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Les asiles d’aliénés de la province de Québec et leurs détracteurs/2

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LES DIATRIBES


À l’automne de 1884, plusieurs journaux commencèrent la guerre ouverte contre nos asiles d’aliénés, par la publication d’une espèce de factum, portant pour titre ou plutôt pour affiche, en gros caractères, les exclamations suivantes : — « The insane asylums — An English Medical Expert’s visit to Longue-Pointe and Beauport — A terrible indictment — The System pursued a Relic of the Middle Ages — The contract System denounced. »

L’auteur de ce document est un médecin anglais qui, hôte passager du pays, à titre de membre de l’Association du progrès des sciences, a oublié le soin de sa propre dignité jusqu’à se faire l’instrument d’une clique et jusqu’à se prêter au rôle de vulgaire insulteur de gazette. Ce médecin est un des rédacteurs du Journal of Mental Science, il est l’auteur de plusieurs ouvrages et notamment d’un livre intitulé "Chapters in the History of the insane in the British Isles," 1882. M. le Dr. Daniel Hack Tuke n’est pas le premier venu et ses écrits ne sont pas, d’ordinaire, sans valeur : il est connu en Angleterre et son nom est inscrit dans les catalogues ; mais le fait qu’il ne se trouve pas mentionné dans un livre qui passe pour contenir la biographie abrégée des célébrités britanniques — "Men of the time", bien que n’étant nullement une preuve d’insignifiance irait, cependant, à faire croire que ce monsieur n’est pas à tel point fameux que d’offrir une exception au proverbe — Nul n’est prophète en son pays —. Quoiqu’il en soit, il est évident qu’il a voulu se donner, en Canada, les allures d’un Prophet abroad. Attendu que ceux, dont M. le docteur Tuke a voulu caresser les haines, l’ont représenté comme un oracle, ils ne devront, ni lui, ni eux, s’étonner que ceux qu’il a froissés cherchent à connaître à qui ils ont affaire.

M. le Dr Tuke est un homme ordinaire ; son talent est celui du compilateur ; il lui arrive parfois de dire, de lui-même, de bonnes choses ; mais, en général, du moment qu’il lâche la remorque, il navigue à l’aventure et se heurte aux lieux communs et aux platitudes. Comme aliéniste, il a pris une ornière et il la suit. Il réussit quelquefois dans l’analyse, mais quand il essaye de la synthèse, oh ! alors il devient tout à fait amusant. C’est ainsi que, dans ses Chapters, la pièce de résistance de ses œuvres, voulant, à la page 457, donner un brillant exposé des conséquences des principes qu’il adopte, il dit :

"The treatment of the insane ought to be such that we should be able to regard the asylums of the land as one Temple of Health, in which the priests of Esculapius, rivalling the Egyptians and Greeks of old, are constantly ministering, and are sacrificing their time and talents on the altar of Psyche."

Il ne manque à tout cela que la description des habits sacerdotaux des sacrificateurs de Psyché ; car il est évident que la cravate blanche en étouffoir, l’habit noir à queue d’aronde, le pantalon collant et les escarpins de cuir verni breveté ne constitueraient pas un costume d’un goût assez classique, pour un sacerdoce imité des cultes d’Isis et d’Aphrodite, s’exerçant en présence d’élégantes congrégations de fous émancipés par la non-restraint.

Je parlerai plus loin de la théorie de la non-restraint, dépouillée de toutes fleurs de rhétorique et débarrassée des réminiscences mythologiques ; mais je ne puis m’empêcher de faire remarquer ici, que la doctrine de la non-restraint a ses dangers, même en matière d’écritures. Bref M. le docteur Tuke fait partie du commun des mortels ; ses meilleurs écrits accusent plus de travail que de génie et il a certainement plus de creux que de profondeur.

La gazette, dans laquelle je lis le prétendu rapport de M. le Dr Tuke, est du mois d’Octobre dernier ; je vois, par cet écrit, que les courtes visites qu’il a faites, une à l’asile de Beauport, l’autre à l’asile de la Longue-Pointe, datent du mois d’Août, je ne connais pas l’époque des visites qu’il paraît avoir faites à quelques-uns des asiles d’Ontario. La conclusion tirée par M. le Dr Tuke, de cet examen évidemment incomplet et insuffisant, c’est que les asiles de la Province de Québec sont des — relics of Barbarism — et que les asiles de la Province d’Ontario sont des — excellent institutions —.

Comme j’ai à m’inscrire en faux contre ce jugement, il convient de dire que j’ai été, pendant plusieurs années, inspecteur des asiles de Beauport, de Toronto, de Kingston (Rockwood) et d’Orillia ; que plus récemment, j’ai, en diverses occasions, visité en détail les asiles de Beauport et de Kingston, et que j’ai visité ceux de Toronto, de Saint-Jean, d’Halifax et de la Longue-Pointe. J’ai pris connaissance des rapports des médecins, des administrateurs et des inspecteurs de tous nos asiles canadiens : j’ai donc pu et dû acquérir une connaissance assez intime de l’état des choses et je le déclare, avec sincérité et confiance, les asiles de Beauport et de la Longue-Pointe, à tout prendre et en somme, ne le cèdent à aucun des autres ; tous sont des établissements qui font honneur au Canada ; aucun d’eux n’est parfait ; on peut trouver bien ou mal certaines dispositions, certaines manières d’être selon les idées qu’on entretient, qui dans une de ces institutions, qui dans l’autre. Le contraste en bloc que veut établir M. le Dr Tuke et le langage dont il se sert, ne constituent pas le rapport d’une enquête ; ce n’est pas même l’appréciation d’un homme raisonnable et qui se respecte, c’est une diatribe et une sotte méchanceté.

Nos deux asiles de la Province de Québec je le répète, peuvent subir l’examen et la comparaison. Comme sites, Beauport est sans rival et Saint-Jean-de-Dieu a peu d’égaux ; les édifices, d’aspect et d’ampleur, comptent parmi ceux des institutions de première classe ; les terrains et les parterres de Beauport sont superbes et ceux de la Longue-Pointe, plus récemment travaillés, sont déjà très beaux ; les divisions intérieures, le chauffage, l’éclairage, la ventilation sont dans des conditions ou d’excellence ou de bonne moyenne ; la nourriture est saine et abondante ; l’habillement et la literie des aliénés, dont la grande majorité, comme ailleurs, appartient à la classe pauvre, sont très convenables, avec les différences qui partout distinguent les catégories des fous propres et tranquilles, des fous malpropres et gâteux et des fous temporairement violents et destructeurs ; les soins domestiques et la discipline sont doux et marqués au coin de la charité et du respect pour la souffrance et le malheur, sans tomber dans les lubies et les faux dehors des rêves et des utopies ; le traitement moral et physique y est ce qu’il est partout ailleurs en somme. Ces deux asiles ont des médecins ordinaires et des médecins visiteurs ; ils sont régulièrement inspectés par des fonctionnaires nommés par le gouvernement ; on s’efforce d’améliorer, avec le temps et selon les moyens fournis : — quelquefois aussi, on opère des changements, pour obéir aux fantaisies qui ont cours, et ces changements ne sont pas toujours des améliorations, cela s’applique à Ontario comme à Québec. On ne sacrifie point à Psyché, ni à aucune autre divinité fantastique dans ces asiles, on se contente d’être chrétiens, c’est pourquoi on se préoccupe de l’âme des malheureux comme de leurs corps ; des prêtres et des ministres y prennent soin de ceux qui leur appartiennent, chacun à sa manière et selon sa croyance. La tranquillité comparative des aliénés de ces deux asiles est remarquable : on y a eu, comme ailleurs, des accidents à enregistrer, mais ils y sont rares ; la santé des aliénés y est relativement bonne, et les cas de guérisons aussi nombreux que dans Ontario. En tenant compte du fait que, dans ces deux institutions, on admet indistinctement, avec raison selon moi, les cas d’idiotisme, d’imbécillité, de démence comme les cas de folie aigüe, les incurables comme les cas réputés curables, la statistique y accuse un état de choses très favorable. En disant cela, je tiens cependant, comme homme du métier, à faire mes réserves ; car je sais tout ce qu’ont de fallacieux, partout, ces données statistiques, dans lesquelles on ne peut pas tenir compte des mille et une circonstances qu’il importerait essentiellement de connaître, pour asseoir une opinion raisonnée : en cela M. le Dr Tuke paraît être de l’avis de tout le monde, car dans une note, au bas de la page 91 de ses Chapters, parlant de St Luke d’Angleterre il dit :

"Statistics of recovery are given for different periods, but the fallacies attending such comparisons are so great that I have not cited the figures."

Tout ce qui précède satisfait M. le Dr Tuke dans Ontario, mais lui paraît insuffisant dans Québec : la raison de ces deux poids et de ces deux mesures est évidente.

Je viens de parler du système qui consiste à recevoir toutes les classes d’aliénés dans des établissements communs à toutes. C’est une question controversée, comme bien d’autres, sur laquelle chacun peut avoir ses opinions : après des années d’étude et de réflexion, j’en arrive, sur le sujet, à la même conclusion que j’exprimais quand j’étais Inspecteur, dans mon rapport particulier de 1862 ; je cite la version anglaise :

"I do not deny that some advantages, as well as inconveniences, might result from a classification of the asylums of the country, provided always that poor should be suitably lodged and clothed, and treated in other respects like the rich.

"The only system praticable in Canada, in my opinion is that which makes a lunatic asylum both a hospital for the cure of such as are curable, and a retreat for the incurable, — in which the unfortunates of all classes, poor as well as rich, may find a suitable refuge, in which luxury and pomps may have no place, but in which if need be, a compartment may be devoted to the accomodation of the insane members of wealthy families who ought, in each case, to be required to pay a fee sufficient to cover all expenses on a liberal scale."

Nos asiles canadiens se rangent tous entre les deux classes d’asiles étrangers, dont l’une se distingue par un luxe d’ameublement et d’entretien dont les avantages sont discutables, et l’autre se compose des asiles pauvres et trop réduits, d’un genre voisin du genre alms houses et work houses. La question du luxe dans l’ameublement, de la délicatesse dans la nourriture et dans l’habillement, d’un surplus dans le service, est purement et simplement une question d’argent. Que les familles riches fassent ce qui leur semble raisonnable pour leurs aliénés ou qu’elles exagèrent les dépenses, sans profit pour le malade, souvent à son détriment, c’est leur affaire ; mais de la part de l’État ce serait un acte de mauvaise administration que d’augmenter inutilement les dépenses, pour le puéril motif de faire de l’ostentation et du pharisaïsme, ou pour le plaisir ridicule de caresser les fantaisies d’utopistes et de rêveurs.

J’ai vu, dans un asile étranger, un aliéné très riche dont la famille prodiguait pour son chef tout ce que le luxe peut imaginer de séduisant. Ce malheureux avait des appartements dont les murs étaient couverts de tableaux, une table et un service particuliers lui étaient affectés : il contemplait tout cela avec un œil d’imbécile satisfaction, avec une contenance d’idiote vanité et de calme complaisant, qui faisaient mal à voir. Mon impression fut que toute cette exhibition avait eu la plus déplorable influence sur la maladie, devenue alors évidemment incurable, et je crus comprendre que c’était aussi l’avis des autorités de l’institution : on avait, à force de satisfactions, produit chez le malade une tranquillité dégénérée en torpeur ; tant les apparences trompent en pareille matière.

Je ne suivrai pas le diffamateur de nos deux grandes institutions, à travers le long réquisitoire que, évidemment, il a préparé à l’instigation d’ennemis de ces deux asiles et d’adversaires passionnés des administrations qui les dirigent, il suffira d’un assez rapide examen de quelques parties de cette production, pour en démontrer la non valeur et la futilité, pour faire ressortir l’animus qui a présidé à sa confection.

M. le Dr Tuke commence par l’asile de Saint-Jean-de-Dieu, à la Longue-Pointe. Il constate que cet asile a des édifices imposants, « a prominent object from the St Lawrence in approaching Montreal, » il a trouvé les sœurs de la Providence polies et il remercie le médecin visiteur de sa complaisance : il déclare que la pharmacie, qu’il nomme apothecaire (sic), est un modèle de propreté : il a trouvé tout assez bien dans les parties de l’établissement affectées au service général, au logement des aliénés de la classe des malades privés et de la classe pauvre des fous propres et tranquilles ; mais ce recul n’est fait que pour mieux sauter, et la détraction ne tarde pas à prendre la place des éloges mérités, pour se répandre même sur des sujets étrangers à la question du mérite intrinsèque des asiles, qui a servi de prétexte à ce factum. M. le Dr Tuke critique jusqu’à un livre, dont les Sœurs de la Providence se servent dans l’exécution de leurs devoirs de gardes-malades, on lit ce qui suit dans le second paragraphe de son mémoire :

« The nuns have themselves published a pharmaceutical and medical work, a large volume, entitled Traité élémentaire de Matière Médicale et Guide Pratique, a copy of which the worthy Mother superior was good enough to present to me. I was somewhat desappointed to find, on examining its pages that only one was devoted to mental alienation, of which nine lines suffice for the treatment of the disorder. Among the moral remedies, I regret to see that “punitions” are enumerated ; their nature is not specified. »

M. le Dr Tuke s’est imaginé bien à tort ou, ce qui serait plus mal, a voulu gratuitement insinuer que ce livre des Sœurs de la Providence a été composé et publié pour le service spécial des aliénés, afin d’avoir l’occasion de s’étonner de n’y rencontrer qu’une page dédiée à la folie : or le fait est que ce volume a été publié plusieurs années avant qu’il fût question de l’asile de Saint-Jean-de-Dieu ; le livre a été imprimé en 1870, tandis que les commencements de l’asile ne datent que de 1876. Cet ouvrage, fort utile, est une pharmacopée, accompagnée de notions élémentaires sur les diverses maladies ; chaque affection n’y occupe, naturellement, que peu d’espace, mais chaque chose est à sa place et va droit au but proposé, qui est clairement et modestement défini dans l’Introduction où se lisent les lignes suivantes : — « Ce que nous nous proposons par la publication de ce livre, c’est de mettre la Sœur de Charité en état de remplir, d’une manière plus parfaite, le but qu’elle s’est proposé en se consacrant à Dieu, » et plus loin : — « de se mettre au fait de ce qui lui est nécessaire de savoir, pour seconder avec intelligence les efforts des médecins, ou en leur absence donner elle-même, dans les cas urgents, les premiers soins aux malades. »

Certes, les nobles et saintes femmes qui portent en elles la consécration opérée par le dévouement, poussé jusqu’à l’immolation de tout le moi humain, les femmes instruites qui ont tracé ces belles lignes, les femmes modestes qui se donnent, devant Dieu et devant les hommes, pour rôle, d’être servantes des malades sous la direction des médecins, peuvent regarder de haut leurs détracteurs et pardonner facilement d’ineptes sarcasmes, impuissants à les atteindre. Le Guide Pratique ne contient qu’une page spécialement consacrée à l’aliénation mentale, c’est autant que beaucoup de manuels et de dictionnaires abrégés célèbres ; et si quelqu’un était réduit à ne pouvoir consulter, sur cette affection, que le livre des Sœurs de la Providence ou les Chapters de M. le Dr Daniel Hack Tuke, M. D. F. R. C. P., il ferait bien de choisir, de préférence, le livre des Sœurs. M. le Dr Tuke pourrait dire, sans doute, que son ouvrage n’est pas un traité sur l’aliénation mentale, mais une histoire des asiles d’aliénés d’Angleterre ; ce à quoi on peut lui répondre que le volume des Sœurs de la Providence est une pharmacopée-guide, et non pas un ouvrage sur la folie.

Le livre des Sœurs, à la page 947, dont il est ici question, dit à propos du traitement de la folie : — « Le traitement moral consiste à appliquer l’art de l’éducation à la folie par le moyen de l’obéissance, du travail, de la ponctualité, des distractions, des punitions et des récompenses, de la confiance, du changement de lieu, de l’affermissement du principe moral et religieux, en prenant en considération le caractère individuel du malade et l’espèce de folie. »

Il serait difficile de dire plus et de dire mieux en si peu de mots, sur le traitement moral de l’aliénation mentale. La rage de critiquer les religieuses et les besoins d’une mauvaise thèse ont aveuglé M. le Dr Tuke, jusqu’à le pousser à se mettre, à propos de ce passage, dans le cas d’être convaincu ou d’ignorance ou d’insigne mauvaise foi. En effet, quand il dit : — « Among the moral remedies, I regret to see that “punitions” are enumerated » — M. le Dr Tuke fait exhibition d’une ignorance déplorable, si son regret est sincère ; si ce regret n’est pas sincère, alors il fait exhibition d’une odieuse mauvaise foi ; car les punitions comme les récompenses font bien certainement partie du traitement de la folie et de la discipline des aliénés : je ne crois pas qu’un seul aliéniste, de quelque valeur, voulut nier cette vérité, qui est élémentaire, découlant, comme de source, de la nature des choses. La récompense a pour notion antithétique obligée, nécessaire, la punition. L’idée de mérite comporte la possibilité du démérite, il en est de même de l’idée de bonne ou de mauvaise conduite, soit qu’il s’agisse de l’être moralement responsable gouverné par la loi, soit qu’il s’agisse de l’être seulement sensitif gouverné par l’instinct. Il est de vérité primordiale qu’une différence d’être vis-à-vis du monde extérieur, dans le gouvernement des hommes et même des bêtes, comporte une différence de traitement, qu’on appelle selon le cas louange, encouragement, récompense ou contrainte, répulsion, châtiment : il faut prévenir les mauvais résultats d’actes dommageables aux personnes ou aux choses, il faut conjurer le retour de ces actes, quand on n’a pu les empêcher complètement de se produire, et il faut en châtier les auteurs pour leur éducation et pour l’exemple : les aliénés n’échappent point à cette loi qui s’applique à tous les êtres sensibles.

Il suffit d’un raisonnement de ce genre, à quiconque adopte pour méthode l’étude des choses selon leur nature ; mais comme il y a des gens pour qui l’autorité des noms l’emporte sur la philosophie — qui fait plus ou moins défaut — je vais citer les remarques de deux aliénistes de renom sur le sujet. M. le Dr Gale, du Kentucky, dans son intéressant rapport de 1882, a un chapitre intitulé : — « Restraint and Punishments » au troisième paragraphe duquel on lit : — « Punishments are sometimes as essentially necessary as remedial agents for the purpose of control in individual cases, and for the maintenance of discipline. »

Le Dr T. S. Bell, dans la revue qu’il a fait des procédés de l’enquête sur la conduite des officiers de l’Anchorage asylum, cite à propos des questions d’internement et des châtiments des aliénés, le cas de l’aliéné Théodore Glay, le fils ainé du célèbre Henry Glay : le Dr Bell parlant, dans un sens approbatif, du traitement de ce malade d’illustre lignée, dit : — « I may say here, that while Theodore Glay was generally quiet and harmless, he would have occasional outbreaks, for which he was punished when the institution was under the management of some of the most devoted friends that his father ever possessed. »

En un mot, la logique et l’expérience des maîtres sont d’accord, pour proclamer les punitions nécessaires en certains cas, et les Sœurs de la Providence ont scientifiquement raison contre M. le Dr Tuke, sur cette question. Ce dernier, croyant sans doute avoir bon marché de modestes Sœurs de Charité, n’a pas mis fin à ses quolibets avec sa malencontreuse critique d’un excellent livre, il dit encore : — « Two skeletons in the apothecaire (sic) were shown to us by Ste Thérèse, as being much valued subjects of anatomical study for the nuns, who would, it is not unlikely, consider their knowledge of the medical art sufficient for the needs of the patients. »

Sœur Thérèse et ses compagnes ont parfaitement raison de considérer le squelette comme un objet de grande valeur dans l’étude de l’anatomie, et M. le Dr Tuke a complètement tort de faire des insinuations que rien ne justifie, pour le plaisir de satisfaire de misérables préjugés, avec l’intention évidente de capter une popularité de mauvais aloi.

Voici la conclusion que M. le Dr Tuke donne à la première partie de son réquisitoire :

— « That such establishment should be conducted by nuns must seem remarkable to those who are unacquainted with the large part taken by Sisters of Charity in the management of hospitals in countries where the influence of the Roman Catholic Church extends. Theoretically, it would seem to be an admirable system, and to afford, in this way a wide field for the employment of women in occupations congenial to their nature, and calculated to confer great advantages upon the sick, whether in mind or body. That women have an important role in this field will not be denied ; but experience proves only too surely that to entrust those of a religious order with administrative power is a practical mistake, and leads to abuses which ultimately necessitate the intervention of the civil power. »

Voici le chat à moitié sorti du sac, tout en se croyant encore caché. Si M. le Dr Tuke était venu nous dire : — Je déteste l’Église Catholique, je suis hostile à tout ce qui s’y rattache, je ne puis souffrir les religieuses, quelque bien qu’elles fassent, on pourrait au moins lui reconnaître de la sincérité, à défaut de justice ; mais de venir essayer de faire mentir l’expérience, de nous donner des avis ridicules sur des choses que nous connaissons cent fois mieux que lui, c’est un peu trop fort.

Nous avons en Canada, dans toutes les provinces, mais surtout dans la province de Québec, l’expérience séculaire de l’admirable aptitude qu’ont les ordres religieux pour administrer les établissements publics, de quelque genre qu’ils soient, et notamment les institutions de bienfaisance et de charité ; c’est un fait reconnu de tous ceux qui possèdent leur âme en paix et leur intelligence en santé. Il en est de même dans tous les pays ; c’est ainsi qu’en France en ce moment, les médecins les plus éminents, même des médecins incrédules et hostiles aux idées religieuses, s’opposent de toutes leurs forces, à la laïcisation des hôpitaux et des hospices entreprise par un gouvernement inepte et persécuteur. Récemment on a vu en France les médecins d’un écrivain libre-penseur, à propos d’une affection de difficile guérison, exiger de lui de s’aller mettre en pension dans une institution religieuse pour la seule raison que, nulle part ailleurs, ces médecins ne trouvaient des garanties égales, pour le succès de leur traitement.

Un des asiles d’aliénés les plus célèbres des États-Unis, le Mount Hope Retreat de Baltimore, est possédé et, naturellement, administré exclusivement par des religieuses, les Sœurs de Saint-Joseph. La population aliénée de cet asile est d’au moins cinq cents ; sur ce chiffre, il y a environ deux cents malades privés, dont plusieurs appartiennent à la classe des familles les plus marquantes, tant protestantes que catholiques. Bien qu’il y ait d’autres asiles, la ville et le comté de Baltimore pensionnent chez les Sœurs plus de deux cents aliénés maintenus par les municipalités ; les autres malades, pris dans les familles pauvres ou soustraits aux « Alms Houses, » sont soutenus, en tout ou en partie, par les sœurs, à même les profits réalisés sur les malades privés et sur les malades dont la pension est payée par le trésor public. C’est en face de pareils faits, qui sont de tous les temps et de toutes les contrées, que M. le Dr Tuke ose affirmer que l’expérience vient contredire le raisonnement, qu’il admet à priori, être favorable aux administrations des communautés de femmes.

Après avoir constaté la belle apparence de l’intérieur de l’asile de Saint-Jean-de-Dieu au premier étage il ajoute : — « It is as we ascend the building that the character of the accomodation changes for the worst, the higher the ward, the more unmanageable is the patient supposed to be, the galleries and rooms become more and more crowded and the look bare and comfortless. The patients were for the most part sitting listlessly on forms by the wall of the corridor, while others were pacing the open gallery, which must afford an acceptable escape from the dull monotony of the corridor. The outlook is upon similar galleries in the quadrangle at the back of the building, and to a visitor, the sight of four tiers of palissaded verandahs, with a number of patients walking up and down the enclosed space, has a strange effect. These outside galleries are, indeed, the airing courts of the asylum. There are no others. If the patients are allowed to descend, and to go out on the estate, they do so in regular order for a stated time, in charge of their attendants, like a procession of charity school children. Those who work on the farms must be the happiest in the establishment. »

J’ai tenu à faire cette longue citation, comme spécimen de l’espèce de critique de M. le Dr Tuke, sur les asiles de la Province de Québec. La naïveté le dispute ici au mauvais vouloir ; il faut que l’english expert ait énormément compté sur la bonne volonté de son public, pour parler avec un pareil abandon de toutes précautions oratoires ou autres.

Le perspicace M. le Dr Tuke a découvert, à la Longue-Pointe, qu’à mesure que l’on passe, de la classe des fous propres, tranquilles, et amenables à un traitement curatif, aux classes des fous incurables, malpropres, turbulents, gâcheux, furieux et dangereux les choses deviennent de moins en moins aimables ; il a découvert cela dans les asiles de la province de Québec, mais il semble n’avoir point vu qu’il en est précisément de même, dans les asiles d’Ontario et partout ailleurs. S’il eut seulement interrogé ses souvenirs, ouvert les yeux, réfléchi un instant, ou bien consulté les rapports des asiles, cette vérité de M. de la Palice eut brillé pour lui, et il se fut épargné cette naïveté tout à fait incroyable.

Dans les comptes-rendus d’Ontario par exemple, il eut vu que l’Inspecteur dans son rapport de 1881, parlant de l’asile de Toronto dit : — « The females where all well and neatly clad, except in the Refractory Ward where such a state of things cannot be carried out. » M. le Dr Tuke aurait dû comprendre et, comprenant, aurait dû avoir l’honnêteté d’admettre que ce qui « ne peut pas se faire dans les excellent institutions » d’Ontario, est également impossible dans ce qu’il nomme élégamment, en un certain endroit de sa diatribe, « the human menagerie » de la Province de Québec.

M. le Dr Tuke a trouvé les aliénés ou bien debout et marchant, ou bien assis, c’était pendant le jour ; s’il les eut vu de nuit, ils auraient été couchés ; il eut pu encore les voir à genoux dans la chapelle aux temps des prières, ou dansant au son de la musique pendant certaines récréations ; et je ne vois vraiment pas quelles autres postures M. le Dr Tuke aurait voulu leur voir prendre, pour s’en déclarer satisfait : lui-même doit être debout ou en marche, quand il n’est pas assis ou couché ; j’ignore s’il s’agenouille et s’il danse. Véritablement, on a peine à croire qu’un homme, si plein de prétentions, puisse se laisser choir à publier des critiques, aussi naïves et aussi sottes que celles qu’il a signées de son nom dans les gazettes ; pour sa propre réputation, il aurait mieux fait de signer « Justice » comme le correspondant du « Commercial Advertiser » de 1861.

M. le Dr Tuke a trouvé étrange les balcons grillés de l’asile de la Longue Pointe. — « The sight of four tiers of palissaded verandahs with a number of patients walking up and down the enclosed space, has a strange effect, » dit-il. Sa surprise, à la vue d’un spectacle aussi nouveau et aussi ridicule pour lui, aurait été probablement bien tempérée, si la manière dont il a inspecté les asiles canadiens ne l’eut point aveuglé, au point de ne pas remarquer qu’une disposition précisément semblable existe à l’asile de Toronto. Pour le bénéfice et l’instruction de M. le Dr Daniel Hack Tuke, et pour l’édification de ceux qui le prennent pour un prophète ou un oracle, je me permettrai de citer l’opinion de M. le Dr Clark, surintendant médical de l’asile de Toronto sur ces « palissaded verandahs ; » cette opinion se trouve exprimée dans le rapport de l’année 1878 (Sessional Papers of Ontario 1879, No 8, page 257) : — « The verandahs, dit le Dr Clark, will need to be removed. The joisting has become rotten and in many of them, as a consequence the floor have sunk. In the main building they are becoming dangerous to use. It is needless to expatiate on their superiority over airing pens into which patients are promiscuously turned in fine weather to broil in the sun and roll around on the earth. In rain and sunshine, in winter and summer the verandahs are used more or less. The drawback to them is that on account of their elevation, noisy patients air their eloquence to freely to the discomfort of the sane neighbours. We have a pre-emption right, however, and if the public will locate in our vicinity, they must be content to hear the vigorous language of our inmates. The verandahs cannot be dispensed with under any consideration. »

Ce paragraphe, rapproché de la tirade de M. le Dr Tuke, suggère tout un monde d’idées. On constate que le bois est susceptible de pourrir dans Ontario, comme dans Québec ; que les constructions subissent les ravages du temps, quelles que soient la religion ou la nationalité de ceux qui en ont soin ; que le surintendant de Toronto n’est point enchanté des parterres fournis à ses malades, parterres qu’il compare à des fourrières où les aliénés rôtissent au soleil et se roulent sur la terre : que les fous d’Ontario font parfois assez de bruit pour incommoder le voisinage : que ces inconvénients, dont on se plaint dans la première des excellent institutions, ne paraissent pas exister dans la seconde des Relics of Barbarism ; enfin que les pallissaded verandahs, que M. le Dr Tuke trouve si étranges dans la Province de Québec, sont regardées comme indispensables par une des autorités d’Ontario. Prévention voilà de tes coups.

M. le Dr Tuke semble regretter qu’il n’y ait pas d’autres airing courts que les verandahs, à la Longue-Pointe, — « There are no others » dit-il, ce qui n’est pas vrai du reste. Plus loin, en parlant de Beauport, il semble ne pas approuver l’existence d’airing courts, bien que ces airing courts soient, comme il l’admet, gazonnées et ombragées, « grassy airing courts, » — fortunately shaded « from the blazing sun »  ; ce qui ne l’empêche pas d’ajouter que le spectacle des femmes couchées ou assises à l’ombre sur l’herbe — « did not commend itself as one altogether desirable. » M. le Dr Tuke était véritablement encapuchonné, dans la mauvaise acceptation du mot, quand il a fabriqué son réquisitoire contre nos asiles de la province de Québec.

Une autre découverte non moins extraordinaire que les précédentes, faite par M. le Dr Tuke et racontée dans le paragraphe plus haut cité, c’est que, lorsque les malades, qui habitent les étages supérieurs de l’asile de Saint-Jean-de-Dieu, vont se promener dans les préaux, qu’il dit, dans le même paragraphe, ne pas exister, ils sont obligés de descendre ; mais ce n’est pas tout de les faire descendre, on les fait descendre dans un ordre régulier — « in regular order, » ce n’est pas tout encore, ils descendent sous la surveillance de leurs gardiens — « in charge of their attendants, ce n’est pas encore tout, ils marchent comme des écoliers, « like a procession of charity school children. » Tout cela pourrait faire l’admiration, ou du moins mériter les éloges d’un honnête visiteur, homme de bon sens ; ce bel ordre, cette attention des gardiens, ce spectacle qui ressemble non pas à une cohue de fous, mais à une procession d’enfants d’école. Oh ! n’attendez pas cela de M. le Dr Tuke ; au contraire, cet état de choses, qu’il essaie de ridiculiser, lui arrache des soupirs de compassion ; levant saintement vers l’empyrée les yeux humides d’un prêtre d’Esculape, sacrificateur de Psyché, il s’écrie, immédiatement : — « Those who work on the farms must be the happiest in the establishment. » Quel brave homme, quel philanthrope et quel savant expert que ce bon Monsieur le Dr Tuke !

M. le Dr Tuke ne néglige jamais l’occasion de tourner au mauvais plaisant : il a inventé le mot de « farming out of human beings », pour désigner la méthode de mettre les aliénés en pension dans des asiles particuliers, et cela lui suggère une plaisanterie assaisonnée d’un sel tout à fait attique, à l’adresse de femmes distinguées qui sont nos sœurs, nos filles, nos parentes ou nos amies, de religieuses dignes du respect de tous les gens bien élevés, de femmes qui, à tout cas, ont notre confiance et notre admiration, à nous catholiques qui formons près de la moitié de la population de toute la Confédération canadienne, et qui sommes sept contre un, dans la Province de Québec.

« Their farming capacities, dit M. le Dr Tuke des Religieuses, are, I have no doubt, very creditable to them. It is not this form of farming to which I have any objection or criticism to offer. In the vegetable kingdom I would allow them undisputable sway. It is the farming out of human beings by the province to these or any other proprietors against which I venture to protest. »

En attendant que j’aborde sérieusement la question des diverses méthodes adoptées, de par le monde, pour le maintien des aliénés, il me sera bien permis de remarquer que M. le Dr Tuke, se devait à lui-même et devait à la population et au gouvernement du pays, de produire les titres et les autorisations qu’il a pour nous signifier des protêts. On a déjà vu que l’instruction, ou du moins la clairvoyance de ce monsieur parait laisser à désirer, il est facile de voir que son éducation domestique est à refaire.

Tous les asiles d’aliénés, dans les autres provinces de la Confédération, sont administrés par des protestants et par des personnes d’origine britannique qui, à de très rares exceptions, ne parlent que l’anglais : les catholiques, notable portion de chaque province et les français aussi notable portion de toutes les provinces, à l’exception de la Colombie, se soumettent à cet état de choses et n’essaient point à dénigrer ces institutions ; loin de là, ils leur rendent pleine et entière justice, alors même que tout n’y est pas selon leur goût. Nos asiles de la province de Québec ne sont point aussi exclusivement organisés ; tous les administrateurs et presque tous les employés parlent l’anglais ; on y a des médecins de langue anglaise, et à Beauport, où tous les aliénés protestants doivent être envoyés, à moins que les familles ou les amis des malades n’expriment le désir de les voir interner à Saint-Jean-de-Dieu, il y a un médecin visiteur protestant et un aumônier protestant en titre. L’immense majorité de la population de la province de Québec a confiance dans les deux administrations de nos asiles ; nous savons que ces deux institutions sont excellentes ; elles nous coûtent moins cher que les établissements de même ordre et de même classe ne coûtent ailleurs : il n’est donc pas étonnant qu’on ait maintenu le système qui nous donne tous ces avantages. Le public y tient et il doit insister, pour la justice et pour l’honneur de son droit, à ce que ces asiles continuent à être administrés comme ils le sont aujourd’hui.

Ce qui précède était écrit, quand les journaux sont venus donner le compte-rendu d’une visite faite à l’asile de la Longue-Pointe, le 4 Mars 1885, par le Grand Jury du district de Montréal. J’emprunte à un journal anglais, le Star du 5 Mars, les deux passages les plus saillants du rapport de cette visite.

« The jurors appear to have paid particular attention to the condition of Longue-Pointe asylum, in view of the criticism on the management of the institution which have been made during the past few months. Contrary to the usual practice the jurors were permitted to see every part of the institution from cellar to attic including the furious wards. The party were altogether unexpected, but immediately after entering they were escorted through the building by sister Thérèse, the Superioress.

Dinner was being served at the time of the visit and the meal is described as having been sumptuous. The jurors expressed themselves as perfectly satisfied as regards the cleanliness of the establishment and the care exercised in its management and the foreman was authorized to sign a document to that effect. »

Mais si la majorité de la province de Québec tient à ses droits, à ses institutions, à ses sympathies, à ses confiances, elle n’a jamais été ni exclusive, ni tyrannique, ni insultante, et je suis certain d’exprimer l’opinion des catholiques de cette province, en disant qu’ils verraient, avec un véritable plaisir, la minorité protestante posséder son asile à elle. Nos frères séparés tiennent aux circonstances d’être comparativement plus riches que nous ; ils disposent des capitaux et de l’influence de la mère-patrie, les grosses entreprises publiques sont pour eux d’ordinaire ; il doit leur être plus facile qu’à nous de constituer un asile pour leurs aliénés, et d’y mettre du luxe si cela leur plait. Ils n’auront point de peine à obtenir de notre gouvernement provincial, pour chaque aliéné pauvre de leur croyance, la même pension qu’on accorde, pour le maintien de ces malheureux, aux asiles de Beauport et de St-Jean-de-Dieu. Nos compatriotes protestants, dans leur établissement, conduiront les choses à leur façon, ils pourront prendre de leur côté, à leur bénéfice exclusif, l’inspecteur qui est sensé aujourd’hui les représenter : alors, nous osons du moins l’espérer, nous aurons la paix.

M. le Dr Tuke parle de Beauport comme il a fait de la Longue Pointe, il n’a point ici de religieuses à insulter, mais il a des propriétaires canadiens-français catholiques en lieu et place, pour lui, c’est à peu près la même chose. Les préférences, les antipathies et les lubies de M. le Dr Tuke sont données comme des vérités absolues, des lois que tout le monde, en Canada, doit accepter sans discussion. Il n’y aurait point deux manières d’envisager les choses ; hors de la non-restraint et de l’administration de son amour, il n’y a pas de bonheur, pas de salut, pas de guérison pour les aliénés. Et, cependant, à la suite de tous les changements que M. le Dr Tuke constate avoir été opérés en Angleterre, pendant quarante ans, il en vient dans ses Chapters, page 490, à avouer : — « But, after all, the question faces us, are there or are there not more insane persons cured in 1881 than in 1841 ?  » Le savant docteur n’ose point résoudre ce chatouilleux problème ; mais, dans ce pathos qui lui est particulier, à la page 492, il mentionne — « the somewhat unfavorable conclusion as the permanent recovery which Dr Thurnam, in a work which will always be a Pharos to guide those who sail on waters where so many are shipwrecked, arrived at, after laborious examination of the after history, of cases discharged recovered from the York Retreat. »

Imaginons la portée d’un pareil résultat dans la York Retreat, fondée et d’abord administrée par M. William Tuke, décrite par M. Samuel Tuke et visitée, pendant je ne sais combien de temps, par M. le Dr Daniel Hack Tuke !

Je viens de dire que l’asile de Beauport a reçu, de la part de M. le Dr Tuke, le même injuste traitement que l’asile de Saint-Jean-de-Dieu. Je me contenterai de remarquer que Beauport est déjà une ancienne institution, qui a subi l’épreuve du temps et qui a passé par toutes les phases d’un développement et d’améliorations progressives qui ont été, d’années en années, l’objet des éloges des Commissaires et des Inspecteurs du gouvernement et d’experts tant canadiens qu’étrangers. Il serait fastidieux d’accumuler ici les reproductions de ces témoignages, la chose, du reste, me semble inutile, après avoir démontré que les attaques auxquelles je réponds, en ce moment, ne constituent pas une critique, mais une vulgaire diffamation ; je me contenterai de citer un paragraphe du rapport des Inspecteurs de l’année 1862, en faisant remarquer que l’asile de Beauport était alors loin, bien loin, de ce qu’il est aujourd’hui, qu’il était très encombré et qu’il n’y avait pas de médecin attaché à l’institution, autre que les propriétaires, qui étaient eux-mêmes des médecins. — « The inspectors, who admire the asylum at Beauport as occupying the juste milieu, between the penury of municipal asylums, and the luxury of certain asylums, in the neighbouring republic for instance, cannot but regret the want in this institution of a resident physician, who should attend solely to the patients, and have the constant dispensing of the remedies of a moral, disciplinary and medical character which conduce so much to restore the lost faculty of reason. With this exception, the Inspectors have to congratulate the Country upon having an asylum in the Province so well conducted, and, taking it all in all, so very inexpensive as that of Beauport. »

Il faut remarquer que les deux seuls défauts importants que les inspecteurs constataient, à cette époque, à Beauport n’existent plus pour nos deux asiles d’aujourd’hui. L’encombrement n’y est point excessif comme alors, et chacun des deux asiles a un médecin interne et, en sus, un ou plusieurs médecins visiteurs.

Il n’y a pas d’institution au monde qui soit à l’abri des attaques de l’ignorance ou de la malveillance. Les asiles d’aliénés sont, de leur nature, particulièrement exposés à de pareilles attaques : un accident, une mésaventure, comme il s’en produit de temps en temps en dépit de toutes les précautions, les histoires d’aliénés souvent plus futés que leurs interlocuteurs, les vengeances d’employés démis ou de solliciteurs éconduits, la jalousie et la haine, qui se fourrent partout, peuvent faire naître des soupçons, des méfiances, des calomnies, dont la crédulité devient victime et que le charlatanisme ou la perversité exploitent.

Malgré le soin qu’on mette à choisir les gardiens, au sein du corps de gardiens le plus respectable et le plus capable, il arrive qu’un employé manque de vigilance ou trompe la confiance de ses supérieurs. Je lis le récit d’un évènement de ce genre, dans le rapport de l’Inspecteur des asiles d’Ontario, pour 1881 (sessional papers, 1882, No 8 page 31 ). — « The night previous to my visit an irregularity of a very serious nature occured in the asylum (London). One of the attendants, who had been engaged as nightwatch only for a short time, entered the upper Refractory Female Ward during the absence from that corridor of the female watch, and made his way to the room of one of the female patients, where he was subsequently discovered by the female watch &c.&c. »

Imaginons pour un instant qu’un pareil accident se fut produit à la Longue-Pointe ou à Beauport, la veille de la visite de M. le Dr Tuke ! On peut affirmer, sans crainte de se tromper, que le savant docteur eut déclaré ne pas pouvoir trouver, dans la langue anglaise, d’expressions capables de rendre l’indignation et l’horreur qu’une irrégularité, aussi déplorable, aurait produit en lui, et qu’il se fut empressé d’attribuer ce crime au système adopté dans la province de Québec, surtout au choix qu’on y fait des gardiens. On est d’autant plus justifiable de présumer cela que M. le Dr Tuke, à tort et à travers, à la simple vue passagère de quelques gardiens de Beauport, ose dire de ces respectables gens qu’il ne connait pas, et de l’aumônier qu’il ne connait pas plus : — « With a higher class, it might no longer be an irony to speak as the chaplain does in one of the reports of the good and virtuous keepers who are selected with great discernment. »

L’aumônier de Beauport connait ces braves gens, avec lesquels il est en rapports constants, et, sans se porter garant pour chacun d’eux, il leur rend justice. M. le Dr Tuke ne les connaît nullement et il les injurie de ses insinuations. Personne ne peut sonder les reins et les cœurs ; mais on juge des hommes par leurs actes, dans ce cas-ci, c’est bien certainement M. le Dr Tuke seul qui joue un vilain rôle. Dans la province de Québec comme dans Ontario on fait le meilleur choix possible des gardiens d’aliénés ; quand il arrive qu’on s’est trompé, la découverte de l’erreur est immédiatement suivie de démission.

Encore une citation et quelques commentaires et j’en aurai fini avec le chapitre des diatribes et des impertinences de M. le Dr Tuke : — « Should the contract System be abolished, dit-il, should capable medical men be placed at the head of the institutions of the Quebec Province, and should inspection be made by competent men, be sufficiently frequent and searching, the asylums for the insane in this province will become institutions of which Canadians may be justly proud, instead of institutions of which they are, with good reason, now ashamed. »

Voici un homme, qui n’a fait que passer en Canada, qui pendant son court séjour n’a eu des rapports et n’a subi d’influences que d’une espèce, qui ne connaît nos institutions que pour y avoir jeté un regard, faussé d’avance par des préjugés, le parti pris et les calomnies de certains agitateurs, et qui vient s’arroger la mission d’éclairer les gouvernants et les gouvernés, de distribuer aux uns des éloges dont il ne saurait mesurer la portée, aux autres des injures dites dans un langage indigne d’un homme instruit et d’un homme bien élevé, des injures pour la plupart, d’une telle ineptie, qu’elles ne peuvent tromper que ceux qui veulent bien se laisser tromper, et cet homme s’est imaginé qu’on va le subir sans le mesurer ! Il ne connaît ni les médecins ni les inspecteurs de nos asiles et il les décrète, en bloc, d’incompétence et d’incurie ; il décoche contre les ordres religieux qu’il ne connaît pas, contre les serviteurs de nos asiles qu’il ne peut pas connaître, de plats quolibets et de perfides insinuations ; et il a cru ne devoir recevoir que les compliments de ceux qui l’ont ainsi poussé de l’avant.

On pourrait demander à M. le Dr Tuke, comment et par qui il s’est cru autorisé à dire que les Canadiens ont honte de leurs asiles — « of which they are now ashamed. » Quels sont les hommes qui se sont portés garant devant lui de cette opinion des Canadiens ? Que des individus, plusieurs probablement, quelque clique aient circonvenu M. le Dr Tuke et l’aient engagé à commettre l’énorme bévue qu’il a commise, à faire la vilaine besogne qu’il a exécutée, cela ne fait pas doute, les mots que je viens de citer en sont l’inconsciente autant que naïve confession. Quels sont ces gens qui ont lancé l’english expert à l’assaut de nos asiles ?

Il y a près de quarante ans que l’asile de Beauport existe ; pendant ce laps de temps, près de trente commissaires et inspecteurs ont été chargés de surveiller cet asile. Les Commissions et les Bureaux qui se sont succédés ont compté bon nombre d’hommes distingués de diverses croyances et nationalités, médecins, hommes de loi, hommes d’affaires, fonctionnaires ; tous n’ont eu que des éloges à faire de l’administration et de la tenue de cet établissement ; on y a signalé parfois, comme partout ailleurs, des défauts passagers ; mais en somme on n’a jamais eu qu’à se féliciter de l’état de cette maison, au point de vue de l’intérêt des aliénés, des familles et de la société. Il en a été de même de l’asile de Saint-Jean-de-Dieu depuis qu’il existe. Ne serait-ce pas une chose monstrueuse que de mettre de côté tant et de si honorables témoignages, pour donner gain de cause à l’intrigue ?

M. le Dr Tuke est un contributeur à la littérature psychologique, mais il n’est point une autorité, tant s’en faut. C’est un homme pour qui les mots dominent ; avec de tels émissaires, il suffit d’ordinaire de remplacer certains mots ronflants par les termes propres, pour enlever à leurs écrits la signification qu’ils ont voulu leur donner. C’est ainsi qu’en remplaçant, dans le factum de M. le Dr Tuke, les expressions injurieuses ou captieuses par d’autres, on peut détruire à peu près toute la malice de ses attaques. Aux mots farming of human beings, human menagerie, chamber of horrors, relics of barbarism, il n’y aurait qu’à substituer les mots pensioning of the insane, inmates of asylums, refractory ward, mechanical protection, pour transformer le venin en une écume inoffensive. Comme M. le Dr Tuke n’a pas seul le privilège d’argumenter par des gros mots, on s’est servi de la tactique dont il use, pour attaquer les théories dont il est l’aveugle partisan ; les mots non-restraint, covered beds, attendants ministration, ont été travestis en broken ribs, shut box fisticuffs etc. On a aussi richement payé les avocats de la non-restraint, pour les descriptions qu’ils se sont permises d’asiles qui leur déplaisent, parcequ’ils ne sont pas conduits d’après les principes que non-seulement ils avocassent mais qu’ils voudraient imposer aux autres. L’asile de Hanwell, en Angleterre a été le berceau principal de la non-restraint, c’est là que le système a triomphé chez les Anglais, d’après M. le Dr Tuke ; on lit dans ses Chapters page 206 : — « Would not the experiment been carried out on a much larger scale at Hanwell by Dr Conolly, with far greater success, a reaction would have ensued, of infinite injury to the cause of the insane. »

Toute médaille a son revers et je trouve le revers de la médaille de l’asile d’Hanwell à la page 59 du Rapport du Dr Yale pour l’année 1882 ; publié en 1883 : — « I have twice, at least, visited Hanwell, the scene of Conolly’s operations — on the last occasion, spending several days there… Notwithstanding all the operations and traditions of Conolly, although its affairs have been administered since his day by a series of disciples professing his views, Hanwell is one of the worst asylums I have seen in any part of the world, whether as regards its structural arrangements or its government. »

M. le Dr Tuke ne pouvait pas demeurer sans rétorque, et le meilleur moyen d’en avoir raison c’est de le peser comme autorité, d’analyser un peu son talent, de dégager les points saillants de son mémoire, afin d’en faire ressortir le fond, la forme et l’animus. Plusieurs de nos journaux ont déjà réfuté une partie de ses commentaires, exposé ses calomnies ; j’ai cru avoir le droit de me joindre à ces défenseurs de nos institutions, d’autant plus que les circonstances ont voulu que je me sois livré à l’étude spéciale des questions qui font la matière du débat.