-Georges et de Mure (Saint-Laurent-de-Mure).

Mais il est facile de comprendre que cette première habitation, à moitié ruinée depuis cinq ou six siècles, ne pouvait être un établissement bien commode ; on arriva à la transformer complètement. En 1492, le commandeur Humbert de Beauvoir fit restaurer l’église de Saint-Georges et construire l’hôtel de la Commanderie. Pour avoir une idée d’ensemble, disons un mot de l’église, du cimetière qui en était voisin, et de la commanderie elle-même.

L’église était petite et basse et n’avait rien de remarquable, si ce n’est une chapelle appartenant à la famille de Lange. Cette église possédait les tombeaux de Nicolas Ier et de Nicolas II de Lange et de leurs épouses d’Amanzé, de Bellièvre, et de Louise Grollier. Ce Nicolas II de Lange fit de grandes recherches sur les antiquités lyonnaises, et fonda dans la maison de l’Angélique, près de Fourvière, une académie de savants.

L’ancien cimetière de la paroisse de Saint-Georges joignait l’église au nord jusqu’à la naissance du chœur ; le mur qui l’entourait, après avoir longé les maisons au nord de la place, contournait pour venir se relier à l’angle de la façade de l’église. En 1822, on voyait encore, en face de la maison actuelle de la cure, un morceau de ce mur qui joignait l’église, ainsi qu’une porte d’entrée du cimetière. La place de Saint-Georges a été établie au commencement du dix-neuvième siècle sur l’emplacement de ce cimetière.

Vers 1750, le Frère Vincent Pallordet, prieur-curé de Saint-Georges, fit disposer, derrière le chœur de l’église, un autre cimetière et y fit placer ses armes avec les initiales de son nom FVP. Au fond de ce nouveau cimetière et sur les bords de la Saône, se trouvait le jardin ou la plate-forme de la maison curiale, et celle-ci le joignait au nord, en prenant de la rue du Sablet et la ruelle qui conduisait à la rivière. On voyait dans le cimetière de cette paroisse un monument que la piété filiale des frères Coignet avait fait élever en 1772.

la commanderie de saint-georges

Au midi de l’église de Saint-Georges était la Commanderie de Malte. C’était une grande maison qui avait ses pieds dans la Saône, qui était flanquée de deux grosses tours encore debout en 1860, et qui avait une poterne sur la rivière. Il y avait plusieurs cours intérieures.

Le P. Ménestrier nous a conservé dans ses notes manuscrites, et le P. Colonia l’a transcrite à son tour, l’inscription suivante qui fut gravée sur la porte du bâtiment de la Commanderie de Saint-Georges en lettres gothiques : « C’est l’entrée de la maison de Monsieur Saint Jean-Baptiste et du bon chevalier Monsieur Saint Georges, laquelle maison a été faite et accomplie par messire Humbert de Beauvoir, chevalier de l’ordre dudit Monsieur Saint Jean-Baptiste de Jérusalem et commandeur de céans. Faict le premier jour d’octobre 1498. » D’un côté de la Commanderie, il y avait une maison curiale, et de l’autre, l’hôtel de la Recette générale, où résidaient certains dignitaires, comme le Receveur et le Secrétaire.

Tout d’abord la Commanderie de Saint-Georges ne fut pas très importante, et elle relevait de la langue d’Auvergne, dont les grands-prieurs avaient leur résidence à Bourganeuf, sur les confins du Poitou et de la Marche. Dans la suite elle devint grand-bailliage de la religion et chef-lieu de la langue d’Auvergne, c’est-à-dire une des principales commanderies de France. Chaque année s’y tenait le Chapitre du grand-prieur d’Auvergne, et plusieurs grands-prieurs et grands dignitaires y eurent leur résidence. Quand elle eut ce rang distingué, elle fit rayonner son action autour d’elle. Elle avait un prieur-curé, prêtre conventuel de l’ordre, un vicaire et quatre chapelains. Elle avait aussi dans sa dépendance l’hôpital de Saint-Laurent-hors-les-murs depuis 1504, la chapelle de Saint-Roch-hors-les-murs depuis 1629, et le monastères des dames religieuses du Verbe-Incarné depuis 1655. Puisque l’occasion s’en présente, je ne résiste pas au désir de dire un mot sur ces divers lieux.

L’hôpital de Saint-Laurent était situé sur les bords du confluent du Rhône et de la Saône à l’occident. On l’appelait aussi la Quarantaine, soit parce qu’en entrant à Lyon, en temps de peste, on y passait quarante jours, soit parce que le cardinal Georges d’Amboise accorda, en 1504, aux Lyonnais l’usage du beurre et du lait pendant la sainte quarantaine du Carême, à la charge de contribuer aux réparations de cet hôpital.

La chapelle de Saint-Roch, hors des murs, était située sur la colline de Saint-Just. Elle avait été élevée après un vœu public fait en 1577, alors que la peste désolait la ville. Elle était très fréquentée ; les paroisses, les associations s’y rendaient en processions solennelles ; la royale compagnie des pénitents de Notre-Dame-du-Confalon y avait fait bâtir un autel.

L’ordre du Verbe-Incarné fut fondé en 1625 à Roanne, par Jeanne Chesard de Matel ; il fut transféré à Lyon en 1627. Cet ordre, après avoir subi l’infortune commune à l’époque de la Révolution, ressuscita à Lyon en 1832. Nous le retrouverons plus tard. Revenons à la Commanderie, que nous n’avons du reste pas quittée.

Non seulement son action rayonnait autour d’elle, mais elle s’étendait plus loin ; elle arriva à se trouver à la tête de plusieurs autres commanderies qui étaient appelées membres de Saint-Georges ; c’étaient celles de Vaux, dont dépendait Saint-Laurent-de-Mure ; Tirieu en Dauphiné ; Némitanay, près de Montluel ; Bessey et Violey, près la Tour-du-Pin ; Charvieux et Pommiers, dans l’Isère ; Monteriade, près de Crémieux ; Montchausson, entre Sainte-Consorce et Marcy, dans le Rhône.

Il nous reste des pièces par lesquelles il est facile de constater que les intérêts des chevaliers s’étendaient encore en d’autres localités. Ils en avaient à Venissieux et à Bron, mandement de Béchevelin. En 1543, des arbitres prononcent une sentence entre Antoine de Groslée, commandeur, et Étienne de Rivoire, prieur de la Platière, au sujet de la directe prétendue entre les dites parties, et il est conclu que, de la rue Neuve-Besson jusqu’à la recluserie de Saint-Sébastien, la directe appartiendra aux chevaliers de Saint-Georges. En 1672, les revenus de Lagneux furent saisis, faute de prestation « de foy et homage ». En 1708 est prononcée une sentence par laquelle le prévôt des marchands et les échevins de Lyon sont condamnés à payer au commandeur de Serrière vingt-cinq sols de pension[3].

Les Archives de Lyon contiennent, entre autres papiers intéressants, des liasses qui relatent les « améliorissements » de ladite Commanderie, de 1642 à 1780, par MM. de Montagnat, de Maisonseule, de la Poipe, de la Porte et de l’Estrange, ce sont des procès-verbaux de réparations et de transformations. Il y a aussi des liasses de visites, procès-verbaux des visites réglementaires auxquelles étaient assujetties les commanderies, et où chacun et chaque chose étaient scrupuleusement examinés ; les personnes, l’église, les autels, les saintes huiles, les cours, la maison presbytérale, la commanderie, etc…

La vénérable langue d’Auvergne eut l’honneur de voir élever neuf de ses membres à la première dignité de l’ordre, celle de Grand Maître. Parmi ces neuf, deux ont été grands baillis de Lyon : Guérin de Montaigu, grand maître en 1206, mort en 1230, et Annet de Clermont de Chattes Gersan, grand maître en 1660, mort la même année des suites des blessures qu’il reçut en combattant les infidèles.

Voici les noms de quelques commandeurs de Saint-Georges, je ne crois pas qu’une liste complète en ait jamais été dressée :

1206 Guérin de Montaigu. 1571 Annet de Téral.
1320 Bertrand de Rocos. 1582 De Montmorillon.
1330 Guillaume de Lastic. 1586 De La Porte.
1365 Audebert de Marinez. 1623 Pierre de Sacconay.
1369 Raymond de Villeneuve. 1648 De Fay de Gerlande.
1371 Raymond de Beauchâtel. 1654 De Montagnat.
1492 Humbert de Beauvoir. 1660 Annet de Clermont de Chattes-Gersan.
1516 Guillaume de Groin. 1674 De Maubourg.
1543 Antoine de Groslée.
1676 De Maisonseule. 1740 De Sales.
1689 De la Poipe-Serrière. 1746 De Latour-Maubourg.
1733 Henri de la Porte de l’Estrange. 1762 De Vathanges.
1769 De Châteauvert.

C’est ce dernier qui, bien qu’il habitât St-Cyr, avait le titre de commandeur lors de la grande Révolution. Mais, je l’ai déjà dit, cet ordre était à cette époque singulièrement dégénéré. Les membres militaires se dispersèrent, les membres ecclésiastiques ne tardèrent pas à être obligés de se cacher ; Benoît-Nizier Servier, prieur-curé de St-Georges, fut condamné à mort et exécuté, en 1793, comme contrerévolutionnaire. Le citoyen Fléchet, prêtre assermenté, lui succéda.

La nation devint propriétaire de la Commanderie, qui reçut alors de nombreux locataires. Ce n’est qu’en 1807 qu’elle fut vendue comme bien national. Voici le bref de vente qui nous donnera des détails sur l’ensemble, et nous permettra de nous en faire une idée plus exacte :

On fait savoir que le 9 février 1807, il sera procédé à la vente au plus offrant et dernier enchérisseur de la maison appelée la Commanderie de Saint-Georges, située à Lyon, rue Saint-Georges, dont la désignation suit :

« Cette maison, confinée d’orient par la rivière de Saône, de midi par la ruelle Mouton, d’occident par la rue Saint-Georges et de nord par l’église et le cimetière de Saint-Georges, est composée :

« 1° D’un corps de bâtiment à l’occident et au long de la rue Saint-Georges, composé de caves, d’un rez-de-chaussée, de deux étages et de greniers sous la pente du toit ;

« 2° Du même côté, et au midi des mêmes corps de bâtiments, est une petite cour, et à la suite de cette cour et au midi est un petit corps de bâtiment composé d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage :

« 3° D’un troisième corps de bâtiment, double en aile, tendant de l’orient à l’occident, composé de caves, d’un rez-de-chaussée, de deux étages et de greniers sous la pente du toit ; « 4° D’un autre corps de bâtiment à l’orient du précédent, tendant du midi au nord, composé d’un rez-de-chaussée, d’un premier étage et de greniers au-dessus.

a Cette maison comprend encore deux autres cours, l’une haute, l’autre basse ; ces deux cours sont situées à l’orient et à l’occident et au nord des bâtiments susdits. La cour basse est traversée par un pont en maçonnerie pour la communication de la grande cour au premier étage du corps de bâtiment à l’orient de ladite cour. Sous la culée du dit pont et au midi de la grande cour est une fontaine à eau de source, et sous la susdite cour sont des caves prenant leurs issues de chaque côté de ladite fontaine.

« L’on parvient à la cour basse et au rez-de-chaussée des bâtiments à l’orient par deux perrons placés de chaque côté dudit pont.

« Il dépend encore de cette maison un grand jardin dans lequel est un bassin à eau de source, prenant son origine dans la rue Saint-Georges par un cornet de plomb aboutissant aux susdits jardin et bassin ; ce jardin a quatre issues, dont une sur la ruelle Mouton. La superficie totale des bâtiments, cours et jardins dont il s’agit est de 2,999 mètres 22 c.

« Suivant une décision du ministère des finances du 24 germinal an XII, ne sont point compris les objets réputés meubles, glaces, statues, ornements, etc. ; sont également exceptés de la vente les meubles et effets meublants que les locataires réclameront et justifieront leur appartenir.

« L’acquéreur sera tenu de fermer à gros de mur la porte teinte de rouge, cotée A, qui communique à une espèce de tribune, cotée B, pour qu’il n’existe plus aucune communication entre le bâtiment de la Commanderie et cette partie déjà relâchée à l’église de Saint-Georges. »

Cette dernière phrase indique clairement que l’église avait déjà été rendue au culte. En effet, en 1803, elle était redevenue paroissiale. Vers 1806, M. Gourdiat, curé de Saint-Georges, acheta pour son église les boiseries qui ornaient la salle capitulaire de l’ancienne abbaye de l’Ile-Barbe.

Il ne se présenta personne pour faire la première mise à prix, ce n’est qu’à une seconde enchère que M. Layat, propriétaire, demeurant au coin de la rue de la Plume et de la rue Grenette, 69, s’en rendit acquéreur au prix de 58.100 fr. La Commanderie continua à être habitée par des locataires particuliers jusqu’en 1860, année où elle fut démolie pour faire la place qui porte son nom. Ce nom, une petite maison sur le quai, au nord de l’église, et que l’on croit être la maison presbytérale, deux beaux portraits que l’on voyait autrefois chez M. le curé de Saint-Georges, l’un du commandeur de Latour-Maubourg, l’autre de Claude Aubery de Vaton, Grand-Bailli de Lyon (1728), et chef d’escadre des armées navales, voilà tout ce qui reste de ce brillant passé, de ces chevaliers nobles et valeureux, qui savaient allier si bien la douceur et la force, la croix et l’épée.

L’ancienne église, sans caractère architectural, qu’avait fait élever Humbert de Beauvoir, est aujourd’hui remplacée par une jolie église gothique, dont M. Bossan a été l’architecte, et dont l’ancien curé, M. l’abbé Servant, qui a passé sa vie sacerdotale à Saint-Georges, est considéré comme l’insigne bienfaiteur.

SOURCES :

Le P. Hélyot.

Le P. Ménestrier.

Le P. Colonia.

Les Almanachs de Lyon.

Lyon ancien et moderne, II, par Collombet.

Archives municipales.

Montfalcon : Lyon monumental, V, église de Saint-Georges.




  1. Ici doit se placer un souvenir exclusivement lyonnais, et qui n’est pas sans gloire. Au dernier siège de Rhodes, c’est un Lyonnais, Antoine de Groslée, qui portait l’étendard de la religion : c’est lui qui fut envoyé en ambassade à Soliman par le Grand-Maître ; c’est lui qui, en 1535, conduisit la flotte contre Barberousse ; c’est lui enfin qui eut l’honneur d’être chargé, par tout l’ordre assemblé à Viterbe, de demander l’île de Malte à Charles-Quint.

    Autre souvenir lyonnais : Georges de Vauzelles, chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, commandeur de la Tourette, et Mécène des gens de lettres, amena à Lyon et fit élever Jacques de Vintimille, jeune Grec dé la famille des Lascaris. Ce Georges de Vauzelles meurt en 1557.

  2. Autrefois, la veille de la fête de sainte Eulalie, le clergé de la cathédrale se rendait chaque année processionnellement à Saint-Georges pour y dire les vêpres, et y retournait le lendemain pour chanter la grand’messe. Plus tard, cette procession eut lieu le dimanche avant Pâques, pour la bénédiction des Rameaux.
  3. Les chevaliers eurent plusieurs fois des débats très sérieux avec le Consulat, au sujet de la perception de certains droits auxquels ils prétendaient se soustraire. Aussi avaient-ils décidé, à une certaine époque, de n’admettre désormais dans leur ordre aucun noble né ou baptisé à Lyon. Pour éluder cette prescription, les grandes dames lyonnaises allaient faire leurs couches et faire baptiser leurs fils à la Guillotière.